Partie 86
Helia fixait le mur blanc du couloir sans vraiment le voir. Dans sa tête passait en boucle la question "comment c'est possible que ça soit arrivé si vite?". Oui. Comment? Comment quelque chose de si sacré que la vie peut se détériorer et disparaître si rapidement? Cinq jours plus tôt elles revenaient de l'enfer et faisaient face à un ados alité mais souriant. Deux jours plus tôt elles faisaient face à un ado inconscient que la vie quittait peu à peu. Aujourd'hui elles avaient fait face à un ado inconscient que la vie quittait définitivement.
Les pas précipités de sa copine la sortirent de ses pensées et il lui fallut une bonne minute avant de réagir et de la suivre. Elle jeta un coup d'œil à leurs amis qui se tenaient au bout du couloir et les vit tous en larmes ce qui lui serra le cœur et rendait la situation plus réelle. Même Clayton et Anthony avaient fait le déplacement.
Elle inspira un grand coup avant d'entrer dans la chambre qui, quelques heures plus tôt, appartenait encore à Tomas. Elle se figea face au lit vide avant de se ressaisir et de s'accroupir face à Selena. D'un geste tendre elle lui dégagea le visage et l'observa. Elles restèrent ainsi quelques instants à se regarder avant que la plus jeune ne daigne s'accroupir à côté de la footballeuse. Sa blessure à la cheville irradia son corps mais elle ne bougea pas. Elle accueillait même à bras ouverts cette douleur. C'était tellement plus facile de gérer une blessure corporelle qu'une blessure assez profonde pour transpercer son âme.
-"Quelle semaine de merde, hein?" finit par murmurer la plus âgée, ramenant sur terre sa copine qui lui répondit avec un simple sourire triste.
-"Ouais." murmura Helia.
-"Ils ont déjà enlevé les draps..."
Helia observa Selena avant de suivre son regard et de tomber, encore une fois, sur le lit vide. Il leur fallut un dernier échange de regards avant de fondre en larmes. A un moment, la plus jeune finit par se laisser glisser totalement sur le sol et sa copine en profita pour se glisser dans ses bras, s'agrippant désespérément à ses vêtements en pleurant et utilisa le corps d'Helia pour étouffer ses cris de douleur.
C'était si difficile. Ça faisait tellement mal. Pas juste aujourd'hui mais toute la semaine qui venait de s'écouler. Voir un proche, un être que l'on aime, partir petit à petit sans que l'on ne puisse rien faire fait tellement mal. On se sent tout simplement impuissant. On aimerait pouvoir faire plus, pouvoir faire quelque chose, n'importe quoi, pour éviter l'inévitable mais il n'y a rien à faire. On sait pertinemment ce qui nous attend et quel chemin le destin a décidé de suivre mais pourtant une petite part de nous espère toujours. Le fameux "et si..." tourne dans notre esprit, nous fait espérer, nous permet d'imaginer une fin différente et même si c'est seulement une toute petite partie de nous elle hurle. Elle refuse ce qui va arriver. On est là, dans une chambre d'hôpital, on tient la main, bien trop froide, de celui que l'on aime tant et on se sent vide, pas de larme, pas de sourire, comme des statues on se tient simplement là alors que cette petite once d'espoir hurle de désespoir en nous, nous suppliant de ne pas abandonner. C'est cette même petite partie qui fait si mal quand l'inévitable se produit. Elle implose littéralement et nous détruit de l'intérieur à l'image de l'onde de choc d'une bombe atomique ravageant tout sur son passage.
Ce n'est pas tout. Il y a autre chose qui fait tout aussi mal, le fait de voir nos proches dans le même état. On aimerait pouvoir les rassurer, leur dire que tout va bien se passer, que tout va s'arranger même si on sait que non. On aimerait simplement y croire nous même. Chacun essaye de rester fort à sa manière pour soutenir les autres mais c'est si difficile. Comment soutenir quelqu'un quand on ne peut même pas se tenir debout? Comment lui sourire quand notre âme hurle? Pourtant on y arrive. On ne sait pas où on la trouve mais tous les matins on se lève, on trouve la force de se tenir debout et si on tombe on se relève encore et encore. On puise en nous pour offrir un sourire à ceux que l'on aime, on repousse nos limites et par amour pour les personnes proches de nous on se tient à leurs côtés. C'est à ce moment que l'on réalise à quel point l'humain peut faire preuve de bonté et d'humanité. On arrive tous à mettre notre douleur de côté pour prendre un peu de celle des autres et les soulager un petit instant. On se soutient, on se confie, on finit même par pleurer sans retenue devant eux. On laisse tomber les apparences et on s'aime simplement.
Taïna et Shanley fermèrent la porte, laissant leurs meilleures amies pleurer ensemble. Elles allaient repartir quand la cheerleader stoppa son ex-copine en lui attrapant le bras.
-"Shay?" s'inquiéta l'Haïtienne en se tournant vers son amie en fronçant les sourcils.
-"S'il te plaît..." murmura la Barbadienne.
La plus jeune la dévisagea un instant avant de l'attirer vers elle pour un câlin. Elle la serra de toutes ses forces et mit sa tête dans le creux du cou de son ex avant de se laisser aller et de craquer elle aussi. A quoi bon se retenir? Elles pouvaient tout lâcher.
-"C'est pas juste." chuchota Shanley en s'agrippant à Taïna comme si sa vie en dépendait.
-"Je sais." lui répondit la plus grande entre deux sanglots. "Je sais."
Durant les jours qui suivirent peu de mots furent échangés. Chacun s'occupa à sa manière, la plupart en allant faire du sport pendant des heures jusqu'à tomber d'épuisement. C'était tellement plus simple de gérer ses émotions en se coupant du monde et surtout en n'y faisant pas face et en dormant.
La cérémonie au cimetière allait débuter quand Anthony blêmit ce qui attira l'attention de ses amis de la BRU. Quand ils se retournèrent tous, la tension monta en flèche et plus personne ne parla en attendant la réaction du couple de Cubaines.
-"Toutes nos condoléances." déclara Ilaria en s'approchant des deux jeunes femmes.
Si tout le monde était heureux de voir l'Italienne c'est son accompagnatrice qui suscitait tant de malaise.
-"Je sais que par ma faute nous ne sommes pas en bons termes mais... Je me devais d'être là." s'exprima Hailey en fixant le couple d'un air décidé.
Ce qui sembla être une éternité passa avant que Selena ne soupire en baissant la tête tandis qu'Helia lui attrapa la main en faisant signe aux deux arrivantes de s'approcher. Ilaria ne perdit pas une minute avant d'enlacer le couple. Hailey fut plus hésitante mais quand Selena l'attira dans l'étreinte elle se laissa faire et échappa quelques larmes.
-"Je suis tellement désolé pour tout. Vraiment. Je m'en veux tellement. A cause de moi on n'était pas là pour tout ce qui s'est passé cette semaine je suis tellement désolé." s'excusa la footballeuse en pleurant tandis que le couple la rassura.
La cérémonie se déroula comme n'importe quelle cérémonie. Sans surprise, beaucoup de larmes furent versées. Evidemment c'était triste, comment les choses pourraient être différentes? Un adolescent de 14 ans était enterré ce jour là mais pourtant il y avait tout de même de la beauté dans ce moment. C'était authentique. Chacun laissait libre cours à ses émotions, tout le monde était comme à nu, les sentiments semblaient se matérialiser dans l'assemblée. Toutes les querelles du passé se trouvaient oubliées durant un instant et la rancune, la haine, la jalousie s'évaporèrent pendant un moment. C'était un moment de rassemblement en la mémoire d'un être innocent parti trop tôt et l'égoïsme de chacun se tut en signe de respect.
-"Bon." commença Taïna en se levant "On fait quoi maintenant?"
Tous les membres de la BRU s'étaient réunis dans une pièce à part, loin des convives, après la cérémonie au cimetière.
-"Taï c'est pas le moment..." tenta Ilaria en grimaçant.
-"Au contraire." déclara Alexa en se tournant vers les Cubaines.
-"On a tenu promesse à Tom. Pendant deux ans on a vécu la vie de n'importe quel étudiant. Maintenant on passe aux choses sérieuses." répondit Selena.
-"On surveille deux jeunes femmes depuis un moment. Elles sont de New York et tout porte à croire qu'elles nous ont repéré. Elles sont vraiment intéressantes et on pense qu'elles vont vraiment nous être utiles pour notre projet." expliqua Helia.
-"Donc? Qu'est ce que vous proposez?" demanda Erin en observant les étudiantes.
-" On continue bien évidemment nos études comme si de rien était..." commença Helia en souriant.
-"Tout en gardant un œil sur elles." termina Selena. "Pour le moment on ne va pas les rencontrer officiellement mais quand le moment viendra alors on fera en sorte qu'elles nous accueillent elles-mêmes et surtout qu'elles comprennent parfaitement le signal."
-"Et comment?" demanda Clayton en fronçant les sourcils.
-"En annonçant les unes après les autres que nous héritons des entreprises de nos parents. Le mieux ça serait de le faire en une semaine." répondit Selena.
-"Et surtout, on pense qu'elles vont hériter de l'entreprise où elles sont en ce moment. Certes elles viennent de familles qui possèdent de très grandes et anciennes entreprises mais leur boss actuel n'a jamais gardé de stagiaire aussi longtemps et semble leur porter un certain intérêt. Si jamais on arrive à coller leur annonce la même semaine que les nôtres alors..."
-"Elles vont comprendre. Si elles vous ont bien remarqué comme vous le pensez alors elles vont directement se douter d'un truc." déclara Victoria en dévisageant ses deux amies.
-"Et ça semblera trop gros pour que les gens osent parler d'un complot. Ils se diront que si jamais vous complotez quelque chose votre but serait la discrétion et non l'attention." déduit Sophia en souriant.
-"J'arrive pas à déterminer si vous êtes des génies ou des psychopathes." murmura Nina en secouant la tête.
-"Surement un peu des deux." chuchota à son tour Shanley.
-"Eh bien voilà! On dirait que nous avons un plan!" s'exclama Taïna ce qui fit rire tout le monde.
-"Et pour ce qui concerne les tarés qui vous ont enlevé?" s'enquit Anthony.
-"On enquête toujours pour mieux saisir leur but et ce qu'ils veulent vraiment. On devrait être tranquille un moment mais on va devoir rester sur nos gardes. Quelqu'un doit forcément tirer les ficelles dans l'ombre." répondit Kathleen.
-"Bon, en attendant arborez vos sourires les plus courtois et retournons en bas." ordonna Abigail, obtenant l'approbation de tout le monde.
La vie n'est jamais un long fleuve tranquille. Il y a de nombreux hauts et de nombreux bas. Les gens vont et viennent, restent et partent. Nous commettons des erreurs, nous expérimentons, nous apprenons et ce à n'importe quel âge. Le plus important c'est de s'accepter, de faire face, de ne pas baisser les bras mais aussi d'apprendre à demander à l'aide si besoin et de pouvoir compter sur quelques personnes de confiance. La mode est à l'égocentrisme, au narcissisme malsain et à la compétition mais rien ne nous empêche de se soutenir, de s'entraider, de s'ouvrir aux autres. C'est ça le secret de la Blue Rose University car finalement, l'atteinte de l'impossible, de l'inaccessible et de l'espoir éternel est possible lorsque nous avons une épaule sur qui pleurer, une main tendue à attraper, un sourire pour nous réconforter, une oreille pour nous écouter, une bouche pour nous rappeler nos buts et nous encourager. Tout est possible à plusieurs. Tout est possible quand nous décidons de ne plus être spectateurs de nos vies mais acteurs. Un échec n'est pas une défaite, ce n'est que partie remise.
A cette époque où tout est accessible d'un simple clic nous oublions souvent de laisser le temps au temps, nous allons trop vite et passons à côté de beaucoup de choses. Et c'est exactement ce que prouveront prochainement nos amies de la Blue Rose University.
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