Toi, que ferais-je sans toi ?

Tu sais ce qui est drôle ? C'est que tu ne liras pas cette lettre que je t'écris. Pas tout de suite, en tout cas. Moi qui t'ai toujours tout dit, je suis incapable de t'avouer à quel point tu comptes.

Ce n'est pas une déclaration d'amour. C'est le récit de l'amitié. De notre amitié.

Une meilleure amie comme toi, quel rêve ! Ça doit être pour compenser avec la famille que j'ai.

Je ne déteste pas ma famille, hein ! C'est juste que c'est compliqué. Je n'ai jamais l'impression d'être totalement chez moi. Je me retrouve toujours avec des personnes que je connais, mais qui peuvent m'être inconnues.

M'enfin, j'arrête de me plaindre. Tu la connais la chanson, de toute manière. Tu es tellement présente quand je vais mal. Et à chaque fois, je te raconte tout en détail. Alors que tu es parfaitement consciente de ce qu'il se passe.

T'es un peu comme une soeur au fond. C'est horrible ce que je vais dire, mais quelque part, tu fais le boulot d'un grand frère. De mon grand frère.

Ouais parce que l'image du grand frère présent, taquin, doux, protecteur, c'est des foutaises. Enfin, pour moi.

Le mien, un coup il est là, complice, et puis tous les autres coups, il m'ignore. Faut dire qu'il ne vit pas avec moi. Avec nous. Mais il pourrait répondre quand je l'appelle, quand même ? Je suis bien sa petite soeur, non ? A moins qu'il ne me voit seulement qu'en tant que "demi-soeur".

Heureusement qu'il y a les deux petits. Bon, on se dispute. Souvent, même. Tu te rappelles, toutes les fois où je t'ai appelée parce que j'étais en colère contre eux ? Et pourtant, on est vraiment très proche tous les trois ! Mais peut-être que c'est sain de s'engueuler. Je ne sais pas.
En tout cas je t'appelais parce que j'avais l'impression d'être une mauvaise grande soeur. C'est mon pire cauchemar, ça. J'avais besoin que tu me rassures, que tu me dises que je n'étais pas si horrible que ça.

C'est tellement égoïste. Mais humain aussi. J'espère que tu me vois pas comme quelqu'un d'égoïste.

Toutes ces fois où je t'ai appelée, dans ma peine et ma colère. Surtout après les engueulades avec mon père. Faut dire qu'il fait peur quand il s'y met ! Et puis, il peut être si blessant...

Tu as toujours répondu présente. Sinon, tu rappelais en demandant pardon. Alors que c'est moi qui dérangeais. Ironique.

Et ces moments où, en rentrant du collège, je te racontais ma journée. Journée que j'ai passé avec toi. T'en faire un récit était complètement inutile. Mais ça me faisait du bien, tu ne peux pas savoir à quel point.

T'sais, je crois que ça me permettait d'évacuer toute cette colère qui gémit dans mon ventre. Entre ma famille d'enfoirés, et les remarques de l'autre blonde un peu stupide au bahut. Tu vois de qui je parle ?

Bref, ça me faisait du bien. Je parlais, sans m'arrêter, et tu m'écoutais. Tu m'écoutais sans rien dire, pour que je puisse sortir d'un seul coup ce que j'avais sur le coeur.

Et comme à chaque fois, je sortais tout sous forme de colère. A part toi, tout le monde s'en prenait dans la tronche. J'en voulais à tout le monde.

Puis, ça se transformait en doutes, en questions. Petit à petit, la tristesse débarquait. Et je faisais ce que je pouvais pour ne pas pleurer.

Oui, c'est idiot, hein ? Mais je n'aime pas pleurer devant les autres. Sauf devant toi. Devant toi, j'oublie mes hontes et mes peurs de toute manière. Et puis, c'est tellement frustrant de pleurer !

Bref, tu écoutais. Je finissais toujours par lancer une phrase stupide, pleine d'ironie, pour ne pas complètement plomber l'ambiance. Je me moquais de quelqu'un, puis de moi-même, et à chaque fois en étant sarcastique. A la fin, j'inventais une petite chanson un peu débile, et je la criais, comme ça, dans la rue. On partait dans un joli fou rire, comme si c'était le moment. Comme si j'avais oublié la peine que j'avais un peu plus tôt. Et tu n'insistais jamais sur le sujet, d'ailleurs.

Une fois rentrée chez moi, je me sentais un peu mieux. Te parler fait tellement de bien, si tu savais !

Et quelques fois... Quelques fois, j'ai l'impression d'être une amie indigne. De toujours parler, parler, sans penser au reste. Pourtant, tu m'as déjà dit que tu étais réservée, que tu n'aimes pas raconter ta vie. Mais ça ne me rassure pas.

T'sais, il n'y a qu'à toi que je raconte tous mes problèmes. Tu me connais peut-être mieux que moi-même !

Je parle, je parle toute la journée. Mais il n'y a qu'à toi que je me confie vraiment.

Ce qui sort de ma bouche est insignifiant, banal et complètement inutile. Mais je donne l'impression d'en dire beaucoup sur moi. Et les choses les plus cachées, tu es la seule à les connaître.

Pourtant je n'ai pas un grand secret digne d'un scénario contenant assez de rebondissements pour occuper des réalisateurs durant des mois.

Non, j'ai juste ma petite vie que je transporte comme je peux. Comme tout le monde.

Mais quand je suis avec toi, j'ai l'impression que je suis importante. Mais seulement pour ce que je suis.

Mais que ferais-je sans toi ? A part continuer à me poser des questions existentielles sans personne pour me calmer quand elles envahissent mon esprit ?

Oui, que ferais-je sans toi ? Qu'ai-je fait pour mériter une amie aussi parfaite que toi ?

J'ai toujours eu des doutes sur ce que je représentais pour toi. Si moi aussi je comptais. J'ai eu la preuve que oui. Plusieurs fois.

Une fois où j'avais réussi à t'entraîner dans mes délires. Je ne sais pas si tu t'en souviens, mais tu avais dit : "On est les deux meilleures amies les plus folles de la Terre !"

Dans mon ventre, le soleil explosait de joie.

Cette phrase que tu as écrite sur un de tes cadeaux : "L'amitié n'est pas un lien du sang, mais du coeur."

Par Chocolathis, quel bonheur !

Et quand tu m'avais dit que tu affichais sur ta porte toutes les cartes que je t'offrais ou envoyais.

J'en avais été émue.

T'sais, je pense que si j'avais eu la vie la plus parfaite qui soit, avec que de bonnes connaissances, une jolie petite famille, et toute cette gentillesse niaise qui va avec, tu n'aurais pas été là.

Je pense qu'il y aurait eu un détail, le détail, pour remettre cette perfection en question.

Et il y aurait eu un manque, un vide. Toi.

Toi, oui toi, que ferais-je sans toi ?

Et dire que l'année prochaine, tout risque de changer. Avec le lycée, on ne sera sûrement pas dans la même classe, on ne fera plus le chemin ensemble, et on va rencontrer d'autres personnes. Je sens déjà que je ne vais pas les aimer tous ces gens. Ils n'ont rien fait les pauvres, mais j'ai tellement peur qu'on s'éloigne !

Je te le jure, s'il y en a un qui en profite pour te faire du mal, je le tue ! Je le laisserai agoniser longuement avant de l'achever comme une barbare. Il est hors de question qu'on te fasse du mal !

Que ne ferais-je pas pour toi ?

Toutes ces choses dans cette lettre, toutes ces choses que ma nature peu démonstrative m'a empêchée de te dire.

Pourtant ce n'est pas compliqué de dire à sa meilleure amie qu'elle est formidable !

Alors, pourquoi je n'y arrive pas ? Pourquoi, ça me semble tellement évident, tellement stupide de te le dire ?

J'ai tellement peur de paraître idiote ! J'ai tellement peur de perdre la seule personne en qui j'ai réellement et entièrement confiance !

J'ai d'autres amis, hein ! Plus adorables et drôles les uns que les autres.

Mais toi, huit ans que je te connais, huit ans que je t'embête, et je n'ai pas encore réussi à trouver quelqu'un de plus parfait.

T'es comme une soeur pour moi. Et je n'ai pas envie que ça se finisse comme avec cette partie de ma famille composée de crétins.

Tous ces doutes, ces questions sans réponses, ces prises de tête avec moi-même... J'ai tellement peur que tu ne me trouves pas intéressante, tellement peur d'être incapable de te rendre ta gentillesse.

J'ai pas besoin d'âme soeur, moi. Je t'ai toi, et ça me suffit. Tu le sais, ça ? Tu le sais que tu es comme une soeur pour moi ? Que je suis capable de tout pour toi ? Que tu es celle en qui j'ai le plus confiance ?

J'espère que tu le sais. Car les mots restent toujours coincés en moi. Pas envie de paraître niaise, naïve, idiote à tes yeux.

Je ne veux pas qu'on s'éloigne un jour, je ne le veux pas !

J'ai envie qu'on reste toujours toutes les deux, les deux meilleures amies qu'on est maintenant.

Mais enfin, que ferais-je sans toi ?

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