8 - De retour
Nanaka rouvrit les yeux et son regard tomba sur le corps de Riko, étendue sous son drap blanc. Elle dut se tenir à la table métallique, le cœur au bord des lèvres, et lutta un instant pour ne pas perdre connaissance.
– Agent Tadano ? Dit Tachibana. Est-ce que ça va ? Vous voulez sortir une minute ?
Nanaka se passa une main nerveuse sur la bouche et regarda ses doigts.
Ils m'ont encore tuée... Se dit-elle.
Elle abandonna le corps de Riko et sortit de la morgue, Naoto Tachibana sur les talons.
– Le rapport du médecin légiste a conclu à une overdose, lui dit-il en remontant à son niveau. On a retrouvé de l'héroïne et de la méthamphétamine dans son appartement. Les analyses montrent que l'héroïne n'était pas pure. Elle a sans doute été coupée avec un anxiolytique pour en diminuer le coût de production. Ça coïncide avec ses symptômes selon le médecin.
Arrivée sur le parvis de l'hôpital, Nanaka s'immobilisa et se tourna vers lui.
– Je vais voir mon grand-père, dit-elle. Est-ce que vous pouvez prévenir le chef du personnel que je passerai demain matin au quartier général de la police pour prendre mes fonctions ?
– Vous n'êtes pas obligée de venir dès demain, lui dit-il, prenez quelques jours de congé. Il comprendra très bien que ce sont des circonstances particulières.
– Justement, dit-elle, dans ces circonstances particulières je préfère travailler plutôt que de rester chez moi.
Nanaka le laissa sans attendre de réponse.
Elle avait peut-être échoué encore une fois, mais au moins elle en avait appris plus que la fois précédente.
Hajime Kokonoi... Se récita-t-elle. Ran Haitani et sans doute aussi son frère Rindō... Le dénommé Sanzu... et surtout Mikey.
Qui était ce mystérieux Mikey ? C'était la première fois qu'elle entendait ce nom. Un étranger ? C'était peu probable, un étranger ne se serait jamais hissé à la place de boss au Japon et puis il ne lui avait pas semblé avoir d'accent, même si c'était difficile à dire avec deux mots. Un pseudonyme alors ?
Nanaka ouvrit et ferma convulsivement les poings comme pour s'assurer qu'elle était toujours en un seul morceau.
Si les autres fois avaient été douloureuses, celle-ci avait été de loin la pire. Être torturée à mort était une épreuve qu'elle ne souhaitait à personne.
Sauf peut-être à ces enfoirés du Bonten.
La première fois qu'elle avait repris connaissance au-dessus du corps de Riko après avoir été tuée, Nanaka avait cru à un cauchemar. Quel genre de dieux – ou de démons – vous fait remonter le temps après votre mort pour vous ramener à ce moment de votre vie ? Ce jour-là, Tachibana et elle étaient en route pour aller interroger ce témoin déniché par Naoto. Ils avaient été tués dans leur voiture après que le véhicule ait été heurté par un camion, sans doute envoyé par le Bonten. La fois suivante, Nanaka avait été abattue peu après avoir obtenu le nom de Hajime Kokonoi. Son contact avait été assassiné lui aussi.
Au moins Tachibana avait alors survécu, se dit-elle, il n'a pas eu la même chance cette fois.
À l'heure actuelle, cela faisait trois fois que le Bonten la tuait.
Mais je me rapproche ! Se dit-elle. Un jour je finirai par les avoir ! Peu importe combien de fois je dois mourir je les aurai !
Nanaka serra les poings, mais avec fureur maintenant.
Le soir venu, elle rejoignit l'appartement de Riko et repoussa les scellés – rubans adhésifs posés par la police – pour entrer. La perquisition était terminée, il n'y avait plus rien à trouver ici. Nanaka laissa tomber son sac dans l'entrée, mais conserva le carton qu'elle tenait sous le bras. Elle était passée chez son grand-père et l'état dans lequel elle le trouvait lui brisait le cœur à chaque fois. La maison de retraite l'accueillerait à partir de la semaine prochaine. C'était le mieux à faire. Elle n'aurait pas le temps de s'occuper de lui avant d'en avoir fini avec cette histoire.
Nanaka contempla la pièce plongée dans l'ombre. L'appartement était vaste, un duplex haut de plafond donnant sur une baie vitrée gigantesque. Pour une personne seule, c'était très inhabituel. Sauf quand on savait de quoi vivait sa sœur.
Grâce à l'enquête de Naoto, Nanaka avait pu revivre les deux dernières années de Riko. Aussitôt après son départ, elle avait abandonné ses études et commencé à travailler comme danseuse. Naoto pensait qu'elle avait commencé à se droguer à cette période. Toujours est-il qu'elle avait eu du succès, beaucoup de succès et, rapidement, elle avait été embauchée par le plus célèbre établissement semi-clandestin de la capitale, le Yoru No Kuchi dont la rumeur disait qu'il appartenait au Bonten.(NDA : Yoru No Kuchi, 夜の口, La Bouche De La Nuit) De danseuse, elle était devenue stripteaseuse avant de sombrer dans la prostitution de luxe. Ses clients étaient pour la plupart des chefs yakuzas ou des criminels issus du milieu du grand banditisme. Que des hommes peu fréquentables. Pour Nanaka, il n'y avait pas le moindre doute, le Bonten l'y avait contrainte. Ils avaient utilisé sa petite sœur, la prostituant et la droguant jusqu'à ce qu'elle meure.
Je vais tous vous crever ! Peu importe combien de temps ça me prend !
Elle serra les poings jusqu'à sentir ses ongles lui entailler les paumes, le visage déformé par la haine.
Quand elle était aux États-Unis, Riko et elle s'appelaient régulièrement, pourtant Nanaka ne s'était rendue compte de rien. Pas un instant elle ne s'était doutée du calvaire qu'endurait Riko.
Tu aurais dû me le dire Rikorin... Je serais rentrée, je t'aurais aidée...
Nanaka se souvint des derniers mots de Riko, juste avant son départ. Ne pars pas s'il te plaît. Elle savait peut-être déjà ce qui l'attendait.
Je n'aurais pas dû partir, si j'étais restée, tout serait différent aujourd'hui...
Elle posa par terre le carton qu'elle tenait toujours sous le bras et elle l'ouvrit. À l'intérieur se trouvaient des dizaines de cassettes vidéos. Un petit magnétoscope trônait sur le dessus, les câbles enroulés autour de l'appareil. Nanaka le sortit et elle le brancha.
Faire des vidéos, c'était le hobby de leur mère. Elle en avait tourné des centaines lorsqu'elles étaient petites.
Nanaka prit une cassette au hasard et la lança avant de s'asseoir au pied du canapé, la télécommande dans la main. Leurs visages, à Riko et elle, apparurent sur l'écran. Elles devaient avoir cinq ou six ans. Ce jour-là, elles étaient installées dans le salon de leur ancienne maison et dessinaient sur la table basse. Nanaka s'en souvenait encore, l'anniversaire de leur grand-père était pour le lendemain et elles avaient l'intention de lui offrir chacune un dessin. Les deux gribouillis qu'elles lui avaient tendus le jour suivant étaient si semblables que le vieux monsieur avait éclaté de rire.
Lorsque la vidéo fut finie, elle en lança une autre.
Nanaka demeura les yeux rivés sur l'écran toute la nuit, le visage vide.
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