2.
« Si la nuit est noire, c'est pour que rien ne puisse nous distraire de nos cauchemars. »
11 JANVIER
Elle bougeait sa jambe nerveusement, se rongeant les ongles, pensant à tout un tas de choses, s'imaginant ce qui avait pu arriver à son fils. A y penser comme cela, elle souffrait, son cœur était en miette, elle n'avait cessé de pleurer depuis le matin, elle en était même fatiguée et une migraine pointait le bout de son nez. Sur ses genoux était déposé l'ours en peluche de Nate. Elle le gardait avec elle, il portait encore l'odeur de son fils, l'odeur de l'être qu'elle aimait le plus au monde. Elle avait les yeux dans le vague, des cernes sous ceux-ci, les membres endormis par la douleur que lui procurait son corps et son âme, son menton tremblotait encore à cause des sanglots qui tentaient de se frayer un chemin. Elle avait cette énorme boule dans la gorge qui l'empêchait presque de respirer, ce nœud à l'estomac qui lui coupait l'appétit.
Quelqu'un se posta devant elle, un pantalon bleu nuit, une chemise assortie... C'était un policier. Elle releva la tête vers lui, elle n'avait même plus la force de bouger tant elle souffrait. Il avait cet air désolé sur le visage, il la prenait en pitié et ce n'était pas ce qu'elle voulait. Pourtant, tout le monde dans le poste avait ce regard. Elle baissa de nouveau la tête, fixant l'ours en peluche reposant sur ses jambes. Elle avait encore le visage de son fils dans la tête, son sourire, ses éclats de rire qui résonnaient dans ses oreilles comme s'il était encore là, juste à côté d'elle.
— Nous allons faire tout notre possible pour retrouver votre fils, madame.
Menteur.
Ils n'avaient déjà pas réussi à trouver les sept derniers, pourquoi ça changerait avec Nate ? Elle savait que c'était peine perdue. Cela avait aussi pu s'entendre au timbre de sa voix. Il n'avait pas l'espoir de retrouver cet enfant comme il n'avait pas l'espoir de retrouver les sept autres. Il posa sa main sur son épaule en signe de réconfort puis il partit. Isabella restait assise sur le banc, sans faire attention aux personnes qui passaient devant elle.
Elle put sentir la présence de quelqu'un s'asseoir à côté d'elle, elle reconnaissait ce parfum...
— Paul ... murmura-t-elle. J'ai perdu mon fils, Paul...
Et elle sanglota à nouveau. Il la prit dans ses bras, la serrant contre son torse. Il lui caressait le dos doucement pour la réconforter, sauf qu'elle était inconsolable, pas tant qu'elle n'avait pas retrouvé son fils, qu'elle ne savait pas ce qui lui était arrivé.
🎃
De retour chez elle, elle déposa comme habituellement son gros manteau, ses clefs et le reste des ses affaires. La maison était calme, vide. Paul lui avait promis de passer la voir dès la fin de son service, elle avait hâte de se retrouver avec quelqu'un. Cette maison ne pouvait lui faire penser qu'à son fils.
Elle s'occupa de quelques affaires, comme le loyer, la vaisselle, puis elle monta à l'étage pour ranger ce qui traînait. Elle s'arrêta devant la porte de la chambre de son fils, elle était encore ouverte, la couverture sur le sol. Elle entra à l'intérieur avec un pincement au cœur, qu'est-ce qu'elle avait bien pu rater ? Rien ne semblait logique dans cette disparition.
Elle descendit et se remémora la soirée juste après le départ de Paul, elle avait verrouillé la porte d'entrée, c'était donc impossible que quiconque soit passé par là, la porte n'avait pas été enfoncée, les fenêtres étaient elles aussi fermées. Elle monta ensuite à l'étage, vérifiant chaque fenêtre. Au même moment, elle se souvint du courant d'air froid, quelqu'un était obligatoirement passé par la fenêtre de la chambre de Nate. Elle ne l'avait pas ouverte, pas avec un froid pareil dehors.
Elle s'y rendit et l'ouvrit, elle n'était pas difficile à ouvrir, mais ce qu'elle remarqua, c'était le loquet cassé, de l'intérieur. Comment c'était possible ? Nate était bien trop jeune pour faire le mur et il n'avait pas assez de force pour le briser.
Elle se pencha par la fenêtre et vérifia la hauteur, c'était bien trop haut pour que Nate saute tout seul, ce qui confirma son hypothèse. Elle regarda le bord de la fenêtre, quelque chose retint son attention, on aurait dit une trace, une trace de main, différente de celle d'un humain. Les doigts semblaient plus longs, la trace était noire, comme de la cendre ou de l'encre voire de la craie.
Elle referma la fenêtre, perdue dans ses pensées. D'où venait cette trace ? Ça n'avait rien d'humain, mais c'était peut-être un dessin... un dessin très réaliste mais aussi lugubre.
Elle se dirigea vers le bureau de son fils. Il y avait tout un tas de babioles éparpillées dessus. Elle prit ses dessins. Il aimait dessiner et il se débrouillait plutôt bien pour son jeune âge. Elle sourit en voyant qu'il avait dessiné la maison, avec lui, elle et Paul devant, ils se tenaient tous les trois la main, comme une véritable famille. Elle regarda les autres, puis son sourire s'effaça lorsqu'elle tomba sur un dessin bien plus sombre que les précédents. Il était fait à la craie noire uniquement. On aurait presque dit du gribouillage mais à travers tout cela, on devinait certaines formes.
Sur ce dessin était représenté une sorte de monstre, plutôt effrayant, il était grand, maigre, les bras fins, et de longues mains munies de griffes acérées, au bout de ces griffes : Nate avait pris le temps de faire du sang, en rouge, c'était d'ailleurs la seule couleur qu'il y avait dessus. Le visage du monstre restait flou, toujours noir, seuls ses yeux étaient blancs, comme s'ils brillaient. Sa bouche était ouverte, montrant de grandes dents bien pointues. Ce n'était qu'un dessin d'enfant, mais il restait effrayant et différent de ce que Nate avait l'habitude d'illustrer. Au dessus du monstre était marqué en gros :
BOOGEYMAN
Comment son fils avait-il pu écrire ces quelques mots ? Il n'y avait aucune logique.
Elle regarda les autres dessins, tous aussi sombres les uns que les autres, tous illustrant le même personnage : le fameux Boogeyman. Étrange créature. C'était bien-sûr son imagination mais ça restait plutôt sombre pour un enfant, presque inquiétant. Sur certains dessins, Boogeyman était représenté avec des enfants autour de lui, lui tenant la main, le visage triste. Le plus troublant c'était les prénoms de ces enfants ; les mêmes que ceux qui avaient réellement disparu. Nate apprenait tout juste à écrire, comment pouvait-il savoir tout cela ?
Curieuse, elle rouvrit la fenêtre pour regarder cette trace de main, une main gigantesque, comme une trace qu'aurait laissé un fantôme. Pourquoi cette main lui faisait-elle étrangement penser à celle du monstre sur les dessins de son fils ?
Elle prit cette trace en photo, attrapa les dessins avant de sortir de la chambre et se rendit de nouveau au poste le plus rapidement possible. C'était des preuves ! Et elle devait leur en faire part, il y avait une coïncidence étrange avec les prénoms des enfants. Peut-être que le ravisseur était représenté comme un monstre.
Elle posa les dessins sur le bureau du policier chargé de l'enquête et lui mit son téléphone sous le nez pour qu'il voit la photo. Il sembla surpris mais il observa avec attention chaque indice qu'elle avait ramené.
— Vous voyez ces dessins ? C'est mon fils qui les a fait, et cette photo, elle ne vous rappelle pas le monstre qui est illustré sur chacun de ses dessins ?
Le policier se massa les globes oculaires et retira ses lunettes de vue avant de poser son regard sur elle. Il était laid, gras et ridé, rien qu'à son regard elle pouvait voir qu'il ne la croyait pas une seule seconde. Pourtant elle n'avait encore rien dit.
— Écoutez... tout ça, ça ne prouve rien.
— Mais la trace sur le bord de la fenêtre de mon fils, ce n'est pas un indice ça ? Ça ne prouve pas quelque chose ? Peut-être que le monstre illustré sur ces dessins représente le kidnappeur des enfants.
Il jeta un nouveau regard au dessin avant de soupirer et de poser à nouveau ses yeux sur elle, son sourcil relevé en un accent circonflexe l'agaçait, sauf qu'elle ne disait rien, même si elle aurait aimé l'insulter de tous les noms pour le regard accusateur qu'il lui lançait.
—Boogeyman... serait l'illustration d'un potentiel ravisseur ?
— C'est possible.
— Les enfants ont beaucoup d'imagination, vous savez. Mon fils croit que des monstres se cachent sous son lit.
— Vous croyez que la photo fait partie de l'imagination de Nate ? Je connais mon fils, ces dessins... ça ne lui ressemble pas et comment peut-il écrire tous ces noms ainsi que celui du ravisseur ?
— Je comprends que vous soyez triste, que vous cherchiez des réponses mais laissez-nous faire notre boulot. On trouvera rapidement ce qu'il s'est passé.
— Vous avez des pistes ? Des indices comme celui-là ? Vous avez vérifié les fenêtres des maisons des familles qui ont perdu leurs enfants ? Ça fait bientôt huit semaines que les disparitions s'enchaînent ! Vous n'avez encore rien fait ! Vous êtes des bons à rien, vous ne pensez qu'à rester le cul collé sur vos chaises ! Vous me prenez pour une folle, c'est ça ? Vous savez quoi, allez vous faire foutre ! Je me débrouillerai toute seule, je vous prouverai que Boogeyman est l'illustration du ravisseur !
Paul saisit le bras d'Isabella et la tira avec lui. Elle ne s'arrêtait pas de crier, balançant tout un tas d'injures au policier comme une hystérique. Finalement, il réussit tant bien que mal à la faire sortir du poste. Elle le repoussa violemment et passa sa main dans ses cheveux encore en bataille, elle avait une fois de plus les larmes aux yeux, c'était frustrant de voir que ce flic ne la croyait pas. Pourquoi ? Elle avait toutes les preuves ! La trace sur la fenêtre, cela n'avait rien de normal.
— Bella... on fait notre possible pour retrouver ces gamins.
— Vous ne vous bougez pas assez. J'ai des preuves, il est passé par la fenêtre ! Non en fait... par l'intérieur de la maison.
— Quoi ?
Paul fronça les sourcils, interloqué.
— Le loquet était cassé de l'intérieur, donc obligatoirement, il est passé par l'intérieur pour ouvrir la fenêtre, expliqua Bella.
— C'est possible ça ? Tu avais verrouillé ta porte d'entrée ?
— Bien-sûr que oui !
— Montre-moi la photo et les dessins de ton fils.
Elle le considéra quelques instants, est-ce qu'il la croyait ? Elle lui tendit tout ce qu'elle avait et il les regarda avec attention, examinant chaque petit détail qui aurait pu échapper à Isabella. Les illustrations du garçonnet restaient glauques et sombres, en revanche cela ne prouvait rien, même le prénom des enfants. Nate les connaissait sûrement, il allait à la même école qu'eux. En revanche, la photo était inexplicable, un peu comme un phénomène paranormal.
— Le suspect serait alors resté caché chez toi ?
— Mais où ? Dans la chambre de Nate ? J'ai vérifié sous son lit et dans le placard... à deux reprises.
— Ta maison reste plutôt grande, il y a d'autres cachettes.
— C'est vrai... j'ai entendu des bruits de pas à l'étage, j'ai cru que Nate était debout. J'ai aussi entendu une porte grincer, mais quand je suis montée, la porte de la chambre de Nate était fermée et il n'y avait personne.
— C'est bizarre...
— Est-ce que tu me crois ?
— Bien-sûr que oui.
— Aide-moi à le retrouver dans ce cas.
— On a peu d'indices, ça va être difficile.
— Je vais aller à la bibliothèque.
— Pourquoi ?
— Faire des recherches sur un certain Boogeyman.
Paul lâcha un léger soupir en la regardant, ce même regard qu'avaient les flics, un regard d'empathie, elle n'aimait pas ça. Elle n'avait pas besoin d'être prise en pitié.
— Boogeyman, c'est juste un personnage que s'est imaginé Nate. Les disparitions sont naturelles, Bella.
— Les coïncidences démontrent le contraire : les dessins, puis le loquet cassé de l'intérieur, la trace d'une main étrange sur le bord de la fenêtre, venant de dehors, et... ce que Nate m'a dit avant de dormir.
— Qu'est-ce qu'il t'as dit ?
— Qu'il avait peur d'un certain Boogeyman, je n'avais pas vu ses dessins avant, il ne m'en avait jamais parlé avant hier soir, il avait juste peur du noir comme la plupart des enfants de son âge. Paul... je t'en prie, crois moi. J'ai entendu des choses étranges hier soir, mon fils agissait différemment... et aujourd'hui, je remarque des choses que je n'avais encore jamais remarqué auparavant. Laisse-moi une chance de découvrir la vérité, laisse-moi la chance de retrouver mon fils. J'ai besoin de lui. Je n'ai que lui.
— Tu crois que cette chose existe ?
— Peut-être que c'est un simple humain, un pédophile... j'en sais rien. Mais il faut que j'essaie, je ne peux pas rester sans rien faire, Nate est tout ce que j'aie, je ne peux pas le perdre, il faut que je le retrouve.
— Alors tu comptes aller faire des recherches dans une bibliothèque ?
— C'est toujours bien de commencer en connaissant son sujet, non ?
— Oui...
Paul soupira et passa sa main sur son visage d'un mouvement lent, ses mains étaient rouges tant il faisait froid dehors, le soleil commençait déjà à se coucher, une nouvelle nuit approchait. Une première nuit sans son fils.
— Je vais essayer de te croire Bella, peut-être que ces dessins vont nous mener quelque part, peut-être que tes recherches aussi... Je te rejoins chez toi ce soir. Je vais passer chez les parents des enfants disparus, je vais vérifier les fenêtres des chambres.
Il ne semblait pas convaincu mais il faisait cela pour elle, pour l'aider et aussi la réconforter. C'était comme se donner bonne conscience que de chercher son fils, de mener l'enquête, peut-être que ça l'aidait à faire un deuil, le deuil de la disparition, peut-être que ça l'aidait à oublier, au moins pendant un certain temps.
En tout cas, Isabella croyait son fils, elle l'avait toujours cru. Cela sortait tout droit de l'imaginaire, cela semblait totalement irréel.
Mais peut-être que l'imaginaire s'avérait bien plus réel qu'on ne le pensait...
©COPYRIGHT.
En vous remerciant d'avoir lu !
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