Chapitre 32 : Guerre

- Père ? Est ce qu'on fuit quelque chose ? demanda pas si innocemment  que ça la jeune fille assise entre deux valises dans un compartiment de train quasiment désert.

Un homme très grand, aux cheveux déjà blancs bien qu'il n'ait pas l'air d'avoir plus de la cinquantaine, posa sur elle un regard soucieux. Il secoua la tête, et répondit sans émotion particulière, levant les yeux de son journal pour les poser sur sa fille :

- Non Anna, ne vous inquiétez pas. Nous rendons visite à votre cousine Layla, elle vient d'avoir une fille, vous souvenez vous ?

L'enfant, âgée de cinq ans, serra les mains sur les pages de son livre. Elle n'aimait pas qu'on lui mente, et elle savait pertinemment que partir en plein milieu de la nuit en emportant une bonne partie de ses jouets et vêtements n'était pas quelque chose de très courant. Un départ en voyage, ça se préparait, et sa mère l'avait réveillée très tôt, vers deux heures du matin, pour l'emmener par la porte de derrière. Et les gens les fixaient étrangement avec leurs regards d'adultes inquiets, leurs sourires compatissants, et leurs hochements de têtes quand ils la voyaient, une valise à la main, celle de son père dans l'autre. Elle savait qu'il y avait la guerre, son précepteur lui avait fait lire les journaux. Ca faisait même deux ans tout pile, elle s'en souvenait très bien.

La guerre, elle l'avait lu dans les livres, ça tuait des gens et c'était mauvais. Il fallait la fuir, et elle se doutait que c'était ce qu'ils faisaient. Elle avait vu les soldats ennemis, avec leurs armes et leurs visages sérieux. Au restaurant où elle avait fêté son anniversaire, il y en avait deux vêtus de l'uniforme Fioréen à la table d'à côté, un jeune qui ne devait pas avoir plus de vingt ans et un autre, plus vieux, d'une cinquantaine d'années. C'était le jeune qui l'avait intriguée. Si les deux paraissaient haut gradés -leurs vestes étaient ornées de médaille et ils arboraient fièrement des épaulettes-, le jeune avait tout, dans l'attitude du moins, d'un simple soldat. Accoudé devant sa choppe, la veste posée sur les épaules, les cheveux qu'il avait roux maintenus par un lacet et une barbe légère lui mangeant le menton, sa manière d'être n'était pas du tout menaçante. Autre chose se chargeait d'effrayer quand on posait les yeux sur lui : son corps.

Tellement blessé que son torse ne présentait quasiment pas d'endroit sans bandage, son bras droit remplacé par une prothèse métallique, et surtout ce sang qui transparaissait un peu partout, tranchant avec la blancheur des pansements.

Quand il avait croisé son regard effrayé, le regard d'une enfant encore candide qui n'avait jamais vu la guerre, il n'avait pu que lui offrir un pauvre sourire et un geste amical de la main gauche, la seule qui lui restait. Et, plus tard, alors qu'un soldat entra dans le restaurant avec un rouleau en main, paniqué, en hurlant :

- Capitaine Clive ! On a des ordres de Crocus !

Il le fit taire avec un froncement de sourcils, s'excusa de la gêne occasionnée auprès des autres clients, régla la consommation avec un sourire et sortit de l'endroit dans un silence religieux, tous les regards sur lui alors que ses bottes ferrées claquaient contre le sol carrelé. Elle l'avait entendu faire des remontrances à son subordonné, comme quoi il y avait des civils et qu'il venait peut être de gâcher l'anniversaire d'une gamine.

Cependant, ce jour là rien n'avait été gâché, au contraire. Elle avait appris une importante leçon de vie, de celles qu'on ne pouvait apprendre dans les livres. Elle avait appris que si quelqu'un était appelé ennemi par les livres et les journaux, il pouvait en fait se montrer aussi humain qu'elle.

La petite fille regarda sa mère qui dormait, son père qui évitait son regard en lisant un journal qu'il devait connaître par coeur, vu le nombre de fois où il l'avait ouvert, et soupira doucement, imperceptiblement.

- Père, demanda t-elle encore, comment s'appelle ma petite cousine déjà ?

- Elle s'appelle Lucy. Vous devriez vous reposer Anna, nous arriverons à Arbaless dans quelques heures, il faut que vous puissiez supporter un repas chez le ministre.

La petite fille fronça les sourcils, ce que son père ne vit pas, et se mordit la langue pour ne pas répliquer que ce bébé devait plutôt s'appeler Prétexte, et qu'elle n'avait aucune envie de faire ami-ami avec le ministre. Elle était presque sûre que les Vermillions dîneraient avec eux, et elle les détestait. Pas qu'elle aimât particulièrement non plus la famille du conseiller de l'empereur, mais les Vermillions étaient vraiment détestables. La dernière fois qu'elle les avait vus, leur fille unique, Mavis, qui avait tout juste un an de moins qu'elle, avait presque été privée de nourriture pour avoir renversé le vin en essayant de les servir. Anna lui avait apporté tout ce qu'elle pouvait en cachette, couverte par le fils de leurs hôtes. 

Ce garçon, justement, qu'elle ne pouvait pas supporter. Leurs caractères étaient trop similaires, ça en devenait ridicule, et ils passaient leur temps à se disputer. Deux esprits butés, qui ne cédaient sur rien, devant personne, et leurs familles respectives s'acharnaient à les coller ensemble dès que la chose s'avérait possible. Dans l'espoir, sans doute, qu'ils finissent par s'apprécier mutuellement. Hors, la petite fille le savait rien qu'en regardant dans les prunelles bleues au contour doré de son homonyme masculin, ça ne serait pas possible. Entre eux deux, rien ne serait jamais possible, que ce soit le ressentiment ou l'amitié, les sentiments ne tenaient pas longtemps et changeaient si rapidement, passant de l'amour le plus vif à la haine la plus démesurée en quelques jours, que les plans de leurs parents en ce qui les concernaient ne pourraient jamais aboutir.

Anna se tortilla sur le siège du train, ferma son livre, le rouvrit, gonfla les joues, tenta de rester tranquille, mais ne put résister à la tentation de dire ce qu'elle pensait à son Père :

- Pourquoi suis-je sans cesse obligée de vivre avec Acnologia ? Je ne l'aime pas, vous le savez.

L'homme leva de nouveau les yeux de son journal et soupira, se massant les tempes. Il se détestait de faire ça, même si la famille du garçon et la sienne étaient amies depuis longtemps et que le petit n'était pas si dérangé que sa fille voulait le faire paraître. Pourtant, pour assurer un futur à sa progéniture, il devait lui donner les papiers qui la reconnaissaient comme citoyenne d'Arbaless. Et pour cela, il n'y avait pas des milliers de solutions. Donnant à sa voix un ton ferme, il martela pour la énième fois :

- Anna, je vous l'ai déjà dit vous n'avez pas le choix, et lui non plus. Il sera votre époux, que vous le vouliez ou non, lorsque vous aurez tous deux atteint l'âge de la majorité. Libre à vous ensuite de vous défaire de ce contrat, mais pour l'instant l'alliance entre nos deux familles est sacrée et il n'y a rien que vous puissiez faire contre.

- Mais Père ! C'est injuste, pour nous deux ! protesta la fillette avec gravité, une maturité effrayante dans ses yeux d'enfant.

- Je ne peux le nier. Je vous promet qu'un jour vous comprendrez pourquoi nous avons voulu vous faire ça, Anna. Ce sera purement administratif, il n'y aura nul commerce de chair, je vous le jure. Ecoutez juste vos parents encore un peu, cinq ans c'est trop jeune pour vous rebeller de la sorte, sourit il en posant les mains sur les épaules de sa fille.

« Un jour, ma fille, tu comprendras. Je t'en supplie juste, en attendant, ne me déteste pas trop fort, et accepte les folies que peut commettre un père par amour... »

NDA : Et voila. C'est avec une petite larme d'émotion que je vous livre ce chapitre ;) Tant de temps à vous faire attendre, et je met enfant THE case sur le tapis ! J'attends vos réactions avec BEAUCOUP d'impatience, héhé, ainsi que vos théories parce que nous sommes plus proches que jamais de la vérité :3 Plusieurs passés s'entremêlent dans ce chapitre 32, saurez vous les voir ?


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