9.



« Ferme les yeux,

Que vois-tu ?

Qu'entends-tu ?

C'est terminé,

Tu as disparu ...

C'est terminé,

Il t'a attrapé ... »




10 FÉVRIER

« Maman ! Maman ! Regarde ! Je suis un super-héro ! »

Isabella sourit, observant son fils courir dans le jardin sous le soleil, l'endroit était fleuri, lumineux, accueillant et chaleureux. L'été, une saison toujours illuminée, là où la chaleur enveloppe notre corps dans un nuage de douceur. C'était le moment pour les enfants de sortir, de se défouler, de crier, chahuter, s'amuser, rigoler.

Vivre.

Cette image lumineuse, cette voix enfantine, mélodieuse, chantonnant comme aux creux de ses oreilles, ce n'était qu'un souvenir que Isabella se projetait. Peut-être pour oublier, pour mourir en paix.

« Tu es mon super-héro à moi. »

Le rire du garçonnet résonna dans sa tête. L'innocence, pourquoi lui enlever ? Une larme perla le long de sa joue, dégringolant et se mêlant à ses cheveux étalés sur le sol neigeux. Le froid la consumait lentement, lui glaçant le sang, atteignant sa moelle et la paralysant. C'était ici qu'elle s'était réveillée. Au milieu de la forêt. Perdue entre les arbres, dans le froid, le noir, la peur et l'incertitude.

— Tu es mon super-héro à moi... se murmura-t-elle à elle-même avec difficulté.

Ses lèvres étaient gercées, le froid l'empêchait de bouger. Le petit nuage fin qui sortait de sa bouche s'effaçait, comme elle, comme sa vie. Son cauchemar avait été interminable, fuyant ce monstre à ses trousses, traversant la forêt, tout semblait réel. Puis, lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle était allongée dans la neige, au milieu de nulle part. C'était la fin, la fin de la nuit mais la fin de sa vie aussi. Il allait venir si elle refermait les yeux, il allait la tuer ou peut-être était-ce déjà fait.


Paul descendit de sa voiture. Depuis leur dernière discussion au téléphone, Bella ne lui avait plus donné de nouvelle. Il monta les trois marches et frappa à la porte. Elle s'ouvrit toute seule, il fronça les sourcils. Qui laisserait sa porte ouverte avec un froid pareil dehors ? Il entra dans la maison, d'un pas lent. Les lumières étaient toutes éteintes. Il appuya sur l'interrupteur sauf que la lumière semblait grillée.

— Bella ? C'est Paul !

Il n'eut aucune réponse. Pourtant, la voiture d'Isabella était devant la maison. Il regarda sa montre, il était neuf heures du matin. Il se dirigea vers la cuisine, il s'arrêta lorsqu'il crut voir quelque chose bouger dans l'ombre.

Il s'y aventura quand-même, se dirigeant à l'aveuglette jusqu'à la fenêtre. Il l'ouvrit et poussa ensuite les volets pour éclairer la pièce. Il remarqua que la vitre était cassée, il n'y avait aucun bout de verre, Isabella avait dû les nettoyer.

Il fit le tour du rez-de-chaussé, ouvrant les volets dans chaque pièce. La maison était bien mieux éclairée. Il monta ensuite les escaliers, doucement. Il entendit de l'eau, cela semblait provenir de la salle de bain. Peut-être était-elle dans sa douche ? Il frappa donc à la porte, l'appelant mais le silence lui répondit. Soudain, il pensa à l'inimaginable. Et si elle avait mis fin à ses jours tant la douleur était insupportable ? Il frappa plusieurs fois sans réponse, il ouvrit alors la porte, elle n'était pas fermée à clef. Le rideau de la douche était tiré. Il s'approcha doucement, tendit la main pour l'attraper et d'un coup, il l'ouvrit. Il n'y avait rien.

Il remonta sa manche et passa son bras sous le jet pour éteindre l'eau, sauf qu'il s'ébouillanta. Il hurla et recula de quelques pas.

— Merde ! jura-t-il.

Il crut entendre un rire derrière lui, celui d'un enfant, suivit de bruits de pas, comme si on courait dans le couloir. Il se retourna aussitôt, s'engouffrant dans le long couloir. Il regarda à droite puis à gauche. Il n'y avait rien.

Il entra dans la chambre de Nate, la porte était entrouverte. Il se laissait donc guider par sa curiosité. La chambre semblait intacte. Il se dirigea vers la fenêtre et vérifia le loquet, celui-ci était bel et bien brisé de l'intérieur. Il soupira en y songeant.

— J'espère que tu n'as pas fais de conneries, Bella... se dit-il à voix haute.

Il sortit de la chambre, refermant la porte derrière lui. Il entendit un grincement, le même que celui d'une autre porte qui s'ouvrait. Il se retourna, au fond du couloir, il put apercevoir celle de la chambre de Bella s'ouvrir.

Il resta immobile quelques instants avant d'y entrer. Le lit était défait, le placard grand ouvert, la couette traînant par terre. Un frisson parcourut tout son échine. Il frissonna et se frotta les bras, ses poils se hérissèrent. En effet, la fenêtre était ouverte, laissant s'engouffrer le vent glacial dans la petite pièce. Il s'y précipita et s'apprêta à la fermer, sauf que quelque chose retint son attention... Une trace de main sur le bord de celle-ci dehors, noire, comme de la cendre ou de la vieille peinture craquelée. La même que sur celle de Nate et des autres enfants. Il referma la fenêtre, le loquet tomba sur le sol. Brisé comme dans la chambre de Nate... Paul regarda partout autour de lui, se sentant soudainement stupide.

Et si elle avait dit vrai ?

Son cœur s'emballa sans qu'il ne puisse le retenir, une vague de culpabilité l'envahit. Pourquoi ne pas l'avoir cru ? Et s'il lui était arrivé la même chose qu'à Nate ? Où était-elle à présent ? À trop fourrer son nez là où il ne fallait pas, elle subissait le même sort que ces pauvres enfants...

— Bella, où es-tu... murmura-t-il.


« Hush, little baby, don't say a word, mama's gonna buy you a mockingbird... If that mockingbird don't sing, mama's gonna buy you a diamond ring... »

Isabella chantonnait cette chanson sans grande vivacité, sans force, sans même avoir le rythme. Elle la chantait plus lentement, butant à chaque mot. Elle la chantait à son fils depuis qu'il était tout petit. Cette berceuse, c'était sa favorite. Chantée par sa mère lorsqu'elle était enfant. Lui remémorant ses souvenirs d'enfance.

Ses paupières étaient lourdes, son souffle lent, son cœur ralentissait chaque seconde qui passait. Ses larmes avaient séché. Sans force, elle ne pouvait plus pleurer, implorer, supplier qu'on lui rende son enfant. Peut-être était-ce trop tard. Le froid la tuait, la dévorait, la rongeait, tout comme l'aurait fait ce monstre imaginaire, celui qui hantait ses rêves.

Sa peau perdait toute sa couleur, virant du teint basané à celui d'un macchabée. Ses lèvres pourtant charnues et roses avant devenaient violettes et retroussées, ses dents s'entrechoquaient sans qu'elle ne puisse les retenir, elle s'en était même mordu la langue à maintes reprises et le goût du sang lui avait donné la nausée. Ses doigts devenaient noirs à cause des engelures, son nez l'était aussi, complètement congelé, ses cils avaient même givré, laissant ressortir des veines violacées sur ses paupières. La température descendait jusqu'à -15 degrés Celsius la nuit. Lorsque le jour se levait, elle remontait jusqu'à -10° Celsius. Sans vêtements adéquats, dans de la neige glaciale, c'était impossible de survivre.

Isabella entendit des bruits de pas dans la neige, peut-être les rêvait-elle. Elle tourna doucement et difficilement la tête, faisant craquer sa nuque. Elle tremblait de tout son corps, frémissait au moindre souffle du vent. Dans ce paysage clair, blanc et monotone, elle aperçut cette ombre s'approchant d'elle. Elle savait qui c'était. Elle détourna le regard. Fixant le ciel caché par les arbres au dessus d'elle. Les larmes noyèrent ses yeux brûlés par le froid. Son cœur résonnait dans ses oreilles sous l'angoisse. Elle laissa ses larmes couler de ses yeux, venant toucher la neige, formant des petites crevasses dans celle-ci.

Elle se mit à fredonner l'air de la berceuse, malgré sa voix tremblotante.

— Hush... little baby, don't say a word... mama's gonna buy you a mockingbird...

Pourvu que Nate l'entende...


13 FÉVRIER

Trois jours. Cela faisait trois jours qu'Isabella avait disparu. Or, depuis la disparition de Nate un mois plus tôt, aucun autre enfant n'avait disparu. Ce qui était étrange. Pourquoi les disparitions s'étaient-elles stoppées soudainement ?

Paul rangea son arme dans son colt, enfila sa veste faisant partie de son uniforme — il faisait trop froid pour sortir sans. Une fois parfaitement équipé, il rejoignit son équipe. Ils s'étaient déployés pour aller inspecter chaque recoin de la forêt dans l'espoir de trouver d'autres enfants ainsi qu'Isabella. Des avis de recherche étaient placardés partout en ville : sept enfants et un adulte...

Une fois devant l'orée de la forêt, Paul sembla hésiter. Il repensait aux paroles de Bella.

« Les enfants sont dans la forêt. »

Paul avançait à travers les arbres, suivi de son équipe, creusant parfois dans la neige, cherchant dans les crevasses des arbres, dans les vieilles tanières...

« Je dois retrouver mon fils avant que je ne meure, tu comprends ? »

Cette phrase résonnait encore dans sa tête. Et si elle était morte ? Et si elle s'était aventurée seule dans la forêt pour retrouver son fils ? Il tenta de chasser cette idée de sa tête et continua ses fouilles. C'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Comment retrouver des enfants dans une forêt aussi grande ? Peut-être qu'ils étaient tous morts, peut-être que la neige avait ensevelie leur corps et que le seul moyen pour les retrouver était d'attendre le printemps.

— J'ai quelque chose ! cria quelqu'un.

Paul se précipita vers lui. En effet, une main où deux doigts manquaient dépassait de la neige. Il se laissa tomber à genoux lorsqu'il reconnut le bracelet autour du poignet de la victime. Un bracelet doré. Le même qu'il avait offert à Isabella pour son anniversaire deux ans plus tôt. Il creusa à main nue dans la neige glaciale, ignorant la douleur que cela lui procurait. Il ne s'arrêtait pas de creuser, sous les yeux de ses collègues.

— Aidez-moi bande d'idiots ! s'exclama-t-il.

L'un d'eux s'agenouilla en face de lui et creusa à son tour. Poussant la neige aussi vite qu'il le pouvait. Leurs mains devenaient rouges à cause du froid, leur sang se glaçait. Bientôt, ils purent apercevoir le corps de la victime : vêtue d'une simple culotte et d'un débardeur blanc. Paul se décala sur la droite et continua de creuser sans s'arrêter pour bientôt découvrir des cheveux bruns sous la neige et enfin, un visage, congelé, déformé par les engelures, aux lèvres gercées et retroussées, fendues par le froid. Au nez arraché et à la peau grise. Il pouvait la reconnaître et ses yeux se noyèrent dans des larmes.

— Bella... murmura-t-il dans un sanglot.


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En vous remerciant d'avoir lu !

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