Mots pluvieux -2-
Je me lève, fatigué avant même d'avoir commencé ma journée.
Livreur. Voilà la tâche censée me rendre utile aux yeux du monde.
Dehors, le ciel est bien gris. Comme la foule qui se presse et s'entasse dans le bus.
Je grogne au milieu des gens, de toutes ces personnes qui me rappellent ma solitude.
J'arrive à l'entrepôt, et charge mes livraisons de la matinée dans le camion qui m'est prêté. Pas un mot n'est échangé avec mes collègues, pas un café n'est partagé.
Je suis comme ces gouttes de pluie au milieu des autres : seul.
Je fais le tour de la ville, ou plutôt le tour des librairies. C'est peut-être une des rares choses que j'apprécie dans ce métier : me dire que je transporte ces livres, ces poèmes, ces récits, qui réveilleront l'esprit, la créativité, l'imagination, la passion, le rêve.
La lecture est une si belle chose. Si j'avais le même don que d'autres pour l'écriture, je m'y essaierais certainement.
Pouvoir mettre des mots sur mon coeur, ou mon coeur dans les mots. Coucher sur papier mes souvenirs, mes angoisses, mes joies, ma vie, mes sentiments. Le tout en poésie. Mettre mes rêves dans les récits, ouvrir une fenêtre, une porte, vers un monde créé de toutes pièces par mon imagination. Réussir à décrire mes pires peurs, même les plus indescriptibles. Écrire avec mon rire et mes larmes.
Mais je ne suis qu'un modeste livreur. Toute ma vie, on m'a répété que la poésie n'appartient qu'à ces gens d'esprit, ces grandes personnes aux mains protégées du travail et de la douleur, ces philosophe dont l'unique métier est de rester assis dans un fauteuil devant une feuille de papier qui m'est inaccessible.
J'admire comme je maudis ces gens-là. Et au fond, je sais que je n'y crois pas, que moi aussi je suis capable d'écrire. Car la poésie appartient à celui qui est honnête dans ses mots.
J'arrive dans cette petite boutique, Almont Librairie. Je suis obligée de cogner quelques coups contre la vitrine pour que l'employée me remarque et vienne m'ouvrir.
J'apprécie cette jeune fille. C'est la seule à ne pas aimer non plus la compagnie des gens, la seule à respecter mon silence et à ne pas me dire bonjour. La politesse entre nous, c'est de nous ignorer.
Je dépose les livres avant de repartir. La mâtiné est longue et fatigante. Je ne souhaite qu'une chose : voir la pause arriver.
Bientôt, il pleut, réduisant ma visibilité. Assis derrière mon volant, je soupire. Heureusement que je reste en ville et que je roule lentement et prudemment.
Entendre les gouttes d'eau marteler les vitres du véhicule me détend.
J'aime la compagnie du mauvais temps. Il reflète si bien mon coeur.
Je souris alors pour la première fois de la journée.
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