N08-Frost
Rey se frictionna vigoureusement les bras pour de lutter contre le vent glacial qui la fouettait. Elle n'avait jamais eu aussi froid de sa vie. Recroquevillée sur elle-même, la pilleuse d'épaves releva la tête pour scruter les alentours. Elle se trouvait au beau milieu d'une forêt épaisse, la nuit trop sombre pour que ses yeux puissent lui en dire plus. Grelottante, elle commença à marcher dans l'espoir de se réchauffer, d'échapper à l'hypothermie, au spectre de la Mort dormant en ce lieu hostile. Survivre, en trouvant un abri. Cependant, dépourvus de repères, ses pas étaient voués à imprimer la trace de son échec dans sa quête hasardeuse, qui gèlerait bientôt avec elle sous la poudreuse.
Au cœur de cet enfer polaire, Rey s'interrogea un instant sur quels étaient ces gros points blancs qui tombaient en rafales, soumis à la même sauvagerie qu'elle, et qui s'accrochaient avec peine à ses cils et à ses vêtements. Était-ce cela que les explorateurs appelaient « neige » ? La main tendue, elle en saisit quelques-uns qui fondèrent au contact de sa paume, revenant à leur état liquide. Une beauté éphémère.
L'humaine ne devait pas s'éterniser ici. Un simple arrêt avait suffi à ce que ses muscles s'engourdissent au manque de chaleur. Ce territoire inconnu et aussi peu accueillant que le désert de Jakku l'amenait sans conteste à penser que c'était encore l'un de ses fichus rêves. Se hâtant, les poils de sa nuque se hérissèrent plus encore lorsqu'elle s'aperçut au loin de QUI se trouvait sur son itinéraire incertain. Pas d'erreur possible.
Solitaire, l'Ombre se confondait avec l'écorce noire des arbres aux feuilles de cristal. Des spécimens millénaires profondément enracinés, étrangers aux variations auxquelles ils avaient été confrontés et dont ils étaient sortis vainqueurs. L'Ombre, bien qu'elle se déplaçait avec aisance sur un chemin connu que d'elle, et qui l'amènerait à son but, n'avait aucune conviction dans sa démarche. Peut-être était-elle finalement tout aussi perdue, en proie à de perfides tourments ? Peut-être aussi, que lorsque la créature de l'Obscurité s'arrêta, c'était simplement pour emprunter une autre route et ainsi, éviter l'impardonnable erreur qui causerait sa chute. Si c'était le cas, alors pourquoi cet homme masqué aurait-il saisi la garde de son arme avant de l'enclencher ?
- Il est inutile de te cacher. Je ressens ta présence.
Son corps endolori se raidit au grondement. Seul son cœur bondissait avec vitalité dans sa poitrine. Rey savait que suivre un individu ou un groupe n'était pas une judicieuse idée lorsque l'on se faisait prendre, or c'était le moyen pour lequel elle avait opté pour sortir de ces bois, et ce, malgré la crainte et la haine viscérale qui lui tordait à présent sauvagement les boyaux. Dans sa situation, ce n'était pas de l'inconscience, mais un gage de survie. Qu'importaient ses sentiments.
Cachée, elle patienta. Elle lança quelques regards furtifs de loin à la silhouette capée du monstre, méprisa cette arme qu'il pointait vers le ciel comme s'il détenait un pouvoir tout-puissant.
« Arrogant. »
Ne le voyant pas bouger et ne supportant plus d'être la proie, la jeune femme prit la décision d'inverser les rôles. Sur la colline enneigée, à vingt mètres de l'infâme créature, elle lui fit face à découverte, déterminée. Elle aurait dû savoir que c'était une mauvaise idée, une preuve de son imprudence révélée que lorsqu'elle perdait son sang-froid.
- Je sais qui tu es, KYLO REN ! clama-t-elle avec hargne en pointant le canon de son LPA NN-14 sur la bête.
L'intéressé se retourna enfin dans la bonne direction pour la toiser. Et sans pour autant se sentir menacé, il baissa sa lame crépitante. La couche immaculée et superficielle fondit, ainsi que les flocons passant un peu trop près de la torche incandescente.
- Tu as envie de me tuer.
- Tu crois ? cracha la pilleuse d'un ton ironique.
Il tenta un pas en avant, sur ce nouveau chemin qu'il tenait à emprunter, mais la jeune femme réagit immédiatement, lui fit obstacle. De forts sentiments la commandaient, l'Ombre le convint également.
- T'APPROCHE PAS !
Étrangement, l'homme masqué obéit avec tact, continuant sa contemplation de cette fille, aujourd'hui empêtrée dans la neige.
- Tu dis me connaître, mais tu ne dirigerais pas ton blaster sur moi, si c'était le cas.
Le vocodeur intégré au casque du monstre modulait sa voix d'une telle façon à ce que son interlocutrice n'eut aucun mal à reconnaître ses émotions « humaines ». Si elle le rejetait, elle devait bien admettre la vérité en face d'elle. Après tout, elle y décela une once de colère qu'elle acceptait avec joie. Elle perçut aussi sa curiosité et enfin... de l'amusement ? Son cerveau débloquait, qu'était-elle en train d'imaginer ? Elle pointait une arme sur lui et cela « l'amusait » ? Ses pensées s'embrouillèrent. Qu'allait-il lui apprendre ensuite ? Qu'il était capable de faire le Bien ? Qu'il pouvait ressentir de la CULPABILITÉ pour tous ces gens qu'il avait massacrés ? Lui qui transformait des oasis en hécatombes, et qui hantait ses rêves tel un spectre ?
- A-Alors... C'est vrai ? bafouilla la pilleuse. Tu es réel... ?
- Tu m'as touché, souligna le confirmé Kylo Ren. Quand était-ce déjà... La nuit dernière ? Tu en as plutôt profité.
- En « PROFITER » !?! T'ES MALADE ! JE-
- Qui es-tu ? la coupa-t-il.
Encore cette question. Comme à leur première rencontre. Que se serait-il passé, si elle ne s'était pas réveillée à ce moment-là ? Après qu'il ait enclenché sa lame à plasma, son sabre laser pointé sur elle ? Elle ne voulait pas y penser.
- Tu crois VRAIMENT que c'est le moment !?
La pilleuse agita l'arme qu'elle pointait toujours sur lui.
- Tu ne peux pas me tuer, affirma son cauchemar.
- Ça vaut la peine d'essayer, pesta-t-elle.
Kylo étouffa ce qui ressemblait vaguement à un rire, avant de s'enquérir à réduire la distance les séparant. Rey appuya sur la détente et le coup de feu parti. Il perfora la poitrine de sa cible, et l'homme s'arrêta brusquement. Aucune hésitation.
- Je te l'avais dit, fit remarquer l'ombre rougeoyante d'un ton cinglant.
Il était indemne. Une forteresse imprenable, érigée au milieu de la tempête qui décupla de rage. Le tir n'avait fait que le traverser avant de ressortir sans causer de dommages, un déjà-vu. Lame ou fusil, le résultat n'avait rien de concluant et pourtant. Dans d'autres circonstances, un autre jour, et s'il n'était pas ce monstre qui semblait sortir d'une époque très, très lointaine, il serait mort. Mort ? Non. Un cauchemar ne mourait jamais vraiment. Il se contentait de se terrer dans l'Obscurité, en attendait que la Lumière atteigne son déclin pour resurgir.
- Comment... ?
La panique accablait la jeune femme, tandis que le monstre continuait à s'approcher dans d'un silence mortuaire. Reculant face au danger apparaissant imminent à ses yeux, la pilleuse se retrouva bientôt acculée entre un tronc et lui, prise au piège.
Il était grand. Imposant et terriblement grand. Et il y avait cette petite voix au fond elle qui lui chuchotait que cette fois, elle ne s'en sortirait pas. Ses paupières se fermèrent sur la lame écarlate qui pointa à nouveau le ciel, résignée. Elle se centra sur sa respiration, acceptant volontiers que l'air cryogénise ses poumons. Ainsi, elle croyait que la douleur s'atténuerait, ne serait qu'un peu.
À la fin cette cruelle, car interminable attente, la jeune femme avait néanmoins bien dû les rouvrir, puisqu'un sursit semblait avoir été accordé à sa condamnation. Kylo la toisait, la matrice de son sabre laser désactivée. Il la paralysa par son geste.
Sa main gantée glissa sur sa joue, arrachant à la pilleuse, un gémissement. Comme la précédente nuit, elle put ressentir sa peau malgré la pièce d'habillement. Elle transcenda la sienne, une explosion de chaleur qui se traduisit par des courants de lave lui parcourant les veines et le rachis. Le froid n'était plus.
- Je reformule ma question, déclara la voix puissante aux notes déraillées. Puis-je savoir QUI est cette fille avide de me voir mort ?
La visière de son casque ébène surélevé par rapport à elle, il lui saisit brusquement le cou, lui coupant le souffle. À la différence que cette fois, ses doigts étaient glacés.
- Je suIs PersOnne, haleta la jeune femme privée de son air consolatrice.
Aucune supplication. Au contraire, elle le défia en relevant la tête, fière et rebelle. Qu'il l'a tue. Qu'ils en finissent. Son châtiment fut immédiat et son calvaire commença. La pilleuse eut d'abord une simple migraine, avant d'avoir l'impression qu'un marteau enfonçât des clous à l'intérieur du crâne défoncé, broyé. Une intrusion cherchant à s'engouffrer aux plus profond de ses pensées.
Avec facilité, les couches s'enlevèrent une à une, les remparts, rasées. Elle hurla.
Douleur...
Des brides de souvenirs s'exposèrent à son esprit meurtri.
« Oublie... Oublie juste. Libère-toi du passé, Rey, et pardonne-moi. »
« Pardonner quoi ? À qui ? » voulut demander l'intéressée à cette voix effacée.
Des images brouillées. Des réminiscences. Les yeux bleus. Ses cils broussailleux. La fraîcheur d'une main bionique caressant sa joue, puis sur son front, un souffle libérateur.
- C'est un mensonge ! contredit amèrement Kylo Ren.
Souffrance...
« REVIENS !!! »
« NE PARS PAAAS ! TU AS PROMIS !!! »
Tout était réel, la jeune femme le savait. La petite fille qui criait et pleurait ses parents l'abandonnant. Ses années de calvaires, prisonnière de sa planète d'adoption. Ce qu'elle était devenue pour survivre. Le massacre des habitants de Tuanul, les rares qui ne l'avaient pas considérée comme une étrangère ou un objet. Tout était vrai.
Un sentiment plus désagréable que tout ce qu'elle s'était autorisée à ressentir l'envahit, et son absence de contrôle la contraignit enfin à en prendre conscience ; de sa solitude.
Son cœur cessa de battre. Son tortionnaire attendait sa réponse. Mais elle le regarda sans le voir. Elle l'entendit sans l'écouter. Il avait perdu son attention. Et cela, pour lui ce n'était pas acceptable.
- QUI ES-TU !?! vociféra Kylo en resserrant sa poigne, prêt à l'étrangler.
- REY !!! cria-t-elle à son tour d'une colère noire en dépit des larmes givrant ses joues.
Que lui arrivait-il ? Comment pouvait-elle se montrer aussi faible face à l'ennemi ? Non, quelque chose n'allait pas chez elle. Jamais elle n'aurait dit...
Subitement, ses muscles la lâchèrent et la pilleuse aurait juré tomber avant d'être rattrapée miraculeusement. Des bras d'homme l'enlacèrent, la maintinrent au-dessus du sol, en son sein. Comment son étreinte pouvait-elle être aussi réconfortante... ? Si... désirable, après tout le Mal qui lui avait infligé ?
Sombrant dans l'inconscience libératrice, la jeune femme entendit un simple murmure :
« Je t'avais prévenue, Rey. »
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