Chapitre 36 : Phare
Golmine reposa son sabre, essoufflé. Il était sur les rotules, tout ça c'était vraiment plus de son âge... A travers ses lunettes aux verres fumés, il jeta un regard aux deux énergumènes qui lui faisaient face, ébouriffés, amochés, appuyés sur une table, mais le regard plus léger.
Ils n'étaient pas de caractère facile, difficilement saisissables. Certains n'avaient pas réussi à les comprendre malgré des années passées à les côtoyer jour et nuit. Le vieil homme était de ceux qui pouvait prétendre avoir accès à une partie de leur âme, mais ils resteraient sans doute à jamais les deux seuls êtres à se comprendre l'un l'autre. C'était ce genre de chose que Golmine avait appris à voir sans qu'on le lui dise.
Cette complicité si étrange et pourtant tellement profonde, incroyablement intense, était une chose qu'on ne pouvait comprendre. On pouvait l'envier, la chercher, parfois l'observer comme lui le faisait, mais pas la comprendre. C'était un lien puissant qui nouait les âmes des deux êtres en face du patron de l'endroit. Il n'en avait, à vrai dire, jamais douté. Et alors qu'il venait de les aider à se sortir leur passé de la tête une fois de plus en les poussant dans leurs derniers retranchements, il l'avait encore observé, ce sentiment magique.
Il n'y avait que lorsqu'ils se battaient qu'ils montraient à quel point ils tenaient l'un à l'autre. Dans des moments comme celui là, où bien qu'épuisés par les épreuves autant psychologiques que physiques qu'ils venaient de subir, Anna et Acnologia se retenaient à un simple comptoir en bois, près de tomber, puisant dans le seul regard de l'autre la force de tenir encore debout.
Ils n'avaient même pas remarqué que Golmine avait posé son sabre avant de s'éclipser, les laissant seuls. Après de longues minutes où ils se tinrent dans un dangereux déséquilibre entre le rêve, la réalité et l'inconscience, ils lâchèrent prise en même temps et s'effondrèrent au sol, affalés contre un pied de table.
Chaque entrevue avec le vieil homme les laissait dans cet état. Etat pitoyable, certes, pour deux vétérans ayant vécu la guerre entre Arbaless, Doralmia et Fioré. Anna fit apparaître un sourire las sur ses lèvres et leva doucement la main pour se frotter le visage, tentant de se reconnecter un tant soit peu avec la réalité.
Bon sang, elle avait mal partout. Mais cette douleur était au moins ce qu'il lui fallait pour oublier. Elle redressa la tête en réajustant ses vêtements et braqua son regard sur son partenaire de toujours. Acnologia n'allait guère mieux qu'elle, il était pareillement amoché, si ce n'était pire. Cependant, ses yeux avaient retrouvés leur vivacité, et n'étaient plus éteints.
En voyant les cheveux d'Acnologia plus décoiffés qu'ils ne l'avaient jamais été ainsi que ses vêtements partiellement endommagés, Anna prit conscience d'une chose horrible : elle ne devait pas être dans un meilleur état, comment allaient ils se présenter aux seize autres énergumènes ?
Bon, d'accord, son excuse de courses n'était pas la meilleure mais avec un peu de chance, ils l'avaient crue. En plus, ça l'aurait étonnée qu'ils sachent que le frigo était d'ores et déjà plein.
Alors il était certain que se ramener ainsi, plutôt amochés, devant eux en criant "Salut !" n'était pas la meilleure option. Et si elle demandait à Acnologia, il allait encore sortir une excuse foireuse voir salace, et les gamins seraient traumatisés. Ce n'était pas non plus son but.
Avec un grognement, l'homme aux tatouages prit appui sur une table en chêne pour se relever. Haussant les épaules, et non sans grimacer, la blonde l'imita. Une fois debout, et encore vacillante, la jeune femme, dans un réflexe qu'elle avait gardé de ses années à l'armée, se mit à faire le tour de ses blessures.
Anodines, évidement. De simple coupures, quelques griffures. Golmine n'avait pas cherché à être tendre, mais ils étaient forts, et le sabre du vieil homme ne les avait pas grièvement blessés. Peut être un peu écorchés, mais il suffisait de laver puis couvrir la plaie, et en quelques semaines il n'y en aurait plus trace.
Cependant, il était clair qu'un peu de sang avait coulé. Ils devraient se laver avant de rentrer au manoir et cacher du mieux qu'ils le pourraient les écorchures. Pas de maillot de bain avant plusieurs jours, c'était sûr.
Dommage, les plages d'Arbaless, avec leur sable blanc et leur eau claire, étaient parmi les plus belles d'Earthland. Malgré leur réticence à aller sur ce continent, Acnologia et Anna ne pouvaient nier la beauté de ses paysages.
- Comment fait on pour se redonner un air présentable ? soupira Anna en jetant un rapide regard à son reflet dans une vitre, ses bottes ferrées claquant contre le pavé.
Ils avaient quitté l'auberge quelques minutes plus tôt, et marchaient dans la rue sans trop savoir où aller. Si quelques passants se retournaient ou les dévisageaient avec surprise, inquiétude, la plupart ne leur accordaient aucune attention. Pour leur plus grand bonheur.
Acnologia haussa les épaules. Il ne prêtait pas grande attention à son apparence. De toute manière, il n'était pas "beau" à proprement parler. Ce n'était pas un mannequin, mais un soldat. Les femmes ne tombaient pas follement amoureuses de lui au premier coup d'oeil rien que pour son physique. En fait, les femmes ne tombaient pas follement amoureuses de lui, tout court.
Il avait du charme, certes, c'était indéniable. Des traits francs, un regard bleu à faire pâlir la mer de jalousie... Il était grand, bien bâtit, et sa carrière de militaire l'avait forgé. Lorsqu'il tombait le t-shirt, beaucoup avaient de quoi le jalouser.
Cependant, il était aussi effrayant. Effrayant par son caractère asocial, moqueur, cynique. Effrayant par sa force, il était devenu modèle pour beaucoup de soldats, l'homme que personne ne parvenait à égaler mis à part sa partenaire de toujours. Effrayant par sa différence. Ses cheveux longs, de couleur atypique même pour une teinture, étonnaient. Ses tatouages encore plus lorsqu'on se rendait compte qu'il y en avait sur tout son corps. Sa manière de s'habiller, aussi, semblait étrangère aux moeurs de Fioré.
Les gens ne comprenaient pas son apparence. Si Acnologia n'avait pas été Acnologia, sûrement se serait il fait martyriser. Mais heureusement, le premier osant une remarque méchante volait contre un mur.
Car il n'était pas homme à se laisser marcher sur les pieds, quitte à en pâtir par la suite. Souvent, il avait faillit faire un carnage. Surtout pendant ses premières années au service du roi, où il était plus qu'incontrôlable, et où ses supérieurs se croyaient tout permis.
Il avait faillit en tuer quelques uns, de rage. Heureusement qu'Anna avait été là. Il ne savait pas ce qu'il serait devenu, sans elle. Il serait mort bien des fois, ou perçu comme un criminel.
Car Acnologia ne faisait rien dans la demi mesure. Il avait connu la guerre, le mensonge, la trahison. Il avait vu, entendu, parfois fait, des choses atroces qu'aucun homme n'aurait dû avoir à supporter. Il avait baigné dans le sang, celui des autres ou le sien, de ses amis ou ennemis.
Cette guerre, elle avait tout changé. Il s'était découvert une partie de lui même qu'il ne voulait plus voir ressurgir. Une partie cruelle, meurtrière. Il frissonna en repensant à tout ça.
Pour les survivants, cette guerre avait été la partie la plus sombre de leur existence. Pourtant, Acnologia ne l'avait pas ressentit ainsi. C'avait été horrible, inhumain, insupportable, mais était ce vraiment la pire chose qu'il ait vécue ? Après tout, il en était ressortit vivant.
Puis il avait comprit. Même en cherchant au plus profond de son être, il ne trouvait pas une partie de sa vie qui n'ait pas été sombre. Hormis une, qui se détachait dans l'obscurité de son existence.
Il regarda les cheveux blonds d'Anna tressauter au rythme de ses pas énergiques, qui laissaient résonner dans la rue un écho métallique de part ses bottes de combat. Leurs deux rythmes de marche étaient différents, pourtant parfois ils s'accordaient et le vacarme de leurs semelles contre les pavés devenait bien plus fort.
Il eut un sourire. Anna était sa lumière, quoiqu'elle pense d'elle même. Une lumière qui avait baigné dans le sang, les mensonges, la trahison. Mais qui restait pure.
NDA : J'ai pas pu résister, je me disais que vous vouliez savoir ce qu'ils devenaient, ces deux là. Mais que leur est il donc jadis arrivé ? Et celui qui trouvera le rapport entre le titre et le chapitre aura mon admiration la plus totale X)
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