N14-Awakening


« Encore accroupi, un poids verrouille mes genoux fléchis. Le soulagement, un état d'apaisement qui me complaît, malgré mes résolutions à l'indifférence.

Je l'ai senti.

Elle ne s'est pas éteinte brutalement avec les autres. Je l'aurais su. Quelque part, cette femme est en vie. Et ce doux sentiment de quiétude qui actionne avec force la pompe dans ma poitrine m'assourdit et me rebute.

La honte m'empêche de me relever. J'ai honte de ce que je tends à devenir.

L'honneur d'avoir reçu les enseignements du Suprême Leader m'est refusé. Ma redevance, sa valeur ne peut être que miséreuse maintenant que je les bafoues à me permettre de tels sentiments.

Tu es pathétique.

Mon poing heurte l'insoumise machine, et à travers la chair et les os, échoue à écraser sa désobéissance portée à quintessence. Depuis que j'ai sauvé cette fille, la douleur lancinante se fait plus fréquente. Obnubilant. Elle est omniprésente, dans mon corps et mon esprit elle s'est logée.

Irrépressible.

Je brûle, comme si je m'étais approché trop près d'une étoile. Un brasier qui grésille et fait fondre cette chair putride. Mes nerfs sont à vifs, menacent d'exploser. Je voudrais hurler sans y parvenir.

Je veux la sentir...

Entendre ses supplications, la

Livrer aux ombres pour ainsi

Annihiler sa volonté et

Implanter ma suprématie pour

Modeler son être à ma convenance

Et assouvir mes aspirations.

?

Est-ce là... mon désir ?

...

Je commence à douter. »


- Tout va bien, seigneur Ren ?

Le Tueur de Jedi revint lui, ses sombres pensées bannies de son esprit. Il se redressa, libéré de sa charge, et ignorant l'officier, il proclama ses ordres.

- Reprenez vos postes !! Nous partirons dès l'arrivée du Général !

Son regard tourné vers l'extérieur du vaisseau, Kylo considéra les dernières poussières rougeoyantes de ce que furent les cinq planètes avant l'assaut. Il n'en resterait rien, de leurs habitants, leur culture, ils avaient été engloutis par le néant, la Nouvelle République avec eux. La base Starkiller était aussi visible, une tâche blanche et immaculée ornant l'espace, telle la nouvelle régente de la galaxie. Le premier essai avait été plus qu'une réussite. Une arme de destruction massive contre laquelle les résistants s'écraseraient à défaut de les persuader de leur infériorité. Et alors, lorsque tous prêteront serment d'allégeance au Supremacy, l'épuration commencerait.

L'agitation autour d'elle évanouis, l'Ombre de l'Ordre se dirigea satisfaite vers la sortie du pont de commandement. S'éterniser ici était inutile, la prochaine étape requérait toute son attention, ce qu'elle ne fournirait dans l'immédiat. Elle-même n'avait pas été insensible aux violentes perturbations provoquées dans la Force. Aucun adepte ne pouvait l'être. Le nombre des pertes, la galaxie en avait essuyé très peu d'une telle ampleur depuis sa naissance. Le vide de milliards de voix éteintes simultanément dépassait largement le seuil de tolérance de l'esprit. Mentalement, l'Ombre était fourbue et son acuité altérée, évoluait aux limites de son subconscient. Malgré sa condition, ce qu'elle s'apprêtait à faire était néanmoins une solide attache à la réalité.


Kylo se laissa glisser contre le pan de mur opposé au fauteuil d'interrogatoire. La sensation de fraîcheur diffusée dans son dos décontracta ce dernier. Son corps était toujours sous hypertension, tant la pression de son sang sous l'afflux de ses sentiments était forte. Cependant, c'était bien les veines qui apparaissaient furieuses sur le visage du senior parfaitement réveillé qui menaçait d'exploser. Ses rides creusées et la sueur luisant sa peau blafarde en disait long sur son état. À l'évidence, il n'allait pas bien.

- Je suis peut-être aveugle mais pas sourd, Ben, gronda Han Solo avec une énergie à revendre. TOUT un système, tu es fier !?

Kylo avait accepté l'idée que son prisonnier refuserait toujours de l'appeler autrement que par le nom d'un mort. Elle ne releva donc pas cette discorde, et se contenta de la passer outre.

- Je ne suis pas celui qui a lancé cette attaque, l'informa-t-il avec un sang-froid qui ne lui ressemblait pas.

En réalité, il était amusé que son prisonnier le croit capable d'un tel désastre. Il n'était pas arrogant au point de s'en proclamer l'auteur, car comme toute chose, il ne faisait pas exception à certaines restrictions, limites.

- Mais tu savais ! Et ta MÈRE se trouvait là-bas !

« Ma mère ? » songea l'homme masqué. Sa génitrice, son visage n'était plus que celui d'un anonyme, un être dépouillée de son identité. Il avait oublié depuis longtemps le son de sa voix ainsi que le parfum de cette femme.

- Soit en soulagé, alors. Il semblerait que la Générale Organa ait pris un vaisseau avant de quitter le système avec sa flotte.

Han se tut, buvant ce qu'il venait d'entendre, les plis de ses rides précoces déformés par l'émotion.

- Tu... l'as senti ? devina-t-il après un long silence.

- Elle est vivante.

Le senior jugea l'homme assis qui ne le regardait plus, les orbites du masque de ce dernier parallèles à ses jambes repliées vers lui, les coudes reposant à leur sommet. L'espérance l'étreignait toujours. Celle de revoir le petit garçon ébouriffé de ses lointains souvenirs. Celui qui rêvait de s'envoler vers l'infinie et de conquêtes spatiales. Son fils.

- Elle... aurait pu mourir, Ben. Ta mère aurait pu... mourir.

Kylo Ren l'entendit très bien. Mais il ne réagit pas de la manière dont le senior avait espéré.

- Ne sois pas si sentimental, répondit-il impassible. C'est un effort inutile.

- J'ose parfois espérer que cela suffise, souffla le prisonnier. Je sais que tu es perdu dans tes convictions, incapable de voir ce que tu souhaites réellement.

L'Ombre de l'Ordre balança son corps en avant et sans poser la main au sol, prit appui sur ses genoux pour se relever.

- Comme tu le dis, il semble qu'une part de moi me freine. C'est pourquoi mes hommes viendront te voir demain. Eux, n'auront pas de scrupules à torturer un vieil homme.

- Tu peux choisir de tout arrêter, Ben... , affirma Han. Seulement si tu acceptes cette possibilité de revenir.

Kylo s'arrêta devant la porte close, les poings serrés.

- C'est ma décision. Comme celle de décider si cette fille doit vivre.

- ... Et quelle est-elle ?

- Je vais lui faire une proposition. En fonction de sa réponse... Elle choisira elle-même son destin.

- Alors c'est ça le choix que tu vas lui donner ? « Vivre ou mourir » ?

Le ton pris par sa voix était désapprobateur, une raillerie. L'homme masqué savait que quoi qu'il lui dise, que le senior ne ferait jamais assez preuve de clairvoyance pour le comprendre. Il n'en ressentit aucune déception, comme si au fond, il s'y était préparé.

- Sa vie ne se résume-t-elle pas à ça ? rétorqua-t-il durement. Elle acceptera et survivra, comme toujours.

Sur la dureté de ses mots, Kylo rentra le code de sortie et s'en alla, plantant un père démuni sur les mots du fantôme de son fils empreint d'éternels accès.

Il fallait qu'il se repose, loin de tout ceci. Loin de cet homme qui remettait sans cesse ses actes en question. Loin de ses pensées ressurgissant pour cette fille, ne doutant pas qu'elle passait, tout comme lui, une très mauvaise nuit.


Rey restait recroquevillée sur le sol de son refuge. Son hurlement avait cessé, mais ses yeux dans le vague continuaient à se brouiller de larmes. Prisonnière de la spirale infernale des événements récents, elle se répétait en boucle les mots de Kylo, si convaincu que Luke avait appartenu à son passé. Une idée à laquelle elle refusait d'y croire. Luke Skywarker, le dernier Jedi, l'aurait connue enfant ? Qu'est-ce que cela suggérait ?

Elle ne se souvenait pas... Pas du tout... D'ailleurs... De quoi se souvenait-elle ? Dans la plus grande confusion, les nerfs de la jeune femme étaient à bout. Prise de nausées et incapable de se défaire de ce poids plombant sa poitrine, le temps s'échappa jusqu'à ce que le jour vienne. Les premières lueurs du soleil teintèrent peu à peu le lieu de couleurs discrètes, et enfin, elle eut le courage de lutter et de se relever.

Muette, la pilleuse d'épaves considéra l'intérieur de sa demeure, les rares objets qu'elle contenait, chaque recoin, jusqu'aux poussières dansant doucement dans l'air. Humides, ses yeux se posèrent sur la poupée de son enfance couchée sur une étagère. Elle s'en saisit, se remémorant chacune des étapes de sa conception, des petites mains qu'elle devait avoir à cette époque révolue. La forme grossière qu'elle avait donnée à la mousse emprisonnée dans un tissu orange, lui-même ficelé avec maladresse pour en maintenir le tout.

Glissée de ses mains tremblantes, la poupée tomba. La jeune femme s'en détourna et agrippant ses longs cheveux, elle perdit un court instant le contrôle de cet amas de sentiments qui l'étouffait. Dans un excès de rage, son avant-bras frappa l'étagère.

Les jointures de la cloison s'arrachèrent et le meuble tordu au point d'impact branla dans un grincement strident avant de basculer inopinément. L'étagère percuta l'acier, les objets se brisèrent et s'étalèrent au sol d'un bruit sourd. Stupéfaite par cette démesure, Rey constata l'absence de douleur de son membre, et pour cause, elle avait pourtant arrêté son geste avant l'impact.

Des pouvoirs dont elle ne soupçonnait pas l'existence. Différente. Dire que « personne » lui paraissait être, il y avait encore quelques jours, le terme le mieux adapté pour se qualifier.

Ses yeux étaient secs. Rey ne pleurait plus. Enjambant le débarras, elle prit un tournevis à tête blissex dans sa boîte à outils miraculeusement intacte. Avec, elle se dirigea vers la plus grande cloison aux multiples marques inscrites et en rajouta une. Ensuite, elle rangea la boîte dans sa sacoche, refit ses trois chignons verticaux et médians à l'arrière du crâne avant de saisir son bâton de combat.

Elle ne mourait pas aujourd'hui.

Elle survivrait.

Affrontant le soleil de Jakku, son sabre laser reposant sur sa cuisse, la pilleuse en activa la matrice, libérant la lame de l'arme Jedi. Ceci ne pouvait être un hasard. Sa possession, ses rencontres, le Lien. Le Premier Ordre et ce qu'il représentait, elle l'avait compris que trop tard, et d'autres avait payé le prix de son incertitude. Elle ne savait pas ce qu'elle aurait pu faire, mais sa neutralité l'avait poussé sur un chemin plus funeste encore que celui qu'elle voulait éviter. Que pouvait-elle attenter aujourd'hui ? Comment pouvait-elle contribuer à préserver cette liberté et ce semblant de paix en sursis ? Devait-elle s'abandonner toute entière à ce destin qui l'en priverait irrévocablement ? Quelle était sa place... ? Tout cela, était trop tôt pour le dire.

Scrutant la lumière bleutée émise par cette lame à plasma crépitante, Rey prit en revanche une résolution. Celle de ne plus ignorer ses capacités et d'apprendre à s'en servir sans détour, qui qu'elle soit, afin que jamais elle ne se retrouve aussi vulnérable aux pieds de son ennemi.



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