CROCO nouvelles couleurs, 280g







Dix-huit juin 2012 – CHEZ ROMAIN

Fêter son anniversaire dix jours avant le brevet, c'était risqué en terme de nombre d'invités présents. Romain était motivé pour cette fête où participeraient quelques correspondants et correspondantes espagnoles de sa classe. Pour l'adolescent, c'était un grand soir, il était déterminé à tout déballer à Enora coûte que coûte pour arrêter de se mentir à lui-même. Si ça marchait, sa future rupture Claire serait bénéfique. Si ça cassait, il tenterait de tourner la page pendant l'été sans la voir.

En entrant dans sa chambre, il s'examina dans le miroir et se trouva mal foutu. Par rapport aux espagnols, il n'était pas très baraqué. Ses épaules étaient larges mais les bras un peu fins. Son torse n'était pas très musclé et même dans la chemise qu'il portait pour paraître plus classe, ça flottait. Il ne se trouva plus du tout « beau » comme Claire le répétait à longueur de journée. Il voulait qu'Enora le lui dise pour le rassurer. Il voulait tellement l'entendre de sa bouche que parfois, il se surprenait à en rêver.

Peut-être que c'était ses taches de rousseur qui faisaient la différence quand elle venait le voir à l'étage, démaquillée, peut-être que c'était son sourire éclatant quand elle chantait. Peut-être que c'était elle et toutes ses mimiques, les courbes de son corps, les traits fins de son visage ou ses yeux de jais. Pour Romain, Enora était plus belle que l'univers. Il se trouvait con de penser à ce point à elle et de façon aussi niaise mais au fond, qu'est-ce qu'il l'aimait.

- Tu peux le faire. Cette fois-ci plus de sous-entendus, tu lui dis J-E-espace-T-apostrophe-A-I-M-E en face. S'encouragea-t-il en bombant son torse pour se donner du courage.

Il déboutonna deux boutons de sa chemise, vit son portable vibrer et l'attrapa en espérant que ce soit elle qui le prévienne qu'elle était sur le point de descendre ou de monter. Il lui avait dit il y a deux mois : Romain lui avait sous-entendu le fait qu'elle était son type de fille. Mais elle n'avait sûrement pas compris sur le coup : Romain en était persuadé, si elle le comprenait, elle aurait réagi un minimum.

C'était Claire. Romain afficha une moue déçue. Ils sortaient ensemble depuis deux mois mais le grand brun s'était tourné vers elle après avoir appris la fausse-rumeur du couloir comme quoi la fille qu'il aimait sortait avec un gars de 17 ans de son cours de théâtre. Pour lui, cette nouvelle avait été une catastrophe. Et puis quand Claire se mit sur la pointe des pieds pour chuchoter à son oreille qu'elle crushait sur lui, ils se sont embrassés. Sa première pelle. C'était plus agréable qu'il ne l'eut crû. Le baiser était maîtrisé et Claire lui avait appris à embrasser avec contrôle comme dans les scènes de séries. Ils avaient fait les « prélis » ensemble. Et Romain était décidé à ne pas coucher avec elle même si elle aimerait le faire avec lui. Il le savait, elle avait déjà tenté de parler du sujet quand ils étaient à deux dans sa chambre. Mais les rumeurs couraient vite au collège et il ne voulait pas la priver d'un moment si intime avec un gars qui l'appréciait mais beaucoup moins qu'il le faudrait. Claire était jolie et mignonne. Mais elle n'était pas Enora. Et tout que voulait Romain, c'était Eno'.

« J'arrive dans dix minutes pour t'aider à préparer le champ de bataille ! Ça va être cool ! Je t'aime mon chat »

Claire adorait mettre le cœur blanc vide partout dans les messages. Romain copiait-collait souvent le même cœur en réponse lorsqu'il n'avait rien à dire. Il s'en voulait de poursuivre ce petit jeu avec Claire, surtout que celle-ci commençait à lui faire comprendre qu'elle l'aimait tellement qu'elle pouvait se reconnaître dans les paroles de Fauve ≠.

- T'es qu'un gros con. S'insulta-t-il en pointant du doigt son reflet dans le miroir.

Ce qu'il faisait avec Claire ne se faisait pas. Il romprait ce soir coûte que coûte avec les bons mots. Mais la blesser en la larguant n'était pas la bonne solution. Malgré tout, il n'en voyait pas d'autres au fond.

Ouais, il le pensait vraiment : Romain se trouvait carrément con.

***

Claire arriva pile poil dix minutes plus tard, avec des sodas et des chips. Elle embrassa Romain sur la joue et posa ses affaires dans un coin.

- On est que tous les deux pour l'instant ? C'est bizarre, il est dix-neuf heures pourtant, on avait dit rendez-vous à dix-neuf heures moins quinze avec Maël et Eno'.

Romain s'impatientait également. Après tout, Enora habitait juste en bas et si elle traînait, c'était fait volontairement. Maël toujours ponctuel ne devrait pas être en retard.

- T'as remarqué que depuis avril, les deux passent beaucoup plus de temps ensemble qu'avant ? Tu penses qu'on pourrait les caser ensemble ? continua la blonde sur sa lancée.

Romain avala sa salive et s'inquiéta davantage. Est-ce que sortir avec Claire l'avait éloigné d'Enora ? Oui. Est-ce que ça avait fait rapprocher son meilleur ami de sa meilleure amie ? Oui. Est-ce qu'il était jaloux ? À en crever.

- Tu penses qu'ils vont se mettre ensemble ? demanda-t-il dans le vide en répétant la question à celle qui l'avait posée.

Claire fit mine de réfléchir sérieusement.

- Hm... Faut avouer qu'ils feraient un beau couple quand même, pas aussi beau que nous deux mais un vachement beau couple. Puis je pense bien que les gars qu'Enora préfère sont les gars qui la font rire et qui prennent le temps de s'intéresser à elle. Son futur copain doit être très ouvert d'esprit et cultivé. Ce sont de grosses attentes de sa part mais Maël les remplit très simplement ! répliqua-t-elle avec un sourire franc.

Romain ne souriait plus du tout. Il n'avait jamais pensé au fait que Maël puisse rentrer dans l'équation. Puis c'était vrai que Maël était tellement plus génial que lui sur certains plans. Romain était un cancre, Maël le premier de la classe. Romain avait une culture générale similaire à celle d'un poisson rouge. Et encore, c'était offensant pour le poisson.

On toqua à la porte et Romain se précipita pour ouvrir. Il tomba nez-à-nez avec le reste du quatuor en train de rire ensemble. Son sang ne fit qu'un tour et il serra les poings pour oublier ce que Claire venait de lui dire. Maël n'avait pas le droit de ruiner tous ses plans, rêves et souhaits. C'était sa meilleure amie, pas la sienne. Et il ne voulait pas partager à ce point parce que Romain avait toujours eu cette peur d'être remplacé un jour. Ça sommeillait en lui depuis trop longtemps. Il ne le voulait pas, ça lui ferait beaucoup trop mal.

- Hé ! Joyeux anniversaireeeee ! Avec Maëlounet on est allé t'acheter des croco comme tu les aimes. En plus c'est la gamme des nouvelles couleurs, tes préférés, raconta Enora.

Romain déglutit et jeta un regard froid à Maël dont le sourire s'éteignit sur le coup. Il fit la bise à Eno' puis salua à l'arrache son meilleur ami qui avait le droit à un surnom adorable donné par la plus jolie fille de l'univers.

- On se prépare ? demanda Claire en direction d'Enora.

La brune hocha la tête de haut en bas et laissa les deux garçons seuls face à face. Ils remplirent les bols, attendirent en silence que les invités arrivent pour de bon. Romain pensait à Enora qui n'avait pas besoin de se maquiller pour être la plus belle de la pièce. Oh, qu'est-ce qu'il aimait ses taches de rousseur !

***

- Il faut qu'on parle Claire.

C'était dit. Il était vingt-trois heures et la fête battait son plein. Bonne ambiance, les gens dansaient sur les musiques latines des espagnols. Ça se collait entre eux, dansait en ronde et buvait à flot.

Claire s'éclatait en essayant de caser des phrases en espagnol malgré son piteux niveau. Elle suivit Romain dans la chambre, enleva son haut pour se retrouver en soutif.

- On le fait ?

Romain n'avait pas du tout envisagé le cours des événements ainsi.

- J'ai acheté un dessous rouge au fait.

Elle enleva sa jupe moulante et révéla son corps quasi entièrement. Romain pâlit. Il la trouvait jolie mais il ne savait plus comment trouver les bons mots pour lui dire qu'il n'était pas du tout intéressé à « baiser ».

- Non, non... Faut qu'on parle Claire, tu sais... de toi et moi.

Là, ce fut au tour de Claire d'être secouée d'inquiétude. Elle fronça les sourcils et Romain lui demanda de s'asseoir sur son lit tout en se rhabillant.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Ça te plaît pas ? J'avais pourtant lu sur les blogs de beauté et que vous adoriez ça les gars... Et moi je me trouve plus séduisante dedans, dit-elle d'une voix confuse.

Elle n'avait pas bu de la soirée, sobre comme toujours.

- Claire, je...

Romain se dégonflait à vue d'œil. Plus il la regardait, plus il se disait que rompre allait produire d'énormes problèmes et disloquer son cœur. Il ne voulait pas en arriver là. Ils n'auraient jamais dû se mettre ensemble ce soir-là.

- Écoute, t'es une fille géniale mais...

À la vue de son regard détruit, Romain comprit qu'elle avait anticipé ce qui allait arriver.

- « T'es une fille géniale mais... ». Non mais Romain, fais un effort putain, commence pas une phrase de rupture comme ça. T'as cru quoi que rompre avec moi ça allait me donner l'impression d'être une fille géniale.

Romain ne trouvait plus ses mots.

- Donc toutes les fois où je te disais je t'aime et que tu répondais, c'était faux ? Mais merde, Romain. Merde quoi.

Elle se retrouva en larmes. Elle se rhabilla et Romain la regarda gorge serrée.

- C'est moi qui romps. Pas toi. T'es qu'un putain de connard.

Claire sortit, les joues trempées et laissa Romain seul dans sa chambre, aussi coupable que soulagé.

Il attrapa le paquet de croco sur son chevet et l'entama mollement. Il ne se sentait plus si soulagé que ça. Tout cela allait avoir d'énormes répercussions sur le groupe d'amis. Une dizaine de minutes plus tard, Enora apparut dans la chambre, l'air particulièrement remonté. Elle verrouilla la porte derrière elle et soupira en croisant le regard désolé de Romain.

- Claire chialait seule enfermée dans les toilettes. Elle est rentrée avec Maël, t'es fier de toi ? Je t'avais prévenu que jouer avec elle était une mauvaise idée et tu m'as pas écouté, rappela-t-elle d'un ton sec.

Romain n'était pas d'humeur à encaisser les paroles moralisatrices d'Eno' même si la voir lui donnait des ailes. Il voulait qu'elle arrête de parler de Claire.

- C'est bon j'ai compris, je suis con, je sers à rien, je suis un gros nullos qui joue avec les gens.

Enora acquiesça du tac au tac.

- OK, j'ai merdé Eno', je l'admets. C'est un constat mais s'il te plaît garde tes réflexions pour toi. Sinon...

La brune afficha une mine outrée.

- Sinon quoi ? Tu vas me dire que je suis reloue ?

C'était le bon moment. Romain le sentait mais n'osait plus tant que ça. Il fallait le comprendre, face à elle il perdait ses moyens. Il tenait la plus belle des amitiés qui soit à ses yeux et la briser pourrait être irréversible. Mais Romain voulait tenter sa chance, elle le rendait tellement heureux lorsqu'elle était à ses côtés mais tellement malheureux en sachant qu'il ne resterait qu'un ami à ses beaux yeux.

- Enora... jvtèm.

Ses sourcils se froncèrent.

- Quoi ?

Romain avala sa salive et regonfla son torse pour trouver du courage. Allez, Romain, allez ! Il s'était entraîné tellement de fois depuis tant d'années.

- Eno'... je t'aime.

Un silence plana. Romain attendit sa réaction. Le visage d'Enora se décomposa.

- C'est pour ça que je me suis mis avec elle, parce que j'ai appris que t'étais censée en aimer un autre. C'est pour ça que je romps avec elle, parce que je t'aime et que je voulais tout te dire ce soir. Je t'aime, je t'aime, je t'aime. Quand ça sort c'est tellement plus facile d'un coup.

Et il le pensait vraiment. Les trois mots sortis, il n'y avait plus de retour en arrière. Il devait assumer ses mots.

- Enora...

Elle se leva. Il tenta d'attraper sa main pour la retenir.

- Pourquoi est-ce que tu rejettes toute la faute de votre fichue couple sur moi ? Romain, t'es mon meilleur ami, je suis désolée, je ressens pas ça. Écoute, t'es... génial mais je te vois pas de cette façon là. Tu sais... je suis désolée. Je partage pas ces sentiments-là.

Connaissez-vous le sentiment d'avoir un cœur brisé ? Une émotion tellement frappante qu'elle vous fait trembler. Il la regarda longuement avant de baisser les yeux pour avaler la nouvelle.

Pourquoi est-ce qu'il n'était pas assez bien pour elle ?

Pourquoi est-ce qu'elle ne l'aimait pas ?

Pourquoi est-ce qu'un amour de troisième si con faisait si mal ?

Pourquoi ?

Elle sortit de la chambre. Il ravala ses quelques larmes et regarda le mur d'en face d'un regard vide. Il finit le paquet en tentant de se concentrer sur le goût des bonbons. C'était le pire anniversaire au monde. Son groupe d'amis avait explosé, sa meilleure amie ne la voyait plus du même œil et il était jaloux à en crever de Maël. Il avait maintenant tout l'été pour oublier, tout l'été pour se reconstruire, pour tout dédramatiser. Après tout, il n'était qu'en 3ème pas vrai ? Les amours de 3ème ça comptait pour du beurre non ?

Cette soirée montrait à quel point cette année n'avait été que la date d'expiration d'un bon groupe d'amis un peu trop insouciant. Il souffrait et comprenait désormais ce surnom terrible mais véridique qu'il venait de se donner : « Romain, l'arroseur arrosé. »

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