Mon livre préféré de tous les temps
C'est mon livre préféré de tous les temps, et pourtant je ne l'ai jamais lu. La chose est impossible. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Tenez. Je m'enfonce dans mon pouf, les jambes en tailleur, une couverture sur les genoux, en faisant bien attention à ne pas laisser dépasser un orteil, et ouvre enfin l'objet. Mais rien à faire. Au bout de la première phrase, je suis happé. J'ai tenté de lire dans mon lit. Même résultat. Alors je me suis dit qu'il fallait peut-être une chaise pas du tout confortable. Ou un banc dur et froid, comme ceux qu'on trouve au parc. Mais non. Le livre m'emporte et me fait vivre, à chaque fois, une aventure nouvelle.
J'y fais des rencontres surprenantes, inquiétantes, voire carrément effrayantes. Comme la fois où j'ai croisé un assassin aux dons étranges, en quête de vérité, et qui néanmoins ne pouvait accepter l'idée qu'il puisse n'être qu'une créature fictive, dont l'existence se limitait à des mots sur du papier.
Et puis il y a eu l'escalade de cette tige de haricot gigantesque, qui n'en finissait pas. Maman, qui me reproche de ne pas faire assez d'activités sportives et de ne pas manger assez de « verdure » comme elle dit, aurait été abasourdie par le nombre de kilomètres de légumineuse que je me suis enfilé ce jour-là.
Qui avait-il tout en haut du haricot ? Un autre monde, aux proportions titanesques. C'est là que j'ai fait la connaissance de Fezzik, un géant au cœur de coton qui m'a chanté une berceuse tandis que je me blottissais au creux de sa paume. Fezzik, c'est mon plus grand regret. J'ai beau chercher à le retrouver, le livre ne me ramène jamais sur les lieux visités.
Je parle de lieux visités, mais je pourrais aussi bien dire de planètes. Mars, pour être précis. C'est un peu comme la Terre, mais sans les terriens. Et avec des Martiens à la place. Je crois bien que c'est là qu'un vieil archiviste au visage impassible m'a raconté la légende du souverain aux larmes de sable, puni à régner éternellement sur un royaume désert.
C'est mon livre préféré de tous les temps, et pourtant je ne l'ai jamais lu. Peut-être même que je ne le lirais jamais. Un jour, il a disparu de ma bibliothèque. Mes parents l'ont remplacé par des lectures « pour les grands, parce qu'au collège, mon chéri, on étudie les classiques. » J'ai fait une crise. J'ai arrêté de leur parler pendant un mois. J'ai même fait une fugue cette année-là. Le livre n'est pas revenu.
Aujourd'hui, je suis un adulte avec un travail qui paye les factures. Et c'est déjà ça. J'ai des potes avec lesquels je bois un verre de temps à autre. J'ai une fiancée dont j'aime tenir la main, surtout lorsqu'on se regarde un film d'horreur, le dimanche soir, blottis dans le futon de notre petit salon. J'ai des « vieux » qui habitent « à la campagne », et que je vais voir une fois par mois. Tout ce qu'il y a de plus cliché.
Sauf que là, j'y allais sans doute pour la dernière fois. Je ne savais pas comment ils s'y étaient pris pour réussir leur coup, mais ils étaient partis ensemble, en même temps. Les yeux secs, je pénétrai dans la chambre mortuaire où ils étaient allongés. « On a retrouvé un vieux grimoire, ouvert, sur leurs genoux », me dit une femme en blouse blanche. Elle me tendit une lourde enveloppe en papier kraft. « Vous comprenez, il a fallu l'examiner. »
Je n'eus pas besoin de vérifier l'identité de l'ouvrage. Je sus immédiatement de quel livre il s'agissait. Je demandai, pour conserver un semblant de contenance, « alors, vos conclusions ? » La femme secoua la tête. « Mort naturelle, pour tous les deux. » Elle paru hésiter un instant. Une question devait la démanger. Pourquoi ce livre ? Qu'avait-il donc de si particulier ?
Assis sur le pouf de mon enfance, les jambes en tailleur, sans un orteil qui dépassait de la couverture, je parcourus de mes doigts la reliure ancienne d'un objet dont j'avais complètement oublié l'existence. Pourtant, là, dans mes mains, je le sentis qui palpitait. Je n'osai pas l'ouvrir, car au fond de moi, je n'y croyais plus. La magie pouvait-elle encore opérer ? Fébrilement, je tournai la première page.
Il était une fois un bon gros géant nommé Fezzik.
Alors enfin vinrent les larmes.
Post-scriptum
Les noms de personnages, les situations, les lieux mentionnés plus haut vous ont-ils semblé familiers ? Il y a une raison à cela : ils proviennent tous de mes 3 livres préférés, comme le veut le tag de @MiladyCoulter dont je vais détailler les exigences ci-dessous. L'exercice, qui m'a d'abord paru très ardu, s'est avéré au contraire des plus plaisant. En effet, cette petite histoire me permet de rendre hommage à la lecture en général, et à mes ouvrages et genres favoris en particulier. Si le défi vous tente, voici ce qu'il vous reste à faire :
1. Sortir de sa bibliothèque ses trois livres préférés. En l'occurrence, The Princess Bride (William Goldman), The Martian Chronicles (Ray Bradbury), et Des milliards de tapis de cheveux (Andreas Eschbach).
2. Lire la première phrase de chacun des trois livres, et en choisir une qui sera la première phrase de votre texte. This is my favorite book in all the world, though I have never read it. (The Princess Bride)
3. Choisir parmi les personnages des trois livres le nom qui apparaîtra dans votre texte. Fezzik ! (The Princess Bride)
4. Sélectionner cinq mots provenant des trois livres. Tige de haricot, Mars (The Martian Chronicles), archiviste, souverain (Des milliards de tapis de cheveux), assassin (The Princess Bride).
5. Lire la dernière phrase de chacun des trois livres et en choisir une qui sera la dernière phrase de votre texte. Alors enfin vinrent les larmes. (Des milliards de tapis de cheveux)
6. Placer tous les ingrédients dans un shaker et secouer vigoureusement jusqu'à l'obtention d'une histoire qui vous ressemble.
7. Rajoutez un ingrédient mystère si le cœur vous en dit.
Bonne dégustation !
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