ŒUFS AU PLAT, 300 g
Vingt-huit juin 2013 – AVEC ROMAIN
Tout allait bien dans le meilleur des mondes. C'était étrange. Romain avait fini les cours le 8 juin, et avait pu profiter des cinq premiers jours de vacances avec sa récente bande d'amis au lycée. Ils avaient fait du skate, avaient fumé, avaient participé à des soirées. Une routine qu'appréciait Romain pour son confort. Il n'était jamais torché mais regardait toujours ses potes l'être. Le quatorze, Claire, Maël et lui avaient rejoint la maison de vacances en Normandie de Claire. Enora arrivait pour l'anniversaire de Romain et tout allait bizarrement bien entre eux.
Ce n'était pas comme avant. Enora passait la plupart de son temps avec Maël mais ils parvenaient quand même à discuter de choses simples sans avoir de blancs.
Mais Romain était jaloux. Il était retombé comme une merde. Pendant les vacances d'été de troisième, il était sorti avec une fille nommée Paloma qui sortait aussi d'une mauvaise expérience amoureuse. Elle était superbe, un peu trop futée pour lui mais géniale. C'était comme un pansement à ses peines de cœur. À la fin de la colonie de plongée, il s'était musclé et avait bronzé. Il devait bientôt rentrer à Paris. Avec Paloma, ils avaient rompu à la fin des vacances sur un commun accord. La distance les aurait sûrement séparés s'ils étaient restés ensemble.
Romain l'avait trouvée chouette comme fille. Il aurait pu l'aimer réellement s'il n'avait pas cette idée d'oublier Enora à tout prix. C'était difficile à faire car elle était gravée dans son cœur.
Puis, un soir, il avait tout simplement arrêté de penser à elle. Paloma avait 17 ans et lui avait expliqué tout ce qu'il fallait savoir dans l'art des baisers. Il vit qu'Enora s'éloignait de son cœur. Et ça lui redonnait beaucoup de courage pour la suite de l'année qu'il devait affronter.
Mais il ne la confronta jamais réellement. Dès la rentrée, elle l'avait ignorée. C'était inhabituel et Romain ressentit le manque de cette amitié. Mais il s'était fait une nouvelle bande de potes et avait enfoui le vide qu'elle avait creusé avec des délires avec d'autres personnes.
Quelques fois, il faisait le trajet au même moment qu'elle. C'était par hasard au début mais il retenait les heures et les jours. Il voulait la voir parce qu'elle lui manquait. Enora était son amie avant tout et c'était terrible de la voir disparaître de sa vie.
Il l'observait dans la cour parfois. Beaucoup au début mais plus trop après. C'était trop dur à voir. Elle restait collée à Maël ; Romain eut souvent la sensation d'être remplacé. Il ne l'avait jamais remplacée, elle. Jamais. Et ça lui avait mis dans un état de rage silencieuse. À partir de ce moment, il s'éloigna légèrement de Maël pour se concentrer sur ses nouveaux amis.
Il restait Claire. Elle traînait avec les jolies filles. Pas aussi jolies qu'Enora mais elles étaient jolies. Cependant Romain ne voulait pas sortir avec n'importe quelle fille. Il voulait tomber amoureux sans se forcer à tomber. Avec Claire, l'année dernière, il avait retenu la leçon. Alors il n'avait jamais franchi le pas avec quiconque cette année-là. Et sûrement pas avec Capucine qui fut la plus obstinée à le faire tomber. Et vu que Claire traînait de moins en moins avec lui, il avait arrêté de la fréquenter en dehors du lycée avec le reste du groupe éclaté.
Et Enora lui manquait à la folie. C'était lâche. Une fois, il était resté cloué sur son lit à se demander s'il devait envoyer un message. Elle l'ignorait et le « salut ça va ? » sonnait terriblement faux. Il ne fit rien de tel.
Alors il laissa la chose couler. Jusqu'à ce qu'arrivent l'anniversaire de Claire et tous les jeudis qui suivirent.
Une fois, ils s'étaient parlés. Le reste du temps, ils se regardaient. Et plus il la regardait, plus il se rappelait de pourquoi il était tombé amoureux. Et plus il se le rappelait, plus il retombait.
Il se rendit compte qu'il était retombé amoureux, très lucidement, en mars avec les soirées qu'ils organisaient dans l'espoir de la voir arriver avec sa correspondante. Mais l'Américaine venait toujours seule. Pour l'anniversaire de la belle, il avait fait attention à ne pas mettre de t-shirt pendant le Skype. C'était sacrément puéril et bête, surtout qu'elle ne regardait que Maël, assis sur le même lit.
Puis de retour des Etats-Unis, les tendances s'inversèrent. Maël s'éloigna légèrement de tout le monde. Il restait présent mais pensait à autre chose. Romain ne se sentait plus assez proche de lui pour lui demander pourquoi.
Et puis, Enora, elle, elle lui reparlait. Elle faisait des efforts pour de vrai. Elle venait à quelques unes de ses soirées et elle faisait la connaissance de l'autre bande d'amis de Romain. Romain les aimait bien. Ils savaient s'amuser, ils savaient lui faire passer un bon moment au skate. Ils étaient des amis cools avec qui traîner.
Les mois passèrent. Le groupe ressemblait à nouveau à un groupe. Claire invita les trois en Normandie. Tout le monde accepta malgré le fait qu'Enora arriverait plus tard que les autres. Et ce fut ainsi, qu'ils décidèrent de partir ensemble, parisiens bobos, à la pêche aux moules normandes.
***
Romain avait reçu le message d'Eno' pendant la matinée. Il portait une tenue simple et son maillot de bain en bas. Il hésita à se changer lorsqu'il lut qu'elle était sortie du train et assise accessoirement dans un taxi en direction de la maison de Claire. Il finit son petit-déjeuner avec rapidité, sentit son haleine, décida de ne pas réveiller Claire ou Maël qui dormaient toujours à poing fermé. Il était à peine neuf heures.
De plus, il voulait l'avoir pour lui quelques instants avant de redevoir voir Enora se jeter dans les bras de Maël comme elle le faisait si souvent.
Pour ces vacances, il s'était clairement donné l'objectif de reconquérir son amitié. Il ne voulait plus être remplacé par Maël. C'était égoïste mais voir se faire voler sa place dans le cœur de celle qui représentait la prunelle de ses yeux, il n'y arrivait pas. Il n'y arriverait sûrement jamais depuis qu'il était retombé.
Le taxi s'arrêta une vingtaine de minutes plus tard. Romain attendait déjà avec les clefs, assis dans l'herbe. Son nez lui grattait. Enora sortit de la voiture avec ses valises et ses lunettes de soleil. Elle s'était faite un joli chignon que Romain adorait déjà de loin. Il ouvrit la porte d'entrée avec empressement et puis, il ne sut plus rien faire.
Elle lui souriait beaucoup. Peut-être parce que c'était l'effet des vacances qui faisait que tout avait l'air d'avoir fait changer la donne. Elle lui fit la bise. Il sentit son parfum. Le parfum d'Eno', son favori. Il sentit le déluge de sensations dans son corps mais tout s'amplifia lorsqu'elle lui murmura : « T'as 16 piges maintenant Romain, joyeux anniversaire ! ».
Mince, Romain était dans la merde pour ces vacances si ça continuait sur celle lancée.
- Tu t'es fait tout beau pour aujourd'hui dis donc, remarqua-t-elle avec un sourire amical.
Le compliment lui fit rougir les oreilles. Il baissa les yeux. Elle n'avait pas l'air de se rendre compte à quel point chaque mot prononcé par elle pouvait l'impacter, lui et ses réactions.
Il déglutit lorsqu'elle remit son chapeau de paille. Bon dieu qu'elle était belle. Elle était juste tellement... elle.
La voir et l'entendre lui parler lui suffisaient pour une fois. Son sourire débordait. Ses yeux brillaient. C'était le plus beau cadeau au monde de l'avoir sous les yeux. Il avait grandi durant l'année et la dépassait d'une bonne tête. Elle portait une combinaison fluide kaki et souriait au soleil.
- Maël est debout ? Je sais que Claire dort toujours jusqu'à midi, interrogea-t-elle.
La joie fut de courte durée. Elle reparlait déjà de Maël.
- Ils dorment encore... Hm... Ça te dit de te promener sur la plage ? Je mets les valises dans le salon, proposa-t-il en essayant d'avoir l'air persuasif.
Elle accepta avec hésitation puis lui rappela qu'elle pouvait très bien mettre ses valises dans le salon, seule, mais que c'était gentil de sa part. Ils partirent tous les deux vers la plage à pied. Il ne fallait que descendre la rue et ils y étaient : un petit bout de plage privée de la famille de Claire, rien que pour Romain et elle en cette belle matinée de ses seize ans.
Il faisait assez chaud pour sortir à manches courtes mais assez frais pour qu'ils ne transpirent pas comme de gros porcs. En tout cas c'était l'avis de Romain qui résistait bien à la chaleur car en réalité, c'était un de ces jours de canicule où le soleil tapait déjà fort dès le matin.
- Ça fait longtemps qu'on a pas eu un moment à deux, avoua Romain légèrement hésitant.
Elle lui sourit tristement.
- Ouais, le seul vrai moment sans d'autres amis autour date d'il y a un an jour pour jour...
Pour elle, ça avait l'air de remonter à loin. Pour lui, c'était encore trop proche. Et ça le rattrapait toujours. En fait, depuis qu'il était tombé, il se faisait rattrapé par tout ce qui lui arrivait. Il savait qu'il n'avait pas merdé en le lui avouant mais ça lui faisait mal de se dire qu'en se confiant, elle s'était fermée à lui sans scrupule.
- Je t'ai pas un peu manqué ? tenta-t-il avec un sourire enjoué.
Enora redoubla son sourire et montra même ses dents.
- Un peu un peu, « à qui Romain ne manque pas ? » est la vraie question.
Elle lui donna une petite bourrade dans les côtes. Le contact familier lui réchauffa le cœur. Elle lui avait tellement manqué.
- Pfff n'importe quoi ! se défendit-il.
- Les filles au lycée sont folles de toi, mon dieu, elles crient de bonheur quand tu passes dans les couloirs ! assura-t-elle en les imitant.
Romain cligna des yeux plusieurs fois. Quelque chose planait entre eux. Un tabou. Le tabou de ses sentiments. Mais il l'étouffa avec un sourire parce que tout roulait sur cette plage. Ils s'assirent et elle lui raconta sa semaine de stage artistique. Il savait qu'Enora était douée. En fait, il n'avait jamais douté de son talent, c'était lui qui passait des heures à dessiner avec elle, enfant.
- Alors, Claire et toi ? demanda-t-elle soudainement.
Les yeux de Romain s'écarquillèrent. De quoi parlait-elle ?
- Vous allez bien ensemble. Et vu que t'as tourné la page sur moi, je pense que ça serait bien que vous vous lanciez sur de bonnes bases cette fois ! Vous seriez mignons à croquer, le plus beau couple du lycée, affirma la brune.
En fait, il ne voyait absolument pas de quoi elle parlait. Il pensait savoir cacher son jeu mais pas à ce point. Lorsque leurs bras se frôlèrent, le cœur de Romain manqua un battement. On aurait dit un petit puceau avec son premier amour. Et bah, c'était un peu le cas, Romain était puceau et tentait désespérément de comprendre la première fille qu'il n'ait jamais aimé.
- J'ai pas la tête à ça en ce moment, répondit-il sérieusement en regardant l'étendue d'eau devant lui.
Enora le dévisagea. Il sentait son regard en pleine observation de son visage.
- On se baigne ?
Romain proposait le tout pour le tout pour oublier cette discussion pénible. Il ne voulait pas sortir avec Claire. S'il le voulait réellement, il serait déjà avec elle depuis longtemps. La chose était que depuis la 3ème, planait et persistait une tension sexuelle entre les deux. Ce n'était pas gênant pour Romain mais Claire avait l'air de le vivre autrement. Quelques fois ils se mataient, d'autres fois, ils se collaient sans s'en rendre forcément compte.
- J'étais sûre que t'allais me le proposer. J'ai mon maillot sur moi. Enora devine toujours tout ! clama-t-elle en riant.
Il enleva son t-shirt. Et l'instant d'après, il la vit regarder son torse puis tourner le regard ailleurs. Romain rougit subitement parce qu'Enora ne l'avait encore jamais regardé de cette manière-là. Ils partaient souvent en vacances ensemble, et jamais elle ne l'avait dévoré du regard. Elle enleva sa combinaison et Romain dût cligner plusieurs fois de yeux pour ne pas loucher sur son corps splendide.
C'était bizarre comme situation mais ils entrèrent dans l'eau quand même et Romain tenta de noyer plusieurs fois Enora. Une fois, ils se sautèrent dans les bras. Il avait le cœur qui battait à tout rompre. Les vagues arrivaient mais Romain sentait également le cœur d'Enora battre à vive allure. L'instant où ils échangèrent un profond regard vibrant fut magique jusqu'à ce que la vague ne s'abatte sur le duo, rompant toute magie.
Une autre fois, il nagea vers elle et l'attrapa par la taille. Elle était fine et sa peau était douce. Ses doigts caressaient sa taille instinctivement. Il l'avait déjà fait avec Paloma. Enora ne fit rien et lui éclaboussa de l'eau au visage.
Une dernière fois, elle tenta de le soulever et de le jeter dans une vague. Sans grand succès, elle le serra contre elle et tout le corps de Romain bouillonna. Sa vue se flouta lorsqu'il passa une main dans ses cheveux. Le contact fut troublant.
Ils sortirent de l'eau exténués et complètement déboussolés. Ces minutes avaient été les plus intenses de sa vie. Rien de comparable à son vécu jusqu'alors. Le chemin du retour sur la plage se fit dans un silence inhabituel. Enora avait l'air perdue dans ses pensées. Puis, elle tenta de faire quelques croche-pieds au brun et il se ramassa dans le sable.
Elle tenta de l'aider à se relever mais Romain tira sur le bras tendu. Elle tomba sur lui. Ça faisait beaucoup pour Romain en une matinée. Un peu trop pour son cœur. Puis... elle était si proche et ses cheveux sentaient l'océan.
- T'as du sable sur le nez, se moqua-t-elle en louchant.
Ils rirent ensemble. Il sembla à Romain qu'il pouvait l'embrasser à tout instant. Ses yeux étaient plongés dans les siens. Son souffle se coupa lorsqu'elle enleva le sable de son visage et qu'elle promena ses doigts sur sa peau.
Mais, au bout d'une petite minute, elle se releva et aida le garçon à se relever sérieusement.
Le cœur de Romain battait à tout rompre. Il l'aimait terriblement.
- Hé attends-moi Eno' la noix de coco !
Elle se retourna et afficha un sourire. Ça faisait longtemps qu'il ne l'avait pas vue sourire autant avec lui. Son corps se réchauffa et un frisson parcourut sa colonne. Il adorait ces moments, juste elle et lui, ici.
Sur le chemin du retour, trempés, ils durent faire attention à ne pas mettre du sable partout dans la maison. Maël était debout et tout son visage s'était éclairci en voyant Enora débouler dans la maison. Claire dormait toujours comme d'habitude.
Romain dut observer la scène en silence. Maël et Enora en train d'échanger des blagues, se raconter leur vie et parler du programme des journées à venir. Le duo avait l'air inséparable.
Toute cette matinée de complicité semblait bien loin soudainement.
Il avala sa rancœur et alla prendre sa douche, le cœur soudainement beaucoup plus lourd. Romain repensa au regard d'Enora, à leurs peaux qui s'entrechoquaient, à leurs regards et à son contact avec ses cheveux. Il n'arrivait pas à les enlever de son esprit. Était-ce réellement arrivé ? Aurait-il dû l'embrasser ? Et si Maël l'embrassait avant lui et qu'il lui volait Enora ?
C'était difficile pour Romain de se rendre compte qu'Enora n'était à personne à part elle-même. En fait, c'était difficile de se dire que pendant toute une matinée, il l'avait crue pour lui avant de devoir la « partager » à toutes les personnes dans cette grande maison en Normandie.
En sortant de la douche, il regarda ses cheveux bruns qui avaient des reflets plus roux ces temps-ci. Il contracta ses débuts de muscles devant le miroir. Il regarda ce corps dont il essayait de prendre soin. Il compta ses abdos visibles. En fait, son corps le rassurait légèrement. Maël le dépassait en tout, intelligemment, au niveau du bon caractère et bien encore. Mais Romain avait le droit d'affirmer qu'il était plus musclé. C'était bête mais c'était la seule chose qu'il lui restait en se comparant à son ami.
Il repeigna ses cheveux et redescendit.
En bas, il posa son regard sur Enora après avoir pris une douche dans l'autre salle de bain, en train de manger des bonbons œufs au plat. Elle montra le paquet à Romain qui en goba plusieurs d'un coup. Il les adorait ces petits œufs au plat.
Midi. Claire descendit les marches quelques minutes plus tard, en pyjama et en s'étirant. Elle sourit en voyant la jolie Enora.
Le soleil illuminait la maison.
Peut-être que c'était ça. Le groupe avait éclaté il y a un an. Et là, il se recollait progressivement. Romain y croyait réellement : Eno' était peut-être le fameux lien qu'ils avaient tous attendu trop longtemps.
nda: vos ships???
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