3 - Les larmes de Todoroki
Je sens ma respiration qui s'accélère. Mince, pourquoi cela me met dans un tel état ? Je m'accroupis devant lui, et je fixe éperdument ses genoux qui tremblent, auxquels il s'accroche désespérément et dans lesquels il se cache pour ne pas que je ne voie ses larmes. Je pose ma main sur son épaule, et je suis surpris par la chaleur qu'elle en dégage malgré les vêtements qui me séparent de sa peau. S'il ne veut pas me montrer son visage plein de larmes, je veux tout de même lui montrer que je suis là, avec lui. Je l'entends sangloter un peu moins, je pense qu'il essaie de se contrôler un minimum. Cela m'attriste. Pourquoi ai-je la soudaine envie de voir chaque facette de lui ? Je voudrais voir ses larmes, ses sourires, ses inquiétudes. Et le fait qu'il cache son visage comme ça me blesse un peu. Ce n'est pas de sa faute, d'après ce que je sais, il n'exprime que rarement ses émotions, encore moins lorsqu'il y a du monde autour...
Todoroki, ne pourrais-tu pas faire de moi une exception ? C'est un peu égoïste, je sais... J'ignore pourquoi je veux tant voir ton visage.
Je le vois bouger sa tête contre ses cuisses, et il lève lentement sa tête vers moi. Je me rends compte que je suis bien trop proche de son visage, et cette proximité me fait légèrement rougir – mais l'on est tellement proches que je doute qu'il ne le voie. Je lui demande pour quelle raison il est dans cet état, alors que son regard larmoyant m'attire plus qu'il ne le devrait. Ses yeux sont juste incroyables, et pas seulement à cause de leur singularité. Même sans ses yeux vairons, ils restent vraiment beaux. J'ai l'impression de voir toute son âme et tous les sentiments qu'il ressent à présent, tant ils me semblent expressifs. J'essaie de me concentrer sur autre chose que son regard qui me tétanise, mais tout en lui me trouble davantage. Je peux sentir son odeur : celle de la menthe, qui recouvre discrètement une odeur un peu plus masculine. Le fait de pouvoir sentir son odeur fait paniquer mon cœur, pourquoi ne me parle-t-il pas ? J'ai envie d'écouter sa voix rassurante et posée. Je peux aisément sentir son souffle qui frôle mon cou, et le fait d'entendre sa respiration si proche de mes oreilles me trouble d'autant plus.
« C'est difficile à expliquer... »
Sa voix grave enveloppe mon cœur d'une chaleur rassurante, et je suis heureux qu'il se mette enfin à me parler. Explique-moi Todoroki, explique-moi tout ce que tu veux. Comment le monde fonctionne, ce que tu préfères manger, si le froid t'incommode ou si tu acceptes que je partage un peu de ton temps. J'arrive à percevoir une lueur d'angoisse dans cet océan que me dessine ses prunelles, mais je ne comprends pas d'où elle vient. À présent, cette angoisse s'est mutée en panique, et je ne sais pas comment réagir. Est-ce l'une de mes réactions qui t'a dérangé ?
« Todoroki.. ? »
Il a l'air d'un chaton perdu avec cette tête si adorable, et je ne peux m'empêcher de le considérer comme tel. Lentement, j'approche ma main de son visage, sa respiration est toujours aussi erratique, mais il ne s'éloigne pas pour autant. Je pose doucement ma main sur son cuir chevelu, et il m'observe avec toutes les interrogations du monde. Je glisse mes doigts entre ses mèches – rah, ses cheveux sont aussi doux que je l'avais imaginé, ainsi je commence à lui gratter la tête. Lorsque je faisais des cauchemars, ma mère me faisait ça et ça me calmait instantanément. Je crois que mon action le trouble, et suis-je en train de rêver ? Son visage se teinte de quelques rougeurs, alors que sa panique semble s'évaporer lentement. Je lui adresse un sourire rassurant, pendant qu'il me fixe avec cette stupeur qui le colle depuis quelques minutes comme ça.
Je lui gratte les cheveux (ou plutôt, je les lui masse, mais c'est plus gênant à dire alors je préfère dire « gratter ») pendant de longues secondes, et mes joues commencent à me faire mal à force de sourire depuis tout ce temps. Son silence me déstabilise. J'aimerais une réaction, un mot pour me dire si je dois arrêter ou continuer. Peut-être qu'il attend que ce soit moi qui engage la conversation ? S'il souhaite me parler de ce qui le met dans cet état, je pense que c'est difficile à expliquer. Pour qu'il en soit au point de pleurer en pleine rue, en plein jour, ce doit être terrible... Ou peut-être que je le surestime trop au niveau du contrôle de ses émotions ?
« Peut-être que tu veux en parler ailleurs que dans la rue.. ?
- Tu connais le chemin de la maison. »
Cette déclaration me fait sourire malgré moi, et je ressens une joie soudaine à l'idée de savoir où il habite. Je l'aide à se relever, la chaleur de ses mains dans les miennes fait accélérer les battements de mon cœur qui, semble-t-il, s'amuse à battre plus vite que de raison. On commence à marcher, dans un silence qui dure jusqu'à notre arrivée devant sa maison. Je n'ai pas osé briser ce silence là, car il semblait tellement préoccupé par ses pensées que l'interrompre aurait pu le surprendre et lui faire peur. Ou alors, je pense qu'il ne m'aurait même pas entendu, tant sa concentration semble le couper hermétiquement du monde.
Il ouvre la porte, puis se dirige vers son canapé. Je le suis, et l'on se retrouve assis, côte à côte dans ce fauteuil, avec toujours ce silence un peu pesant sur nos épaules. Je regarde fixement la table en face de nous – il n'y a rien d'autre que je pourrais regarder sans être gêné ou gênant.
« Alors ? J'ai tout mon temps, alors ne te presse pas et ne te mets pas la pression surtout, Todoroki. Je suis là, et tout va bien maintenant. »
Ce silence commençait à devenir trop oppressant, alors j'espère qu'il ne m'en voudra pas de le briser. Je me retourne vers lui, et j'aperçois un sourire gêné qui décore adorablement son visage. Plusieurs fois, il entrouvre ses lèvres roses pour les fermer par la suite, faute de mots.
« Je... ne sais pas par où commencer. Pourquoi veux-tu savoir, Midoriya ? Par simple curiosité malsaine ? »
Ses derniers mots me surprennent autant qu'ils ne me blessent. Je baisse la tête, en songeant à la vision dont il a de moi pour avoir une telle idée. Ou peut-être est-ce juste pour être sûr de ne pas parler à la mauvaise personne ? J'espère juste que c'est ça, car autrement, ça me déprimerait de savoir qu'il ne voit qu'en moi un curieux un peu malsain, s'amusant des malheurs des autres.
« Je veux t'aider, Todoroki.. Dès la première fois que je t'ai vu, j'ai senti que tu avais besoin d'aide. Mais tu es si... solitaire, et un peu intimidant, que je ne savais pas comment m'y prendre pour te montrer que je voulais être là pour toi. »
Il tourne son visage vers moi et me fixe avec surprise, avec ses yeux légèrement écarquillés. Bon, j'avoue avoir un peu exagéré quand je lui ai dit que ça se voyait qu'il avait besoin d'aide. Mais à force de le côtoyer, c'était un sentiment étrange de flottement, un peu obscur, que je ressentais quand je l'observais.
« Comment pourrais-tu m'aider ?
- Je.. D'abord en écoutant ce que tu as sur le cœur, je pense... »
Ah, et après si tu veux, je peux te faire des grattouilles aussi. Plus sérieusement, même si jusque-là je n'ai pas aidé grand monde, je peux apprendre avec toi, non ? Si tu es d'accord, bien sûr.
« Il y a tant à dire.. Je ne sais pas par quoi commencer, je ne sais pas si ça va t'intéresser ou au contraire te faire fuir, je ne sais pas si on aura fini cette discussion d'ici demain.
- Je ne sais qu'une chose Todoroki : je ne t'abandonnerai pas. »
Je lui lance mon regard le plus déterminé que je n'aie jamais lancé, j'ai l'impression d'être dans un entretien d'embauche. C'est difficile, de le convaincre. Mais d'un côté, je le comprends. Ne pas dire n'importe quoi à n'importe qui, c'est la base de la survie pour certains.
« Je suis une ruine, Midoriya. Raconter la destruction de chaque centimètre d'un édifice, c'est long tu sais ?
- Je m'en fiche. Il faut que je sache si je prévois de te reconstruire, centimètre par centimètre, n'est-ce-pas ? »
Je ne me rends même plus compte de quelles inepties je déblatère, et un grand sourire vient me faire mal aux joues lorsque je le vois devenir tout rouge. Qu'il est adorable lorsqu'il ne retient plus ses émotions derrière un masque ! J'ai envie de le faire rougir à chaque seconde, tant il est mignon comme ça. À cette pensée, j'ai envie de me mettre une gifle. C'est pas le moment de penser à lui comme ça, abruti !
Il commence à parler, rapidement, très rapidement. Il me parle de sa famille tout sauf soudée, du fait que ses sœurs et ses frères l'ont toujours ignoré, de sa mère devenue folle à cause de son père. Son regard, parfois, s'arrête et se fixe dans le mien, mais à chaque fois, il fait demi-tour et fixe la table en face de lui. Il n'est pas à l'aise, ça se voit. On dirait même que parler le terrifie. Il m'évoque de la fois où sa mère lui a causé la cicatrice qu'il a sur le visage, puis de son départ, et du fait qu'à partir de ce moment, il a été seul avec son géniteur. J'écoute chaque mot qui passe la barrière de ses lèvres, jusqu'à ce qu'elles se referment et qu'il ne s'arrête.
Après ce léger silence, il commence à me dire qu'il ne s'est pas passé un seul jour sans qu'il ne reçoive des coups. Une soudaine colère m'envahit, et je le fixe longtemps alors qu'il joue avec ses doigts pour ne pas avoir à me regarder. Il m'évoque ses entraînements incessants et fatigants, des insultes qu'il lui lançait et des brûlures qu'il lui infligeait pour qu'il se concentre. Il me parle du fait qu'aux yeux de son père, il n'était qu'une merde. Il m'avoue même que la vue de sa ceinture lui fait encore peur aujourd'hui. Ses souvenirs le hantent chaque jour, et pendant qu'il me parle de tout ça, je ressens une rage folle dans mon ventre que j'ai du mal à contrôler. Puis, il me raconte certains de ses cauchemars. Une fois, il a rêvé qu'il lui avait tellement frappé la tête contre le sol qu'il s'est évanoui, et il me fait comprendre que c'était vraiment proche de la réalité. Puis, lorsqu'il m'évoque celui dans lequel il l'avait abandonné dans un état pitoyable sous la pluie, allongé dans la boue, et qu'il était venu le chercher le jour d'après, ma respiration s'accélère malgré moi.
Comme tout être humain vivant dans cette société, je pensais que le nombre d'enfants qui se faisaient battre avait bien diminué, car avec les Alters, ils avaient une sorte de défense. Mais si j'avais réfléchi deux secondes, j'aurais deviné qu'au contraire, c'était la porte d'entrée à toutes les pires manipulations et sévices. J'entends sa respiration saccadée qu'il essaie malgré tout de réguler, tandis que je fixe mes mains impuissantes. Puis, dans ma colère muette, une interrogation perfide me vient en tête. Est-ce toujours le cas ? Son père ne semble plus vivre avec lui, mais ils doivent bien se voir non ? Juste penser au fait qu'il pourrait lui faire du mal me donne envie de lui mettre mon poing dans sa gueule de toutes mes forces, quitte à me briser le bras définitivement.
Ainsi, je lui demande s'il osait encore le toucher. Il me répond que depuis quatre ans il a arrêté et qu'il le voyait rarement, et à cette déclaration, mon cœur est pris d'un énorme soulagement. Puis, il change de sujet, et me murmure à quel point il a du mal avec les gens. Plus jeune, personne ne l'approchait de peur de se brûler ou d'avoir les mêmes cicatrices que lui. Personne ne lui parlait, alors il restait muet. Il était un fantôme pour sa famille, et pour le reste du monde ; et cette phrase me rend profondément triste. Enfin, il me parle, je cite, de cette impression désagréable d'avoir la solitude comme seconde peau, et le silence comme ombre fuyante.
Je reste muet devant ses paroles. Je ressens une immense tristesse devant cette solitude, devant ces injustices et cette enfance qui n'en était pas une. Puis, je culpabilise à l'idée que ma vie, même si banale, était en fait terriblement belle, malgré les brimades de mes camarades. Et dire que je pensais ne pas avoir de chance. Ma colère incoercible s'est transformée en rage silencieuse, qui danse avec le goût amer de ma tristesse. Le son de sa voix me sort de cette réflexion, et je vois qu'il rigole de désespoir. Le silence nous entoure, je ne peux pas m'empêcher de fixer son visage baissé. Je pense qu'il a tant d'autres choses à raconter. Mais le fait qu'il m'ait parlé de tout ça me comble de joie, même si je n'ai fait qu'effleurer la surface de ses larmes. Peut-être attend-il de moi une réaction ?
« Écoute, je sais vraiment pas comment réagir... J'ai envie de te faire un câlin, et de te serrer fort contre moi pour te rassurer et te dire que tu ne crains plus rien... J'ai aussi envie de rester avec toi, et de détacher cette seconde peau faite de solitude. Mais je ne sais pas si c'est mon rôle de faire ça... »
Je réfléchis longtemps à cette problématique, mais lorsque je vois qu'il rougit, je devine que je viens de penser à voix haute. Merde. Je commence à perdre le contrôle, et je prie pour ne pas qu'il ne voie ma gêne sur mon visage.
« Es-tu forcément obligé de suivre ton rôle en permanence ? »
Je me retourne soudainement vers lui, je pense que je suis extrêmement rouge vu comment mon visage chauffe (peut-être que je pourrais faire cuire un steak sur mon front ?), et ma réaction lui arrache un petit rire qui fait partir mon cœur dans un terrible sprint.
« Tu veux dire... que tu voudrais bien ? Que je te fasse un câlin et que je reste à tes côtés ? »
Son adorable visage prend la teinte de la gêne également, alors que les battements de mon cœur s'accélèrent davantage. Puis, il me déclare « Peut-être.. ? », et le sourire mesquin qu'il me lance me fait craquer. Je me lève soudainement, paniqué à l'idée que cela pourrait se réaliser, puis je déclare précipitamment que ma mère va s'inquiéter. Je m'élance en direction de sa porte d'entrée, puis je me dis que ça ne se fait pas de le laisser comme ça, et que ce n'est pas parce que je suis incapable de gérer ce flux d'émotions que je dois le laisser seul sans rien lui dire. Je me retourne, et quand je vois sa petite bouille déçue, je ne peux pas m'empêcher de me dire que je pourrais rester et lui faire une tonne de câlins. Mais non Izuku ! Pas maintenant, ce n'est pas bien ! Et puis, ma mère a prévu un repas pour moi, je ne dois pas être en retard. Je n'ai pas envie qu'elle commence à manger seule.
« Je viens te chercher demain matin pour aller en cours ?
- D'accord, à demain Midoriya. »
Je lui lance mon plus beau sourire et je referme sa porte. Dès que je sais qu'il ne peut plus me voir je libère tout et pousse un petit cri de joie. Je marche dans la rue presque en sautillant, ça me réchauffe et je ne peux même pas m'en empêcher ! Todoroki Shouto m'a parlé ! De lui, de son passé, de tout ! Et même si ce n'était clairement pas joyeux, je me sens vraiment privilégié. Il doit me faire vraiment confiance pour me dire tout ça... À cette pensée, mon cœur s'emballe.
Quand je passe le pas de ma porte et que je viens dîner avec elle, elle me demande d'un air suspicieux s'il s'est passé quelque chose de spécial aujourd'hui. Mon sourire ne quitte pas un instant mon visage, et pendant que je déguste ses rouleaux de printemps revisités, je prétends avoir réussi à faire un exercice presque impossible à réaliser. Avec l'un de ses plus beaux sourires, elle me félicite, puis elle me sert dans ses bras à m'en étouffer, en me déclarant qu'elle est vraiment fière de moi.
Lorsque je me retrouve seul, emmitouflé dans mes draps, je réalise que les sentiments que j'éprouve lorsqu'il est avec moi ne sont pas communs. Je pense que c'est de l'amour... J'ai envie de l'embrasser quand je m'attarde trop sur ses lèvres, et j'ai envie de sentir la chaleur de ses bras. Je pense que si quelqu'un était dans ma chambre, il arriverait à me voir dans le noir tellement je suis rouge. Il faut que j'en parle à Ochako. Je suis certain qu'elle me dira comment faire.
Pitié, faites qu'il me parle autant demain aussi !
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