- Je n'arrive pas à croire que tu lui ais dis ça ! s'esclaffa Rey en remontant la dune de sable.

- Pourtant, ce poisson m'a cru, soutint son ami derrière elle.

- Non, mais une entorse... Franchement, Finn... Tu n'aurais pas pu trouver mieux pour expliquer mon absence ?

Il haussa les épaules, hilare.

- Je trouvais ça crédible. Après tout, à te pendre à des câbles à quatre-vingts mètres au-dessus du sol, c'est que tu dois vraiment être casse-cou, ou alors totalement inconsciente.

- J'ai déjà fait pire.

Le jeune homme marqua un bref arrêt, et écarquilla ses yeux qui parurent sortir de leurs orbites avant de répondre abruptement.

- Je veux pas savoir.

Grâce aux bonnes initiatives de l'ancien Stormtrooper durant son « moment d'égarement », comme ils s'étaient convenu de dire, la pilleuse d'épaves retrouva chez elle le reste des denrées, de quoi tenir deux jours. Son camarade les avait obtenues en échange des plus belles pièces extraites lors de leur dernière escapade à Unkar Plutt qui, à priori, ne s'était pas fait trop curieux concernant son « accident ».

Rey s'étala dans son hamac après s'être rassasiée d'une ration de polyamidon partagée à part égale avec Finn. Étrangement, c'était la première fois qu'en se réveillant de l'un de ses rêves... cauchemars... visions... rencontres – elle ne savait plus comment les nommer –, qu'elle se trouvait aussi en forme, bien que l'initial avait suggéré le contraire.

Son regard se porta sur sa poupée d'enfant, une attention au motif égaré dans sa mémoire. Tout ce dont la pilleuse se souvenait, était d'avoir sombré dans les bras du Tueur. Une réminiscence qui était très loin de lui plaire, tant son corps avait réagi d'une étrange manière.

Les paupières soudain closent, ses pensées furent chassées. Elle ne savait pas, ne voulait rien savoir quant à la quelconque signification de cette réaction. Son esprit ne l'admettrait jamais. Sa conscience butait à l'exactitude qu'il ne s'était exprimé ainsi qu'à la volonté d'un autre, telle une marionnette. Que ce monstre lui avait-il fait au juste ?

Néanmoins, elle se sentait... bien. Pourquoi alors devait-elle donc s'embrouiller avec elle-même ? Pourquoi ne pourrait-elle pas pour une fois en profiter un peu en ne faisant tout simplement rien, avant de se tuer à nouveau à la tâche de sa profession ?

- À quoi penses-tu ?

Finn, qui avait pris place à côté d'elle, l'interrogeait de ses yeux troublés par une habituelle inquiétude pour la pilleuse.

- Tu vas me prendre pour une folle si je t'en parle... , hésita Rey.

- Ça, ce n'est plus à prouver, la taquina son ami.

La jeune femme lui rendit son sourire avant de s'ouvrir à lui.

- Je comprends pas ce qui m'arrive, Finn. Pour une raison que j'ignore, après t'avoir rencontré et être partie précipitamment de Jakku, une part de moi s'est comme... éveillée. Tout est... différent. Et ces choses que je vis m'amènent à penser que je ne suis plus... moi. J'ai... peur, Finn, avoua-t-elle de sursaut. De ce que je pourrais faire. Parce que je n'en ai aucune idée... Je dois en apprendre plus sur tout ça. Et j'ai besoin de quelqu'un pour me montrer la voie.

- Ne va pas me dire que tu penses à Kylo Ren, objecta Finn.

Elle en fut ébahie.

- Tu rigoles, j'espère !? Je n'ai pas pensé à lui UNE SEULE seconde !

Il fronça les sourcils, non convaincu. Il était impossible que l'ombre de ce monstre ne hante pas son esprit après ce qu'il lui avait fait subir.

- Alors QUI ?

- ... Skywalker ? proposa-t-elle.

- Et comment comptes-tu le retrouver sans la carte ? argua l'ancien Stormtrooper. Je te rappelle que c'est la Résistance qui doit l'avoir, à présent. Tu veux te joindre à eux ?

- Non, réfuta net Rey. Je ne veux pas être mêlée à leur conflit avec le Premier Ordre.

Il attendit qu'elle expose son plan difficile à formuler.

- Quand j'étais avec... Kylo Ren... Il a dit être capable de ressentir... ma présence. Un truc en rapport avec la Force, je crois.

- Alors tu penses que tu peux faire pareil avec Skywalker, conclut Finn.

- Oui.

- C'est un truc de malade, déclara le jeune homme en se frottant nerveusement le visage de ses mains.

- Je sais, approuva la pilleuse sans broncher. Mais il reste encore quelques jours avant ton départ, alors si je veux commencer à expérimenter ces... pouvoirs... Au moins, tu seras là.

Finn détourna les yeux et pinça lestement ses lèvres.

- ... Pas de problème.

- Finn ?

Le jeune homme fuit le regard de son amie dont le front s'était plissé de rides alarmantes.

- Qu'est-ce qu'il y a ? insista-t-elle.

- ...

- Finn ?

Il tapota les poches de sa combinaison régulant la température, pourtant vides.

- Rien, je t'assure. Tout va bien.

- Je te connais suffisamment pour savoir que non.

- Vraiment, Rey.

Elle afficha un air sévère.

- Crache le morceau, Finn !!

- Et bien, se résolut-il. Tu as dormi... longtemps.

- Et ce « longtemps » ? Tu le traduis COMMENT ? éleva-t-elle encore plus la voix.

- Le départ est prévu pour aujourd'hui, Rey, lâcha-t-il promptement.

Elle cessa presque de respirer. Réduite au silence, la jeune femme mit un long moment à digérer ce qu'elle venait d'entendre.

- Tu es en train de me dire que j'ai dormi CINQ PUTAINS de jours !?

- Oui.

- C'est impossible, rétorqua-t-elle en quittant son hamac pour déambuler dans son refuge sous le regard toujours attentif de son pair.

- Tu as prouvé le contraire.

Sa tension était à la hausse. Elle devait halluciner, cela ne pouvait pas être vrai, parce que si c'était le cas... Elle devait être morte à l'heure qu'il est. De faim, de déshydratation, ou de n'importe quoi d'autre d'ailleurs...

- Alors... C'est aujourd'hui ? reprit-elle.

- Plus tout à fait.

Rey plongea ses yeux droit dans les siens en relâchant ses membres. De nouvelles rides s'étaient formées à l'arête de son nez.

- Comment ça, « plus tout à fait » ?

- Parce que je reste.

- ... Tu te moques de moi.

- Non, refusa-t-il catégoriquement. Si tu crois que je peux partir la conscience tranquille après ce que tu m'as fait vivre, c'est que tu me prends vraiment pour un débile.

- Va mettre ton derrière dans ce vaisseau, Finn, ordonna-t-elle en grinçant des dents.

- Non. À moins que tu partes avec moi.

- Très bien.

À la différence que cette affirmation n'eut aucun rapport avec le jeune homme avait pu imaginer. La pilleuse opta en effet pour la fâcheuse initiative de prendre son bâton de combat en main avant d'en diriger la pointe vers son ami.

- Je vais donc t'y traîner moi-même, l'informa-t-elle froidement.

- Tu n'oserais pas ! bafouilla son camarade devenu l'indésirable, un pas en arrière.

- J'ai déjà entendu ça quelque part.

La pilleuse s'avança, et l'ancien Stormtrooper recula tout autant jusqu'à sortir de l'habitat et sentir le sable lui griller la plante des pieds.

- Sérieux, Rey !? s'indigna-t-il. C'est pas cool de me menacer avec ton bâton ! T'es pas OBLIGÉE de faire ça !

- Parce qu'il sont déjà partis !? vociféra-t-elle.

- Non, pas avant la nuit, mais-

- Parce que tu leur as dit que tu restais !? le coupa-t-elle.

- Non, j'ai rien d-

N'attendant pas la fin de sa réponse, Rey lui administra un coup perçant.

- AÏE !!! s'écria Finn en se touchant le devant de l'épaule. ARRÊTE ! Ça fait super mal en plus !

- C'est le but, souligna-t-elle avec hargne. Maintenant, avance !

Ils continuèrent ainsi leur manège jusqu'à entrevoir leur but au crépuscule. À cet instant, les protestations de Finn l'avaient mené chacune à un coup supplémentaire. Rey ne l'avait pas épargné et l'avait frappé à chaque fois avec générosité. Il devait au moins avoir trois côtes cassées, la clavicule fêlée, et le rachis en miette.

- J'ai vraiment pas envie, Rey ! cria-t-il dans un dernier élan de supplication.

Les deux jeunes gens s'arrêtèrent dans la pente et la femme leva son bâton vers le visage de l'homme, telle une prolongation de son propre bras.

- Je suis assez grande pour me débrouiller toute seule. Toi, non. Ton avenir n'est pas sur Jakku. Moi si. Parce que c'est chez moi. Et ça changera pas !

Il devait partir, la quitter. Parce que cette chance lui était offerte, à lui, pas à elle. Celle qui le conduirait dans un lieu plus sûr, qui lui promettait un bel avenir ailleurs, loin de cette misère qu'était la sienne. Elle ne lui demanderait pas le contraire. Elle avait fait une promesse chère à son cœur : s'assurer de sa sécurité, et peut-être par excès et à plus long terme, de son bonheur. Une opportunité qui ne se représenterait certainement jamais.

- Tu... t'inquiètes pour moi... ? réalisa enfin l'ancien Stormtrooper, la désarçonnant.

- Prends-le comme ça te chantes, si ça peut te convaincre de partir, soutint la pilleuse d'épaves en abaissant son arme. Tu tiendras pas long feu ici. As-tu déjà oublié que le Premier Ordre a établi un avis de cherche à ton encontre !? Si... tu veux vraiment m'aider... Vis ta vie... Et pars.

Un silence pesant s'installa entre eux jusqu'à ce que le jeune homme se décide enfin à parler.

- Je ne te ferai pas changer d'avis, hein ?

- Non, confirma la jeune femme avec force.

- Alors tout ce que j'ai à dire maintenant, c'est « Au revoir ! » ?

Rey resta muette et Finn, dans son agacement, se détourna d'elle. La pilleuse en fit de même à la différence qu'on tira son vêtement, l'arrêtant dans sa démarche.

Basculant en arrière et dans la continuité, une main lui attrapa fermement la taille avant qu'une deuxième l'attire. Ses lèvres rencontrèrent celles du jeune homme. Elles étaient tièdes, d'une remarquable douceur pour des bras forts qui n'en démontrèrent pas moins. Lovée contre son blouson, elle aurait pu le repousser, se défendre de cet indécent assaut qu'elle n'avait guère volontairement attisé. Elle n'en fit rien. Le fugitif lui donna un bref baiser auquel elle trouva un semblant de réconfort.

- Ce n'est pas un adieu, OK ? lui souffla-t-il une fois séparés, mais son visage toujours aussi proche du sien, leur front collé. Je reviendrai. Alors attends-moi et restes en vie.

- ... Toi aussi.

Cela n'avait été qu'un murmure dans la bouche de Rey. Il fallait bien la comprendre... Tandis qu'elle observa le déserteur de l'Ordre regagner le vaisseau qui émettrait bientôt le son de son départ, la jeune femme ressentit encore l'insoutenable sentiment d'être abandonnée, un mal qu'elle croyait avoir oublié, dépassé en grandissant.

Pourtant, la fille du désert ne devait pas fléchir, car cela prouverait tout bonnement qu'elle s'était attachée à cet ingénu, plus qu'elle se l'était accordé. Il était un ami, rien de plus. Et malgré le si peu de temps passé ensemble, c'était déjà trop lourd à supporter.

Elle était à nouveau seule...