28 - Daizō Nakatoshi

Décembre était arrivé et avec lui le froid de l'hiver. Au sommet du Kasumigaseki building, Nanaka examinait la rue devant le palais de justice avec la lunette de son fusil. Puis elle la reposa et sortit l'arme de son sac à dos pour la remonter.

Adossé à la porte d'accès au toit qu'il avait verrouillée, Kakucho la regarda faire.

– C'est vraiment obligé de venir aussi tôt ? Lui demanda-t-il.

Nakatoshi devait être entendu dans l'après-midi. Il ne quitterait les lieux qu'en début de soirée, au plus tôt. Pourtant, Nanaka avait insisté pour venir dès le matin. Elle ne tourna pas les yeux vers lui et termina de remonter l'arme.

– Pourquoi n'avez-vous pas tué Nakatoshi avant ? Dit-elle sans répondre à sa question. Je n'ai pas respecté ma part du marché, vous auriez pu en finir avec lui, non ?

Kakucho se détacha de la porte pour venir vers elle.

– Je ne sais pas, dit-il, je ne suis pas dans la tête du boss. Pour ça, demande plutôt à Sanzu. Mais Daizō Nakatoshi n'est pas aussi facile à atteindre que tu le penses. C'est un ancien yakuza, il a encore le bras long.

– Pourquoi s'est-il retourné contre vous ? S'enquit Nanaka.

Kakucho s'accroupit à ses côtés pour regarder la rue en contrebas.

– Il a mal digéré de se retrouver sous les ordres des petits nouveaux du Bonten après la chute de son clan, dit-il.

Il ne voyait pas l'intérêt de lui cacher cette information, elle l'avait d'ailleurs sûrement déjà déduite du dossier qu'il lui avait remis.

Nanaka le regarda.

– Un vieux aigri, dit-elle.

– C'est ça.

Elle reposa le fusil sur son pied et tira une bâche en plastique de son sac.

– Pourquoi tu fais ça ? Reprit-elle. Tu n'as pas l'air d'être le genre d'hommes à entrer dans une organisation criminelle, alors comment tu t'es retrouvé là ?

Le silence de Kakucho s'éternisa. Nanaka se dit qu'il ne lui répondrait pas, puis finalement il lui dit :

– J'accomplis le rêve de quelqu'un.

Nanaka se retourna.

– Comment ça ? Dit-elle

– Je veux créer un royaume pour les orphelins, dit-il. Pour qu'ils ne soient plus jamais seuls.

Elle le regarda en silence, avant de revenir à sa tâche. Elle déplia la bâche et l'étendit sur le sol, au bord du toit.

– C'est un rêve de gosse, dit-elle en se mettant à plat ventre, le fusil en main.

Le regard perdu dans le vide, Kakucho sourit.

– Exactement, dit-il.

Le ton de sa voix lui fit à nouveau tourner les yeux, puis elle ramena son attention sur la rue.

– Pour répondre à ta question, dit-elle, nous sommes là tôt parce que si j'étais le flic chargé de la surveillance de Nakatoshi, je m'arrangerais pour avancer l'heure de sa déposition sans en informer personne, pas même l'intéressé.

Kakucho fronça les sourcils.

– Tu penses qu'ils essaient de nous doubler ?

– C'est ce que je ferais en tout cas.

– Et la bâche ? Reprit-il.

Nanaka avait insisté pour en emporter une de grande taille avant leur départ.

– Pour les résidus de poudre, dit-elle. La police viendra examiner les lieux aussitôt après sa mort et je ne veux pas trop leur faciliter la tâche.

– Qu'est-ce qui te fait dire qu'ils viendront immédiatement ici ?

– C'est le seul bâtiment dont le toit donne sur l'entrée du palais de justice et dont l'accès n'est pas réglementé. Sans compter que, si on n'a pas affaire à des amateurs, ils estimeront très vite la distance à laquelle se trouve le tireur.

Kakucho était impressionné. Nanaka sortit la photo de Nakatoshi de la poche de sa veste et elle la coinça devant elle, sur le rebord du toit.

Kakucho reprit.

– C'était pour Mikey à l'origine ces préparatifs, pas vrai ? Dit-il.

Nanaka leva brièvement les yeux vers lui. Inutile de le lui cacher.

– Oui, dit-elle. Mais j'ai vite compris que ce n'était pas le genre d'hommes à passer un jour devant un tribunal ou à conclure un accord avec la police.

– Alors tu as laissé tomber cette tactique.

– Non... Avoua-t-elle. Je l'ai attendu ailleurs. Sur la tombe de son frère.

Kakucho la regarda, stupéfait, Nanaka ajouta :

– Ce jour-là, c'est toi qui m'a tuée.




Il fallut une seconde à Kakucho pour comprendre ce qu'elle venait de dire.

– C'est moi... qui t'ai tuée ? Dit-il.

Il savait que Nanaka remontait le temps lorsqu'elle mourait, mais c'était autre chose de s'entendre dire qu'on l'avait tuée.

Elle reprit.

– J'imagine que tu surveilles les ventes d'armes de calibres inhabituels. C'est ce qui m'a perdue cette fois-là.

Kakucho s'assit, dos au muret qui courait autour du toit, un bras posé sur le genou.

– C'est pour ça que tu savais que j'étais en charge du réseau de revente d'armes, comprit-il.

– Hmm, dit-elle.

Il hésita.

– Combien... de fois tu es morte ? Demanda-t-il finalement.

– Quatre fois, tu étais le dernier, lui dit-elle avant qu'il lui pose la question. Sanzu m'a tuée une fois lui aussi.

– Sanzu ?

Kakucho se souvint du malaise qu'éprouvait ce dernier chaque fois qu'il croisait Nanaka et il se demanda ce qu'il ressentirait s'il savait qu'il l'avait tuée lui aussi par le passé.

– Attends... Reprit-il. Sanzu n'est jamais chargé de simplement tuer...

– C'est vrai, dit-elle. Lui, il doit faire parler avant.

Un frisson glacé dévala l'échine de Kaku et Nanaka reprit.

– C'est la seule fois où j'aurais préféré mourir plus vite, dit-elle.

Je comprends mieux pourquoi elle est complètement cinglée, se dit-il. J'aurais perdu les pédales aussi si j'avais dû mourir de cette façon.

– Tu dois te demander pourquoi je continue ? Dit-elle.

– C'est vrai, je dois dire que je me pose la question.

– Je ne sais pas, dit-elle. Dans ma tête, c'est devenu flou depuis un moment. Je crois que c'est Sano ou moi. Je ne peux pas abandonner.

Dans la mémoire de Kakucho, une autre personne prononça ces paroles et il eut l'impression de revenir des années en arrière.

Je ne peux pas abandonner ! Avait hurlé Takemicchou.

Mais il avait fini par échouer. Pourtant, tout comme elle, il pouvait voyager dans le temps. Mais ça n'avait pas suffi.

– Sanzu, il ne t'a pas reconnue ? Lui demanda-t-il.

Nanaka se souvint que Sanzu s'était montré très familier avec Angel quand il l'avait retrouvée, presque complice.

– Non, dit-elle. J'imagine que la perruque et le maquillage l'ont trompé.

Elle se figea.

– Le voilà, dit-elle.

Kakucho se retourna en sortant une paire de jumelles de sa poche. Daizō Nakatoshi était apparu en haut des marches du palais de justice. Nanaka ajusta son tir, l'œil sur la lunette. Sans surprise, elle vit que c'était Naoto Tachibana qui accompagnait le malfrat.

Il ne te permettra jamais de faire tomber le Bonten, se dit-elle. Tout ce qui l'intéresse, c'est de se servir de toi.

Puis elle fit feu.

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