6.
« C'est sa durée, et elle seule, qui authentifie le réel. Qu'un cauchemar n'en finisse pas, il devient votre réalité et il faut bien faire avec. »
20 JANVIER
Maigreur, famine, yeux cernés, veines apparentes, ecchymoses étranges, cauchemars, tristesse, folie, paranoïa, solitude.
Fatigue.
Elle ne dormait quasiment plus, elle ne mangeait plus. Elle était seule, chez elle, elle ne répondait plus au téléphone, elle avait la télé allumée mais elle ne la regardait pas, trop absente pour cela. Elle avait perdu l'espoir, l'espoir d'un jour retrouver son fils. Son petit amour, son bonheur, Nate.
Elle avait tellement pleuré qu'elle ne le pouvait plus, ce n'était que des larmes gelées, un cœur brisé, une vie achevée, terminée.
Elle n'osait plus fermer les yeux, elle le voyait, caché dans l'obscurité. Elle entendait son souffle rauque, puissant, effrayant, comme un grognement que ferait notre estomac lorsqu'on a faim. Parfois, lorsqu'elle était dans une phase d'endormissement, elle l'entendait, il murmurait, il chuchotait, mais il n'articulait pas, c'était à peine si on pouvait comprendre ce qu'il disait, comme s'il parlait une autre langue que la sienne.
« J'ai faim... »
C'était ce qu'elle entendait très souvent lorsque ses paupières étaient closes et que son corps se détendait. Alors elle rouvrait les yeux, est-ce qu'il réclamait à manger ? Est-ce qu'il voulait la dévorer ? Parfois, il susurrait son prénom, comme s'il était au creux de son oreille, prêt à lui avouer un terrifiant secret. Sauf qu'il n'était pas là, à part peut-être dans son esprit, bien caché, attendant le bon moment pour attaquer.
Est-ce que c'était elle, sa victime à présent ?
En était-elle arrivée là volontairement ? Allait-elle devenir folle ? Elle ne savait plus ce qui était réel et ce qui ne l'était pas.
Elle ne savait plus quelle odeur avait la nature, quelle sensation le froid procurait, elle était restée enfermée chez elle pendant plusieurs jours. Elle avait fermé ses volets, se renfermant sur elle-même dans le noir complet. Cela ne la protégeait pas, bien au contraire. L'obscurité est dangereuse.
Elle s'assit au bord du canapé, passant ses mains sur son visage fatigué aux traits tirés par la tristesse. Elle se leva, traînant des pieds jusqu'au pas des escaliers. Puis elle les gravit, lentement, comme un mort-vivant, les bras pendants le long de son corps.
Une fois dans la salle de bain, elle se posta face au miroir. Ses cheveux étaient plats, ternes, sans vie. Sa peau était pale, ses yeux soulignés de cernes noires. Elle soupira longuement, puis elle se déshabilla. Alors qu'elle allait monter dans la douche, elle s'arrêta et se tourna légèrement pour voir l'arrière de son épaule. Cette fois, ce n'était pas une ecchymose qu'elle avait, c'était une griffure, semblant profonde. Trois traits, bien distincts et parallèles. Elle détourna le regard du miroir et monta dans sa douche.
Elle y resta plusieurs minutes, appréciant la chaleur, cela réveillait tout son corps doucement, mais ça lui permettait de se sentir mieux. Elle ferma les yeux, laissant l'eau couler sur son visage et son corps, l'enveloppant alors d'une chaleur presque rassurante.
Un bruit lui fit redresser la tête aussitôt, elle tira sur le rideau pour regarder la porte. Celle-ci était entrouverte, comme elle l'avait laissée. Le bruit retentit de nouveau. Avec l'eau qui coulait, elle n'arrivait pas à distinguer ce que c'était.
— Paul ? C'est toi ? appela-t-elle, peu rassurée.
C'était un réflexe, Paul entrait parfois chez elle sans prévenir. Elle tira de nouveau le rideau et passa ses mains dans ses cheveux pour rincer le shampoing à l'odeur fruité, c'était le seul moment qu'elle appréciait : la douche, relaxante, calme...
En revanche, une sensation dérangeante la mettait mal à l'aise, celle d'être observée. Elle tourna la tête et à travers le rideau, elle pouvait apercevoir une silhouette, debout, face à la douche. Son cœur s'emballa, sa respiration s'accéléra, elle n'osait même pas tirer le rideau. Ses jambes devinrent fébriles sous la peur, ses mains tremblaient. C'était une silhouette d'homme.
— Paul ... ?
L'homme derrière ne bougeait pas. De sa main tremblante elle attrapa le rideau, hésita quelques secondes et tira un grand coup dessus. Sauf qu'il n'y avait personne dans la salle de bain, la porte était toujours entrouverte et il n'y avait aucune trace sur le sol.
Elle éteignit alors l'eau et sortit de la douche, s'enveloppant dans une serviette. Elle ne se sentait pas à sa place, comme si on voulait la faire partir, mais elle était chez elle. Pourquoi ressentir une chose pareille chez soi ?
Le rire d'un enfant résonna dans son couloir, suivit de bruit de pas, comme si quelqu'un courait. Elle ouvrit brutalement la porte de la salle de bain et regarda dans le corridor, la porte de la chambre de Nate claqua, ce qui lui valut un sursaut.
Elle posa sa main sur sa poitrine et souffla un grand coup. Puis, elle rassembla tout le courage qui lui restait pour s'aventurer dans le couloir et ouvrir la porte de la chambre de son fils.
Elle avança, d'un pas hésitant et peu confiant. Elle posa sa main sur la poignée de la chambre et l'ouvrit doucement, sur le sol étaient déposées des feuilles de papier, sur chaque feuille : un dessin. Isabella prit la première et observa l'illustration. On pouvait facilement reconnaître une chambre, c'était la nuit car une lune était représentée derrière une petite fenêtre près du lit de l'enfant. D'ailleurs, l'enfant semblait caché sous sa couette, effrayé. Elle ramassa l'autre feuille, toujours une illustration montrant maintenant une ombre large et haute venant tout droit du placard au fond de la pièce. Elle prit une autre feuille, celle qui se trouvait juste devant la penderie de Nate.
DANS LE PLACARD, GÎT LE CROQUEMITAINE.
C'était ce qu'il y avait inscrit sur la feuille, une écriture d'enfant, négligée et attachée.
Bella releva la tête vers le placard devant elle. Elle garda les dessins dans ses mains et ouvrit le placard d'un geste nonchalant et moue. Il n'y avait rien sauf des vêtements, elle se rapprocha, prête à pousser les habits pour mieux y voir sauf qu'elle entendit ce son peu rassurant... celui qui résonnait souvent dans sa tête, dans ses oreilles, dans sa maison la nuit, lorsqu'elle commençait à s'endormir.
Cette respiration, rauque, lente, effrayante, sifflante... cette même respiration qui lui donnait des frissons, hérissaient ses poils, lui glaçait le sang et la hantait chaque nuit.
« J-a-i f-a-i-m ... »
Elle put facilement décrypter ces quatre mots. Son cœur s'emballa, elle lâcha les dessins et sortit aussitôt de la chambre. Elle dévala les escaliers à toute vitesse et se précipita vers la porte d'entrée, elle voulut l'ouvrir, mais celle-ci était fermée. Les clefs n'étaient plus sur la porte.
Le bruit assourdissant des pas du monstre se faisaient entendre. Il descendait les escaliers, lentement. Le son de ses pas semblait amplifié comme un tambour, un battement de cœur régulier et lent.
Isabella abandonna l'idée de sortir par la porte d'entrée, elle se réfugia dans la cuisine, attrapa un couteau et se cacha derrière le plan de travail, accroupie, peu vêtue et complètement apeurée. Elle ferma les yeux, tout son corps tremblait, frémissait, c'était incontrôlable. Les bruits de pas se rapprochaient, toujours aussi sourds, bruts et nets. Elle tenait fermement le couteau dans sa main pas vraiment sûre d'être prête à s'en servir, mais si elle n'avait pas le choix, elle allait le faire. Pour son fils, pour elle et sa survie. Elle pouvait l'entendre murmurer son prénom, sans cesse, comme une plainte, un supplice, un appel désireux.
— Ce n'est qu'un rêve, ce n'est qu'un rêve... rien n'est réel, tu n'existes pas ! cria-t-elle.
Au même moment, elle le sentit lui attraper le bras, entourant sa main autour de sa chair, plantant ses griffes dans sa peau, pour laisser s'échapper des petites gouttelettes de sang. Elle hurla et se débattit, gesticulant dans tous les sens.
— Bella ! Bella ! Arrête, c'est moi ! hurlait Paul.
Elle avait les yeux fermés, donnait des coups dans le vide, hurlait à s'en bousiller les cordes vocales, elle s'égosillait littéralement. Il tentait de la maintenir et finalement, elle ouvrit les yeux, sa poitrine se soulevant et se baissant rapidement. On pouvait presque entendre les battements de son cœur résonner dans la petite pièce. Elle posa ses yeux sur Paul, complètement effrayée, perdue, désorientée. Elle ne savait même plus où elle était, puis le son parvint jusqu'à ses oreilles, de l'eau coulait. Elle s'était endormie, dans la douche. Comme si elle avait fait un malaise.
— Paul... souffla-t-elle avant de laisser s'échapper quelques larmes.
Il la prit dans ses bras et la serra aussi fort qu'il le put. Elle s'agrippa à sa veste, fixant la porte devant elle, comme s'il allait surgir de nulle part pour terminer ce qu'il était en train de faire avant qu'elle ne se réveille.
— Tout va bien, Bella... Je suis là maintenant.
Inquiet, Paul s'était rendu chez Isabella, frappant et sonnant plusieurs fois à la porte, il avait décidé de rentrer. Il avait trouvé la maison sans dessus dessous, tout traînait, Bella n'avait rien rangé, la télé grésillait, un verre de vin était renversé sur le joli tapis beige de son salon qu'elle avait trouvé dans un vide-grenier. Puis il avait entendu l'eau couler, il était alors monté à l'étage, frappant à la porte de la salle de bain fermée. N'ayant eu aucune réponse, sous la panique, Paul était entré et avait trouvé le corps de Bella, inerte dans la douche, l'eau lui coulant sur le visage. Au début, il crut qu'elle avait fait une tentative de suicide, l'idée de la perdre lui avait traversé l'esprit et un fort sentiment de tristesse l'avait envahi.
Il lui mit une serviette sur les épaules et l'aida à se relever. Elle tremblait, semblait sous le choc, complètement ailleurs.
— Merde, Bella, ton bras... remarqua-t-il.
Elle regarda son bras droit, le bras que Boogeyman avait férocement attrapé dans ce cauchemar ayant semblé plus que réel. Elle avait une marque bleue, ce n'était pas une ecchymose, c'était bien plus que cela, c'était un sévère hématome. On pouvait facilement deviner la marque des doigts du monstre.
— Paul... il était là...
— Quoi ?
— Boogeyman, avant que tu n'arrives, il était là... il allait me tuer, il allait me tuer... affirma-t-elle encore sous le choc.
Cette fois, Paul ne pouvait plus vraiment nier, cette marque sur le bras de Bella n'était pas anodine, elle n'avait pas pu apparaître comme par magie, elle n'avait pas pu se la faire toute seule, il y avait forcément une explication à cela, et parfois, ce pouvait être irrationnel.
Il laissa Isabella s'habiller, il avait commencé à ranger le salon pour l'aider un petit peu. Il put entendre le bruit de ses pas dans les escaliers, elle le rejoignit peu de temps après. Elle s'était vêtue d'un pull beaucoup trop large pour elle et d'un vieux jogging qui traînait au fond de son armoire. Elle s'assit sur le canapé, s'emmitouflant dans une couverture en laine, brodée de plusieurs motifs à fleurs.
Elle regardait droit devant elle, comme si elle était toujours plongée dans ses pensées, ses cauchemars... coincée dans un monde imaginaire et terrifiant.
Paul s'assit sur la petite table basse pour se retrouver face à elle, il tentait de sonder son regard, de voir ses beaux yeux noisettes, mais elle ne daignait pas lui jeter un regard, trop honteuse et retournée pour cela.
— Bella...
— Il existe. La marque sur mon bras en est la preuve. J'avais des doutes moi aussi, je me disais que ça ne pouvait pas être réel. Un personnage tout droit sorti de l'imaginaire des enfants, le genre de monstre qu'on ne voit que dans nos cauchemars. Sauf que je me trompais, on se trompe tous. Il existe, il est bien là. Et il se nourrit de notre peur en premier lieu, jusqu'à ce que la faim le pousse à nous dévorer... mais avant, il doit sûrement avoir un endroit où nous séquestrer, un endroit froid, humide, sombre... le genre d'endroit où des engelures pourraient facilement faire leur apparition. Et une fois fait, il nous dévore le nez et puis les doigts, avant qu'on ne meurt de froid, de faim ou de soif voir parfois de terreur...
Elle avait dit cela les yeux dans le vague. Paul la fixait, ne sachant pas quoi dire. C'était effrayant à entendre, bien-sûr qu'il avait des doutes, mais il connaissait Bella, depuis longtemps maintenant, c'était impossible qu'elle soit folle, pas une femme forte comme elle. Elle devait sûrement dire vrai, il fallait la croire. Il allait se forcer. Il voulait la croire.
— D'après toi, ce que tu vois dans ces cauchemars, ce sont des indices ?
Elle releva les yeux vers lui, surprise qu'il s'intéresse à cela.
— Il joue, comme un enfant le ferait. Je ne pense pas qu'habituellement il s'attaque à un adulte mais je suis vulnérable et il s'en sert contre moi, je l'ai provoqué et maintenant, je suis sa cible, sa proie. Il s'amuse avec moi, il me tourmente jusqu'à ce que je sois assez faible pour qu'il m'attrape et fasse de moi ce qu'il veut, comme il a fait aux enfants.
— Et donc ? Qu'est-ce qu'on doit faire pour avoir l'espoir de retrouver les enfants ?
Bella le fixa un instant, sans rien dire. Ce regard toujours rempli de terreur, mais cette fois, elle avait cet éclat de détermination qui venait se mélanger à la peur. Elle n'avait plus le choix, il était là à présent. Et lorsque Boogeyman avait une cible, il ne la lâchait pas, jusqu'à ce que celle-ci soit vidée de toutes émotions pour l'abandonner et la laisser mourir dans le froid glacial.
— Ce qu'on doit faire ? répéta Bella. On doit jouer avec lui.
©COPYRIGHT.
En vous remerciant d'avoir lu !
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