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C'était un week-end comme tant d'autres, mais ce samedi était particulièrement agréable à Christian. Ses parents avaient voyagé. La veille, alors que son père lui avait monté son repas, il l'informa après une longue causerie - sur sa convocation - qu'ils seraient absents car sa femme et lui devaient se rendre à un mariage. Néanmoins, les consignes étaient clairs. Il ne devait pas quitter la maison. Christian était privé de sortie. Sauf que le jeune Martin pensait tout autre chose. D'ailleurs, se disait-il, comment pouvaient-ils le punir s'il n'avait pas été pris en flagrant délit ? Ce week-end s'annonçait magnifique. Il lui fallait juste trouver comment s'occuper.

C'est alors que son téléphone se mit à sonner, faisant presque trembler les murs. Un passage de sa chanson silhouette en était la cause.

— Alors, on roupille toujours, lui demanda une voix aigu sous un ton espiègle...

Évidement ça ne pouvait qu'être elle. Sa voisine de banc et grande amie qui accessoirement lorsqu'il voulait bien faire attention à ses tentatives de séduction était la fille amoureuse de lui. Il ne pouvait espérer un autre coup de fil. Il n'y avait que Cézanne pour l'appeler de si bonne heure. Il n'y avait que Cézanne tout court dans sa vie.

— Cézanne il est sept heure, dit-il d'une voix mi-somnolente, mi- agacée.

— J'espère que tu n'as pas oublié qu'aujourd'hui on doit se rendre chez une amie, tu m'avais promis de m'aider à lui donner un coup de main pour sa fête. Et aussi, je voulais savoir si tu avais bien dormi, et comment tu avais passé ta nuit... Tu n'es pas trop fatigué... J'espère que tu t'es assez couvert, il faisait frisquet cette nuit... Est-ce que tu as remarqué cela comme moi ? T'as même mangé hier soir... j'espère que tu n'as pas dormi le ventre vide... Et tu as mangé quoi... T'as vu les infos...

Christian déposa son téléphone prêt de lui et leva les yeux aux ciels. C'était bien ça le problème avec elle, s'était-il fait la remarque. Mis à part qu'elle ne possédait pas les attributs adéquats, elle était agaçante, il trouvait qu'elle parlait de manière fatigante.

Lorsqu'il fit suffisamment ressentir son silence à Cézanne, il reprit le téléphone et sans toute autre forme de politesse, il lui indiqua l'heure à laquelle ils se retrouveraient et il raccrocha non sans lui souhaiter de boire de l'eau. Il se disait qu'elle devait sûrement avoir soif à force de bavasser autant. Il avait déjà connu des soupirantes, mais Cézanne était de loin la plus bavarde.

Il voulut se rendormir mais les notifications mirent fin à son souhait. Christian maudit cette application verte dont il savait la participation au complot qui se jouait pour l'empêcher de dormir. Ce fut d'une mine désappointé qu'il récupéra son téléphone près de lui et se mit à scroller l'écran.

Il perdu son air déçu et très vite il fut pétrifié par l'horreur qui s'offrait à ses yeux. Il ne pouvait croire en ces messages qu'il faisait défiler. L'être humain venait à nouveau de lui exposer son ignominie. Il méritait qu'on le tue... comment un garçon peut-il coucher un autre garçon...c'est une honte...même Hitler n'était pas tarlouze...Tels furent les quelques mots qui n'arrivaient pas à quitter l'esprit de Christian.

Ces messages étaient ceux des élèves de sa classe. Ils réagissaient à une vidéo où l'on passait à tabac un homosexuel - c'était une de celle de la bande des casseurs de pédé. Un groupe extrémiste, échappant à la justice, qui pratiquait littéralement de la chasse aux homosexuels - qu'ils médiatisaient sur leurs réseaux sociaux. Le plus déplorable était qu'ils étaient suivis par des personnes nourrissant ce cycle de la haine. Dans cette vidéo, le jeune homme que l'on martyrisait saignait gravement, agonisait, il était mal en point et avait cessé de se défendre face à ses quatre assaillants. Christian en éprouvait une profonde tristesse mais une colère toute aussi grande. Il se demandait comment des personnes qui étaient censées être réfléchis et éduqués appréciaient de voir un être humain être traité de la sorte.

Dans un accès de colère, il se mit à frapper de manière discontinu l'écran de son téléphone. Un long message qui portait son indignation, sa colère, sa déception, sa répugnance, prit forme sur son écran. Un message qui criait sa soif de justice et d'égalité. Sauf que malgré son désir de justice, il hésita à envoyer ce message qui faisait part de son intolérance. Il en vint même à l'effacer avec cette amertume qu'il ne pouvait réprimer. C'était un fait, il était lâche. Il aurait voulut le défendre mais cela l'aurait compromis. Alors comme d'habitude pour ne rien changer, il se tut.

Christian se laissa tomber sur son lit et regarda vers le ciel. Il n'avait plus foi en l'humanité. Il se demandait pourquoi l'orientation sexuelle d'une personne pouvait amener d'autres personnes à souhaiter sa mort. Ce n'était qu'une différence infime parmi toutes celles qui existent entre les Hommes. Pourquoi des considérations aussi archaïques entraînaient certains à l'irréparable ?

Une nouvelle notification le coupa de sa réflexion. Il essuya ses larmes et récupéra son smartphone. Il fut une nouvelle fois consterné. Le message qu'un certain Matty, qui n'était pas enregistré dans ses contacts, lui avait fait rater un battement.

N'oublions pas qu'il y'a des tarlouzes parmi nous qui font semblants d'être hétéro alors qu'ils se font chauffer le derrière et après ils ont des sous en maths.

Christian ne pouvait nier que cela lui était adressé. Et encore moins il ne pouvait nier que son émetteur était Mattéo Devis.

Le plus surprenant fut l'allure que prit la conversation. Certains rigolaient prenant cela pour une tentative de provocation née de l'animosité qui existait entre les deux jeunes hommes, d'autres donnaient foi aux dires de Mattéo se questionnant sur le fait que l'on avait jamais aperçu Christian Martin aux bras d'une femme et encore moins entendu parler de ses conquêtes comme le font les autres garçons, ni même jouer au foot ou au Fifa.

Toutefois la maîtrise incroyable dont faisait preuve Christian l'avait amené à ignorer ces messages. De toute façons, s'était-il dit, se justifier ou se défendre reviendrait à donner foi aux faits dont on l'inculpait.

C'est alors qu'une énième notification attira son attention. C'était celle annonçant le message de Cézanne.

Vous êtes tous autant que vous êtes des petits cons. Surtout toi Devis. Comment pouvez-vous vous réjouir du fait que l'on batte une personne jusqu'à la tuer ? À quoi vous sert donc votre éducation ? Chacun devrait être libre d'être qui il souhaite et de vivre comme il l'entend. Et pour en revenir à Chris on sait bien que cet idiot de Devis le jalouse. Sache-le tête d'anchois il aura toujours plus de fille à ses pieds que toi... Espèce de jaloux.

Elle avait à peine posté son message que la messagerie s'agita à nouveau. Sauf que ce ne fut guère cela qui intéressa Martin. Mais plutôt le caractère affirmé de Cézanne. Elle n'hésitait pas défendre les causes qui lui semblaient justes. Peu importe si elle devait se prendre le monde entier à dos. Christian trouvait que cela était son plus grand charme. Il la trouvait plus courageuse qu'il ne l'était. Elle aurait été un garçon et peut-être moins bavarde, il se serait ouvert à ses avances.

Même si tout de même affecté par cette effusion de violence dont pouvait faire preuve l'être humain, Christian éteignit son téléphone et décida de prendre une douche. Il devait honorer son rendez-vous auprès de Cézanne. Ils avaient un engagement à tenir.

À la fenêtre d'un bistro, Cézanne et Christian s'y étaient attablés. Ils buvaient leur cafés en partageant un gâteau.

— Je n'aurais jamais cru que décorer était un véritable calvaire, se plaignait presque Christian.

— N'exagère rien, rétorqua amusé Cézanne, nous sommes arrivés ils avaient déjà fait le plus gros du taf. Si tu n'avais pas tardé on aurait pu les aider davantage.

— C'est pas ma faute si...

— Si quoi ? demanda avec de grand yeux son amie.

— Si rien, finit-il par dire amusé, ce qui arracha un sourire à sa camarade.

En cette fin de soirée, les rues étaient vides, le vent froid et glacial. « Peu de personnes se plaisaient à sortir. ». Et ce n'était pas ce café dont la plus part des chaises étaient inoccupées qui contredirait la pensée de Christian. Toutefois cela ne semblait que très peu intéressé Cézanne dont les yeux pétillants ne quittaient plus le visage de Christian. On aurait dit qu'elle désirait l'avaler tout entier. Quant à lui, il feignait ne rien voir, le regard porté sur un point imaginaire dans la pièce.

— À quoi penses-tu ? lui demanda Cézanne.

— Rien d'important.

Christian marqua une brève pause, il réfléchit quelques instants, puis il livra à la jeune fille le fond de sa pensée. 

 — Dis-moi, entama-t-il en la fixant dans les yeux, vas-tu encore longtemps me dévisager, c'est flatteur mais tout de même gênant.

— Désolé, murmura Cézanne le regard honteux. Je me suis oubliée.

— Ce n'est pas grave, ajouta-t-il avec un rire qui désirait la rassurer.

Il se passa quelques secondes, puis quelques minutes durant lesquelles aucun n'avait osé ouvrir la bouche. La situation était inconfortable. Christian trouvait même qu'il avait été peu délicat dans sa façon de faire remarquer à Cézanne son regard mièvre. Sauf qu'il ne souhaitait guère la nourrir d'espoir. Il ne pourrait jamais la rendre heureuse, encore moins elle ne pouvait susciter chez lui un quelconque désir. Cézanne était une amie, et ça ne changerait jamais.

Soudain Cézanne s'exclama.

— Pourquoi ne nous laisses-tu aucune chance Chris ? On pourrait être heureux.

La jeune fille avait le visage rougie. Ses mèches rousses - qui encadrait un visage rondouillard - le faisaient encore plus remarquer.

Cézanne Delavallée semblait être de ses filles qui croyaient aux contes de fées et à la bonté de chaque humain. Avec ses ongles pailletés et ses vêtements colorés qui reflétait une certaine naïveté, il était difficile de lui donner plus de seize ans - ce qui était son âge.

Christian sentit une grande gêne s'accaparer de lui. Comment pouvait-il faire comprendre à Cézanne sans compromettre son secret qu'elle n'était pas du sexe qui réveillait chez-lui de l'intérêt ? Une bonne amie. Rien de plus. Cézanne était une bonne amie.

De manière réconfortante, il posa une main compatissante sur celle de la jeune fille, et avec le plus de tact qu'il lui était possible il s'exprima.

— Parce que je ne suis pas l'homme qui est fait pour toi, tu trouveras un qui sauras reconnaître la fille exceptionnelle que t'es Cécé.

— Tu as sûrement raison rétorqua-t-elle en se forçant à sourire, alors qu'elle désirait pleurer.

Christian fit l'aveugle et le sourd. Ce fut ainsi que leur collation toucha à sa fin. Cézanne espérait malgré cela à un amour avec Christian, croyant naïvement que sa détermination viendrait à bout de la supposé peur de son ami à franchir les limites de l'amitié, alors que, pour sa part, Christian se sentait peiné pour Cézanne car elle aimait un gay qui ne s'assumait pas.

Pendant qu'il réglait la note, un notification provenant de son smartphone retint son attention. C'était un nouveau message de l'application verte. Le plus curieux était le numéro. Il n'était pas répertorié dans les contacts du jeune homme. Ce qui le fit froncé le visage d'autant plus que le message était peu commun.

J'ai encore envie de toi. J'ai grave kiffé le baiser.

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