LES ORANGINA PIK, 275 g
Sept février 2014 – EN COMPAGNIE DE CLAIRE
ALORS que Claire débutait à peine son plat, Ethel avait déjà levé son plateau. Capucine et Hortense la regardèrent disparaître dans la foule de monde dans la cafétéria et lancèrent des regards suspicieux à Claire.
En effet, il y avait de quoi. Claire se sentait coupable. Pour son anniversaire, elle avait décidé de le fêter avec sa première bande d'amis au lieu de celle-ci. Ethel avait de quoi être furieuse, personne ne la considérait comme un second plan. Même Claire ne la considérait pas comme tel mais elle ne pouvait rien y faire, il fallait qu'elle fasse un choix.
Au final, elle dût réfléchir tout l'après-midi pour se décider à l'« inviter », Ethel uniquement, parmi la bande de quatre. C'était risqué mais Claire était convaincue qu'elle ne viendrait pas. Surtout que nous étions vendredi et qu'Ethel détestait les sorties le vendredi. Mais la culpabilité se calmerait et tout le monde serait content le jour de son anniversaire.
Elle eut raison car Ethel déclina l'offre une heure plus tard, avec un sourire compréhensif.
Hier encore, elle était assise sur scène avec ses amis. Enora avait tout planifié. Ils fêteraient l'anniversaire en Normandie pendant tout le weekend. Leurs trains réservés s'arrêtaient à la gare Montparnasse et jamais encore, Claire n'avait eu si hâte de rentrer chez elle attraper sa valise et voyager vers sa maison des vacances d'été.
L'été dernier, Claire les avait tous invités. Ils avaient partagé des moments tellement inoubliables qu'elle ne pouvait que sourire en y repensant. Entre batailles de polochons, batailles d'eau, baignades improvisées, cache-cache dans le noir et nuits à la belle étoile dans le jardin, la bande n'avait cessé de l'étonner.
Surtout que l'été ne s'était pas arrêté là. Claire n'avait peut-être pas rencontré de garçons mais Enora avait l'air d'avoir retrouvé le sien. La blonde voyait la brune retourner dans les bras de Romain avec de l'amitié et c'était avec tendresse et joie que la bande retrouvait la leur. Pas d'embrassades improvisés ou de couples formés. Juste une amitié pure en bloc qui retenait le souffle et faisait éclater de rire. Maël restait le seul à s'évader dans l'histoire, passant la plupart du temps à regarder les étoiles avec Enora et lire des blagues Carambar. Claire les trouvait très beaux tous les deux, pas forcément amoureusement mais ensemble, ils avaient l'air de diffuser de bonnes ondes au reste du monde.
Puis vinrent la fin des vacances en Normandie pour reprendre leurs routes séparées au mois d'août et la rentrée. Enora avait intégré sa classe de L. Les trois autres avaient rejoint les rangs des scientifiques. Leurs emplois du temps divergeaient et comme en troisième, 3 sur 4 du groupe se retrouvaient dans la même classe. Claire était aussi heureuse que frustrée. Maël et Romain s'entendaient moins bien qu'avant et elle devait passer le plus de temps possible avec Ethel, la seule S du groupe des filles avec elle.
Bref, l'année s'annonçait remplie.
***
Assise à côté d'Enora dans le train, toutes deux s'échangeaient leurs avis sur des vêtements que Claire avait sélectionnés la veille pour sa prochaine virée shopping. Elle avait repéré sur quelques sites des tenues qui allaient bien avec son nouveau style. Claire voulait porter des vêtements moins banals mais des pièces à conviction.
Derrière elles, Maël lisait un livre tandis que Romain jouait avec les cheveux d'Enora. On entendait la brune rire de temps en temps dans le wagon suite à des chatouilles de la part du brun. Claire levait les yeux au ciel une fois sur deux, « prenez une chambre et embrassez-vous ! » aurait-elle voulu crier.
Maël avait l'air ailleurs. Comme depuis de longs mois. Avant, c'était toujours lui qui sautillait à l'idée de retrouver la bande. Aujourd'hui, c'est le dernier à réagir, à réfléchir à des choses que Claire ne pouvait deviner et à s'enfermer chez lui pour lire. Il lisait beaucoup, même en cours. Une fois, Claire avait tenté de se confier à lui, mais elle n'avait pas retrouvé l'atmosphère dans laquelle elle avait eu l'habitude de lui parler de ses soucis. Maël changeait radicalement et elle ne savait pas comme s'adapter à tout ça.
Romain, lui, restait Romain. Il persistait à être un grand gamin avec Enora. Le reste du temps, il avait cette expression mature, de garçon qui se métamorphosait en homme. Le passage de la seconde à la première lui avait fait du bien.
Mais maintenant qu'il s'était réconcilié définitivement avec Enora, il passait la majeure partie de ses pauses à la chercher. Quand il la trouvait, il s'empressait de lui taper la discussion. Il ne voulait pas la partager. Et Claire le comprenait... Mais au fond d'elle, elle trouvait ça injuste. Si le groupe était sur un pied d'égalité, tout le monde devrait se partager tout le monde, ou alors tout le monde devrait être apprécié à égalité. Et Claire savait qu'Enora était la chouchoute, la favorite et elle ne comprenait pas pourquoi elle n'arrivait jamais à l'être également. Même Maël se confiait à elle alors que Claire avait longtemps détenu le rôle de la confidente. Et ça l'avait bouffée un temps d'être mise au second plan.
Le groupe avait encore ses défauts. Tout n'était pas parfait. Mais c'était un groupe, et c'était déjà ça.
***
- Où sont mes Orangina Pik ? Non mais oh, les kids, ils sont où ? demanda Claire avec une voix inquiète en ouvrant sa valise.
La bande venait d'arriver à destination et le ventre de Claire hurlait déjà de douleur. Enora, attentive, répliqua :
- C'est pas parce que t'as dix-sept ans que t'as le droit de nous appeler les « kids » Clairounette.
Claire sourit.
- Eno' va dans ta chambre ! Et tu ne me reparles plus jamais sur ce ton ! gronda-t-elle en prenant la voix de sa mère.
Enora se mit à bouder dans son coin et le fou rire s'enclencha. Romain et Maël se regardèrent, confus.
- Vous êtes pas drôles, vous les filles, remarqua Romain.
Claire prit son air choqué et Enora le remit à sa place en deux temps en trois mouvements.
- Ta gueule, on fait pas des généralités surtout quand on s'appelle Romain et qu'on aime le romarin.
Deuxième fou rire général.
- Tu veux te battre ? interrogea Romain en se levant.
Enora se redressa également et brandit ses poings.
- Me cherche pas bébé, assura-t-elle en blaguant.
Les deux atterrirent sur le canapé à se faire des chatouilles et Claire soupira. Maël leva les yeux au ciel et échangea un regard avec Claire qui en disait long.
Troisième fou rire des deux qui se foutaient de la gueule des deux autres. Durant une fraction de seconde, la complicité entre Maël et Claire était réapparue et pour la blonde, ça ne représentait pas rien. Ce regard voulait dire qu'il la considérait encore comme une amie. Un sourire insouciant remplit son visage et elle dût arrêter les deux « amoureux » pour les empêcher de détériorer ses meubles.
- Je reviens, Ethel m'appelle, déclara-t-elle en voyant son portable vibrer.
Claire s'isola du reste du groupe et monta à l'étage pour répondre à son amie. L'appel coupa à cause du manque de réseau et Claire soupira. Cependant, elle reçut le message de la blonde platine une trentaine de minutes plus tard alors qu'elle gonflait des ballons de baudruche avec la bande.
Maël se proposa pour monter les valises avec Claire. Lorsque le portable vibra pour notifier la blonde, les deux étaient sur le point de redescendre.
Quelle surprise pour Claire de se retrouver en face à face avec un énorme pavé provenant d'Ethel. Maël sortit de la chambre avec un petit sourire pour laisser un peu d'intimité à son amie et Claire dut lire le message une vingtaine de fois avant de comprendre ce qu'il disait.
« Ma petite Claire, en ce sept février 2014, j'aimerais te souhaiter un très bon anniversaire. Je me suis mal comportée aujourd'hui et je m'en excuse parce que c'était pas très cool de ma part. Tout comme je m'excuse pour les années collège et ce que j'ai pu te faire endurer parce que je n'étais vraiment pas cool avec toi en cette période. Je t'ai appelée mais tu n'as pas répondu, dommage, j'avais envie de chanter une petite chanson pour toi. Mais j'avoue que c'est plus facile à l'écrit. En plus, dans ce message, je sens que je vais dire des choses que je n'aurais jamais dites par appel. Et peut-être que ça me donne du courage. Mon air détaché, ma voix hautaine et tout le tralala disparaissent pour te laisser avec un simple pavé. Surtout que j'évite de faire des fautes comme tu le vois. Tu es une personne extraordinaire Claire, tu sais. Je crois que tu es ma seule réelle amie dans tout ce foutu lycée. C'est dingue parce que je ne suis pas ta seule amie et que quelques fois, j'ai du mal à me dire que je ne puisse pas être ta meilleure amie. Parce que oui, t'es aussi ma meilleure amie. Je te raconte souvent ma vie de surface sans m'attarder sur mes petits soucis du quotidien.
La semaine dernière quand je t'ai dit que mon copain m'avait plaquée, tu avais l'air ailleurs. Je t'ai menti, c'est moi qui l'ai plaqué. Pour toi. Ce soir, je prends les devants et l'avoue. Je suis amoureuse de toi. Je n'aurais pas dû t'écrire ça par message. Mais c'est tellement évident que je ne comprends pas comment tu fais pour ne pas le voir. Tu es celle qui me connaît la mieux et tu n'arrives pas à voir que depuis la 4ème, je nourris en moins une répulsion envers notre amitié. Parce que je t'ai trouvée tellement jolie une fois dans cette robe à fleurs que j'en ai oublié mes mots. Quand tu es sortie avec Romain, en troisième, j'ai compris que je n'avais aucunes chances. Que je ne rentrais pas dans tes critères. Alors, pendant toute la troisième, j'ai arrêté de traîner avec toi, t'ais foutu la misère par simple jalousie. Et puis je me sentais différente du fait de cette attirance, et je t'en voulais de me faire ressentir toute cette merde de sentiments. Parce que oui, Claire je ne blague pas cette fois-ci. Mais au lycée, mon dieu, retraîner avec toi, te regarder sourire, te regarder pâlir, te regarder envier ta bande d'amis passée. J'en ai eu mal Claire. Et ce soir, je voulais te le dire, même au détriment de cette amitié car je n'en peux plus de tout garder pour moi. Je n'en peux plus d'être la Ethel que tout le monde connaît. Je veux tenter ma chance et le fait que tu penses à moi, que tu m'aies proposé de venir pour t'accompagner, ça m'a redonné espoir. C'est tout con mais bref, joyeux anniversaire <3 »
Son souffle se coupa lorsque Claire découvrit qu'Ethel abordait le sujet de certains sentiments éprouvés. Ses yeux se dilatèrent lorsque toute son explication lui parut irréelle. Son cœur se gonfla d'une émotion nouvelle, bizarre, incompréhensible. Comment ça, Ethel l'aimait ? Un frisson traversa sa colonne vertébrale. Elle avait sûrement froid dans cette chambre en cet hiver. Claire n'était pas préparée à recevoir un message du genre, en bloc, soudainement. Elle n'avait pas vu la chose venir, et ça la désorientait.
Elle attendit, muette, le « c'est une blague hein Clairounette mdrr » d'Ethel. Mais rien n'arriva et la page des messages de son smartphone restait statique. Elle rangea son portable et fit comme si de rien était, c'était son anniversaire et ses amis l'attendaient en bas. Claire ne voulait pas répondre à Ethel. Elle ne voulait pas lui dire « désolée » ou « moi aussi je t'aime » parce qu'elle n'en savait rien et que tout ceci la prenait de court. Elle s'en voulut de laisser Ethel dans un silence complet. Elle s'en voulut de jouer avec ça.
- Ça va ? T'es toute blême... interrogea Enora en remarquant le visage pâle de la blonde qui venait de redescendre les marches.
La brune tapota les joues de sa meilleure amie. Claire trouva qu'Enora s'inquiétait un peu trop pour elle. Maël sortit les Orangina Pik d'un sac à dos et le tendit à Claire qui en dévora même si elle n'avait plus faim du tout.
Romain apporta le gâteau d'anniversaire, un brownie fondant. Les bougies soufflées et le cœur ravagé, Claire le découpa avec un sourire timide.
Elle était ailleurs et comprenait soudainement Maël. Quelque chose le préoccupait autant que la chose qui la préoccupait. Voire bien plus. Le blond lui sourit et elle comprit qu'il avait deviné qu'elle n'était plus dans son assiette aujourd'hui.
Ils s'amusèrent beaucoup à quatre. Et elle pensa à autre chose. Elle pensa au fait qu'elle tenait réellement à l'amitié qu'elle entretenait avec Maël, qu'elle enviait Enora d'être mieux qu'elle, qu'elle trouvait Romain trop amoureux à son goût.
Mais Claire, allongée dans son lit quelques heures plus tard, pensait à tellement d'autres choses.
Elle s'était toujours imaginée plus jeune que ce serait Romain qui lui enverrait un message du genre pour lui avouer qu'il l'aime. Elle aurait su quoi répondre, instantanément parce qu'elle s'était toujours dite que Romain était son genre de crush.
Elle croyait chercher un prince charmant. Mais ce message la troublait comme Romain pouvait être troublé par Eno'.
Puis, elle ne s'était jamais attendue au fait qu'elle puisse plaire à une fille.
Était-elle dérangée par le fait que cela provienne d'Ethel ou plutôt par le fait, qu'elle était à présent dans un doute profond ? Pour la première fois de sa vie, elle se posa des questions sans réponses sur le sujet de l'amour que l'adolescente aimait tant.
Malgré tout, ce fut avec un cœur serré qu'elle s'endormit. Claire venait d'avoir dix-sept ans et ne savait plus ce qu'elle ressentait pour son amie. Elle était partagée entre le bonheur d'être « spéciale » aux yeux de quelqu'un et le malheur de se dire qu'elle ne savait réellement pas si le « quelqu'un » en question lui était spécial, lui aussi.
nda: désolée du retard mais grosse panne d'inspi pour ce chapitre ouloulou, alors, vous en pensez quoi aha?
merci pour les retours au fait sur les derniers chapitres! plein d'nems, elo
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top