Mots pluvieux -1-
La grisaille et le brouillard autour de moi me donnent le sourire. J'éprouve un immense plaisir en sentant l'humidité s'emparer de moi.
Quelle journée magnifique.
Je traverse la cour de mon immeuble et débouche sur une rue bondée. Je me fraie un chemin parmi tous ces humains puants de sérieux et de stress.
A croire que vivre tue le rêve et le plaisir.
Je marche tranquillement pendant une vingtaine de minutes ( je me suis toujours refusée de prendre le métro ! ), pour arriver dans une rue plus petite, plus accueillante.
Je déverrouille la porte de la libraire Almont Librairie dans laquelle je travaille, et prend soin de la refermer derrière moi. La boutique n'ouvre qu'à neuf heures, j'ai le temps de dépoussiérer les étagères avant de laisser les clients s'entasser dans ce minuscule espace.
Alors que je commence à balayer le faux plancher, je laisse mon esprit vagabonder au milieu de mes souvenirs d'enfance.
Je ferme les yeux pour voir une fillette de huit ans, à priori heureuse, danser sous la pluie en compagnie de ses frères.
Un coup porté contre la vitrine du magasin me ramène à mon balais.
Le livreur, un vieux bonhomme qui pourrait jouer le rôle d'un cadavre dans un film d'horreur, me fait signe de lui ouvrir.
Je le laisse entrer, déposer quelques cartons pleins de livres, puis repartir. Pas un mot n'est échangé.
Quel dommage, la parole est si précieuse. Un petit recueil de poésie ne lui ferait pas de mal.
Je range donc les nouveaux ouvrages avant de retourner à mon ménage. Et bientôt, je suis obligée d'ouvrir.
Les clients se présentent un à un, posant leurs deux yeux d'imbéciles sur chaque livre.
Alors que je termine de faire payer une jeune maman aux cernes bien trop tristes, une main pose brutalement un livre sur le comptoir.
Un vieil exemplaire des Poèmes Saturniens de Verlaine.
- Nous avons des exemplaires neufs si vous préférez, proposé-je.
- Celui-ci est très bien, je préfère les vieux livres, refuse poliment le jeune homme en face de moi.
Je remarque alors qu'il est trempé. Tournant le regard vers la vitrine de la librairie, je peux contempler la pluie tomber sur les pavés de la rue.
- Comme vous voudrez.
Je le fait payer, mais en souriant. Quand il pleut, je vais bien.
Le jeune homme s'éloigne vers la sortie, quand il se retourne pour me fixer.
- Tes mots chutent sur les pavés, murmure-t-il.
La surprise doit se lire sur mon visage, car il éclate de rire.
- J'écris quelques citations quand l'envie m'en prend. Vous venez, vous et la pluie qui tombe dehors, de m'inspirer celle-ci, explique-t-il en me faisant un clin d'oeil.
- Oh ! Eh bien, je... c'est cool.
Que voulez-vous y répondre ? De toute évidence, c'est la réponse la moins stupide à donner à ce genre de poètes incompris, orgueilleux, et surtout ratés.
Je préfère de loin la compagnie des livres et ciel orageux.
Il sort, sans oublier d'ouvrir un parapluie. Sacrilège.
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