DRAGIBUS soft, 300g
Trois mars 2012 – CHEZ MAËL
Chez MAËL, ce soir-là, tout avait été planifié de façon à ce que la soirée à quatre ressemble aux soirées ciné qu'ils passaient ensemble en fin de semaine. Claire était arrivée en avance, comme à son habitude en n'oubliant pas de ramener son kiwi du goûter. Elle empruntait toujours une cuillère dans le tiroir du dessous et s'asseyait en tailleur sur le canapé. Ils discutèrent tous les deux du collège, des brevets blancs à la con et de la vie en général. Les membres manquants arriveraient tôt ou tard avec un gâteau au yaourt fait maison et tout le monde serait content. Au fond, Maël le savait, Eno' et Romain allaient sortir ensemble un jour, il ne fallait que dégager Claire du chemin et les deux se trouveraient enfin.
Maël en avait parlé avec Romain. C'était une discussion gênante car ils ne parlaient jamais de ça à deux. C'était toujours par l'intermédiaire des filles que tout ceci se mettait en place, que le réseau des secrets partait en vrille. Mais par messages sur Skype, ça passait toujours mieux : la pilule était passée et Romain avait avoué : il en pinçait pour la jolie brune. Et pas qu'un peu.
Maël croyait forcément aux amitiés garçons/filles. Mais aussi à l'amour ambigu qui pouvait en découler. Pour lui, c'était tout à fait normal d'éprouver plus que de l'amitié par moment, peut-être seulement pendant un court instant ou lors d'une toute petite scène d'ambiguïté. C'était naturel. Il avait lu quelque part qu'on tombait tous amoureux ou amoureuse d'un ou d'une amie, peut-être au mauvais moment, fictivement, brièvement ou éperdument. Peut-être que ça durerait très longtemps. Peut-être que ça briserait tout. Alors Maël avait peur, parce que le quatuor était assez solide mais, l'Amour, ça pouvait tout remettre éperdument en cause !
L'amour était plus ravageur que l'amitié. Maël n'y connaissait rien mais savait à quel point ce sujet faisait la une des discussions chez certains. Celui-ci a un crush sur le gars là ! Quoi ? Mais non, je croyais que c'était sur l'autre !
Claire tombait amoureuse de Romain. Maël le savait également étant donné que celle-ci passait son temps à lui faire des yeux doux en cours d'SVT dans le groupe A. Elle adoptait toujours une attitude timide au loin puis quand elle se rapprochait de Romain, tentait l'approche du « je te taquine » parce que tout était plus simple de cette façon.
- Et ça avance avec Romain ? demanda Maël inquiet face à la situation.
Claire afficha une mine déçue.
- Pas tant que ça, j'ai l'impression qu'on est plus du tout sur la même longueur d'onde. Quelques fois quand je lui parle, il ne m'écoute pas, il pense à autre chose. C'est déconcertant. répondit-elle d'un air las.
Maël savait ce qui clochait. Les parents de Romain divorçaient. Il n'en parlait pas trop. Sans s'en rendre compte, Romain avait réussi à devenir le noyau du groupe alors qu'il était le dernier à arriver à l'intérieur. L'humeur de Claire dépendait du sien. Enora était la meilleure amie de Romain depuis toujours. Puis le pauvre Maël voulait juste que sa bande d'amis aille bien alors si Romain n'allait pas super, tout le monde à l'intérieur avait mauvaise mine.
- Tu penses qu'Enora éprouve des trucs envers Romain ? aborda-t-il.
OK, c'était le sujet fâcheux du mois. Mais c'était son anniversaire et il s'en fichait. Il voulait savoir si tout ceci était réciproque ou délicat à régler.
- Des trucs trucs ? renchérit la blonde avec surprise.
Le grand brun hocha vigoureusement la tête de haut en bas.
- Ouais, des trucs trucs qui font boum boum au cœur, indiqua-t-il en mimant les battements de l'organe vital.
Leur discussion ressemblait à celles des gosses en maternelle mais Maël s'en fichait, la question avait été posée. Claire évita le regard de son ami et haussa les épaules. Quelque chose clochait sur ce coup-là.
- Allez, qu'est-ce que tu me caches ? interrogea Maël d'un ton plus joueur.
Claire était devenue toute blême.
- Elle t'a pas dit ?
Ce fut au tour de Maël de pâlir.
- Enora trouve les gars du bahut inintéressants niveau amour. Elle cherche quelqu'un de plus mature et de plus grand mentalement. Elle se rapproche d'un gars de dix-sept dans son cours de théâtre ces derniers-temps. Donc ça m'étonnerait qu'elle ait un crush sur mon crush.
Le silence qui s'abattit fit frissonner Maël. Depuis quand ? Et si ? Mince, si Romain l'apprenait, ça serait l'info de trop. Hors de question de faire des allusions dessus. Ils devaient passer une bonne soirée à quatre, comme au bon vieux temps.
- Mais le gars il a vraiment du temps à perdre avec une fille de quinze ans ? interrogea-t-il subitement.
Claire leva les yeux au ciel.
- Tu déconnes. On parle d'Eno, elle a vingt ans dans sa tête, en plus il est vraiment trop beau le gars, genre à la Leonardo di Caprio, ouais elle m'a montré des photos, défendit la blonde en posant le kiwi vidé sur la table basse.
Maël s'inquiéta pour Enora qui traînait avec des gars plus âgés qu'elle. À cet âge, un gars qui se rapprochait de filles plus jeunes rimait pour Maël à, soit prendre la voie de la facilité, soit tomber fou amoureux. La première option semblait largement plus plausible.
Les coups répétés contre la porte annoncèrent l'arrivée du duo manquant et Claire alla ouvrir avec enthousiasme. Elle fit la bise à Romain, lui sourit exagérément, lui reprocha d'être arrivé en retard avant de faire attention à Enora qui tenait l'assiette du gâteau. La brune posa le gâteau sur la table de la cuisine ouverte et revint au salon pour sauter dans les bras de Maël.
- RE-JOYEUX ANNIVERSAIRE ! hurla-t-elle en ébouriffant ses cheveux.
Le sourire de Maël débordait sur son visage. La bande était réunie et tout le monde avait l'air d'être de bonne humeur. Puis Enora rayonnait et en tant qu'ami, Maël ne pouvait que s'en satisfaire.
- Avec Romain, on est allé voir au pak pak et ça coûtait une blimbe la bouteille de rhum, donc on a juste pris deux flashs de polia pour que ce soit plus rentable, raconta-t-elle en posant ses affaires dans un coin.
Au fond, Maël s'en fichait clairement de l'alcool ou de ce qu'ils avaient ramené du magasin pakistanais qui vendait une fois sur deux des bouteilles aux mineurs. Le plus important pour lui, c'était de passer une bonne soirée. Enora traînait beaucoup moins avec le reste du groupe depuis qu'elle avait arrêté le latin en fin de 4ème. Celle-ci s'alluma une clope sous les yeux exorbités du blond.
- Eh mais tu fumes depuis quand ? J'étais pas au courant moi ! s'injuria-t-il en la regardant sortir son briquet pour allumer une indus.
Enora lui sourit d'un air désolé.
- Depuis un mois et demi. C'est juste une clope de temps en temps t'inquiète pas, qu'après les cours de théâtre ou en soirée, grand MAX, essaya-t-elle de le rassurer.
Ce n'était pas gagné. Depuis que son cousin de vingt-cinq ans s'était tapé un cancer de la gorge à cause de la cigarette, Maël en avait eu assez des jeunes qui fumaient. Puis commencer en 3ème, pour Maël, ce n'était pas une bonne idée. Âgés de 14 ans – pour elle et Romain – et à peine de 15 piges pour Claire et lui ; Maël considérait sa bande d'amis encore un peu trop jeune pour se trouver des explications et raisons convaincantes aux débuts à la cigarette. Surtout que c'était souvent une clope de temps en temps pour finir par une clope par jour, puis une clope à toutes les pauses. Enora venait de le décevoir. Pour lui, c'était la « grande sœur » de la bande, la plus mature, et il avait toujours eu pour elle une très haute estime.
Il la laissa fumer dans son coin et tourna sa tête en direction de Romain et Claire qui entamaient une partie de Wii. Le sourire de Maël réapparut et il les rejoignit. Sur Mario Kart, il n'y avait pas plus imbattable que le blond.
***
Vers vingt et une heures, la mère de Maël qui était au restaurant avec un potentiel nouveau petit-ami appela pour prendre des nouvelles. Maël rassura sa mère, tout se passait bien, elle pouvait rentrer aussi tard qu'elle voulait. Il l'encouragea pour la nouvelle relation amoureuse qu'elle allait peut-être se permettre. Après tout, ça faisait déjà trois ans que son père et sa mère s'étaient quittés d'un commun accord.
Les quatre étaient avachis sur le canapé. Claire avait sa tête sur l'épaule de Romain et Enora partageait une part du gâteau avec son meilleur ami. Maël avait soufflé les bougies quelques minutes plus tôt et ne put s'empêcher de faire un vœu tout niais. Celui de conserver ces potes pour la vie. Ça ne marcherait sûrement pas en temps normal mais il avait espoir. Les avoir rencontrés dans le Mcdo à côté du conservatoire ce soir-là avait été une si bonne chose qu'il n'en finirait jamais d'y repenser. Romain et Eno se connaissaient bien depuis dix ans mais Claire avait intégré leur duo en 6ème, lorsque celle-ci faisait la connaissance de sa nouvelle voisine de table : Enora Rouget. Maël était arrivé en 4ème après le soir au Mcdo où Romain lui avait demandé de lui prêter une serviette. Il avait enchaîné sur un « eh mais t'es pas dans le même collège que nous ? » et la bande s'était formée.
- Les profs nous répètent toujours que le lycée c'est perturbant au début, genre quasi-traumatisant, vous flippez pas un peu, vous ? La légende dit qu'on baissera tous d'un point dans la moyenne, lança Claire première de la classe qui jouait avec les cheveux de Romain.
Le brun prit la parole :
- C'est pas une légende, ma grande sœur charbonne clairement. Elle a déjà redoublé sa seconde une fois, là, elle compte entrer en S. La médecine c'est pas une blague pour elle.
Maël se raidit.
- En plus d'après les rumeurs, le lycée de notre ensemble scolaire il fout la pression. C'est depuis qu'il est entré dans le TOP 20 de France et TOP 10 de Paris, c'est pas rassurant, ajouta Maël de moins en moins confiant à ce sujet.
Enora n'eut pas du tout la même réaction.
- Moi je flippe pas, j'ai hâte. On ne sera plus vu comme des gosses à couver, on aura plus de libertés et puis, y aura de nouvelles têtes !
Maël regarda Romain dévorer des yeux la brune puis se sentit mal pour Claire qui tentait vainement de l'aborder. Enora ne faisait attention qu'à ce qu'elle mangeait et tout le monde sentit que la soirée était différente des autres. Là, tout le monde avait l'air d'être dépassé. Pas par la même chose ou la même personne. Juste dépassés par ce qui les attendrait ou ce qui contrecarrerait leurs plans.
- Maël, on ouvre les flashs ?
Tout le monde, sauf Maël, but une gorgée pure. Ça arrachait la gorge. Claire tourna vite au rouge quelques gorgées plus tard. Romain mélangea avec le seul diluant qui lui passait sous la main : le coca. Enora rigolait pour rien. Le tableau était troublant pour Maël, tout le monde avait l'air d'être des enfants complètement paumés mais contents d'être en vie. Au bout d'un moment, il y eut un long silence et quelques éclats de rire. Maël ne riait plus du tout, Claire venait de s'isoler avec Romain dans le couloir.
Enora était sur son portable.
Maël se sentit, pour la première fois depuis très longtemps incroyablement seul auprès de ses amis qui « profitaient de la vie ». C'était plus simple avant, éclats de rire devant un film pourri, répliques à apprendre par cœur et concours de rots. Ils mangeaient des coquillettes en mettant de la bolognaise toujours un peu partout. Il se sentit nostalgique de ces soirées-là.
- Je dois y aller, informa Eno' en faisant la bise à son ami.
Maël fronça les sourcils.
- Tu vas où ? Tu rentres pas seule j'espère. T'as un peu bu quand même.
Elle baissa les yeux.
- Un gars que je connais bien vient me chercher, ne t'en fais pas. Bisous, joyeux anniversaire ! Much love mon lapin !
Enora partit juste après et le salon parut bien vide pour Maël. Romain sortit du couloir en premier avec Claire sur les talons. Le rouge à lèvres de la blonde parsemait les alentours de la bouche du grand brun. Maël trouvait les événements de cette soirée juste trop cons et ne se laissa pas tenter par sa langue fourchue dans ce genre de moments. Claire avait l'air aux anges tandis que Romain affichait mauvaise mine.
Ils regardèrent à trois un film, tous sous le plaid de Maël. Les deux recommencèrent à s'embrasser sous les yeux attristés du propriétaire des lieux. Ça aurait dû se faire d'une autre façon.
Pas ainsi, pas chez lui, alors que Romain aimait Eno' et qu'il jouait avec Claire pour l'oublier. Maël lui en voulait de profiter de l'amour de Claire pour se redorer l'ego.
Maël fit la gueule toute la soirée. C'était son anniversaire pourtant. Les deux partirent vers minuit et sa mère rentra exténuée. Elle enleva ses talons aiguille et soupira en expliquant à son fils que le rendez-vous n'avait pas été si dingues finalement.
Ils mangèrent de la glace en regardant un Disney. Le blond s'ouvrit un paquet de dragibus même si ça collait aux dents. Là, Maël se sentit beaucoup plus à l'aise, comme s'il avait enfin réussi à retrouver son cocon alors qu'il s'était perdu dans le juste-milieu entre l'adolescence simple collégien et l'adolescence de ceux qui voulaient se croire trop grands.
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