4.



« [...] Mironton, Mirontaine,

prends l'arme de ce héro,

puis en vrai croquemitaine,

tu feras peur aux marmots [ ... ]

— Béranger (1819) »





12 JANVIER

Elle avait fermé les yeux, dans un bain chaud. Elle se détendait. La buée avait même recouvert le miroir, l'atmosphère était calme, détendu, tout ce dont elle avait besoin. Elle ouvrit les yeux lorsqu'elle entendit du bruit au rez-de-chaussé. On aurait dit qu'on fouillait dans ses affaires. Elle se redressa légèrement et tendit l'oreille, un petit peu comme le soir de la disparition de son fils.

— Paul ? appela-t-elle d'une petite voix.

Elle n'eut aucune réponse, pourtant le bruit ne cessait pas. Elle se leva, enroula une serviette autour d'elle et elle s'avança dans le couloir, doucement, laissant de l'eau derrière elle. Elle s'arrêta au bord des escaliers et se pencha légèrement pour tenter d'apercevoir quelque chose en bas.

Elle descendit une à une les marches, d'un pas lent et méfiant. Il n'y avait rien dans le salon, le bruit provenait de la cuisine. Alors elle s'y aventura, le frigo était ouvert et la nourriture par terre, sauf qu'il n'y avait personne. Un rire résonna dans son dos, elle se retourna aussitôt, son cœur se mit à s'accélérer, des frissons parcourant son échine.

Elle vérifiait les pièces, un nœud se nouant à l'estomac ne sachant pas pourquoi.

« Fais attention, sous ton lit gît le croquemitaine, la nuit froide alimente sa haine, il viendra te voir dans la nuit, sans un bruit dans le couloir de ton esprit... fais attention, dans ton esprit gît le croquemitaine. »

Isabella se retourna aussitôt lorsqu'elle entendit ces quelques phrases sortir de la bouche d'un enfant. La porte d'entrée était ouverte, laissant entrer le froid ardant dans la maison. Ses poils se hérissèrent, son souffle devint glacial. Elle s'approcha doucement de la porte, dehors, tout était enneigé, un paysage livide, blanc et froid.

Lorsqu'elle s'apprêta à fermer la porte, elle aperçut une silhouette sous la neige qui tombait en masse. Elle plissa les paupières pour mieux apercevoir ce qu'elle avait devant elle. Une petite silhouette, frêle...

— Nate ?!

Ses yeux s'emplirent de larmes, l'enfant disparut dans le paysage blanc juste après qu'elle ait prononcé son nom, un simple murmure atteignit ses oreilles :

« Viens me chercher, maman. »

Ce murmure la fit frémir.

Est-ce qu'elle avait le temps de s'habiller ? Sans réfléchir, elle sortit. Sans chaussures, sans manteau, dans le froid pénible de cette nuit de janvier. Elle courut, ses pieds nus s'enfonçant dans la neige glaciale, sentant le froid atteindre même sa moelle, lui congelant les os. Elle pouvait apercevoir la silhouette s'éloigner et entrer dans la forêt. Elle ne cessait de hurler le prénom de son fils pour qu'il revienne, en vain. C'était comme un jeu, un cache-cache.

Une fois les premiers arbres passés, elle ne trouvait déjà plus ses repères. Elle regardait partout autour d'elle, le souffle court, le sang glacé, les mains gelées.

« Fais attention, sous ton lit gît le croquemitaine, la nuit froide alimente sa haine, il viendra te voir dans la nuit, sans un bruit dans le couloir de ton esprit... fais attention, dans ton esprit gît le croquemitaine.»

Cette phrase retentit juste au creux de son oreille, elle se retourna une fois de plus, il n'y avait rien derrière elle en revanche, elle put apercevoir cette ombre au loin, comme une apparition fantomatique. Le plus gênant était de sentir un regard sur elle, comme si elle était épiée, attendue, désirée. Il ne laissait paraître que le côté droit de son corps, ses bras semblaient longs et minces, ses mains grandes et munies de longues griffes tranchantes.

— Qu'est-ce que vous avez fait à mon fils ?! hurla-t-elle à travers le vent sifflant.

Elle avait cette impression de suffoquer, elle mit sa main autour de son cou et se pencha légèrement en avant sans cesser de tousser. Bientôt, elle cracha de l'eau, sortant tout droit de ses poumons, elle se noyait. L'ombre restait là et l'observait, attendant patiemment qu'elle succombe.


Isabella se redressa brusquement, sortant sa tête hors de l'eau et reprenant sa respiration, les mains crispées sur les bords de sa baignoire. Elle toussa pour reprendre son souffle, son cœur n'avait encore jamais battu aussi vite dans sa poitrine. Elle fixait le mur face à elle en tentant de comprendre ce qu'il venait de se passer. Est-ce qu'elle s'était endormie ? Est-ce qu'elle avait tout rêvé ? Pourtant ça semblait réel, le froid, les gelures, les voix...

Et Boogeyman...


Après s'être remise de ce cauchemar ayant paru plus que réel, elle essuya ses cheveux devant la glace. Ses yeux étaient cernés, des poches noires les soulignaient, comme si la fatigue la tuait, la changeait. Elle posa sa serviette et se regarda longuement dans le miroir, c'était un regard vague, ailleurs, elle pensait plus qu'elle ne se regardait.

Elle sortit de la salle de bain en prenant soin d'éteindre la lumière, elle se stoppa net lorsqu'elle vit sur le sol, des traces de pas. Ses traces de pas. L'eau faisait relief sur son plancher. Elle suivit les traces qui continuaient dans les escaliers, tout comme dans son rêve, elle les descendit et se rendit aussitôt dans la cuisine. Le frigo était bel et bien ouvert, la nourriture par terre. Elle se précipita dans le hall d'entrée, le courant d'air froid lui valut un frisson. Elle referma la porte, à clef cette fois.

Elle s'appuya contre le mur alors que sa respiration ne cessait de s'accélérer, son cœur battait fort et ses battements résonnaient dans ses oreilles. Elle posa sa main sur sa poitrine, tentant de reprendre son calme sauf que c'était impossible, elle faisait une crise de panique.

Est-ce que c'était cela la folie ? Ne plus distinguer le réel de l'irréel ?

Un bruit sourd retentit à l'étage, comme quelque chose qui tombait sur le sol. Isabella sursauta et poussa un cri.

— Tu ne me fais pas peur ! hurla-t-elle. Tu m'entends ? Tu ne me fais pas peur !

Elle se mentait à elle-même, elle était terrorisée et il s'en nourrissait, elle le comprenait maintenant. Elle se laissa glisser contre le mur, ramenant ses jambes contre sa poitrine, elle les entoura de ses bras et retint ses sanglots, le regard vide, elle tentait d'oublier sa peur.

Une porte claqua à l'étage, comme l'aurait causé un courant d'air, elle sursauta à nouveau et enfouit sa tête entre ses mains. Elle entendit un murmure, presque inaudible et incompréhensible. Tout ce qu'elle devina, c'était son prénom.

Isabella.

Quelque chose le murmurait sans cesse suivit d'autre chose qu'elle n'arrivait pas à décrypter, la voix était désincarnée, irréelle, rauque et effrayante.

— Tu n'es pas réel, tu n'es pas réel, tu n'es pas réel, tu n'es pas réel.

Elle sentit une présence juste devant elle, elle se tut et doucement, elle releva la tête pour lui faire face...


13 JANVIER

Une fois encore Isabella se réveilla en sursaut, en sueur, le cœur battant la chamade, dans son lit. Le jour passait à travers ses rideaux ce qui éclairait sa pièce. Elle passa sa main dans ses cheveux en bataille et regarda autour d'elle. C'était bel et bien sa chambre, elle ne se souvenait même pas s'être endormie dans son lit.

Une fois debout, elle vérifia le couloir, il n'y avait aucune trace, la porte d'entrée était fermée et le frigo rangé. Elle avait tout rêvé.

Un rêve dans un rêve.

Elle se sentit soulagée lorsqu'elle se rendit compte qu'elle était bel et bien éveillée.

Tout en buvant son café, elle s'arrêta devant son téléphone, elle avait deux messages. Elle appuya pour les écouter. Le premier était de Paul.

— Bella, c'est moi. Je voulais prendre de tes nouvelles. Je voulais savoir si tu étais réellement passée voir ce fou à l'hôpital. Rappelle-moi quand t'as ce message. Je m'inquiète pour toi.

Elle effaça le message et écouta le second, toujours de Paul. À croire qu'il ne voulait pas la lâcher mais elle aimait ce sentiment, elle savait qu'il serait toujours là pour elle peu importe les choix qu'elle ferait. C'était un véritable ami et elle pouvait compter sur lui.

— Bella, c'est Paul, encore une fois... je ne sais pas comment te dire ça... Ce matin, dans les environs de cinq heures on a retrouvé un enfant, sans vie... L'identification du corps est en cours, il faut que tu viennes au poste, nous pensons que c'est Nate... rappelle-moi quand t'as ce message.

Elle lâcha sa tasse qui retomba sur le sol, elle se brisa et éclaboussa du café encore tout chaud sur le plancher à ses pieds. Ses mains tremblaient et ses jambes étaient fébriles. Pourtant elle n'attendit pas plus longtemps. Ni une ni deux, elle attrapa ses clefs de voiture et prit la route pour le poste. Le cœur serré, les images de son rêve encore en tête...




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En vous remerciant d'avoir lu !

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