Chapitre 7 - Dylan
[ Make It Through the Night - Baby Jane ]
Les monstres. Je me souviendrai pour toujours de ce moment où celui de la forêt m'a enfoncé ses crocs dans la chair. Le sang, l'impression que tout allait s'arrêter. Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie et malgré les soins, j'en garde des cicatrices sur les côtes. Après l'attaque des gobelins, j'ai ce réflexe de poser ma main sur ma veste, comme si j'allais vérifier qu'elles étaient toujours là.
Cette fois, je n'ai pas été blessé mais la peur était belle et bien présente. À mesure que je vois les sbires de Chang déblayer les derniers cadavres souillés de liquide vert, un fourmillement de dégoût se propage dans ma gorge et un frisson m'attaque l'échine.
— Bien. Nous allons passer à l'épreuve suivante. Veuillez me suivre, lance Chang, les mains dans le dos.
Son calme me met mal à l'aise. Le décor de campus parfait me met aussi mal à l'aise. Tout semble aseptiser, des bâtiments à la pelouse, des agents aux uniformes... Je commence à avoir des doutes quant à ma présence ici. Je l'ai fait pour Gabi, parce que c'est mon meilleur ami et que, de toute façon, j'étais déscolarisé depuis un moment sans une once d'idée pour un quelconque métier.
Je ne suis pas doué pour parler, je ne suis pas doué de mes mains. Je ne suis pas particulièrement intelligent, ni cultivé. De ce point de vue, l'armée semblait être la dernière solution. Du moins, celle de facilité. Mais découper ces chairs n'était clairement pas un acte anodin. Je l'ai senti jusque dans mes entrailles et l'image tourne en boucle dans ma tête.
Nous arrivons dans un endroit aux mêmes allures que le bâtiment principal, rempli de vitres et de teintes bleues, de pierre, très carré. Chang et Valentin, suivis de leurs sbires, se postent devant un amas d'armes d'entraînements dans un couloir gris. Des bokken, des karambits et des pistolets sont rangés dans des présentoirs à armes et des hypothèses commencent à circuler dans le groupe.
Des chaises sont disposées le long du mur à côté de distributeurs de nourriture et de boissons.
— Bien. Pour cette épreuve un peu particulière, il s'agira d'une simulation mettant en scène des reconstitutions d'attaques, nous explique le directeur. Le but est de voir comment vous réagissez en situation de crise et de tester votre maîtrise d'armes. Vous pouvez vous asseoir, aller aux toilettes ou boire quelque chose en attendant votre tour. Équipe 1, c'est à vous.
Gabi souffle un coup et fait partit des premiers à prendre place sur l'une des chaises en bois, suivi par Sora. Je les imite et observe les membres de la première équipe, remise sur pied, rendre le poignard et prendre trois armes du présentoir. Ils pénètrent ensuite dans une pièce adjacente avec Chang et Valentin. Le reste de son équipe se contente de prendre une pause également, parlant entre eux à l'écart de notre groupe.
J'écoute d'une oreille distraite les conversations des autres équipes qui ne semblent pas oser faire autre chose, les mains croisées, les doigts jouant entre eux à cause de l'anxiété.
— Je me demandais si tu viendrais, lance Gabi en croisant les bras, à l'attention de Sora.
— Eh bien, je suis là. Je ne veux pas qu'un drame comme ce qui est arrivé la dernière fois se reproduise, répond la concernée d'une petite voix.
Elle défait son chignon, laissant tomber ses longs cheveux noirs en cascade, puis les rattache d'un geste brut. Je meurs d'envie de parler de mes incertitudes à mon ami, mais j'appréhende sa déception. Ils discutent de leur parcours militaire alors j'en profite pour chercher les toilettes.
L'un des agents m'indique le chemin et je me dépêche de refermer la porte derrière moi. Une fois seul, un long soupir s'échappe de ma bouche, les mains agrippées aux rebords d'une des vasques. Je passe de l'eau sur mon visage et mes cheveux ras tout en observant mon reflet comme si celui-ci allait me donner une quelconque réponse.
Une chasse d'eau s'enclenche et une des cabines s'ouvre, laissant apparaître un grand type aux cheveux blonds volumineux, en pagaille, couvrant partiellement une nuque rasée. Son petit nez est percé d'un anneau, tout comme ses lobes couverts de deux.
Alors qu'il s'approche de moi, je discerne sous la lumière bon marché ses yeux gris et ses sourcils froncés lui donnent un air massacrant. Divers tatouages sur les bras et les mains cohabitent avec son uniforme, tout comme un bracelet et une chaîne en mailles.
Il commence à se laver les mains, passant le savon sur des ongles vernis de noir, tout en fixant le miroir. Je ne sais pas vraiment s'il me regarde, mais j'ai la trouille. Sa présence me fige, me fait presque frissonner, comme si tout mon corps me disait qu'il était menaçant. C'est une sensation de puissance semblable à celle que j'ai ressentis envers Chang.
— Qu'est-ce que tu regardes, comme ça ? demande-t-il d'une voix profonde.
On dirait qu'il va me tuer. Sa puissance est tellement grande que je ne peux pas m'enfuir.
Alors, je me contente de déglutir et lui, de sécher ses mains à l'aide de papier.
— Je ne pensais pas faire peur aux nouveaux comme ça, ajoute-t-il d'un rictus amusé. Je sais que ma taille est impressionnante, mais quand même. Bon courage pour la suite, Dylan.
— Comment...
Mais je n'ai pas le temps de terminer ma phrase qu'il sort de la pièce ; quelle étrange rencontre. Je pars à mon tour en espérant le retrouver, ma curiosité attisée par son apparence et l'aura qu'il dégage, sans oublier la connaissance de mon prénom.
Je le retrouve en compagnie d'une fille aux cheveux bleus – plutôt mignonne – ainsi que d'un gars aux cheveux rasés et à la peau foncée en train de discuter. La porte de l'épreuve s'ouvre et l'équipe 6 en sort exténuée. Chang me fait signe de venir, tout comme à Gabi et Sora, restés discuter sur les chaises.
Nous nous exécutons et en jetant un œil par-dessus mon épaule, je me demande comment j'ai fait pour ne pas remarquer ce groupe avant. La pièce est composée d'une vitre donnant sur un décor de hangar désaffecté, quasiment vide, seulement vêtu de quelques palettes et barils sales.
— Tiens, je t'ai pris un flingue et des balles, lance Gabi en me tendant un pistolet Beretta. Je ne sais pas à quoi tu penses, mais l'épreuve va commencer et tu n'avais même pas pris ton arme.
Je récupère l'arme accompagné de son étui que je passe à la ceinture et le directeur nous invite à nous avancer vers le hangar, sous le sourire encourageant de Valentin, appuyé contre le mur.
Une fois de l'autre côté, le froid m'envahit et le décor a complètement changé. Nous faisons face à une rue à moitié détruite entourée d'immeubles ayant subis le même sort. Des passants s'agitent dans tous les sens, la peur gravée sur le visage en direction d'une forme tentaculaire agrippée à un bâtiment. Un monstre. Encore.
— Votre mission est de sauver la ville et par la même occasion, le plus de civils possibles. C'est une situation courante et il faut la résoudre au plus vite. À vous de jouer, lance une voix résonnant dans des haut-parleurs que je ne distingue pas.
Les cris et la panique ambiante des habitants me mettent en état d'alerte. Gabi et Sora, munis de bokken, s'activent aussitôt en partant en direction du monstre. Moi, je me retrouve submergé par tout ce qui se passe alors je reste figé.
— Qu'est-ce que tu fabriques, Dylan ? Viens ! m'interpelle mon ami par-dessus son épaule.
Je m'avance, les jambes tremblantes, mais une petite voix se distingue de tout ce boucan près des décombres. En arrivant devant des blocs de bêton retournés, j'aperçois un sac à dos à l'effigie d'un dessin-animé. Je me penche et l'appel à l'aide se fait plus distinct, entrecoupé de pleurs.
— Quelqu'un... Maman...
Je m'allonge sur le bitume et rampe sous les blocs tant bien que mal, dicté par mon instinct et la possibilité qu'il s'agisse d'un enfant. Dans la pénombre, une petite silhouette recroquevillée sur elle-même, tremblotante, est cachée.
— Je vais te sortir de là. Attrape ma main, dis-je rapidement.
— Non, j'ai peur du monstre, répond la petite fille.
— T'en fais pas. On va s'en occuper mais ici, t'es pas en sécurité.
Le sol tremble et je sens le bloc vacillé sur mon dos. Je déglutis, le cœur battant fortement, ma veste me protégeant encore un peu du danger, mais plus pour longtemps. Tout ce qui se passe paraît plus vrai que nature malgré les indications de Chang concernant une quelconque « simulation ». J'ai complètement abandonné les autres pour la sauver, je ne peux pas renoncer.
— Où est ma maman ? demande la petite entre deux sanglots.
— Je sais pas, mais on va trouver. Promis. Je te protègerais du monstre.
Elle ne répond pas, songeant sans doute à une décision. Je n'ai pas le temps de la convaincre plus que ça. Il va falloir que j'aille la chercher directement si je ne veux pas qu'elle se fasse tuer. Je rampe encore un peu pour arriver jusqu'à elle et attrape sa main faisant la moitié de la mienne.
— Il faut vraiment y aller. Fais-moi confiance.
La petite finie par hocher la tête alors je recule avec elle, mais le bloc continu de tomber. Un réflexe que je ne soupçonnais pas me pousse à me redresser pour pousser le bêton de toutes mes forces, créant un espace pour que l'enfant puisse passer.
— Vas-y, je vais pas tenir longtemps ! indiqué-je entre les dents.
Elle s'exécute et une fois en sécurité, je lâche doucement le bloc pour me sortir de là, en espérant ne pas finir aplati comme une crêpe. Exténué, je reprends mon souffle et prends la petite fille dans mes bras engourdis.
Je cherche une possible mère tout autour de moi, mais les gens sont tellement effrayés qu'ils continuent de se ruer dans tous les sens. Une dame d'une quarantaine d'années accourt alors vers moi, complètement apeurée. La petite s'empresse de la rejoindre et sa mère m'offre un hochement de tête en guise de remerciement.
Une bonne chose de faite. Il est temps de se débarrasser de ce monstre.
Je rejoins rapidement mes coéquipiers, aux prises avec les tentacules, et reprend le contrôle de mes émotions pour me concentrer sur ma cible. La sécurité du pistolet retirée, je tire sur la créature qui reçoit deux projectiles explosifs.
— T'en as mis du temps, commente Gabi, son sabre d'entraînement luttant contre un tentacule.
— Désolé du retard, je sauvais une gamine.
Un bruit de vent fort m'interpelle et en me retournant, je tombe nez à nez avec un des organes munis de ventouses coupé en deux, dont l'œuvre n'est autre que celui de Sora. La surprise me fait sursauter et lever mon pistolet bien trop tard.
— Deux fois que je vous sauve. Il ne faudrait pas que ça devienne une habitude, lance notre partenaire avec un rictus amusé.
Je lève les yeux au ciel en guise de remerciement et vise un tentacule arrivant derrière elle. Elle se baisse au dernier moment et la balle explosive provoque un jet de fumée, faisant grogner le monstre au passage.
— Hé ! Tu aurais pu prévenir, s'énerve-t-elle en se redressant.
— Comme ça, on est quitte, dis-je en souriant.
Elle reprend son combat sans un autre commentaire puis les échanges de balles et de sabres continus, accompagnés de roulades, de course et de sauts d'esquive, profitant de la zone dégagée pour prendre autant d'espace que nécessaire.
— C'est qui, le blond et ses copains qui étaient près du distributeur de boissons ? demandé-je en rechargeant.
— Les sbires du directeur, pourquoi ? répond Sora en se baissant pour éviter une attaque.
— J'ai croisé le blond aux toilettes. Il est flippant, j'espère qu'on n'aura pas à travailler avec lui.
— C'est pas le moment de discuter, le monstre est vulnérable sans ses tentacules, lance Gabi d'un ton strict.
La masse informe aux yeux globuleux tombe lourdement sur le bitume, hurlant de douleur et certainement de colère. Nous nous précipitons sur lui pour lui tirer dessus et lui asséner le coup de grâce à l'aide des bokken. Du sang bleu se dégage de ses blessures et un dernier soubresaut nous indique sa mort.
Il disparaît alors, tout comme les éléments autour de nous, et nous nous retrouvons bientôt dans le même hangar qui était visible depuis la fenêtre de la petite pièce.
— Bien. La simulation est terminée, vous pouvez revenir, nous indique le directeur depuis les haut-parleurs.
— C'était plutôt simple, dis-je en marchant vers la porte.
— C'était surtout bizarre, rétorque Sora. Un tentacule m'a touché et j'avais l'impression qu'il était vraiment là. Je le sens encore sur mon bras. Pour une simulation, c'était sacrément réaliste.
— Maintenant que tu le dis, les blocs de béton que j'ai soulevé pour sauver la gamine semblaient vraiment prêts à me tomber dessus. Vous avez déjà entendu parler d'une technologie comme ça ?
— Non. Peut-être que c'étaient des pouvoirs ? propose Gabi, l'air pensif.
Arrivés à la porte, nous n'apposons pas d'autres hypothèses et restons fébriles quant à cette « simulation ». Si ce sont vraiment des pouvoirs qui ont fait ça, c'est terrifiant.
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