N05-Nightmare
« NE PARS PAAAS ! TU AS PROMIS !!! »
La pilleuse d'épaves sentit le nuage de grains s'avachir sur elle. Du sable ? Non. C'était autre chose, comme... de l'eau. Les gouttes explosaient et pénétrant ses vêtements, le froid l'enveloppa, la frigorifia, adhérant telle une seconde peau. Tendant ses paumes ouvertes, la jeune femme s'abandonna à cette sensation étrange et nouvelle, paradoxalement vivifiante et accablante. Elle ne pensait pas qu'une pluie battante puisse un jour tomber sur Jakku, sauf... si elle ne se trouvait plus sur Jakku.
À peine Rey ouvrit les yeux qu'un corps fut transpercé juste devant elle par un flash. Le souffle coupé, elle recula avant qu'il s'effondre sur elle dans un cri sonore auquel se joint le sien. La terreur provoqua la panique, et affolée face au danger imminent, la jeune femme manqua de glisser et de tomber sur le sol accidenté. Elle fixa le corps inerte de l'homme, la face noyée dans la boue. Aucune arme, aucun moyen de défense. Ce n'était pas un guerrier, un soldat. « Une mise à mort » lui insuffla son esprit. C'était un civil.
Ses vêtements miséreux se teintèrent de lumière, puis Rey prit enfin conscience de CE bruit à travers le déluge. Elle porta sa main frénétique à sa ceinture, et fut écrasée par une angoisse de mort ; un couteau seul ne pourrait la sauver. La lame de plasma aussi rouge et crépitante que la braise se rapprochait, illuminant sur son passage les nappes d'eau qui inondaient la terre meuble.
- Nous nous rencontrons encore.
Bien que ne l'ayant entendu qu'une fois, la jeune femme reconnut cette voix. Elle réduit définitivement ses espoirs de survie au néant, autant que sa capacité à réagir.
- Il respire toujours, Ren.
Celle-ci, par contre... Le tonnerre éclata et la foudre pourfendit ciel et terre, rompant la nuit un court instant. Six. Six individus masqués et tout aussi vêtus de noir se tenaient derrière la créature tels une ombre fragmentée, des piliers qui ne sauraient vaciller.
- Tu ne m'entends pas ? demanda l'homme masqué. Tu ne devrais pas jouer avec les projections, l'effort te tuera.
Miraculeusement, Rey retrouva une part de réactivité. Un courage suicidaire, compte tenu des circonstances. Se foutant totalement de sa mise en garde incompréhensible à ses oreilles, elle poussa un hurlement grisant.
- POURQUOI L'AS-TU TUÉ !?!
- Lequel ?
Ne saisissant pas ses propos, elle regarda autour d'elle. Elle n'aurait pas dû. Son cœur se glaça d'effroi, jetant la consternation dans son esprit. Une multitude de cadavres gisait la scène, et formait un décors mortuaire. Un tableau parfait, un chef d'œuvre en enfer. Ses jambes cédèrent, ses genoux éclaboussant le sol de sa volonté perdue ; des enfants, il y avait des enfants.
- À qui tu parles, Ren ? s'enquit un deuxième individu.
Rey sortit contre toute attente son couteau, et se l'enfonça profondément dans la cuisse.
- Réveille-toiii !! vociféra-t-elle au désespoir.
- Inutile, commenta l'homme à priori dénommé Ren.
Et il avait raison. La lame de son couteau ne s'était contenté que de traverser son corps et de ressortir sans dommages. Rey n'avait ressenti aucune douleur. Rien d'ailleurs. Seul son cœur pouvait témoigner de l'affliction qui la tourmentait sauvagement. Elle entendait leurs voix hurler. Des voix qu'elle savait comme toutes les autres illusoires, les fruits de son esprit. La folie la guettait.
- Il s'accroche, celui-là, proclama la première voix.
La pilleuse d'épave entendit le détonateur d'une arme à feu, puis le bref gémissement qui en suivit. Il continua à résonner dans ses oreilles, et ses tympans sifflèrent. Un spasme, un haut de cœur, elle voulait vomir.
- Tu m'écoutes ?
Elle sursauta. L'homme masqué s'était accroupi face à elle, la visière de son casque en symétrie avec son visage. Le dégoût était un mot trop faible pour décrire ce que ressentit Rey à leur proximité. Il la répugnait.
La jeune femme rugit :
- NE T'APPROCHE PAS DE MOI !!!
Un phénomène tout à fait étrange se produisit alors qu'elle le repoussa. Contrairement à ce à quoi qu'elle s'attendait, sa main ne rencontra pas le tissu de la robe déchirée, mais la peau brûlante de son torse. Une fournaise. Voilà ce qu'elle toucha. À fleur de peau, mise à nue, sans écailles ni fourrure. C'était bien celle d'un homme.
Le dénommé Ren, qui ne s'attendait pas non plus à un pareil contact, bascula en arrière en voulant s'en libérer, entraînant Rey dans sa chute. Le heurt du corps féminin sur le sien fut un impact électrique, stimulant l'intégralité de ses cellules, et les irradia d'une énergie indescriptible... Mystique. La vibration d'une connexion tendant vers la plénitude. Un souffle de vie.
Avant que l'ombre ne l'encercle entièrement, un cri strident perça l'obscurité et la jeune femme consumée de l'intérieur se débattit, maintenue contre le corps de flammes par de puissants bras.
- ... R- ! REY !!
Elle ouvrit ses yeux aveugles de larmes, hurlant, se débattant. Une poigne de fer la plaqua contre la pierre, et bientôt immobilisée, vulnérable, elle retrouva un semblant de conscience. Finn la surplombait. Finn... Pas lui. Le visage de son ami avait les traits durs, et affichait une appréhension profonde. Le jeune homme avait dû employé la force pour la contenir sans pour autant souhaiter lui faire du mal.
Voyant la lueur de folie dans ses yeux changer, retourner à la raison, il la redressa pour la bercer contre lui. Son étreinte n'était que douceur, comme s'il redoutait de la briser, désespéré par l'incertitude de ne savoir faire ce qu'il faut pour l'aider. Il voulait la rassurer autant que s'assurer d'être à la hauteur, de pouvoir répondre à toutes ses demandes, du moment qu'elle aille mieux.
- Ça va, Rey, ça va, continua-t-il inlassablement de murmurer à son oreille
La jeune femme aux tremblements incessants revint peu à peu à elle. Un rêve. Oui, ce n'était après tout qu'un rêve. Un autre. L'irréel ne devait l'atteindre, car la réalité, elle, était déterminante, infaillible et logique. Elle devait se reprendre, ne pas se laisser atteindre par quelque chose d'aussi illusoire. Sa vie, elle était là, dès qu'elle avait ouvert ses yeux. Elle ne devait pas se tromper.
Rey nageait littéralement dans ses vêtements. Ces derniers empestaient la sueur. C'était une erreur. L'eau était précieuse et elle ne devait pas se déshydrater inutilement. Se sentant sale et à l'étroit, elle voulut repousser Finn. Sans succès. Aucune partie de son corps ne répondit, comme si toute son énergie l'avait quittée, avait été pompée. Elle se racla la gorge pour exprimer clairement sa volonté.
- Tu peux me lâcher, maintenant.
Finn la respecta, mais constata que son amie n'était pas dans son état normal. Tandis que ces tentatives de se lever échouèrent les unes après les autres, il devint évident que ses genoux refusaient de la porter. Le jeune homme voulut entreprendre une démarche, et malgré que la pilleuse se rétracte à cette idée, et il ne resta pas à ne rien faire, à la regarder peiner.
Lorsque Finn la souleva dans ses bras, Rey se sentit incroyablement gênée. Il n'était pas ici question de poids, de capacité, ou encore de contact direct avec un sexe opposé – elle n'éprouvait pas ce genre de sentiment envers le jeune homme –. Il fallait qu'elle accepte d'être faible, et durant un instant, non pas de ravaler une fierté étrangère, mais de concevoir d'avoir un allié, d'accorder sa confiance. D'avoir quelqu'un dans sa vie qui souhaite son bien. Cette découverte la déconcerta. C'était la première fois qu'elle n'avait pas besoin de lutter pour survivre, parce qu'on la protégeait. Elle pourrait tout aussi bien encore rêver.
Finn l'aida à se caler dans un des angles qu'offrait l'habitat dans une position confortable. Du blanc des yeux, Rey le vit s'asseoir à ses côtés. Ils restèrent ainsi un moment, silencieux. Ce n'était pas si appréciable, en réalité.
- Arrête de me regarder comme ça, intima-t-elle en se sentent toujours fixée après plusieurs minutes de mutisme.
Il lui répondit d'un ton sec, dévoré par une inquiétude sous tension.
- Tu ne vas pas bien. N'importe qui le remarquerait. Ça t'arrive souvent ?
- De quoi... ? souffla la pilleuse d'épaves lasse.
- Les cauchemars.
- Pas tellement.
- Tu veux... en parler ? proposa-t-il.
- Pourquoi ça t'intéresse ?
L'arrière de son crâne vint se coller au métal glacé, un apaisement aux souvenirs rappelés à sa mémoire.
- Avant que je ne sois Stormtrooper, nos entraînements étaient durs. Le Premier Ordre visait l'excellence de ses armées, plus réduites qu'à l'époque de l'Empire Galactique. C'était beaucoup trop pour des enfants... Même commencés à leur plus jeune âge. Personne ne nous protégeait de ce que notre esprit nous montrait la nuit... Et ce n'était pas quelque chose qui se faisait. De... raconter.
Rey l'écoutait attentivement. Ressasser n'avait rien de reluisant. Pour l'un comme l'autre. Elle le comprenait sur ce point, au moins. Alors, elle soupira sur son aveu.
- Ma famille. Il m'arrive de rêver d'elle.
Finn hésita, redoutant de faire une nouvelle gaffe en abordant le sujet.
- Ils sont... esclaves ?
- Qui sait !? s'exclama Rey d'une voix neutre. Je ne les ai pas vus depuis des années. Pas depuis qu'ils m'ont laissé sur Jakku.
Finn voulut dire quelque chose, mais il se retint, de peur de la réaction que pourrait avoir son amie.
- Tu peux le dire, l'encouragea la pilleuse d'épave en devinant le fil de sa pensée. « Pourquoi attends-tu ceux qui t'ont abandonné ? ». C'est la vérité après tout.
- Je savais pas... Je suis...
- Si tu t'excuses encore une fois, le coupa-t-elle froidement, je t'arrache la langue et je la donne aux Steelpekers.
Bien que l'ancien Stormtrooper ne soit nullement impressionné par la jeune femme lorsqu'elle n'arborait pas un bâton, il croyait cependant en ses mots et n'ajouta rien. Penser à ces oiseaux charognards au bec d'acier le faisait frémir.
- Vendue par ses propres parents... , accorda-t-elle en se plaquant à son tour contre le mur de métal. Qui peut accepter ça... ?
Elle laissa échapper un rire franc, incontestablement ironique, avant de reposer sa tête sur ses deux genoux ramenés à sa poitrine. Le visage caché, elle semblait exténuée.
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