Partie 57

-"Vous auriez dû nous en informer."

-"Ecoutez mademoiselle Miller on comprend votre colère mais on pensait que vous étiez déjà au courant."

-"Nous ne sommes pas en colère mais inquiètes. Ce que ma compagne essaye de vous faire comprendre c'est que l'on ne peut pas tout savoir surtout quand on voit tous les moyens que vous avez mis en oeuvre pour couvrir cette histoire."

-"Kate a raison. Vous avez joué de toute votre influence pour les couvrir."

-"Ce sont nos filles! Evidemment que l'on a tout fait pour les couvrir!"

-"Vous vouliez les couvrir elles ou vous et votre image madame Cabrera?"

-"Nous savons que nous ne sommes pas les meilleurs parents mais nous aimons nos filles. Gardez vos accusations pour vous mademoiselle Brown."

-"Je veux juste vérifier toutes les pistes monsieur Morales."

-"On pensait que si on vous en parlait vous ne voudriez plus vous occuper d'elles."

-"Elles ne sont pas méchantes, on ne sait pas d'où ça vient c'est..."

-"Pour votre information madame Morales, en aucun cas nous ne les aurions abandonnés de plus madame Cabrera nous les connaissons, même surement mieux que vous quatre, alors pardonnez-moi mais oui on sait qu'elles sont adorables, intelligentes et bien d'autres choses. Vos filles sont extraordinaires."

-"Kate s'énerve car vous connaissez nos compétences en psychologie. On vous a vraiment aidé à comprendre vos filles lors de votre séjour comme jamais personne ne vous a aidé à le faire. Grâce à nous vous commencez enfin à les comprendre. Vous auriez dû nous faire part de ça lors de votre séjour ici car maintenant on a une vidéo de vos filles dans la presse à scandales où on les voit déboîter une épaule et fracturer un tibia sans la moindre hésitation. Quand on sait pour le premier incident et comment ça a fini ce n'est pas difficile de deviner que ces deux jeunes hommes savaient parfaitement quoi faire pour les énerver. Leur but était d'avoir une vidéo de vos filles faisant ce qu'elles ont fait. Grâce à votre goût du secret c'est chose faite."

-"Comment vont-elles?" intervint Ernesto pour la première fois.

-"Elles dorment. Elles ont couru jusqu'à tomber d'épuisement." souffla Abigail en s'asseyant sur une des chaises de la salle de vidéoconférence.

-"Vous les avez laissé faire?"

-"Oui madame Cabrera. On ne pouvait pas aller contre leur volonté. Pour leur bien on devait les laisser gérer ça à leur manière. Le plus important maintenant c'est leur état d'esprit. Taïna et Shanley sont venues nous voir en disant que depuis le premier "incident" elles savent qu'elles ont blessé vos filles car elles n'ont pas gardé un visage neutre lors de leur intervention."

-"Si Kate vous parle de ça c'est pour vous faire comprendre que vos filles, d'après nous, ne doivent absolument pas culpabiliser de ce qu'elles ont fait la première fois ou ce matin. Ça ne veut pas dire qu'elles sont atteintes de troubles mentaux. Elles ont des principes et pour les gens comme elles ces principes sont presque vitaux et doivent être respectés. La protection des gens qu'elles aiment est l'un d'entre eux. En temps normal ce sont des êtres vraiment doux et adorables, elles ne feraient pas de mal à une mouche mais en cas d'injustice ou autres alors elles peuvent en arriver là."

-"Par contre il y a une chose qui leur tient vraiment à cœur." reprit Kathleen en s'asseyant également "C'est le regard des gens sur elles et plus particulièrement le regard des gens qu'elles aiment. Si Shay et Taïna ont vraiment eu cette réaction de peur et d'inquiétude alors ça a dû les toucher négativement dans leur estime d'elles-mêmes. On aimerait donc que vous nous racontiez la première fois, comment votre intervention s'est passée et quelle a été votre réaction messieurs."

-"Eh bien." commença Silvio en se massant la nuque "Je pense qu'il faut être honnête avec vous si Ernesto ne s'y oppose pas."

-"Non. On doit bien ça à nos filles." répondit Ernesto en se passant les mains sur le visage.

-"Comme vous le savez nous venons de Cuba. Ernesto et moi on se connaît depuis toujours. A l'époque nous étions comme des frères mais nous n'étions pas que deux. Des gars plus âgés nous ont pris sous leur aile et nous ont aidés. Ils avaient le même rêve que nous: Partir. Comprenez, nous sommes tous les quatre nés en 1972. Nous avons grandi dans le contexte de la guerre froide, il y avait des attentats, les opposants au régime étaient arrêtés. C'était un contexte difficile. Nous avions 8 ans lors de l'exode de Mariel en 1980. Je ne sais pas si vous savez mais durant cet exode le régime a expulsé environ 125 000 Cubains considérés comme des opposants au régime, c'était donc un aller simple. En fait les gens avaient pour la première fois le droit de partir librement. Même si c'était autorisé partir, abandonner son pays, signifiait être un opposant du régime. Beaucoup de gens injustement emprisonnés ont pu partir durant cet exode comme l'écrivain Reinaldo Arenas. On a vu des gens que l'on connaissait partir alors que nos familles ont décidé de rester car peu importe à quel point les conditions de vie étaient difficiles elles ne voulaient pas abandonner Cuba. Nos familles ont vu Castro arriver au pouvoir et libérer Cuba d'une dictature avant de connaître une désillusion totale."

-"Le chef du petit gang s'appelait Sebastian. C'est durant cette année 1980 qu'il nous a remarqué. Un jour, alors que l'on avait 18 ans, on revenait d'une soirée de lycéens avec Gabriela et Carolina. Pour vous resituer nous étions en 1990, un an avant la chute de l'URSS. Je me doute que vous êtes au courant que l'URSS était un allié important de Cuba. Nous n'avions déjà plus d'échanges avec les USA et donc notre commerce dépendait exclusivement des pays du bloc soviétique. Ça faisait déjà un an que l'URSS battait de l'aile et que Cuba ne recevait plus d'aide financière, la crise s'annonçait déjà et c'était le début de ce que l'on a appelé la "période spéciale". Il y a eu de nombreuses pénuries, il n'y avait de l'électricité que très rarement, le carburant manquait. Dès le début de l'année 1990 la production industrielle avait baissé de ⅘ ème et le commerce extérieur de 75% ce qui représente en réalité la part de l'URSS dans le commerce extérieur de Cuba durant la Guerre Froide. Les conditions étaient difficiles, l'embargo américain n'a rien arrangé bien au contraire, mais les Cubains n'ont pas baissé les bras et ont mis très rapidement en place de l'entraide. On bricolait avec des batteries de voiture des groupes électrogènes, on se réunissait tous ensemble. Le "système D" était monnaie courante. Pour en revenir à cette soirée, en rentrant, on a croisé un des gars de Sebastian sur la route qui nous a informé qu'il y avait des problèmes et que l'on devait partir. On a envoyé Gabi et Carolina récupérer nos affaires pendant que l'on a foncé tous les deux à la planque."

-"Quand nous sommes arrivés c'était un massacre. Sebastian était encore vivant comme Elio et Celio. Ce sont les trois têtes de notre petit groupe enfin c'étaient. Ils avaient à peine la force de parler, ils ont été torturés et laissés là, à l'agonie. Ils nous ont dit que c'était un coup du gang de dealers dans le coin. Notre groupe s'était opposé à eux quelques mois avant car leur drogue causait beaucoup de décès dans notre quartier mais ce n'était pas la seule raison. On doit être honnête, notre groupe faisait des activités illégales. Le prix du rhum et des cigares était exorbitant alors il y avait un marché noir. Nous vendions des produits qui se raréfiaient et notamment des cigares. On peut dire que ça devait être dans les 70% de nos ventes. Ce groupe de dealers commençait à se mettre à la vente sur le marché noir également et déjà que l'on risquait d'attirer les autorités en étant seul, deux groupes sur le même territoire ça allait être trop flagrant. Pour nous protéger on devait régler le problème de ce gang."

-"Ils nous ont informé qu'Amanda, Luisana et Juliana, leurs compagnes, étaient parties à notre recherche pour nous protéger et nous dire de quitter Cuba. Ils nous ont supplié de partir en disant que nous étions leur plus belle réussite, que nous devions protéger notre futur tous les quatre."

-"Elio et Celio étaient comme nos grands frères. Certes c'est Sebastian qui nous a repéré mais ce sont eux qui nous ont vraiment épaulés. Ils n'avaient que 4 ans de plus que nous. Celio était surtout proche d'Ernesto et Elio de moi. Pour les femmes, Juliana qui était la compagne de Celio restait souvent avec Gabriela quand il était avec Ernesto et Luisana tenait compagnie à Carolina quand Elio était avec moi. Ils n'ont pas eu la chance de faire des études mais pour nous ils ont fait bien des choses, peu légales, pour nous fournir des livres des USA pour nous donner un niveau proche du continent. Pour l'anglais c'est le cousin de Celio qui nous l'a appris: Tom. Il avait 6 ans de moins que nous. Sa mère était cubaine et son père américain. Sa mère est partie aux USA durant l'exode de 1980. A la mort de son père dans un accident de voiture ils sont revenus car ils n'avaient plus personne là bas. Sa mère ne travaillait pas, elle était gravement malade et elle ne voulait pas que Tom se retrouve seul aux USA. Elle est décédée quelques mois après son retour alors Tom vivait avec Celio. C'est peut être pour ça que les autorités n'ont rien fait contre elle. Tout le monde savait qu'elle était gravement malade. Normalement elle n'aurait jamais pu revenir."

-"Quand on a retrouvé Gabriela et Carolina c'était trop tard. Le gang leur avait mis la main dessus. Ils avaient neutralisé Luisana, Juliana et Amanda. Ils nous ont ramenés dans notre repaire. C'est à ce moment que l'on a compris que c'était pour ça qu'ils avaient laissé nos trois chefs en vie. Ils se sont amusés à torturer les trois femmes sous le regard de leurs compagnons qui ne pouvaient rien faire. Quand ils en ont eu assez ils ont décidé de s'en prendre à nous. Ça se savait dans tout le village que nous étions leurs petits protégés alors nous torturer allait les atteindre. Ils avaient inclus des membres de nos familles dans le groupe pour les aider alors que l'on ne rentrait pas comme ça dans leur petit gang. C'est juste parce qu'ils tenaient à nous qu'ils avaient accepté d'engager des membres de nos familles. On gagnait de l'argent grâce à eux et nous aidions nos familles."

-"Ils n'ont donné que quelques coups à Ernesto et moi. Leur plan était de s'en prendre à Caro et Gabriela. Ils les ont mis au centre de la pièce et..."

-"Et ils nous ont enlevé nos t-shirts." reprit Carolina pour soutenir son mari qui n'arrivait pas à finir sa phrase.

-"Ils nous ont marqué avec des tiges de métal chauffées. Nous avons perdu connaissance sous les cris de nos six aînés et de nos compagnons." termina calmement Gabriela.

-"On a craqué. Littéralement. Avec Silvio on a perdu le contrôle. C'était trop pour nous."

-"On s'est levé, on a attrapé les premiers trucs qui nous passaient sous la main et on a massacré ces gars après avoir récupéré des revolvers sur les corps des deux mecs qui nous surveillaient et à qui on venait d'ouvrir le crâne."

-"Nous étions méconnaissables. De vrais tueurs, de vrais monstres. On les a tous descendu alors que l'un des membres devait avoir quoi? 10 ans? Ce sont Luisana et Juliana qui nous ont calmé. Luisana a attrapé Silvio en le forçant à la regarder et Juliana s'est occupée de moi de la même manière pendant qu'Amanda s'assurait que nos deux femmes allaient bien. Sans elles on aurait plongé dans la folie et on aurait pu aller massacrer toutes les personnes liées de près ou de loin à ce gang."

-"C'était surement trop tard pour sauver nos trois chefs et leurs copines le savaient. Elles nous ont emmenés récupérer le petit Tom pour partir en nous suppliant de le prendre avec nous car une guerre venait d'être déclarée. Elles ont refusé de venir. Elles se savaient presque condamnées si elles restaient mais elles ne voulaient pas abandonner leurs compagnons de plus Danilo, le petit frère de Sebastian, était introuvable. Il avait notre âge et Sebastian aurait donné sa vie pour lui. Elles devaient le retrouver. Même si nos trois chefs étaient quasiment condamnés à mort, s'il y avait un petit pourcent de chance qu'ils survivent alors Sebastian serait vraiment devenu fou si son petit frère restait introuvable. En réalité c'est en devenant ami avec Danilo qu'il nous a repéré."

-"Malheureusement pour nous quand nous sommes arrivés au port pour prendre le bateau que l'on devait utiliser pour rejoindre les USA une partie du gang nous y attendait. On a couru avec Gabi et Carolina sur le dos mais ils ont attrapé Tom. Ils nous ont dit d'abandonner ou qu'ils le tuaient."

-"On allait se rendre quand le petit nous a crié "Je n'ai aucun avenir, je suis malade comme Mama alors partez! Sinon mon cousin et les autres sont morts pour rien!". Il nous a fait un grand sourire jusqu'à ce que l'un des hommes lui tranche la gorge. Nous avons couru comme des dingues jusqu'au bateau "Plan B" et nous avons réussi à partir. On s'est échoué en mer mais on était déjà dans les eaux territoriales des USA donc on a été repêché et emmené à Miami. Voilà notre arrivée ici."

-"Celio et Juliana, Elio et Luisana, Sebastian, Amanda, Danilo, Tom..." murmura Abigail.

-"Pour Selia Julia, Helia Luisa, Esteban, Havana, Daniela et Tomas." continua Kathleen en observant les quatre Cubains.

-"On devait leur rendre hommage." répondit Carolina en adressant un sourire triste aux deux jeunes femmes.

-"On ne devait avoir que deux enfants chacun. On a décidé que nos aînés porteraient les prénoms de nos grands frères et sœurs de cœur et que les cadets porteraient les prénoms de Sebastian et sa compagne Amanda. On gardait celui de Sebastian tandis que Carolina et Silivio gardaient celui d'Amanda. Si on avait eu une fille et eux un garçon on aurait juste changé le genre du prénom. Quand Esteban a voulu un petit frère ou une petite sœur on a décidé que l'on rendrait hommage à Tom car ce gamin le méritait. Malheureusement si c'était une fille nous n'avions pas de variante féminine donc nous avons choisi "Daniela" en l'honneur de Danilo car après tout il le méritait aussi. Il se trouve que nous avons eu des jumeaux de sexe différent donc nous avons pu leur rendre hommage à eux deux sans distinction." expliqua Gabriela.

-"Nos familles ne connaissent pas les prénoms de nos enfants. Elles n'aimaient pas l'influence qu'avaient nos trois chefs sur nous et nos cousins. Quand on a emmené Helia à Cuba on a dit qu'elle s'appelait Elena. Personne n'a vraiment relevé et elle était trop jeune pour ça ou alors, et c'est le plus probable, malgré son jeune âge elle a compris que l'on mentait et elle nous a suivi. Elle savait que c'était tendu entre nous et nos familles et c'est une gosse intelligente. Elle a dû aller à Cuba que deux fois à cause des conditions difficiles pour voyager. Comme vous le savez, pendant longtemps on ne pouvait pas aller à Cuba à cause des restrictions mises en place par le gouvernement américain, ensuite ce n'était qu'une fois par an et maintenant c'est un peu plus simple."continua Silvio.

-"Et elle prévoit d'y emmener Selena." indiqua Kathleen.

-"Selena a toujours voulu aller à Cuba. Elle veut connaitre sa famille. On ne peut pas l'empêcher d'y aller." marmonna Ernesto.

-"La première fois que nous sommes allé à Cuba elle nous a dit qu'elle y emmènerait Selena donc on s'y attendait." rigola Silvio en secouant la tête.

-"Elles ont la citoyenneté américaine. Les relations avec les USA sont très tendues, jamais un Cubain n'oserait toucher une Américaine. Même si elles ont la double nationalité elles sont protégées. Elles n'auront pas à cacher leurs prénoms." expliqua Gabriela.

-"Mais et le jeune Tom? Il n'avait pas la double nationalité?"

-"Non. Il est né à Cuba. Ils sont partis aux USA quand il avait 2 ans. De plus à l'époque les relations entre nos pays étaient plus tendues." répondit tristement Ernesto.

-"Quand vous êtes arrivés dans ce parc, là où vos filles ont rencontré Zac et Bryan pour la première agression" commença Kahleen "vous avez paniqué car vous vous êtes revus à travers vos filles je me trompe?"

-"Non." souffla Silvio en devenant nerveux tout comme Ernesto.

-"Vous avez eu peur?" questionna Abigail.

-"Oui". marmonna Silvio "Nous n'avons jamais oublié ce que nous avons fait. Nous avons fait des recherches et tout ça aurait pu être une maladie mentale. Ces maladies sont souvent héréditaires et..."

-"L'instinct de survie." l'interrompit Abigail "Vous avez obéi à l'un de vos instincts les plus primaires. C'est une réaction humaine tout à fait normale. Avez-vous déjà vu la vidéo d'une mère qui soulève une voiture pour sauver son enfant? Vous seriez surpris de ce que l'être humain peut faire par instinct de survie et pour protéger ceux qu'il aime."

-"Vos filles ont des émotions et sentiments plus intenses, plus poussés, plus développés. C'est difficile de l'expliquer, je pourrais vous dire que l'amygdale qui est la partie du cerveau qui gère les émotions mais plus particulièrement la peur est plus sensible et réactive chez elles mais on perdrait pas mal de temps pour des choses complexes que vous ne retiendrez pas. En bref, pour que vous agissiez comme vous l'avez fait il a fallu vous pousser à bout pour que vous atteignez ce point de non retour. Pour vos filles c'est plus rapide. Dès le début de la menace elles sont à la limite et il ne faut pas grand chose pour les faire basculer."

-"Le problème c'est que quand une personne franchit cette limite une fois alors elle la franchit plus facilement une deuxième fois mais pas vos filles. Leur façon de basculer ne change pas. Elles restent stables."

-"Elles sont moins dangereuses qu'Ernesto et moi?"

-"Oui et non. Giflez Havana devant Helia et vous perdrez votre main. C'est exagéré mais je pense ne pas me tromper en disant que toucher Daniela, Tomas et Havana devant Helia et Selena est quelque chose de très dangereux. Tout comme toucher Helia ou Selena devant Selena ou Helia. Vous suivez?" ironisa Kathleen.

-"Vous ne nous apprenez rien pour le coup." admit Ernesto en rigolant.

-"Le problème c'est qu'elles doivent avoir peur d'elles-mêmes maintenant. Elles ont vu leurs meilleures amies avoir peur d'elles et ensuite leurs pères. On doit leur expliquer qu'elles ne sont pas des monstres et que tout va bien. Leur peur les rend, pour le coup, plus dangereuses." souffla Abigail.

-"Comment ça?" demanda Carolina en fronçant les sourcils ce qui accentua, durant un instant, sa ressemblance déjà flagrante avec sa fille.

-"Eh bien par exemple, on a dans tous les quartiers une maison abandonnée un peu flippante qui fait peur aux enfants non? Si on l'ignore alors tout le monde s'en moque. Si vous dites aux enfants de ne pas y aller que va-t-il se passer d'après vous?" répondit sarcastiquement Kathleen.

-"Les enfants vont y aller." répondit Gabriela en essayant de comprendre où la responsable sécurité souhaitait en venir.

-"En effet. Ce que Kate essaye de vous faire comprendre c'est que vos filles ont conscience d'avoir une limite à ne pas franchir et le problème c'est que plus elles y pensent plus elles foncent dedans alors qu'elles veulent le contraire. En fait, plus on se concentre sur une chose à ne pas faire, plus on a de risque de le faire. C'est bête mais c'est comme ça. On va prendre les choses en mains et les aider mais vous auriez dû nous prévenir avant car elles auraient sûrement gardé le contrôle si elles n'avaient pas eu peur d'elles-mêmes."

-"J'ai un peu de mal à comprendre mais vous savez ce que vous faites." répondit Carolina en souriant "Pardonnez nous et merci de prendre soin d'elles."

-"Avant de partir. Gabriela, Carolina sachez qu'elles sont passées à l'étape suivant." intervint Kathleen en arborant un petit sourire en coin.

-"Je vois. J'imagine que Carolina et moi allons devoir prendre les choses en main."

-"Tenez nous au courant. Bonne soirée à vous quatre." déclara Abigail avant de mettre fin à la vidéoconférence.

-"Ils nous ont, contre toutes attentes, donné une grande partie de leurs secrets." marmonna Kathleen en se massant le menton.

-"Mais?"

-"Mais je pense que leur lien avec leur ancien gang est encore plus fort que ce qu'ils nous ont dit. En fait ils ont surtout parler des liens entre Ernesto, Silvio et le gang mais très peu des liens entre Gabriela, Carolina et le gang. Ils nous ont dit comment les deux hommes sont entrés dans ce gang mais pas comment elles y sont entrées. De plus ils parlent d'eux au présent et se corrigent pour parler d'eux au passé. Il n'y a que pour ce petit Tom qu'ils n'ont jamais hésité."

-"Ils l'ont vu mourir de leur propres yeux. Pour les autres ils n'ont rien eu de concret."

-"Je pense qu'ils sont vivants et qu'ils le savent."

-"Il y'a quelque chose que tu ne me dis pas Kate?"

-"Selena est venue me parler d'un cauchemar. Elle ne savait pas si c'était réel ou non. Finalement il se trouve qu'Helia fait exactement le même cauchemar ce qui confirmerait l'hypothèse du souvenir."

-"Lia est venue m'en parler également. J'admets qu'elles ont cette synchronicité entre elles mais pas au point de partager leurs rêves. Mais où veux-tu en venir?"

-"Elle te l'a raconté ce cauchemar?"

-"Oui. Une pièce sombre,des hommes parlant... Attends."

-"Des hommes parlant espagnol. Mon premier réflexe a été de lui demander s'ils avaient un accent. Elle m'a dit que non. Pour les petites Helia et Selena de deux et trois ans, ceux qui ont un accent en parlant espagnol sont?"

-"Les hispaniques n'ayant pas l'accent cubain. Ces hommes étaient cubains. Si on leur posait la question maintenant vis-à-vis d'une nouvelle personne elles nous diraient directement que cette personne à un accent cubain mais à l'âge qu'elles devaient avoir l'accent n'est pas marquant. C'est le fait de ne pas en avoir qui est marquant ou alors d'en avoir un autre que le cubain. A cet âge-là elles ne voyaient que les quatre parents et leur nourrice qui était elle même Cubaine."

-"Il y a plusieurs cauchemars liés à ce souvenir. Dans l'un Selena a peur et Helia pleure, elles sont entourées de gens qu'elles ne connaissent pas et les terrifient dans l'autre elles sont dans les bras l'une de l'autre, entourées de gens qu'elles ne connaissent toujours pas mais ne leur font pas peur. Elles ont été marquées par la saleté et les nombreux touchés."

-"Et par le fait qu'elles ont été changé de place. Helia se souvient avoir été déplacée d'un endroit à un autre. Que les deux étaient sales. Elle a remarqué une différence dans la saleté des hommes. Les premiers sentaient simplement la transpiration et étaient d'une propreté douteuse. Les autres sentaient la transpiration et le cigare."

-"Il y a un blanc entre le moment où elles sont dans le premier endroit et le moment où elles sont transportées vers le second. De plus il n'y a que dans le second qu'elles se souviennent d'entendre les hommes parler. Ensuite si Helia a, d'après toi, remarqué une différence dans la saleté de ces hommes, Selena en a remarqué une dans la manière de les toucher. Pour les premiers c'était violent. Ils les ont traités sans ménagement. Les seconds n'ont pas été tendres mais ont fait attention à elles."

-"Donc tu en conclues que?"

-"Qu'elles ont été kidnapper pour obtenir une rançon par un premier groupe comme ça arrive régulièrement avec les enfants de parents aisés."

-"Mais?"

-"Mais que le second groupe ne les a pas kidnappé mais sauvé. Ils ont pris soin d'elles. Elles ont un trou de mémoire avant le transfert car leurs cerveaux les protègent."

-"Mémoire réprimée?"

-"Oui et non. Le terme n'est plus pris au sérieux car souviens-toi: des innocents ont été jugés à cause de faux souvenirs suggérés par des psychologues douteux. Mais des études récentes montrent que le cerveau a un mécanisme permettant d'oublier des choses traumatisantes pour se protéger."

-"Tu penses qu'il y a eu un échange violent comme des coups de feu?"

-"Oui, pourquoi pas. Au passage on peut supposer que leurs phobies viennent de cet événement. Helia a été très marquée par la saleté et Selena par le toucher. Elles sont Automysophobe et Haptophobe. Ce n'est pas une coïncidence."

-"Mais quel est, d'après toi, le lien entre cet événement et les gens de l'ancien gang de leurs parents?"

-"Ils nous ont dit qu'une partie de ce gang voulait venir aux USA. Imagines qu'ils ont survécu. D'après toi, qu'ont-ils fait?"

-"Se soigner pour commencer tout en préparant une vengeance. Les compagnes de leurs chefs leur ont dit de partir car une guerre venait d'éclater. S'ils ont survécu alors ça a dû être un bain de sang. Vu le contexte à Cuba à cette époque ça ne devait pas être beau à voir."

-"Mais s'ils se sont vengés alors les autorités ont dû s'en mêler donc?"

-"Donc ils ont dû fuir. Mais le lien Kate?"

-"Le lien c'est que ce groupe n'a, d'après nos quatre Cubains, aucune éducation. Ils n'ont aucune qualification mise à part dans ce qui semble être illégale. Pour fuir Cuba à qui ont-ils surement fait appel? Quel groupe en lien avec Cuba peut avoir besoin d'éléments n'ayant pas froid aux yeux et ne reculant devant rien pour y arriver?"

-"La Mafia cubaine..."

-"Exactement! Enfin non. Je pense que le terme "mafia" n'est pas vraiment correct mais c'est l'idée donc pour le moment on va l'appeler "mafia", ok. Bref, toi et moi on sait comment ça marche ici aux USA. Les étrangers sont limités. On leur met des bâtons dans les roues pour les empêcher de réussir. Certains y arrivent quand même mais parmi ceux-là..."

-"Certains ont recours à la mafia de leur pays d'origine pour les protéger."

-"Ces quatre là ont fui grâce à ce gang, ils se sentent redevables au point de nommer leurs enfants en souvenir de ces gens."

-"Mais ils tiennent bien trop à leur image pour se mêler à des criminels. Le risque est bien trop important. Tu as vu tout ce qu'ils ont fait pour couvrir le premier "incident" avec ces deux gars."

-"Sauf que la mafia a tout intérêt à tisser des liens avec une entreprise si importante. Entreprise qui, au passage, est devenue très importante quand les petites avaient autour des deux/trois ans."

-"L'âge qu'elles semblent avoir dans leur souvenir..."

-"Ça ne peut pas être une coïncidence. L'entreprise était bloquée à un certain niveau de développement depuis trois ans et d'un coup elle a explosé. Ma théorie c'est qu'elles ont été kidnappées. Les parents sont devenus fous et ont logiquement accusé la mafia qui avait dû entrer en contact avec eux un peu plus tôt sauf qu'elle n'y était pour rien. Par cette accusation, la mafia a appris pour le kidnapping et y a vu un intérêt pour pousser les Cubains à s'allier avec eux."

-"Mais c'est suicidaire, faire une action si dangereuse pour deux enfants sans rien avoir de certain en retour... Ça ne ressemble pas aux pratiques courantes de ce genre de groupe criminel."

-"Une pierre deux coups. Ce petit gang a évolué seul en période de guerre froide sur l'île. A mon humble avis il ne voulait pas être lié à la mafia. Ils devaient faire des petits boulots pour qu'elle les protège mais ne devaient pas vouloir en faire partie. Ce Sebastian, ils ont dit qu'il tenait à son frère au point de devenir fou s'il lui arrivait quelque chose. C'est normal mais pourtant ce sont Silvio, Ernesto, Carolina et Gabriela qu'il a choisi de protéger et d'envoyer aux USA. Ça montre qu'il les estimait autant que des membres de sa famille. Autrement dit, par filiation, Helia et Selena..."

-"Sont considérées comme des membres de sa famille. La première règle de ce genre de groupe c'est de ne pas s'en prendre à la famille."

-"La mafia contacte le petit groupe, leur explique la situation et ils interviennent. Ils renouent des liens avec les Cubains et servent d'intermédiaire avec la mafia. Les petites sont sauvées, la menace éliminée, des agents utiles sont recrutés et un lien important est tissé avec une grande entreprise."

-"Mon cœur, ne te vexes pas mais pour une fois j'espère vraiment que tu te trompes."

-"Ça va te surprendre mais moi aussi, j'espère sincèrement me tromper. De plus si j'ai raison il y a un lien encore plus important que ça entre nos Cubains et ce gang. Bref! On va mettre ça de côté pour le moment. Là on doit se concentrer sur nos deux gamines, tout leur expliquer, les rassurer et on verra pour ça après. Rien ne presse."

-"Je suis bien d'accord." répondit Abigail avant d'embrasser sa compagne et se glisser dans ses bras.

Le couple resta quelques minutes dans le calme de la salle de vidéoconférence. Elles avaient besoin de se concentrer et de se préparer à la confrontation qui allait, inévitablement, avoir lieu. Elles devaient trouver les bons mots. Le point positif c'est qu'elles savaient que leurs deux interlocutrices seraient attentives et intéressées sans compter qu'elles pouvaient se permettre d'utiliser des mots complexes sans trop de problèmes: si elles ne comprenaient pas elles demanderaient. De plus elles allaient pouvoir se contenter d'un simple résumé, les deux jeunes femmes iraient dans tous les cas faire leurs propres recherches même si elles leur présentaient une thèse de cinq heures sur le sujet. Leur réflexion fut interrompue par Hillary qui vint les prévenir que les deux Cubaines venaient de se réveiller.

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