SURFFIZZ, 225 g

Vingt-six mars 2014 – EN COMPAGNIE D'ENORA

Enora tentait ces derniers temps d'organiser sa vie du mieux qu'elle pouvait. À part les cours, les clopes roulées et le temps passé aux cours de théâtre, elle s'était motivées à s'inscrire à des cours de yoga avec sa mère. Le soir, elle s'accordait un temps pour envoyer une citation d'artiste qu'elle aimait bien à Maël pour l'encourager à aller mieux – trucs clichés qu'il aimait bien recevoir. Quand elle pouvait, elle faisait du shopping avec Claire. Du côté de Romain, elle le voyait aux soirées qu'il organisait à un étage de chez elle.

Mais ces derniers temps, Maël tentait désespérément de chambouler cet équilibre. Maël avait été clair : Romain profitait de la bande pour traîner avec elle. Et c'était malhonnête de sa part, car il nourrissait l'artifice d'une bande à quatre formidable. Enora trouva Maël dur avec ses mots, persuadée qu'il exagérait. Mais elle n'était pas une fille dupe : au fond, il avait raison.

D'un autre côté, Maëlou avait été clair sur un autre sujet. Pour lui, Romain et Enora étaient assez grands pour régler leurs soucis convenablement et que tous les deux avaient l'air de s'aimer assez pour faire vivre un truc. Ce « truc » était abordé de plus en plus souvent dans les discussions avec Maël et même le jour de l'anniversaire d'Enora, alors que tous deux partageaient un paquet de surffizz, ou appelés dans le jargon, langues de chat.

-       Tu sais, le fait que tu lui aies foutu un gros râteau en troisième ne devrait pas t'empêcher de changer d'avis deux ans après. Fin, c'est clair et net pour moi, tu dénies tes sentiments, lança-t-il.

En parler ne dérangeait pas Enora. Ça lui faisait du bien presque de voir Maël s'accrocher à un autre sujet et retrouver les fondements de son attitude d'autrefois. Avant son anniversaire, celui-ci ne se préoccupait plus de rien, à part ses bouquins. Aujourd'hui, il retrouvait ses manies à vouloir régler les histoires de couple et donner du sens à certaines amitiés plus que d'autres. Et c'était un très bon premier pas.

Toutefois, au niveau du cœur, Enora ne sentait pas forcément bien. La discussion la piégeait pas mal. Parce que oui, depuis la Normandie, le lien entre Romain et elle devenait de plus en plus ambigu. Une fois, à la plage, elle s'était même attendue à ce qu'il l'embrasse tant ils étaient proches et il la dévorait des yeux. Elle eut honte d'elle toute la soirée qui suivit.

Mais Eno' était effrayée par ce que pouvait ressentir Romain. Elle restait la fille qui ne voulait pas se mettre en couple, habituée à son célibat bénéfique. Mais maintenant qu'elle ressentait peut-être quelque chose, elle ne voulait pas non plus engager le pas.

-       Romain m'aime trop. Je veux pas faire ma fille égocentrique et caetera mais Maël, c'est vrai il m'aime trop et je ne veux pas qu'il soit avec une fille qui ne l'aime pas assez, avoua-t-elle.

Elle accepta le bonbon que lui offrit Maël et se tut en le dégustant. Elle adorait ces bonbons, bon dieu.

-       En gros, t'as peur de répéter le schéma Romain-Claire de troisième ? OK, je pige. Mais bon, Eno', si tu l'aimes « pas assez », c'est bien parce que tu ne te donnes pas le droit de l'aimer de tout ton cœur, révéla Maël.

Le blond attendit une réflexion ou objection de la part d'Enora, mais celle-ci, trop perdue dans ses pensées, analysait chaque mot de Maël. Si Claire lui avait dit ces mots, elle aurait trouvé ça agaçant et se serait déjà mise à proposer une exposition à faire. Mais là c'était Maël et pour Enora, tout ce que Maël lui disait, développé ou non avait un semblant de vérité. Son ami pouvait presque la connaître mieux qu'elle et ce n'était pas terrifiant à ses yeux. Elle savait qu'il serait là, auprès d'elle, quoi qu'il en coûte. Bien sûr, il pouvait avoir faux par moment, mais il n'était jamais loin de la vérité.

-       Si tu veux j'ai quelques exemples, proposa le blond.

Enora acquiesça, prête à encaisser.

-       Quand tu vas le voir en soirée, tu l'évites. Je le sais, il m'en parle pour me prouver que tu passes plus de temps avec lui pendant ton temps libre que moi – Maël leva les yeux au ciel – Il m'a expliqué que quand tu le croisais et qu'il essayait de lancer une discut', tu rougissais et fuyais le sujet. Maintenant, parlons de la Normandie. Aaaaah la Normandie. À chaque fois qu'on y va, votre tension sexuelle elle me rend nerveux, sérieux, j'ai hésité à lancer des « BAISEZ LES KIDS, Y A UNE CHAMBRE EN HAUT » haut et fort à pleurs reprises mais ça s'est jamais fait, pourquoi ? Parce que tu revenais auprès de moi... Écoute Enora, t'es ma meilleure amie et j'espère que je suis le tien aussi. Je sais que quand tu viens vers moi, c'est super sincère et tout. Mais, je veux pas être ta roue de secours pour éviter Romain d'accord, c'est pratique pour toi quand tu veux éviter de trop rester longtemps avec lui mais moi après je suis dans une mauvaise position. Romain pense que je suis son rival n°1 alors que même Claire a plus de potentiel de te pécho que moi.

Dans la bouche de Maël, tout ce qui en sortait éclairait et faisait ouvrir les yeux de la brune. Parce qu'il avait raison une nouvelle fois : elle ne le faisait pas exprès mais depuis qu'elle s'était éloignée de Romain en troisième, elle avait pris l'habitude de l'éviter, même lorsqu'ils étaient supposés être « réconciliés ».

-       Ah oui, ça c'est ma remarque en trop et avis hyper subjectif mais je trouve que t'es mille fois mieux que lui. Pourquoi je te dis ça ? Parce que si ça marche entre vous et qu'il te traite pas bien, OK je sais que, dernièrement, je suis aussi fragile qu'une brindille mais je le défoncerai quand même.

Enora a éclaté de rire et a ébouriffé les cheveux du blond. Celui-ci sourit bêtement et elle soupira de soulagement.

-       Ça va mieux entre toi et Claire ces temps-ci, remarqua Enora qui voulait rebondir sur ce sujet depuis une semaine.

Maël se frotta la nuque avec un petit sourire satisfait.

-       Ouais... Depuis qu'elle m'a dit qu'elle s'était sentie remplacée par toi, j'ai eu du mal à me le pardonner.

Enora savait à quel point Maël tenait à Claire. Et à l'opposé de la blonde, celle-ci était ravie de savoir que deux amies pouvaient très bien cotoyer le même cœur et esprit d'un garçon. Enora et Maël partageaient une relation différente de celle de Claire et Maël. Et tant mieux.

-       C'est quoi la différence majeure entre toi et moi comparé à toi et elle ? demanda-t-elle de but en blanc, curieuse de connaître les nuances des ces amitiés.

Puis, Enora adorait voir Maël reprendre des couleurs, trouver du temps pour ses autres amis, sortir un peu, revivre sa vie.

-       Je sais pas, franchement. C'est compliqué.

Aux yeux d'Eno', ce n'était pas compliqué. Maël était son meilleur ami et s'il parvenait à lire en elle, elle pouvait également lire en lui. Claire était le soleil de la vie de Maël. C'était dingue de le dire ainsi mais c'était bel et bien vrai, Maël brillait plus avec Claire qu'avec elle.

-       Tu lui raconteras un jour ? interrogea-t-elle soudain inquiète de l'air sombre de Maël.

Le blond observa le mur derrière et s'éclaircit la voix.

-       De quoi ?

C'était sorti de sa bouche comme une longue plainte.

-       Que tu aimes les garçons et ce qui s'est passé l'année dernière.

Enora dut tourner le visage pour ne pas croiser le regard de son ami. Il y a quelques instants, elle souriait, rigolait avec lui. Elle s'en voulut de ramener ce sujet sur le tapis mais elle connaissait Maël, plus elle lui en parlait, plus ça le soulageait quelque part. Bien sûr, ça lui faisait mal. Mais Enora était la seule personne avec qui il pouvait en parler librement pour l'instant et il avait le droit de le faire tout en sachant qu'Enora voulait bien en parler des heures et des heures pour lui faire décocher un maudit sourire.

-       Ça bloque encore. Puis tu sais, Eno', ces temps-ci, je sais même plus si j'aime les garçons. En fait, je ne sais même pas si j'aimerais qui que ce soit dans cet état.

Aujourd'hui, Enora fêtait ses 17 ans. Et jour pour jour, un an auparavant, un acte terrible s'était déroulé dans la banlieue de New York. Maël en avait été victime et Enora ne se le pardonnerait jamais. Ce n'était pas sa faute. Mais elle avait senti que ce Brandon était une mauvaise idée mais, à cette époque, ils se parlaient sans se confier franchement tous les deux. Et elle aurait sûrement bien voulu lui dire. Là, plus aucune barrière. Sans limites.

-       Maël, débuta Enora en se relevant du canapé.

Le garçon fronça les sourcils, intrigué.

-       Je crois que j'arrive à avoir confiance en moi. Pas vraiment avec les garçons. Mais tu sais, dans mon corps, en moi, en qui je suis.

Enora avait légèrement peur de bloquer Maël en disant cela, tout en sachant que Maël vivait l'opposé de ce qu'elle venait de lui dire.

-       Et, je voulais t'annoncer que je passerai toute ma vie à booster les gens autour de moi pour ressentir ce sentiment que je ressens là. Et tu es le premier sur ma happiness list, tu sais la liste de choses et de personnes qui te rendent heureux, promit Eno'.

Maël leva les deux pouces en l'air.

-       Ça m'étonne pas, t'es la meilleure.

Et elle se demanda si Maël se rendait compte à quel point c'était plutôt lui, le meilleur.

***

Ce soir, à sa future soirée – même si c'était un mercredi, Enora s'était décidée d'affronter Romain. Mais en revenant d'un passage au supermarché, celle-ci reçut un message urgent de la part de Claire.

« SCOOP GOSSIP AU RDV oh my god !!! CAPUCINE ET ROMAIN SONT ENSEMBLES prochainement, PÉCHOS SAMEDI DERNIER ET AJD EN COUPLE ASKIP ... »

Accompagné d'une image réaction bob l'éponge, comme Claire adore le faire.

Enora dut imaginer Romain en train d'embrasser une fille. Ça ne la choqua pas. Mais une boule d'amertume et de jalousie se forma dans la gorge de la jolie fille. Si elle était venue samedi dernier, peut-être que... Non, c'était encore sa faute, elle faisait les choses de la mauvaise façon. Elle avait toujours fait les choses de la mauvaise façon question amour de toute façon.

Elle appela Claire sur le chemin du retour, mal à l'aise. Celle-ci ne répondit pas. Il était dix-huit heures à peine et Enora comprit qu'elle ne pourrait pas attendre jusqu'à vingt et une heures pour remettre les choses au clair avec Romain.

Discuter avec Maël lui permit de comprendre qu'Eno' raturait tous ses espoirs volontairement et que ce n'était pas sain de s'interdire la possibilité d'aimer et d'être aimée en retour.

À la place de rentrer directement chez elle, elle s'arrêta un étage au-dessus et toqua à la porte de son « ami ». Ce fut Maximilien, le demi-frère de Romain qui ouvrit, les mains remplies de peinture.

-       Coucou Max', est-ce que Romain est là ?

La question posée, Maximilien ne prit même pas la peine de répondre. Il cria de toutes ses forces « ROMAINNNNN » avec sa petite voix adorable.

-       T'es un champion, t'es le futur présentateur de Cauchemar en cuisine mon petit.

Le gosse qui n'avait pas l'air de connaître l'émission haussa les épaules et rentra à l'intérieur de l'appartement. Lorsque Romain apparut dans le champ de vision d'Enora, elle se rappela du pourquoi du comment et ce qui la poussait à l'éviter ces derniers temps.

Romain était beau à en crever.

Et elle n'aimait pas l'influence que son simple physique avait sur ses gestes. Il était beau en 3ème, mais elle ne l'avait jamais trouvé beau ainsi. Tellement beau que s'il la touchait, peut-être qu'elle en frissonnerait. En réalité, elle frissonnait déjà.

Le brun regarda Enora d'un air surpris.

-       Je pensais qu'on se retrouvait à ta soirée. Mais... je... Joyeux anniversaire !

Il jeta un regard inquiet derrière lui. Et Enora comprit. Capucine était là, dans sa chambre, avec lui. D'où ses cheveux ébouriffés, d'où ses suçons tout frais, d'où son t-shirt mal remis.

Quel était le pourcentage de chances qu'Enora soit si poisseuse niveau timing avec lui ? Elle s'en voulut une nouvelle fois. Elle merdait toujours. Et ça lui faisait mal de se dire que malgré tout ce qu'elle avait affirmé avec Maël, sur sa confiance, son corps, elle et qui elle était, Romain arrivait tout de même à tout remettre en question, avec un simple regard jeté derrière lui.

-       T'es avec une fille ? demanda-t-elle sans faire attention à la remarque de Romain.

Romain paniqua. Elle le connaissait encore pour voir à quel point il se sentait impuissant face à la situation, les yeux écarquillés.

-       Je...

Elle lui sourit timidement avant de repartir avec un « On se revoit, ce soir. ».

Enora remonta chez elle, les mains tremblantes. Pourquoi est-ce que tout était si compliqué en amour avec elle ? Pourquoi est-ce qu'elle faisait les choses de la mauvaise façon ? Encore et encore.

Elle se rappela du moment où elle comprit que, peut-être, elle éprouvait quelque chose en elle de différent de l'amitié envers Romain. C'était ce jour d'été en Normandie où elle venait d'arriver. Ce premier jour où dans les vagues, elle avait tellement froid qu'elle aurait pu en tomber malade, mais que dans ses bras, tout était si chaud et merveilleux, qu'elle avait oublié ce qu'avait été leur amitié en un rien de temps. Un contact, un frisson et une vague de désillusions.

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