Bonnie Boyle
Bonnie Boyle avait toujours été belle. Elle n'était pas vraiment intelligente, n'avait pas un sens de l'humour très développé, ni aucun talent particulier mais elle était belle.
Et elle était belle d'une beauté hors norme. Elle enchantait n'importe qui, même les plus snobs. Ses longs cheveux noirs, ses yeux bleus ciel, son visage d'ange et son corps digne d'une déesse faisait d'elle une des filles les plus admirées et les plus enviées de son village.
D'ailleurs ce dernier était très charmant ; un petit village de campagne nommé Galbe. Il n'y avait certes que trois cent habitants, mais quels habitants ! Ils étaient tous gentils, attentionnés, certains parfois un peu simplets même, mais ils avaient tous bon cœur.
Galbe possédait en son centre une église, qui faisait la fierté de tous. Elle n'avait rien de particulier, n'était pas vraiment grande ou belle, mais elle faisait les habitants se sentir chez eux. Même les jeunes y allaient régulièrement.
Mais Bonnie voulait vivre en ville, cela avait toujours été son rêve. Elle rêvait tous les soirs des voitures qui allaient à toute vitesse, des centres commerciaux, des femmes qui s'habillaient en robes courtes, aux grands spectacles, au cinéma... Mais était piégée ici, elle le savait. Et elle ne voulait pas faire de mal à ses parents. Bonnie était une bonne fille.
Mais un soir de courage, elle osa leur en parler.
Sa mère préparait leur repas du soir, aidée de son autre fille, la sœur de Bonnie, Malvina et son père lisait le journal avec son frère, Matthew. Chacun était à sa place, en faisait exactement ce qu'il devait faire. Bonnie s'avança doucement dans le salon, de sorte que tout le monde puisse l'entendre sans avoir besoin de crier et dit doucement :
-Papa et Maman, je dois vous parler.
Un petit silence régna dans la pièce, et tout le monde arrêta son activité : personne ne parlait jamais sérieusement à Galbe, tout était léger.
-Et bien nous t'écoutons ma chérie, dit sa mère d'une voix douce.
-Voilà : j'ai seize ans, bientôt dix-sept le mois prochain et... Je ne sais pas vraiment comment dire ça... Je ne suis pas heureuse.
-Quoi ?, dirent-t-ils tous en chœur.
-Tu n'aimes plus Galbe ?, questionna sa sœur.
-Ou bien c'est nous que tu n'aimes plus ?, renchérit son frère.
-Non bien sûr que non ! J'adore Galbe et je vous adore mais... j'ai l'impression d'étouffer ici. Et c'est la grande ville qui me fait rêver ! Vous savez que j'ai toujours voulu vivre à Paris... !
Ses parents se regardèrent un long moment. Personne n'avait jamais quitté Galbe et personne ne le voulait vraiment. Mais Bonnie avait l'air si enthousiaste, que ses parents lui dirent qu'ils allaient y réfléchir, refusant de lui dire un non catégorique.
Le lendemain matin, M. et Madame Boyle attendait leur fille qui préparait sa tenue du dimanche en bonne chrétienne pour aller à la messe. Quand elle arriva enfin, elle était splendide, comme toujours.
-Ma chérie, déclara son père d'une voix très officielle. Nous avons pris la décision avec ta mère de te laisser voler de tes propres ailes. Nous te considérons assez mature pour prendre soin de toi-même. Nous vous avons réservé de l'argent depuis votre naissance à Matthew, Malvina et toi. Tu pourrais prendre ta part. Nous t'amèneront à la gare le mois prochain, le temps de tout prévoir.
Bonnie était submergée d'une joie toute nouvelle et délicieuse qu'elle ne connaissait pas. Elle sauta dans les bras de ses parents, comme si sa vie en dépendait.
Quelques minutes plus tard, les Boyle se dirigeaient vers l'église, avec tout le village. Et ils prièrent arrivés à l'intérieur de leur sanctuaire.
Ils prièrent pour l'âme des humains, pour le bonheur de leurs enfants, pour la Vierge Marie, pour Jésus, leur prophète. La seule qui ne priait pas pour toutes ces choses, ce fut notre chère Bonnie. Elle priait pour une seule et unique chose : un avenir palpitant. « Grand Seigneur qui nous surveille et nous observe là-haut ! Fait que ma vie soit palpitante, mon avenir brillant et mon cœur rempli de l'amour d'un homme ! Je te promets ma vertu, ma chasteté, la promesse de ma virginité en échange ! Grand Dieu je t'implore ! », se dit-elle tout bas.
Le mois durant lequel tout se préparait passa comme un éclair et Bonnie ne tenait plus en place.
Tout était enfin prêt, les bagages empaquetés, l'argent retiré et le billet de train composté. La famille Boyle était sur le train, et on se disait adieu, on s'embrassait, on versait même quelques petites larmes. Et le train arriva. Bonnie fit un dernier signe de main avant de disparaître aux yeux de ses parents et de son frère et sa sœur. Ils la laissaient partir avec une boule au ventre non seulement parce qu'elle allait leur manquer mais aussi parce qu'elle vivrait une vie qu'ils ne connaitraient jamais.
Le voyage se déroula sans imprévu et Bonnie arriva à Gare de Lyon. L'endroit était bondé. Et elle adorait ça. Elle était un peu perdue mais pu sortir de la gare sans demander son chemin.
Elle y était. Elle voyait enfin les voitures qui roulaient à toute vitesse, les gens qui marchaient vite, les musiciens dans la rue, les cinémas. Elle était en extase devant toute cette immensité.
Elle traversa Paris la tête levée, explorant des yeux son rêve devenu réalité. Mais parfois, des hommes sifflaient sur son passage. Elle ne comprenait pas pourquoi, ni pourquoi ils se retournaient sur elle ou lui lançaient des « Hé mademoiselle t'es bien charmante ! T'aurais un pas un 06 ? S'tu veux chez moi c'est pas loin on pourra discuter ! ». Au bout de plusieurs propositions et comme elle avait un peu froid et nulle part où aller, elle accepta et suivi un jeune qui, malgré son langage était très séduisant.
''Jason'', il se nommait. Il parlait avec un accent bizarre, mais savait choisir ses mots pour faire fondre les filles, surtout aussi naïves que Bonnie.
Quand ils furent arrivés chez ce que Jason appelait « chez lui », -un trou paumé dans un coin d'une rue sombre et déserte- ce dernier plaqua notre pauvre fille sur le mur et lui fourra sa langue dans sa bouche. D'abord outrée, elle le poussa légèrement, mais quand elle vit qu'elle ne pouvait succomber à son charme, elle se laissa faire. Il lui enleva sa robe à fleurs complètement innocente tout doucement, de telle sorte que ses doigts frôlaient sa peau avec une telle tendresse qu'elle en oubliait sa promesse à Dieu. Et puis la minute d'après, elle se retrouva complètement nue, vêtements et sous-vêtements par terre.
En une nuit, elle brisa sa promesse de chasteté et sa virginité s'envola. Mais, naïvement, notre Bonnie pensait que l'amour qu'elle portait à Jason ferait Dieu lui pardonner. Elle espérait en vain d'être aimée en retour et qu'elle avait enfin rencontré l'amour. Mais c'était une pauvre écervelée qui se retrouva le matin dans un lit miteux, seule, avec son soi-disant amour en train de se rhabiller.
-Bonjour, souffla-t-elle en voulant être séduisante.
-Yo, répondit-t-il vaguement. Au fait t'es plutôt douée pour une vierge.
Complètement outrée, elle balbutia :
-Comment... je...
-Te fatigue pas. Tes airs de sainte nitouche ne trompe personne. Maintenant tu baises bien.
Elle était complètement effarée de la violence de ses propos, elle qui n'était pas vulgaire du tout.
-Bon, euh mon pote va arriver vaudrait mieux que tu dégages : il en a marre de voir des meufs dans mon plumard tous les soirs !
Et sur ce, il explosa d'un rire gras et vulgaire.
-Bon récupère tes fringues et barres-toi !
Elle n'avait pas d'autres choix que partir. Elle retenait ses larmes, ne voulant pas lui montrer son chagrin et son désarroi.
Mais arrivée dans la rue, ses larmes prirent le devant. Ce qu'elle avait pu être idiote et naïve ! « Mon Dieu pardonnez-moi ! » se disait-t-elle.
Pendant qu'elle se lamentait la robe à moitié mise, une petite boule de poil s'avança vers elle. Elle ne put pas le voir correctement au début à cause de son regard voilé de larmes, mais au fur et à mesure que la boule de poil avançait, elle put découvrir un petit chien pas plus haut qu'un petit tabouret et le poil doré qui se frottait à elle en ronronnant tel un chat.
-Oh ! Comme tu es beau toi ! Tu n'as pas de famille n'est-ce pas ? Mon pauvre petit chou...
Elle en oublia sa tristesse et pris cette petite chose dans ses bras comme un bébé.
-Je t'appellerais Lili. Viens, nous sommes perdues toutes les deux.
Et sur ce, elles partirent en direction de l'hôtel le plus proche ; et Bonnie savait que sa vie allait vraiment commencer.
Les semaines puis les mois passèrent et le ventre de Bonnie semblait gonfler. Elle était la seule à ne pas l'accepter, mais elle était enceinte. Elle avait trouvé un job chez le bar du coin Le Bistrot des Rêves. Son nom l'appelait et comme elle était belle, elle fut prise quasiment directement.
Tout le monde là-bas lui disait que « c'était beau un enfant » que « une mère ne devrait pas se séparer de sa progéniture » ou d'autres phrases de morale chrétienne alors que le soir ce qu'ils faisaient dans leur lit n'était pas très catholique non plus... Mais Bonnie ne voulait pas de cette enfant. Elle n'avait pas besoin de se souvenir de cette nuit ou plutôt ce réveil atroce en élevant un enfant qui 1) n'avait jamais été désiré et 2) était l'enfant de sa promesse brisée. Mais quand elle arriva dans une clinique et qu'elle annonça qu'elle voulait se faire avorter, tout le monde la regarda de haut et lui répéta les mêmes phrases que ses collègues sur le bonheur que procurait un enfant. Elle du même voir une psychologue qui lui répéta sans cesse la même phrase : « Etes-vous sûre de vous ? »
-Oui je sûre, finit-elle par répondre, agacée. Il me semble que mon utérus m'appartient et que j'ai le droit d'y placer un enfant sans passer pour une folle ! J'aime cette ville parce qu'elle est moderne et que les femmes n'ont jamais été aussi libre ! Mais là encore une fois, je me trompe. Si les hommes pouvait avoir des enfants eux aussi, je suis sûre que l'avortement serait déjà en place et respecté de tous.
-Mais êtes vous vraiment sûre de vous ?
Et le bébé sortit du ventre de sa mère finalement, huit mois plus tard. Bonnie, qui au fil des mois avait déjà un peu perdu de sa beauté et de sa fraicheur, s'attendait à aimer son enfant dès le premier regard mais quand elle vit son petit garçon, ce fut de la peine qui l'atteignit en plein cœur. Cette pauvre petite chose qui n'avait rien demandé. Elle le nomma Matthew, comme son frère, qui lui semblait bien loin.
La vie n'était pas aussi parfaite qu'elle l'espérait mais elle réussit à s'en sortir. Elle s'était payé un appartement au loyer très raisonnable, à côté du bistrot dans lequel elle gagnait de quoi manger et payer son loyer mais rien de superflu. Matthew allait sûrement changer la donne d'une façon ou d'une autre.
-Bon écoute-moi gamine, lui dit sa patronne Gertrude qui parlait fort avec un accent Parisien forcé. Ta vie aujourd'hui elle est pourrie. Tu t'emmerdes, nan ? Eh ben voilà la r'cette : trouve toi un vieux riche malade s'il le faut, remue un peu ton string son sous nez et épouse-le. Tu verras, les vieux c'est con, surtout quand ça a besoin de se remuer un peu la chose tu vois ce que je veux dire ?
Elle rigola doucement, laissant Bonnie un peu désemparée. Mais en même temps : est-ce qu'elle avait vraiment le choix ?
Elle épousa donc trois mois après un monsieur riche du nom de Bernard, qui l'accepta avec sa chienne et son Matthew. Son mariage fut fabuleux.
Sa robe blanche en dentelle tournoyait au soleil, les plats étaient succulents, les hommes parfois même jeunes et beaux, les femmes portaient des robes fabuleuses de toutes les couleurs, et l'herbe dorée brillait sous leurs pieds. La fête était merveilleuse et leur lune de miel aussi, mais leur couple moins...
Bernard était violent. Riche et près de la mort, mais violent. Sa femme étant morte l'an dernier, il avait comme besoin d'une présence féminine qui puisse l'égaler. C'est pour ça qu'il épousa Bonnie. Mais celle-ci ne lui convenait pas. Elle était toujours pas assez belle, pas assez intelligente, trop ci, pas assez ça. Mais comme il était très riche et que son Matthew grandissait dans le bonheur, elle ne disait trop rien.
Parfois elle recevait une gifle. Dans ces moments-là où il était vraiment énervé, elle emmenait Matthew dans sa chambre et revenait la prendre sans rechigner ou même se défendre un peu. Non. Elle prenait la claque avec un tel calme que ça énervait Bernard et elle s'en reprenait une.
Puis au fil des ans, les gifles se transformèrent en coups de poings, puis en coups de pieds et finalement en coups de ceintures. Et elle ne disait jamais rien, du moment qu'il ne touchait pas à son fils. Elle s'avait qu'elle allait hériter, et se sentait tellement bête d'avoir épousé un mari aussi horrible qu'elle prenait sur elle.
Elle était la parfaite épouse : elle faisait le ménage, la cuisine, la vaisselle. Elle repassait ses chemises, rangeait la maison. Elle parlait quand il le fallait, se retrouvait dans son lit quand il avait décidé de coucher avec sa femme. Mais bien vite et malgré le fait qu'il ne rajeunissait pas, il se lassa de Bonnie, et se prit des maîtresses. Et même là, alors qu'elle les entendait se remuer et crier dans leur lit devant leur photo de mariage, elle ne disait rien. Après tout, qu'est-ce qu'elle y pouvait ?
Et puis Bertrand mourut, à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Sur son testament, il y avait le nom de sa fille et de toutes ses maîtresses, mais pas celui de Bonnie.
Matthew avait trente-cinq ans quand il perdit la vie dans un accident de voiture.
Bonnie se retrouva seule. Et quand elle se regardait dans le miroir, elle remarqua à quel point elle avait changée. Ses cheveux grisonnants et ses cernes lui rappelait toute sa vie, et à quel point elle avait tout gâché. Elle avait quitté sa famille, brisée sa promesse, était tombée enceinte d'un inconnu, avait eu un mari qui lui tapait dessus, la trompait et qui était mort, et avait eu un fils merveilleux qui fut partit trop tôt.
Et tout cela l'a rendait laide.
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