TIRLIBIBI, 750 g



Trois mars 2014 – EN COMPAGNIE DE MAËL

Maël faisait encore des cauchemars parfois. Alors qu'il n'en parlait jamais en réalité, la nuit le rattrapait pour lui ressasser ses démons. Il détestait ça. Il détestait ce que les cauchemars lui privaient. Pour lui, rêver lui permettait de s'évader depuis tout petit.

Quelques fois, il rêvait que rien n'était réellement arrivé. Il oubliait tout durant une nuit. Mais en se réveillant, avec la langue pâteuse, les images défilaient. L'intrusion, la douleur, la violence et son appel au secours sourd. Maël était dévasté. Depuis des semaines, il ne dormait plus.

Et ça faisait pile à un an qu'il avait embrassé pour la première fois un gars. Et pas n'importe qui, celui qui lui avait privé de toute confiance, de toute assurance, de tout espoir en une adolescence tranquille.

Il s'épargnait les détails et ne racontait jamais rien de cet après-midi là à Eno'. Il aurait dû porter plainte mais il n'en avait pas les couilles. Il ne voulait pas être le gars « qui s'était fait violé ». Puis il ne voulait pas d'un coming out pareil, hors de question, il voulait juste fuir et oublier tous ces putains de problèmes.

Mais en cette matinée ensoleillée du trois mars, Maël fêtait ses dix-sept ans. En se réveillant, il avait les yeux trop secs pour verser des larmes. Ses seize ans avaient été la pire année de sa vie. Ça avait bien commencé pourtant, l'arrivée au lycée n'avait pas été si terrible. Mais le blond était persuadé que la S ne lui allait plus. Mentalement, il n'était plus qu'un bon à rien.

Alors en ce trois mars 2014, en arrivant au lycée vingt minutes en avance, il passa d'abord dans le bureau du responsable du cycle qui triait des documents pour son cours d'histoire. Maël toqua à la porte brièvement avant d'entrer. Il s'assit sur la chaise que Monsieur Villard montra.

- Qu'est-ce que je peux faire pour toi, mon garçon ?

La question résonnait dans les oreilles de Maël comme une fin. Ses premiers instants dans la peau d'un mec de dix-sept ans servaient à abandonner son rêve d'être chirurgien en cardiologie. Il allait abandonner tous ses plans en cette matinée de fin d'hiver.

- Je peux pas continuer en S, avoua Maël les yeux baissés.

C'était sorti de sa bouche comme une plainte. Il s'en voulut d'abandonner. Il se détestait à un tel point qu'il en perdait la notion de « s'apprécier » depuis ce séjour en Amérique.

- T'as les notes pour pourtant, une moyenne de 13,2 au premier trimestre, et tu es à 13,8 ce trimestre, c'est bien comme début, remarqua le responsable.

Maël savait qu'il avait les notes pour. Il le savait. Il savait que s'il faisait encore un petit effort, il serait en tête de la classe comme il l'avait toujours espéré toute sa vie. Au collège et en seconde, les matières littéraires baissaient sa moyenne générale. Aujourd'hui en S, il n'aurait jamais dû s'inquiéter.

- Je peux pas. Plus j'avance, plus je me dis que mes portes se referment. Même mes rêves de gosses monsieur. Dans ma tête, tout était tracé et là, j'ai juste l'impression d'avoir tout oublié. D'avoir tout refermé.

Les mots lâchés, Maël essuya ses débuts de larmes. Ses yeux rougissaient et il avait très mal partout. Sa vue se remplit du liquide salé et tout son être arrêta de respirer lorsque Monsieur Villard le fixa sérieusement.

- Jeune homme, je pense qu'on pourra en discuter avec vos parents. Et où voudriez-vous aller à la place de la S ? Nous sommes dans un privé général et votre potentiel est là.

Maël n'en savait rien.

- Je ne sais pas.

Ce qu'il voulait ajouter c'était qu'il voulait juste tout arrêter, se lamenter sur son sort. Il en pouvait plus de combattre ça chaque jour en vain. S'accrocher à ses études pour finir par ne plus dormir la nuit, il ne le supportait plus. Maël était détruit.

Il sortit du bureau encore plus déboussolé qu'il ne l'était et passa dans les toilettes pour se passer de l'eau sur le visage. Ses yeux étaient gonflés et il n'était pas prêt à affronter les regards inquiets de Claire ou Romain dans sa classe.

Alors il s'enferma dans une cabine et appela Enora. Il était 8h17, les cours débutaient dans une dizaine de minutes. Peut-être qu'elle viendrait à sa rencontre. Maël avait réellement besoin d'elle sur le coup. Il avait passé toute son année à s'enfuir à travers des livres. Aujourd'hui, il se prenait tout dans la face.

Maël en avait marre d'être malheureux, de devoir le cacher et de continuer à vivre ainsi, sans savoir comment se réparer.

Enora déboula dans les toilettes des hommes toute essoufflée. Elle toqua dans toutes les cabines et rentra dans celle de Maël.

- Hey, débuta-t-elle en lui souriant tristement.

Elle seule pouvait le comprendre. Une fois, il avait hésité à en parler à Claire mais ce n'était plus pareil entre elle et lui. Et puis Romain le prenait toujours de haut et ça lui faisait mal de se sentir bas. Et c'était tout con parce que si Maël lui disait qu'il aimait les garçons, Romain arrêterait de l'embêter sur le sujet d'Eno'. Mais Maël n'arrivait plus à se confier à quiconque à part la brune qui avait toujours été là à ses côtés dernièrement.

- Joyeux anniversaire Maëlou, chuchota-t-elle en le prenant dans ses bras.

Il se mordit la lèvre pour ne pas pleurer parce qu'il ne voulait pas avoir l'air pitoyable face à sa meilleure amie. Et puis, il était grand maintenant, 17 ans, il sentait qu'il grandissait et ça lui faisait peur. Maël aimait bien quand il avait 15 ans et qu'il se fichait de tout devant Mario Kart.

- Nouveau départ d'accord ? tenta-t-elle en caressant ses cheveux.

La voix d'Enora l'apaisait. Elle lui rappelait qu'il n'était pas seul face à ses problèmes. Lorsqu'il ressortit de la cabine et que sa montre affichait 8:30 il s'en voulut d'avoir retardé Eno'. Il s'excusa maintes fois dans les escaliers puis rejoignit sa classe, dépité.

***

La vie de Maël n'était pas toute noire non plus. Quand la bande était réunie, il se sentait bien mieux. Il pouvait même rire ou sourire naturellement. L'effet que certains amis avaient sur lui était surprenant. Il avait même oublié ses soucis pendant les journées d'été en Normandie.

Mais lorsqu'il était face à soi-même surtout devant une glace, tout le mal l'étouffait. Et les images revenaient en mémoire. L'intrusion, la douleur, la violence et son appel au secours sourd. En boucle.

De retour en France, il était resté dans un déni constant avant de se rendre compte qu'il avait peur qu'on le touche. Qu'il avait peur quand Enora lui faisait la bise. Alors il s'efforça d'aller mieux.

Là où il se sentait le moins bien restait les moments où il faisait comme si de rien était avec sa mère. Avant, il confiait tout à elle. Mais il ne voulait pas qu'elle sache qu'il aimait les garçons. Elle, sa gentille mère catholique qui peinait à payer le loyer trop cher sans subventions. Sa mère qui lui disait que les homosexuels étaient des gens formidables mais qu'ils n'allaient pas lui donner de petits-enfants sans mère porteuse.

Maël réglait toujours ses problèmes lui-même. Il se démerdait toujours. Et pour la première fois de sa vie, il n'y arrivait plus et ça lui faisait mal de se rendre compte qu'il n'était pas assez fort pour supporter cette épreuve, seul.

En réalité, il ne savait pas comment vivre avec ce cauchemar hantant ses esprits. Il ne savait plus qui il était et ne savait plus ce qu'il voulait être. Maël se perdait. Maël se dégoûtait en se regardant dans le miroir. Maël se voyait se briser un peu plus chaque jour.

***

Lorsqu'il rejoignit Enora chez elle, il salua mollement la famille de son amie pour atteindre directement la chambre de la brune. Elle ouvrit le boîte de bonbons tirlibibi en silence et lui en passa. Il refusa poliment, n'ayant pas faim. Elle insista en lui faisant remarquer qu'il avait maigri et qu'elle s'inquiétait réellement pour lui. Alors il mangea un bonbon en réglisse qu'il trouva affreux.

- Claire veut venir fêter ton anniversaire tu sais ? Elle va ramener Romain. Elle a remarqué que t'étais pas bien aujourd'hui Maël... Elle est très inquiète, déclara la jolie brune en refermant la boîte.

Il sourit, touché.

- Vous êtes formidables Eno'.

Maël trouvait qu'il ne méritait pas d'amis portant tant d'importance à lui faire ressentir un brin de joie.

- C'est toi le plus formidable Maëlou, alors arrête de te rabaisser. On est lundi, faudra pas qu'on se couche trop tard mais ça va être bien ce soir, promis, on va te rappeler à quel point tu comptes pour nous.

Enora et Maël s'échangèrent un long regard durant lequel Maël se contenta de lui sourire.

- T'es pas seul Maël, ne l'oublie pas.

L'interphone sonna et Eno' alla ouvrir. Maël ferma ses yeux pour oublier qu'il n'allait pas bien. Devant ses deux autres amis, il devait avoir l'air normal. C'était l'effort qu'il devait faire pour pas mourir intérieurement face à eux.

Claire se jeta sur lui. Romain arriva avec des donuts et tout le monde se servit. Même Maël qui en croqua un bout. Enora mit un peu de musique et les filles dansèrent en gloussant. Romain n'aimait pas danser alors il ne fit que mater Eno'.

Depuis l'été, Maël ne considérait plus Romain comme un ami proche. C'était devenu un pote. Il n'aimait pas le fait que Romain se serve de la bande comme prétexte pour passer du temps avec Enora. Ça crevait les yeux qu'il préférait sa nouvelle bande de potes populaires remplis de gars qui se la prêtaient plus haut que leurs culs.

Au fond, Maël s'en voulait de penser ainsi mais il trouvait qu'à ce stade de leur relation et en connaissant Enora, Romain se comportait juste comme un con à faire des crises de jalousie injustifiées. Peut-être que Maël avait été très malheureux de perdre un ami cher un jour d'été. Peut-être que Maël s'était senti abandonné et trahi de voir que cette amitié était assez fragile pour se détériorer.

Avant, Maël était toujours le premier à montrer ses talents de danseur. Aujourd'hui, il fit un petit moonwalk sous les applaudissements des filles. Claire et lui s'isolèrent pour discuter lorsqu'Enora et Romain sortirent fumer une clope au balcon, les parents sortis. Elle lui raconta étonnement sa vie sans tabou.

- Ethel est amoureuse de moi et je ne lui parle plus vraiment. En fait, je sais pas si t'as remarqué mais j'ai vraiment arrêté de m'asseoir à côté d'elle depuis qu'elle m'a envoyé un message pendant mon anniversaire. C'est compliqué elle et moi, quelque fois, je la trouve vraiment belle et je me dis que peut-être... tu sais, si je dépasse toute cette merde de préjugés, peut-être que je pourrais tenter, mais je sais pas tu sais. Vraiment, je ne sais pas. Je veux pas jouer avec elle, je veux pas lui donner de faux-espoirs. Je me cherche encore et je veux pas briser le cœur de quelqu'un juste pour un « test ».

Maël trouvait ça réconfortant de voir Claire espérer et faire attention à ne pas faire souffrir en amour. Il la trouva géniale. Elle lui ressemblait finalement. Les préjugés tout ça. Et ça lui fit mal de ne pas oser se confier à elle.

- Dis Maël, pendant que les deux autres sont encore en train de se chercher, je peux t'avouer un truc ?

Il acquiesça. Il ne pouvait rien refuser à Claire. C'était sa première véritable amie dans sa vie.

- Tu me manques. Voilà, c'est dit. Vraiment, Maël tu me manques beaucoup... Tu sais, quelques fois, je ne sais même plus si je peux me confier à toi parce que je sais que tu ne te confies plus à moi. Et puis, tu sais, je sais qu'Enora m'a remplacée au fond de toi. Je suis plus ta meilleure amie. Et cette place me manque vraiment. Et je me demande pourquoi on s'est éloigné ainsi. Et je me dis que c'est ma faute, que j'aurais jamais dû sortir avec Romain en troisième, peut-être que ça part de là. Ça fait deux ans que je cherche mes repères sans les trouver. T'es dans un monde où je n'arrive plus à entrer, et ça me fait mal parce que tu es Maël et que bon sang, j'adore les Maël et je t'adore en particulier.

Les mots sortaient avec tant de naturel, avec tant de douceur avec la jolie voix tremblante de Claire que Maël dut fermer ses paupières pour profiter de l'instant où son cœur se réchauffa. Elle retenait ses larmes comme lui.

- Tu me manques aussi, avoua-t-il.

Et il le pensait, sincèrement.

Il y avait ce genre d'amis qui vous marquait jusqu'au fond des tripes. Enora était ce genre là d'amie. Mais Claire, c'était Claire. Et dans le cœur de Maël, elle était irremplaçable. Ça lui fit mal d'entendre les mots de la blonde tout en sachant qu'elle n'avait pas commis de fautes. Que si tout avait changé, c'était la sienne de faute. Le blocage qu'il s'imposait, ça ne venait que de lui.

- Quelque fois, j'ai l'impression que je prends l'adolescence dans la gueule et je me retrouve plus. Quelque fois, je sais plus qui je suis et c'est là que tu me manques vraiment Clairounette. Parce qu'avec toi, je me retrouve toujours, se confia-t-il honnêtement.

Ils se serrèrent dans les bras en silence et Claire lui embrassa la tempe. Il était Maël avec Claire. Il se retrouvait un peu dans tout ce tas de pensées brouillonnes.

Après ça, Maël prit des bonbons, fit une partie de Jungle Speed avec ses amis et trembla lorsque son gâteau arriva. Sa mère venait de lui envoyer un message avec une photo de lui, petit, souriant et innocent.

Ça lui fit bizarre d'être entouré et d'avoir le sentiment d'avoir grandi.

Ils chantèrent en cœur la chanson de tous les anniversaires. Maël se sentit bien pour une fois, parmi sa bande à quatre et oubliant ses soucis. En fait non, ils restaient gravés dans son esprit. Mais pour une fois, Maël fit un premier pas pour les surmonter.

En croisant le regard de ses deux amies, il se sentit rassuré.

Pour la première fois depuis deux ans, Maël se rappela qu'il avait la chance d'avoir de véritables amies comme Eno' et Claire. Qu'il n'était pas vraiment seul et qu'il y avait un peu d'espoir pour se retrouver tel qu'il était au fond.



nda: double-update ce soir, j'étais inspirée aha; en bref maël jlm, protégeons-le cet être precious

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