𝑏𝑙𝑢𝑒 𝑜𝑟𝑎𝑛𝑔𝑒𝑎𝑑𝑒, 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑢𝑛𝑖𝑞𝑢𝑒

︶︶︶︶༉‧₊˚

- .₊ 𝑊𝑒'𝑟𝑒 𝑡ℎ𝑒 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑙𝑒𝑡𝑒 𝒐𝒑𝒑𝒐𝒔𝒊𝒕𝒆
𝑇ℎ𝑎𝑡'𝑠 𝑤ℎ𝑦 𝑖𝑡'𝑠 𝑒𝑣𝑒𝑛 𝑚𝑜𝑟𝑒 𝑠𝑝𝑒𝑐𝑖𝑎𝑙
𝐼𝑡 𝑠𝑒𝑒𝑚𝑠 𝑙𝑖𝑘𝑒
𝐽𝑢𝑠𝑡 𝑙𝑖𝑘𝑒 𝑡ℎ𝑒 𝒃𝒍𝒖𝒆 𝒐𝒓𝒂𝒏𝒈𝒆𝒂𝒅𝒆 ˎˊ ˗



Soobin avait cessé de croire en tout ce jour-là.

Il avait cessé de croire aux autres, en son travail misérable, en l'honnêteté des gens, en l'amour, à sa religion qu'il avait pourtant embrassée il y avait des années de cela et aux messages pleins d'espoir que ce pont divulguait dans une vaine tentative de ne pas le laisser sauter. C'était idiot. Ce n'était pas quelques mots sur le béton qui empêcheraient qui que ce soit d'escalader le petit muret, et de faire le grand saut. Pas même cet homme qui naviguait dans son petit bateau, juste en dessous. Tout cela ne rimait à rien, un peu comme la vie parfaite qu'il avait été persuadé de vivre jusqu'à maintenant. Il avait cisaillé avec soin les fils fins, tendus sous cette rambarde glissante empêchant quiconque de s'y accrocher. Il passerait en dessous. Joyeux anniversaire Soobin ! Quelle belle journée pour qu'elle soit également la dernière ! Les idées noires avaient envahi son esprit trop vite, comme à chaque fois. Il était retombé dans ses vilains démons, dans ses pensées trop brouillonnes, trop grises, trop tristes. Et il avait sombré. Pour la première fois de sa vie, Soobin s'était approché du vide. Ses idées étaient arrivées à maturité, et cette fois-ci, quelque chose l'avait poussé à se rendre jusqu'ici.

En finir n'avait pourtant jamais été réellement dans ses plans. L'idée l'avait séduite, à de nombreuses reprises, avant que sa propre trouille ne le rattrape, et qu'il ne se rende à l'évidence : est-ce que je pourrais vraiment le faire ? Sauter comme ça ? Tout laisser derrière moi ? À chaque fois, il s'était repris. Il avait continué de sourire, de manger, de travailler, d'aimer... Comme si de rien n'était. Il passait à autre chose, se persuadant que ses idées noires finiraient elles aussi par changer de camp. Elles l'avaient fait, pendant quelques années. Il n'avait plus eu la tête à ça, et Soobin avait cru s'en être sorti. Aujourd'hui, assis sur la haute rambarde de ce pont désert, il se sentait profondément idiot.

Il avait pourtant tout fait pour que la vie cesse de lui rire au nez. Nouveau départ dans une nouvelle ville. Petit travail confortable bien qu'ennuyeux, mais qui lui permettait de survivre dans la mégalopole qu'était Séoul. Il avait bousculé ses habitudes. Il avait laissé derrière lui deux ans de service militaire douloureux à la fin de son lycée, qui lui avait fait craindre la guerre plus que tout. Il avait quitté sa campagne conservatrice en espérant épouser pleinement l'homme qu'il était, sans avoir à se planquer ou éprouver de la honte. Il avait réussi, quelque part. Et tout s'était retourné contre lui.

– Ne faites pas ça !

Il sursauta, et se retourna à peine pour distinguer une silhouette fine, à quelques mètres de lui. L'homme tendait une main devant lui, comme pour saisir l'une des siennes. Il avait un visage un peu crispé, un peu paniqué et Soobin réalisa que oui, il était encore là, et que son grand saut attendait. Un vent léger souffla dans ses oreilles, comme un léger encouragement à écouter le nouveau venu. Il baissa son regard vers la main qu'il lui tendait, et la considéra quelques secondes. Pensait-il réellement qu'il allait sauter ? Remarque, je suis au-dessus du vide. Mon pauvre Soobin, tu as l'esprit bien meurtri et embrouillé. Regarde-toi.

– Prenez ma main, ça va aller, bredouilla l'autre.

Il le dévisagea, des pieds à la tête, en se demandant même s'il n'était pas le simple fruit de son imagination : quelqu'un sur Terre semblait encore voir Choi Soobin. Il ne bougea pas d'un pouce, figé, incapable de le quitter du regard. L'autre se rapprocha, avec toujours beaucoup de précautions, et se força à sourire alors qu'il arriva proche de lui, un petit mètre tout à peine. Qui était cet autre qui venait lui faire reprendre conscience et le sortir du brouillard ?

– Ne faites pas ça, d'accord ? Des gens seront tristes.

C'était un peu égoïste de penser d'abord aux autres, et pas à lui. Mais Soobin ne lui en voulut pas ; c'était un réflexe très humain de d'abord penser à soi, à sa propre tristesse plutôt qu'à la souffrance de l'autre.

– Et... Et il vous reste encore plein de pages de votre histoire à écrire.

Il sentit ses yeux s'humidifier un peu. Vraiment ? Quelle histoire ? avait-il envie de lui demander. La main du type effleura son avant-bras, puis sa main, toujours crispée sur le rebord. Leurs regards se croisèrent, juste une petite seconde avant qu'il ne baisse les yeux, honteux de se retrouver dans une pareille posture devant lui. Pourtant, lui n'était rien dans sa vie. Ni un membre de sa famille, un ami, une connaissance ou un amant. Lui n'était rien. Mais lui semblait profondément concerné par son sort. Peut-être parce qu'il pense que je vais sauter... En aurais-je vraiment eu l'audace ?

– Allez... descendez de là...

Un autre jour Soobin. C'est ça oui, un autre jour. Alors il s'exécuta. Il descendit du bon côté de la rambarde, et se courba légèrement, comme pour le remercier.

– Avez-vous besoin que je vous commande un taxi ? Que je vous raccompagne ?

Il secoua la tête. Désormais, il n'y avait plus de panique dans sa voix, simplement un sérieux inébranlable.

– Je pense que je vais aller me saouler, répondit Soobin d'une voix plate.

L'autre le regarda sans comprendre, avant d'esquisser un sourire presque amusé. Il n'en revenait pas de lui avoir répondu ça sans la moindre gêne.

– Est-ce bien raisonnable ?
– Vous n'avez qu'à me suivre pour vous assurer que je ne tente rien de fou après, soupira-t-il.

Et Soobin tourna les talons sans demander son reste. Il avait lancé ça comme une blague, mais le regard de l'autre avait changé, du tout au tout. Il avait allumé dans ses prunelles – et malgré lui – une drôle de lueur qui s'approchait de celle du défi. Derrière lui résonna pendant de longues minutes – jusqu'à son arrivée devant le premier bar venu à vrai dire – les pas de l'autre homme. Il s'installa à côté de lui au comptoir, et Soobin lui lança un regard blasé.

– Vous m'avez suivi.
– C'était si gentiment demandé.

Soobin lâcha un rire timide. Allez, il n'est pas méchant. Sociabilise un peu, demain tu auras tout oublié de cette affreuse journée. Il commanda un premier verre, qu'il avala d'une traite sous les yeux ronds de l'autre homme qui l'imita immédiatement.



Soobin tenait la boisson. Assez pour savoir ce qu'il faisait, ce qu'il disait et les barrières à ne pas franchir. Il s'était retrouvé assez peu de fois de cet autre côté de la barrière ; assez désespéré pour noyer son chagrin dans des cocktails improbables, mais pas assez pour atteindre le point de non-retour. À mesure que la soirée s'était entamée, que la nuit avait enveloppé Séoul tout entière, il lui avait semblé que l'autre aussi, en avait gros sur la conscience. Son regard ne trompait pas – en tout cas, ne le trompait pas, lui – et Soobin ne passa pas à côté de la brume dans son regard, et de la précipitation de ses commandes. Voulait-il tout oublier comme lui ? Avait-il passé une horrible journée ? Il ressemblait à ces types qui bossaient dans des bureaux à en perdre toute leur âme. Il entendait la voix d'Arin, douce et sucrée dans ses oreilles, lui répétant qu'inventer une vie à des inconnus ne pouvait que le décevoir par la suite. Elle avait raison, la jolie Arin, il ne connaissait rien de ce type, et n'en attendait rien non plus.

Finalement leurs regards se croisèrent longuement un peu trop souvent. Son regard s'accrocha sur ses jolies mèches noires, désordonnées sur son front si bien proportionné. Il avait de très grands yeux, et Soobin se surprit à penser qu'un trait pareil – si toutefois il était naturel – n'était pas si commun. Il lui adressa un sourire immense, un peu encouragé par les boissons qui se succédaient sous son nez. Mais les remerciements qu'il formula en remuant les lèvres sans émettre de son, eux, furent les mots les plus sincères de sa soirée.


Sans qu'il ne le sache ni le comprenne sur le coup, Choi Soobin avait sauvé Kang Taehyun.

Et Kang Taehyun avait sauvé Choi Soobin.



Soobin fixait l'eau savonneuse ruisseler le long de ses jambes avec une intensité rare. Le léger mal de crâne qu'il avait ressenti en sortant du bar un peu plus tôt dans la soirée s'était enfin dissipé. Il regarda un peu partout autour de lui cette minuscule salle d'eau qui n'était pas la sienne, et soupira. Tout était propre et bien rangé, un peu au total opposé de sa propre salle de bain. Malgré l'étroitesse du lieu et le triste carrelage blanc, le reste avait été bricolé d'une main de maître pour dissimuler la tuyauterie et disposer de belles étagères pour les lotions et autres affaires de bains. Il coupa l'eau, attrapa une serviette propre et essuya son corps et ses cheveux, prenant sur lui pour quitter la chaleur des lieux.

Posé sur son canapé, devant une jolie télévision à écran plat qui faisait tache sur le mur, le propriétaire des lieux tourna la tête vers lui en lui demandant d'un vague signe de la tête si tout allait bien pour lui.

– Prend un snack pour le retour, je m'en voudrais que tu rentres le ventre vide.

Il opina du chef et ne se fit pas prier. Le frigo était rempli, Soobin nota la présence de plusieurs petites boites – sans doute des repas préparés à l'avance pour ses midis – et de nombreuses cannettes de jus de fruits. Il le remercia à voix basse et l'autre lui lança un sourire ravi. Il s'attarda un peu sur son torse qu'il n'avait pas pris la peine de recouvrir, et sur ce bas de jogging gris qui noyait la jolie forme de ses jambes.

– Merci pour euh... la soirée.

Son sourire sembla s'agrandir.

– Je dois avouer que je ne pensais pas la voir prendre une telle tournure, lui répondit-il.

Soobin haussa les épaules ; lui non plus à vrai dire. Il n'avait même jamais songé à prolonger sa soirée chez un illustre inconnu rencontré par hasard sur le pont de Mapo, et pourtant. Il avait passé une nuit franchement meilleure que tout ce qu'il avait pu imaginer jusque-là, et n'avait aucune envie de s'en plaindre.

– Taehyun, c'est ça ?

Il espérait ne pas se tromper. Il lui avait murmuré son prénom juste une fois, avant de claquer la porte de sa chambre et sur le moment, Soobin ne s'était pas inquiété de l'avoir bien compris ou non.

– C'est exact, rigola-t-il.
– Taehyun, ravi de t'avoir rencontré.

Il enfila ses chaussures restées dans l'entrée et Taehyun le héla, avant de se lever et revenir vers lui, son portable en main.

– Tiens, si jamais t'as envie qu'on se revoie ou quoi...

Comprenant la suite du message, Soobin s'empressa de compléter son numéro de téléphone, un sourire amusé aux lèvres.

Un peu plus tard sur le chemin du retour, Soobin se fit la réflexion que Taehyun ne lui avait pas donné davantage d'informations sur sa personne.



– Attends, tu as quoi ?

Arin le regardait avec un air désespéré, tout en continuant de remuer sa pâte à gâteau, avec de moins en moins d'énergie.

– Vas-y, juge-moi fort Arin...
– Choi Soobin, tu es complètement insouciant. Ça aurait pu être un pervers dégoutant, ou un fou. Un fou Soobin !
– Dieu merci, il n'était ni un pervers dégoûtant, ni un fou. C'était même un sacré coup.

Elle soupira, et replaça du dos de sa main une de ses longues mèches caramel qui était tombée devant ses yeux.

– Exaspérant.

Elle renversa sa pâte dans ses petits moules, et enfourna le tout dans son four, une petite moue sur le visage. Deux secondes plus tard, elle se jeta dans ses bras pour le serrer fort contre lui.

– Vous vous êtes rencontrés où ?
– Au bar.

Lui dire la vérité maintenant lui semblait inconcevable. Pas alors qu'elle le serrait dans ses bras comme si sa vie en dépendait. Comment avait-il pu penser à sauter ne serait-ce que dix petites secondes alors qu'Arin existait encore en ce bas monde ? Il sentit les battements de son cœur accélérer légèrement et une rougeur légère s'emparer de son visage tout entier. La honte le grignotait lentement.

– Pardon Arin...
– Hein ?
– Je ne voulais pas te faire peur...
– Oh, Soo' mon cœur... C'est simplement que t'envoyer en l'air avec un illustre inconnu ne te ressemble pas. Mais je ne serais pas la meilleure amie casse pied et mère poule si je ne te passais pas un pseudo savon en l'apprenant. Comment tu en es arrivé là, hein ?

Avec elle dans les bras, il se laissa choir dans son canapé confortable et passa une main dans ses cheveux.

– Je n'en sais foutrement rien... Il était séduisant et...

Et à bien y repenser, Soobin ne se souvenait pas du moment exact où ses pensées étaient passées du pont de Mapo et à la raison de sa venue sur ce dernier au garçon en face de lui dans le bar. Taehyun n'avait pas franchement eu besoin de lui demander quoi que ce soit, ses vagues souvenirs lui indiquaient qu'il avait fait le premier pas tout seul. Taehyun n'avait pas retiré sa main de son avant-bras, un drôle de sourire avait illuminé son visage... Et il se souvenait plus clairement s'être retrouvé dans un taxi à ses côtés peu de temps après.

– Il embrassait si bien...
– Choi Soobin a embrassé un inconnu dans un bar.
– Dans l'entrée de son appartement, en réalité.
– Dis m'en plus.
– Tu veux vraiment tous les détails ?
– Non, dis m'en plus sur ce type, il m'intrigue.
– Ok, je veux bien te donner quelques détails si... Si tu me parles de la personne qui te tourne autour et que tu évites aussi depuis des lustres.

Arin lui fit les gros yeux, et se redressa, ses sourcils fins froncés.

– C'est pas juste, ronchonna-t-elle.
– Une info contre une info !

Elle lui tira la langue, un peu puérilement, et déposa à nouveau sa tête contre son épaule, les bras croisés.

– Tu veux rester ici ce soir encore ?
– Je vais rentrer, mais c'est gentil.
– C'est normal ! Mais emporte quand même quelques-uns de mes gâteaux !

À cela, Soobin ne put résister.




Quand il poussa la porte de son appartement, Soobin regretta immédiatement l'invitation de sa meilleure amie. Il avait oublié l'espace d'une soirée l'état pitoyable dans lequel il avait laissé les lieux. Il y avait encore les cartons de ses précédents achats sur des sites en lignes dans l'entrée, une pile de linge sur son minuscule canapé, et l'aspirateur sur le sol, au beau milieu de sa cuisine. Soobin soupira en remarquant que l'un de ses fruits avait pourri sur son plan de travail, et fonça dans sa chambre sans se poser plus de questions. Il retira son pull, et s'effondra sur son lit, juste avant d'allumer son portable qu'il n'avait pas touché depuis son départ de chez Taehyun. À sa grande surprise, ce dernier venait tout juste de lui envoyer un message.


↪ Taehyun à 18h04.
Salut Soobin, j'espère que je ne te dérange pas. Je voulais savoir si tout allait bien pour toi, et si tu étais bien chez toi, en sécurité. Ne te sens pas obligé de me répondre si tu me trouves trop intrusif, mais j'avais quand même à cœur de t'envoyer ce message ;)


Il esquissa un sourire amusé – quoi que surprit – et s'empressa de répondre.


↪ Moi à 18h06.
Je suis chez moi, et en sécurité. Merci de t'en préoccuper !


↪ Taehyun à 18h06.
Super, je suis soulagé !

↪ Taehyun à 18h11.
Dis, tu fais un truc en semaine ?


Soobin leva un sourcil, étonné.


↪ Moi à 18h12.
Pas spécialement ! Tu voudrais retourner au bar ?


↪ Taehyun à 18h13.
Attend, mais je ne t'ai même pas posé la question avant mais... Rassure-moi, tu ne fréquentes personne, hein ?


↪ Moi à 18h13.
C'est maintenant que tu t'en inquiètes kkk
Non, pas le moins du monde !


↪ Taehyun à 18h14.
Je voulais me donner bonne conscience, c'est quelque chose que je demande toujours avant...


↪ Moi à 18h14.
Toujours ? Tu es habitué à... Enfin, je veux dire...


↪ Taehyun à 18h14.
Je comprendrais que ça te gêne.


Il haussa les épaules derrière son écran. La discussion, et l'entièreté de la situation lui semblèrent un peu folles, mais ajoutaient le piment qu'il manquait à sa vie depuis un certain temps déjà.


↪ Moi à 18h16.
Pas du tout, chacun fait ce qu'il veut. Je suis libre demain soir !


Et tous les autres soirs, aurait-il pu rajouter. Mais Soobin ne voulait pas sembler désespéré à ce point.



Il y eut quelque chose d'absolument fascinant chez Taehyun quand ils couchèrent ensemble pour la seconde fois. Soobin ne parvenait pas à mettre un mot ou un quelconque adjectif dessus, mais il le sentait. Il y avait cette aura si singulière chez cet homme qui lui faisait perdre la tête, chassant ses idées noires et lui faisait instantanément oublier toutes ses anciennes relations.

– Soobin ?

Il revint à lui, clignant des yeux, et Taehyun lâcha un petit rire amusé.

– J'te sentais ailleurs.
– Ouais, désolé je... tu...
– Je ?
– Tu es parfait, ne t'arrête pas.

Il le vit lever un sourcil, son sourire gagna en ampleur et ses lèvres gagnèrent une nouvelle fois son cou. C'était ça, quand il le voyait, il ne pensait plus à rien. Ce n'était que la seconde fois, et pourtant, Soobin était intimement convaincu que le temps passé avec lui avait contribué à rendre les journées suivantes un peu plus lumineuses. Pourtant ils n'avaient pas pris la peine de lancer une réelle discussion. Taehyun avait ouvert sa porte, l'avait invité à rentrer, et tout c'était fait si naturellement que Soobin s'était demandé si cette impression de sécurité et de bien-être lui était propre, ou si les autres conquêtes du jeune homme le ressentaient aussi. Il avait appris son âge à la volée – le même que le sien – qu'il était un artiste illustrateur à son propre compte, et qu'il était ni le premier, ni le dernier avec qui il passait ce genre de bon temps. Et c'était à peu près tout ce qu'avait besoin de savoir Soobin.

Il était déjà prêt à recevoir le sermon de sa meilleure amie dès son lendemain de soirée, mais pour l'heure, Soobin n'en avait plus grand-chose à faire. Il laissa à nouveau sa tête choir contre l'oreiller et ferma les yeux, se laissant emporter par toutes les attentions que lui offrait Taehyun. Il laissa glisser ses mains le long de ses omoplates, dessiner la courbe de son dos, et retomber mollement sur les draps avec un sourire satisfait. Tout était tellement plus simple quand il avait l'esprit ailleurs, loin de ce monde qui le rendait malade. Les lèvres de Taehyun sur sa peau avaient le pouvoir de suspendre le temps, et tous ses tracas. Ici, dans cette chambre qui n'était pas la sienne, il n'était plus juste Soobin.


Adieu l'employé de bureau ennuyeux.

Adieu l'amoureux qui se faisait avoir, encore et encore.

Adieu pensées trop noires.

Ce qui comptait, c'était Taehyun, et uniquement lui.






La réalité le frappa pourtant de plein fouet à peine la porte de l'immeuble refermé derrière lui. Je fous vraiment ma vie en l'air, je suis pathétique. Il fit quelques pas, attrapa son portable pour lancer son GPS, et sa vision se troubla immédiatement. C'était souvent le cas quand il culpabilisait de ne pas faire les bonnes choses, où qu'un trop plein de bonheur avait inondé sa vie : il ne le méritait pas. Merde, non, pas maintenant... Il pianota sur son écran avec difficulté, retrouva son adresse et lança l'itinéraire, les larmes aux yeux. Sa gorge se noua à chaque pas qu'il exécuta et bientôt, Soobin sentit son malaise le saisir de toute part. Mais ressaisis-toi bon dieu, merde... Son cœur tout entier fut traversé d'une bouffée de chaleur désagréable, et il hoqueta, pantelant. Il se figea au milieu du trottoir, les joues humides, et à contrecœur, composa le seul numéro qu'il avait daigné enregistrer dans ses contacts avec Taehyun.

« – A-arin ?
– Soobin ? Que se passe-t-il ?
– Je n-ne me sens pas très bien là...
– Où es-tu ?
– Je sais pas... Je.. Je t'envoie m-ma localisation...
– Ne bouge surtout pas, d'accord ? Pose-toi sur le premier banc que tu vois, ou sur une marche, et j'arrive te chercher ! Je ne suis pas loin ! »

Il entendit quelques voix étouffées à l'autre bout du fil et sentit son estomac se nouer de culpabilité à nouveau en imaginant l'avoir interrompu pendant l'une de ses soirées. Incapable de se retenir plus longtemps, il éclata en sanglots, les bras noués autour de ses genoux, la tête dissimulée. Quelques passants lui jetèrent des regards outrés avant de passer leur chemin, et Soobin renifla sans aucune retenue. Déjà l'image de Taehyun s'effaçait progressivement de son esprit, à son plus grand regret. Il resta ainsi de longues minutes, incapable de réguler son souffle, de reprendre une respiration normale quand soudain, une petite main se posa sur le sommet de son dos.

– Soo', mon cœur...

Il releva son visage trempé et découvrit le visage d'Arin, complètement dévasté.

– Viens, relève-toi, ça va aller...

Il se releva avec mal, tremblotant, et elle essuya son visage avec douceur, un petit bout de tissu entre les doigts.

– Là, là... Vient mon grand... On va chez moi ?

Il secoua la tête.

– Chez toi ?

Il la supplia du regard, et deux minutes plus tard, Arin héla un taxi.



Soobin réalisa trop tard l'état encore déplorable dans lequel était son logement. Il avait essayé de ranger la veille, avant de finalement s'énerver sur les joins mal fait de sa cuisine, et de tout laisser tomber. Quand Arin poussa la porte de son appartement, il la sentit se crisper légèrement contre lui et un nouveau sanglot le prit.

– P-pardon...
– Soobin, arrête... Ce n'est pas grave.

Elle le guida jusqu'au milieu de son salon après l'avoir dévêtu de ses chaussures et de son manteau.

– Je dois... Je dois me doucher... j'ai pas pris le temps de le faire... chez lui...
Oh. D'accord, va dans ta salle de bain, je vais te chercher des affaires, ok ?

Il entra dans sa salle de bain presque à tâtons, sans même prendre la peine d'allumer la lumière et se cala contre le mur froid. Non loin, il entendit Arin se déplacer un peu partout, sans doute à la recherche d'habits propres.

– Soo' ?
– Mmm...
– Tu ne veux pas que j'allume la lumière ?

Il haussa les épaules.

– Des choses que je ne dois pas voir ?
– Tout va bien...
– Donc, ce n'est pas à cause de ce type que tu vas mal ?
– Non...
– Tu me le promets ?

Elle avait repris ce ton un peu maternel et inquiet qu'elle ne réservait qu'à lui, il le savait. Elle déposa les affaires non loin de lui et il soupira.

– Promis.
– Je t'attends dans le salon, prends ton temps, d'accord ?

Il hocha de la tête, sans rien rajouter. Il se doucha à l'eau froide sans broncher, et enfila ses habits propres avec lenteur. Quand il poussa la porte de sa salle de bain restée entrouverte, il retrouva Arin assise sur son canapé, pianotant sur son portable. Il s'approcha en silence, s'assit à ses côtés, posa la tête sur son épaule et s'excusa une nouvelle fois à demi-mots.

– J'ai juste repensé à des trucs pas cool.
– Oh...
– Ouais, je sais, ça craint.
– Tu lui as reparlé ? À ton ex ?
– Même pas.
– C'est déjà une bonne chose.
– Parfois je me dis que je devrais.
– Soobin, non.
– Juste pour l'insulter, et passer mes nerfs.
– Je ne veux pas parler de lui, trancha-t-elle. Parle-moi de ta journée plutôt, de quelque chose qui t'a fait sourire aujourd'hui.
– Taehyun m'a envoyé un message ce matin, pour qu'on se voie ce soir. Ça m'a fait plaisir... C'est idiot, mais c'est vrai.
– Il a donc un prénom.
– Ne t'emballe pas, ça ne va pas durer. C'est juste comme ça.
– D'accord, mais le « c'est juste comme ça » était le point positif de ta journée, je suis heureuse de l'apprendre.
– Est-ce que tu me trouves pathétique Arin ?
– Tu demandes ça à ta meilleure amie lesbienne refoulée qui vient de refuser un énième mariage arrangé avec un type de son village natal ?
– Encore un...
– Tu comprends, une si jolie fille, grinça-t-elle en imitant la voix de sa mère. Ils ne me lâcheront jamais la grappe, à moins que je leur présente un beau mari. Ils m'ont même parlé de toi...
– Si cela peut leur rendre service, marions nous pour les papiers, promis, tu verras qui tu voudras quand tu voudras !

Arin le considéra quelques secondes, un sourcil levé... Avant d'éclater de rire en même temps que lui.

– Notre mensonge ne tiendrait pas la route deux secondes, s'esclaffa-t-elle.

Elle passa une main dans ses cheveux humides sur les pointes et esquissa un sourire doux.

– On se commande quelque chose tu veux ?
– Ce qui te fait plaisir, souffla-t-il. C'est moi qui offre.
– Même pas en rêve.
– Arin...
– Même pas en rêve, j'ai dit.

Se sentant vaincu, il n'osa rien ajouter de plus. Il serra sa main peu plus fort dans la sienne, quémandant d'un geste davantage de caresses sur le sommet de son crâne.

Arin était la rencontre qui avait sauvé sa vie une première fois. Elle était sortie de nulle part au lycée, et s'était imposée à lui comme une évidence : Arin et Soobin étaient faits pour devenir les meilleurs amis du monde. Arin était le soleil incarné : toujours souriante et de bonne humeur. Il lui vouait une confiance aveugle et un amour sans borne, et elle le lui rendait bien. C'était à deux qu'ils avaient quitté la campagne dans laquelle ils avaient tous les deux grandi pour découvrir autre chose. Ils avaient vécu quelque temps ensemble, faisant jaser les parents des uns et des autres, avant que Soobin ne parte faire le service qu'il devait à l'état. À son retour, Arin avait trouvé un boulot stable, et il avait fait de même. Et tout était redevenu comme avant. Rien de leur amitié ne s'était estompé avec le temps.

Souvent, il se faisait le commentaire qu'Arin méritait le monde. Il ne voulait que la voir heureuse, avec la femme de ses rêves, et se demandait souvent si un jour, cette jeune femme qui n'avait pourtant peur de rien, parviendrait à braver ses peurs à s'assumer comme elle le désirait si ardemment.

– Soo' ? Le livreur vient d'arriver.

Il lâcha sa main, la regardant se diriger vers la porte d'entrée, toute guillerette. Une nouvelle fois, Arin lui avait sauvé la mise.



Ce fut un soir de mai, dans le taxi qui le conduisait chez Taehyun, que Soobin réalisa qu'il ne s'était pas rendu sur le pont depuis deux mois désormais. Cette pensée le submergea sans qu'il ne sache pourquoi, et le tira de ses rêveries. Il retira ses écouteurs, les rangea dans les poches de son manteau en essayant d'oublier cette pensée sinistre qui n'avait rien à faire là. Il se répéta en boucle que ce soir n'était pas le bon soir pour de nouveau se laisser submerger par le passé. Taehyun l'attendait, et comme à chaque fois qu'ils se voyaient, Soobin tenait à tout mettre entre parenthèses. Il lui envoya un message rapide, pour le prévenir de sa venue, et la réponse ne se fit pas attendre.

Il resta les yeux rivés sur son écran de téléphone, et sur les images les plus rassurantes de sa galerie jusqu'à son arrivée chez le jeune homme. La technique fonctionnait, de temps en temps, pour l'obliger à se replonger dans de jolis souvenirs, et à oublier les plus maussades.

Quand la porte de l'appartement s'ouvrit, ce fut pour laisser apparaître un Taehyun sortant tout droit de sa salle de bain, les cheveux trempés et le visage encore humide.

– Soobin ! Entre, entre je... Je suis désolé, je...

Il entra silencieusement, esquissant un sourire timide, comme à chaque fois.

– Ton taxi a été encore plus rapide que ce que je pensais...
– Oui, rigola-t-il doucement.

Taehyun semblait paniqué. Et Taehyun n'était jamais paniqué. Il le regarda passer une main dans ses cheveux, dans un geste nerveux qui ne lui sembla pas totalement contrôlé.

– Je suis désolé, souffla-t-il.
– Désolé ?

Un peu confus, il termina de retirer sa veste et ses chaussures, et lui lança un regard interrogateur.

– Oh, est-ce que je dérange ? Je peux repasser un autre soir.
– Non, non c'est... Ce n'est rien.

Et sous ses yeux, Taehyun se métamorphosa. L'inquiétude et la honte, qu'il lui avait semblé voir sur son visage, quittèrent ses traits et il redevint en un clin d'œil le jeune homme qu'il avait toujours été. L'instant d'après, Taehyun s'était hissé sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Ses mains remontèrent le long de ses bras, juste avant de trouver ses épaules et Soobin esquissa un sourire heureux, chassant instantanément cette drôle d'image qu'il avait eue de lui.

Il connaissait le chemin jusqu'à sa chambre sur le bout des doigts, chaque meuble sur son passage et le bruit exact que sa porte faisait quand elle se refermait derrière eux. Ses mains se frayèrent un passage jusque dans sa tignasse sombre, et Taehyun esquissa un sourire radieux qu'il perçut à peine. Taehyun ne fermait jamais entièrement ses rideaux, profitant de n'avoir aucun vis-à-vis pour capter la faible lumière de la lune jusque tard dans la nuit. Et Soobin adorait ça. Il aimait cette petite chambre où chaque chose avait une place bien définie, où l'ambiance n'était jamais trop lourde et où l'on pouvait voir les toits et des arbres à perte de vue. Finalement, Soobin avait assez peu eu l'occasion de profiter réellement d'autre chose que son lit, mais en gardait une belle image.

– Ça m'avait manqué, lui souffla-t-il.

Il perçut les yeux de Taehyun briller et son sourire n'en devint que plus grand.

– À moi aussi, répondit-il.

Il se demandait toujours à quand remontait sa dernière soirée avec quelqu'un d'autre que lui. Car des autres, il y en avait, il le savait, mais n'avait jamais voulu fouiller dans ses affaires.

– Tu permets ?

Il acquiesça et le laissa retirer le haut qu'il portait, frissonnant d'impatience. Il n'y avait jamais de vraies conversations avant de s'enfermer ici, rien de plus quelques salutations et tout ça lui suffisaient amplement. Taehyun était synonyme de soirée fantastique, à ne pas se prendre la tête. Ils se voyaient pour ça, et uniquement ça, et si la chose l'avait d'abord rendu un peu honteux, Soobin était pleinement à présent décomplexé dès lors que leurs regards se croisaient lors d'une nouvelle soirée.

Taehyun portait l'odeur encore vive de sa douche, des crèmes qu'il utilisait sur son corps et cela lui fit tourner la tête. Il avait toujours l'impression d'être son exact opposé au moment où la porte de son appartement s'ouvrait. Taehyun et lui n'avaient rien à voir, de près comme de loin. Pourtant, quand ils se retrouvaient ainsi tous les deux, Taehyun ne le lui faisait jamais ressentir. Ce soir il lui sembla que Taehyun prenait un peu plus son temps – ce qui n'était pas pour lui déplaire – et il laissa choir son corps sur la flopée d'oreillers étalés sur le lit. Il se sentait bien, à présent. Un rire léger lui échappa en sentant ses mains effleurer son ventre, puis ses hanches avant de descendre plus bas. Cette soirée était la sienne, il le sentait. Il n'avait qu'une envie, celle de s'abandonner complètement, et le brunet le comprit rapidement.





         Soobin restait toujours un peu après leurs ébats. Il ne dormait jamais chez Taehyun : la chose ne lui avait pas été interdite, mais l'accord s'était fait plutôt naturellement sans que les deux hommes n'aient eu à le mettre au clair. Il restait le temps de reprendre son souffle, de réaliser et de revenir sur terre. Il avait besoin de ces longues minutes pour que son corps tout entier redescende et pour lutter contre le sommeil qui n'était jamais loin. La plupart du temps, Taehyun se tournait vers lui, et attrapait une de ses mains comme pour se rassurer. Ce soir-là, ce ne fut pas le cas, et il brisa en premier le silence qui s'était instauré dans sa chambre.

– Je me suis touché avant que tu arrives, murmura-t-il.

Soobin se retourna légèrement vers lui, les sourcils levés. Taehyun ne le quittait pas des yeux. Avait-il bien entendu ?

– J'en suis désolé.
– Euh, eh bien...
– Je parviens à me retenir d'habitude.
– Taehyun, ce n'est pas un drame hein...

Il ressemblait presque à un enfant venant de confesser sa dernière bêtise, et Soobin soupira. Il n'y voyait pas tellement de problème et se demanda pourquoi Taehyun venait d'adopter cette posture coupable. Soudain, les mots terminèrent de faire sens dans sa tête et il ouvrit de grands yeux.

D'habitude ?

Le visage de Taehyun se décomposa un peu. Avec la lumière de l'astre qui brillait plus fort que les autres soirs, il lui sembla presque malade en cet instant.

– Quand je sais que tu viens ici... J'ai toujours envie. Mais je réussis à me contrôler et... Pardonne-moi je ne sais même pas pourquoi je te dis tout ça.

Lui, en avait une petite idée. Il le connaissait si bien, cette envie de vider son sac au premier venu pour se débarrasser de tout le poids qu'il avait sur les épaules...

– Je suppose que ça me soulage simplement, mais tu n'avais peut-être pas envie de –
– Continue.

Il y eut un drôle de blanc, pendant lequel il lui sembla qu'il se retenait presque de respirer. Soobin se redressa pour s'asseoir en tailleur, et inclina légèrement la tête pour l'inciter à poursuivre.

– Si tu as besoin de m'en parler Taehyun, fais-le. Je peux rester un peu plus longtemps pour.

Au même moment, ses doigts trouvèrent les siens. Il y était à ce moment où, pour la première fois, il n'était pas le garçon brisé à secourir. Il avait l'impression que les rôles s'étaient inversés, juste un peu, juste assez pour lui donner le courage d'être de l'autre côté de la barrière, rien qu'une fois.

– Je vois d'autres gens...
– Tu ne me l'as jamais caché, et je t'en remercie.
– Non, je... Je vois d'autres gens, parce que je ne peux pas m'en empêcher. J'ai besoin de changement, de multiplier les aventures. C'est maladif.

Il fronça légèrement les sourcils, sentant lentement mais surement la pression de Taehyun courir jusqu'au bout de ses doigts. Il ne disait plus rien, comme s'il cherchait ses mots, alors Soobin le devança :

– C'est une addiction ? Quelque chose comme ça ?

Il distingua un minuscule hochement de tête. Et les doigts de Taehyun terminèrent de broyer les siens.

– C'est la première fois que tu en parles à l'un de tes partenaires ?
– Une a su, il y a quelque temps. Ça l'a fait fuir...

Soobin se crispa légèrement.

– Elle l'avait deviné, je crois...
– Ça m'est égal. Vraiment, Taehyun... Nous deux, c'est occasionnel, je... Nous sommes tous les deux adultes, et maîtres de nos choix, d'accord ?

Taehyun opina du chef.

– Merci Soobin...
– Ne me remercie pas pour ça... Cela n'enlèvera strictement rien aux soirées géniales qu'on passe tous les deux.

Taehyun esquissa un sourire, et Soobin se sentit un peu mieux.

– Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis demandé rapidement si je devais te le dire à toi.
– Je suis content que tu l'aies fait.

Il le regarda se redresser, étirer ses bras et se lever du lit avec douceur.

– Tu te douches ici avant de repartir ?
– Je veux bien.

La discussion avait changé du tout au tout, mais Soobin ne l'en blâma pas : il se doutait qu'au fond, Taehyun devait se sentir soulagé, mais devait ressentir également le besoin de rapidement passer à autre chose.

– Je vais manger un truc, et j'irais après toi. Tu te sers dans le frigo avant de partir si tu as faim, d'accord ?

Soobin acquiesça et se leva à son tour pour gagner la deuxième pièce de l'appartement qu'il connaissait le mieux.



Soobin avait eu envie de se confier à Arin dès le lendemain.

Mais, écoutant sa petite voix intérieure, il se retint. La vie privée de Taehyun ne la regardait pas. Taehyun s'était confié, il avait senti à quel point lui confirmer son addiction avait été compliqué... Et il était hors de question de briser cette confiance. Arin savait déjà pour leur affaire. Elle savait qu'il le voyait fréquemment, parfois un peu trop à son goût dans la même semaine, mais ne disait rien. Au quotidien, peu de choses avaient changé. Son boulot était toujours aussi ennuyeux, et sa vie toujours aussi morose à l'exception des heures passées avec sa meilleure amie, ou avec lui.

Il était rentré avec une drôle d'impression ce jour-là. Il n'avait pas réellement su comment réagir à sa confession, s'il devait y prêter une réelle attention, laisser les choses se faire, si désormais il avait un rôle à y jouer... Soobin s'en faisait certainement trop, comme toujours, mais avait l'impression qu'il n'avait pas su réagir correctement.

– Elle est quand même étrange votre affaire, lança sa meilleure amie.

Il releva les yeux vers Arin qui finissait de s'appliquer un masque sur le visage. La couleur olive lui faisait une drôle de tête, et il esquissa un sourire amusé.

– Notre affaire ?
– Ouais... Je ne le connais pas, hein mais... C'est curieux. Je me fais du souci.
– À quel propos ?
– Un peu tout Soo'... Tu sais comment je suis...
– Une vraie mère poule.
– Je n'ai rien contre ces gens qui... Mmm, comment dire...
– Couche à gauche à droite ?
– Voilà ! Mais est-ce que c'est vraiment –
– Raisonnable ? Sûr ? Arin, ne t'en fais pas, d'accord ? Je sais ce que je fais. On en a discuté tous les deux la deuxième fois que je suis venu chez lui.

Elle afficha une petite moue, presque triste, et Soobin reposa son livre pour attraper ses mains dans les siennes.

– Ça me rend vraiment heureux, tu sais ?
– Tu ne l'es pas, le reste du temps ?
– Si !

Non. Oui. Je n'en sais rien Arin, pardonne-moi. Elle n'eut pas l'air convaincue, et Soobin s'en mordit les doigts. Une nouvelle voix, cette petite voix vicieuse qui le suivait quotidiennement lui souffla que Arin méritait mieux. Les images du pont revinrent au grand galop, et il baissa les yeux sur leurs mains entrelacées. Sa panique revenait elle aussi, et Arin se leva précipitamment pour se diriger vers sa salle de bain. Il la suivit à peine du regard, la bouche entrouverte. Il entendit l'eau couler quelques secondes, avant que sa meilleure amie ne revienne presque en courant se jeter dans ses bras. Le souffle coupé, il la laissa faire, et dû se faire violence pour ne pas craquer contre elle.

– Je suis désolée d'être absente ces derniers temps, murmura-t-elle.
– Ne dis pas n'importe quoi...
– Je sais que ça ne va toujours pas mais... Tu peux compter sur moi, hein ?

Il ne répondit rien, se contentant de hocher de la tête. Il avait hésité tant de fois à tout lui dire, à se confesser pour de bon. Mais Arin en savait suffisamment pour s'inquiéter bien trop à ses yeux.

– Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise Soo'. Je suis heureuse que ça se passe bien pour toi, d'accord ?

Nouvel hochement de la tête et Arin resserra un peu plus fort son emprise. Il ne savait pas quoi ajouter ou comment la rassurer. La seule chose qui lui vint à l'esprit fut que Taehyun n'était pas disponible avant la semaine prochaine, et que cela lui retournait tout l'estomac.




Deux mois étaient finalement un peu trop beaux pour être vrai.

Ses écouteurs enfoncés dans les oreilles, Soobin regardait l'eau sous ses pieds, la bouche pincée et incapable de se fixer sur la moindre idée positive. Il était là depuis une vingtaine de minutes, à sécher en vain ses larmes et à essayer de tout oublier, comme toujours. Aucune musique ne l'avait sorti de sa morosité, aucune n'y parvenait jamais. Il avait fini par la couper, à simplement garder les écouteurs comme de frêles remparts aux bruits extérieurs, et avait craqué, une nouvelle fois. J'aurais dû crever plus tôt. C'était la pensée noire qui revenait toujours, dans ces moments-là. Pourtant, sa journée n'avait pas été si mauvaise mais, comme une vieille amie qui ne le quittait jamais vraiment, la culpabilité revenait. J'ai Arin. J'ai un boulot, certains n'en ont pas. Et puis il y a Taehyun... Inlassablement, Soobin revenait encore et encore à la case départ. Il se sentait à deux doigts du gouffre, mais pas assez pour y tomber réellement. Il soupira et regarda encore et encore son historique des messages. Ceux d'Arin, les petites photos qu'elle lui envoyait souvent le confortaient un peu. Il passa à ceux de Taehyun. C'était toujours les mêmes. Un bonjour, une heure de rendez-vous, des dates... Il soupira, ferma les yeux et se demanda si se tourner vers lui dans un moment pareil était réellement une bonne idée.


↪ Moi à 18h36.
Hey, je sais que je demande au dernier moment mais... Es-tu libre ce soir ?


↪ Taehyun à 18h41.
Hey ! Je suis désolé, je suis déjà occupé ce soir... Est-ce qu'on peut se voir plus tard dans la semaine ? Tout va bien ?


↪ Moi à 18h36.
Oui oui, ne t'en fais pas ! J'avais envie qu'on se voit ! On peut faire ça plus tard !


Soobin... Sombre imbécile !! « J'avais envie qu'on se voit ». Il se fatiguait.

Finalement, avant même de recevoir sa réponse, Soobin balança son téléphone dans la poche immense de sa veste et tourna les talons, quittant le pont. Ni lui ni Taehyun n'abordèrent ce message les semaines suivantes.



Le printemps pointait doucement le bout de son nez sur la capitale sud-coréenne, et Soobin se fit la réflexion qu'aujourd'hui, son appartement semblait moins minable que ces derniers mois. Il avait lavé les sols, rangé ses placards et agencé d'une nouvelle manière son plan de travail et cette minuscule avancée lui avait redonné le sourire. Il se sentait sur un bon chemin, calme et paisible, où son esprit ne faisait pas des siennes. Il avait insisté longuement pour qu'Arin accepte ce voyage au Japon avec quelques-unes de ses amies. La jeune femme, peu encline à le laisser seul, avait fini par céder devant ses supplications. En échange, Soobin la noyait de message chaque jour pour ne pas qu'elle s'inquiète davantage.

Mais aujourd'hui, ce ne fut pas un message d'Arin qui le tira de sa petite sieste.


↪ Taehyun à 15h00.
Hey, dis-moi, je sais qu'en temps normal c'est toi qui fais la demande, car c'est plus simple ainsi mais... ça te dirait qu'on se voit ce soir ? Si tu es libre bien entendu.


Il leva un sourcil, un peu surpris. Depuis qu'ils se côtoyaient, Taehyun lui avait toujours laissé le soin de revenir vers lui. Soobin avait plus ou moins sous-entendu que la chose lui tenait à cœur, sans jamais réellement insister, et Taehyun l'avait toujours accepté. Et aucun des deux n'avait dérogé à la règle depuis six mois. Son message l'alertait.


↪ Moi à 15h02.

Je suis libre, et avec plaisir :)


Il n'avait pas vu Taehyun depuis deux semaines, et devais bien s'avouer que sa compagnie commençait à lui manquer.


↪ Taehyun à 15h04.
Merci !
À ce soir !


Merci ? Il fronça les sourcils, encore plus dubitatif.


↪ Moi à 15h04.
Quelque chose ne va pas ?


↪ Taehyun à 15h04.
Tout va bien chez moi !


↪ Moi à 15h05.
Tu viens de me remercier. Et tu viens vers moi en premier. Si tu veux parler de quelque chose qui te tracasse, n'hésite pas, je peux aussi être une oreille attentive si jamais.


↪ Taehyun à 15h05.
Ne panique pas, je vais bien !


La désagréable sensation de se retrouver à la place de sa meilleure amie lui serra la gorge. Non, ça n'allait pas. Et Soobin le voyait à travers ses messages. Alors, pris d'un élan de curiosité et de courage qui le dépassa complètement, il l'appela.


« – Soobin ?
– Désolé je... Bordel je suis vraiment en train de te téléphoner.
– On dirait oui. »

Taehyun avait une drôle de voix.

« – Je te dérange ?
– Je bossais.
– Oh, je... J'avais vraiment l'impression que tu n'allais pas bien. »

Il eut un drôle de blanc durant lequel il se concentra sur son souffle, et celui qu'il percevait à l'autre bout du fil.

« – Non, en fait je... Je m'en veux.
– Tu t'en veux ?
– J'ai l'impression de te forcer la main pour ce soir.
– Tu sais que j'aurais refusé si je n'en avais pas envie, hein ? Tu veux que je vienne de suite ?
– Je dois travailler. J'ai réussi à me concentrer toute la matinée sans dériver, ça ne m'était pas arrivé depuis des mois...
– C'est super Taehyun !
– Ne me félicite pas, c'est ridicule, soupira-t-il.
– Pas pour toi de ce que je comprends. »

Il s'assit sur son lit, une petite moue sur le visage.

« – Taehyun, tu veux m'en parler ?
– De quoi ?
– Tu sais de quoi je parle...
– Toi aussi ça te fout la honte de le dire, hein ?
– Non, je-
– Moi aussi. Ce n'est pas grave. Ça me fout la gerbe de temps en temps.
– On en a déjà un peu parlé, ça ne me gêne pas...
– Tu veux savoir quoi ? C'est... C'est pas pour te moquer, hein ?
– Taehyun.
– Désolé, je ne peux pas m'empêcher d'être sur mes gardes sur ça...
– On en parle ce soir ?
– Surtout pas ! Je... C'est plus simple si je... Si je ne te vois pas.
– D'accord. »

Nouveau silence. Il l'entendait presque réfléchir, se demandant comment formuler ses mots. Se demandant peut-être comment tourner la chose. Et Soobin attendait. Il ne le pressa pas, et resta le temps qu'il lui laissa dans le silence le plus complet de son appartement.

« – Ça a commencé juste après le lycée. »

La voix de Taehyun, timide et presque murmurée brisa le silence tout à coup.

« – Je ne m'en suis pas affolé au départ, parce que je me disais que c'était normal... Tu vois ? Je me découvrais, et c'était quelque chose de nouveau. J'ai fait mon service militaire juste après l'obtention de mon diplôme et je crois que c'est là que j'ai réalisé que quelque chose n'allait pas. Je n'ai pas mis les mots dessus, je me disais que c'était juste le manque, la frustration ou je ne sais quoi qui me faisait me sentir aussi mal... J'y pensais tout le temps. Mais je persistais à croire que tout le monde devait être dans le même cas que moi. »

Il marqua une pause, et Soobin resta figé, incapable de répondre quoi que ce soit. Il cherchait ses mots lui aussi, pour le rassurer, en vain. Assis en tailleur sur son lit, il resta concentré, le regard rivé sur sa main de libre qui triturait ses doigts pour s'occuper.

« – J'en avais envie en permanence. J'ai compris que c'était maladif lors de ma première relation. Je lui en demandais trop. Nous avions des rapports très fréquemment, mais rien ne me satisfaisait. J'étais heureux pourtant à ses côtés, je l'aimais sincèrement, j'étais comblé quand on le faisait mais... Il y avait toujours ce manque. Avant, après. Je me touchais en son absence... toujours. J'ai commencé à me tourner vers des sites illégaux, je me souviens que quand elle l'a appris... Elle s'est mise dans une colère noire. Il s'est passé exactement la même chose avec ma deuxième petite amie, et mon premier petit ami. J'ai simplement arrêté de vouloir me caser après ça. Ça va faire cinq années que je fonctionne avec des gens que je rencontre un peu au hasard, mais avec qui je matche bien. J'ai aussi réussi à arrêter la pornographie il y a un an. Je me suis moi-même mis des bâtons dans les roues, et j'y arrive encore. »

À l'autre bout du fil, Taehyun reprit son souffle, et Soobin l'entendit renifler légèrement. Il eut la subite envie d'être là, à ses côtés pour l'épauler et lui dire que tout irait bien, qu'il n'y avait pas une once de jugement sur son visage en ce moment même. Mais Soobin savait : parfois, il était plus simple de se confier à travers des messages sans voir la personne en face.

« – J'ai essayé aussi de me raisonner, de fréquenter le moins de gens possible. Je sais ce que tu vas penser, il aurait simplement fallu que j'arrête de sortir dans des bars, des cafés ou que sais-je. Arrêter de prendre des numéros de téléphone d'inconnus, comme ça. Arrêter tout court de me tenter. J'ai essayé de baisser la cadence. C'est plus fort que moi, c'est... J'ai jusqu'à cinq partenaires par semaine maintenant. Putain je... Je suis immonde Soobin.
– Ne dis pas ça.
– Parfois je me réveille le matin, et je me dis que je ne vis que pour ça. Que pour soulager ces pulsions sexuelles qui ne me quittent jamais.
– Taehyun, non. Tu ne vis pas que pour ça. Regarde, ce matin, tu as réussi.
– Ce matin oui, mais hier, avant-hier, avant avant-hier... Non.
– Ça commence par de petites victoires tu sais...
– C'est gentil Soobin, de vouloir être comme ça.
– Comment ?
– Compréhensif. Merci de m'avoir écouté.
– C'est normal. Tu es une personne que j'apprécie avant tout. On se voit toujours ce soir ? Ou est-ce que tu préfères attendre un peu après cette discussion ?
– Si tu es toujours partant...
– Bien sûr.
– Tu peux me promettre quelque chose ?
– Oui ?
– On en reparle plus.
– D'accord.
– Merci. »

Il raccrocha en premier, ne sachant pas quoi rajouter. Il resta ainsi longtemps sur son lit, assis en tailleur, à fixer le mur devant lui. Les paroles de Taehyun ne le quittaient plus ; elles tournaient en boucle dans sa tête, jusqu'à finir par former un tas de phrases informes et sans aucun sens. Imaginer le quotidien de l'autre homme lui fut impossible. Soudain, une réalité tout autre le frappa : Taehyun et lui étaient semblables sur bien des points. Désespérés par leurs propres conditions, rendus tristes par ce que la vie leur avait largué comme fardeau. Une réflexion en amenant un autre, Soobin en vint à se demander ce que Taehyun faisait réellement sur ce pont, le jour de leur première rencontre.





     La voix de Taehyun lui parvenait à peine. Elle se noyait dans un flot de supplications toutes plus provocantes les unes que les autres, auxquelles Soobin ne prit pas la peine de répondre. Ses mains trouvèrent l'ourlet de sa chemise qu'il tira un peu brutalement, lui intimant de s'en débarrasser dans la foulée.

– J'y ai pensé toute la journée, ahana Taehyun.
– Et moi donc, lui répondit-il.

Son sourire mutin ne le quittait pas, à mesure que leurs vêtements allèrent trouver le sol de son appartement.

– Sinon, rejoindre le lit ça ne te dirait pas ?
– Je l'aime bien moi cette commode, bouda-t-il pour la forme.

Non, il aimait bien Taehyun sur cette commode. La commode en elle-même était un meuble très simple, à la limite de l'ennuyeux. Mais l'homme assis dessus était beaucoup plus intéressant. Il était incapable d'échapper, de résister à son regard dans ces moments-là. Taehyun avait un don pour le transcender, le changer entièrement dès qu'il mettait un pied dans son appartement. Il ne lui revint pas, à aucun moment, quelques bribes de leur conversation. Soobin n'y pensait plus, enivré par tout autre chose, par les bras de Taehyun sur ses épaules, son front contre le sien. Il portait comme toujours cette odeur singulière qu'il aimait tant, un mélange de plusieurs savons qu'il avait déjà aperçu dans sa salle de bain. Taehyun portait toujours les mêmes quand il venait, et Soobin avait déjà eu envie de lui confier à quel point ces odeurs-là avaient le don de le rassurer. Il laissa ses lèvres effleurer un peu les siennes, avant de descendre un peu plus bas, jusqu'à ses clavicules. Il sentit un frisson le parcourir, juste là, sous ses doigts, et son sourire gagna en ampleur.

Il eut un bref interlude, où son regard se perdit dans le sien, les mains rivées sur le sommet de ses jambes. Il lui sembla durer une éternité pendant laquelle il l'effleura simplement, sans artifices, rompant les habitudes instaurées depuis plusieurs semaines. Son prénom résonna encore et encore, tout près de son oreille; sa voix le rendait fou, sa peau lui brûlait le bout des doigts.

– Soobin s'il te plait...

Passant ses mains sous ses cuisses, il quitta la commode à contrecœur pour rejoindre le lit. Taehyun le remercia à demi-mots, finissant de lui retirer le peu de tissu qu'il lui restait sur la peau. Le nez dans son cou, les mains plantées sur ses hanches, il lutta pour se contenir pour ne pas céder immédiatement. Ce soir ses envies étaient différentes, plus calmes. Il connaissait les habitudes de Taehyun, traduisait le moindre de ses regards ardents mais Soobin garda le contrôle, jusqu'au bout. Son amant capitula, attrapant l'une de ses mains, geste nouveau lui aussi. Profitant de ses yeux clos, il en profita pour l'embrasser encore un peu, et contempler cet homme qu'il ne prenait jamais vraiment la peine d'admirer. Leurs corps trouvèrent un nouveau rythme, plus doux et intime, et Soobin réalisa de longues minutes plus tard que Taehyun n'avait eu de cesse d'enlacer ses doigts avec les siens.



– Soobin ? Allô, ici la terre, j'appelle Choi Soobin !

Il cligna des yeux, dérangé dans ses pensées par un claquement de doigts juste sous son nez. Arin le regardait de ses grands yeux curieux, un immense sourire sur le visage.

– Toi, tu étais drôlement loin, je me trompe ?

Il acquiesça, son sourire remontant jusqu'aux oreilles. Il avait laissé son esprit divaguer un peu trop, en cette belle après-midi ensoleillée où Arin et lui pique-niquaient dans un parc. Ce genre de sortie était devenu rare au fil des ans, Soobin lui était reconnaissant de le sortir de nouveau comme autrefois, mais aujourd'hui, sa concentration s'était envolée. Il était toujours sous le jet brûlant de la douche de Taehyun, à remettre l'entièreté de sa vie en question. Taehyun l'avait rejoint, pour la première fois ce soir-là. À ce moment-là, toutes ses tribulations s'étaient évaporées. Il avait embrassé son dos nu, et Soobin avait fermé les yeux, incapable de lui résister. Les mains du brunet s'étaient glissées sur ses hanches, puis doucement sur son ventre et ils étaient restés ainsi sous l'eau chaude pendant de longues minutes. Soobin n'avait pas osé l'interrompre ; il avait savouré ses baisers le dos tourné, les bras le long du corps. Il s'était trouvé si fragile et délicat en cet instant, l'intégralité de son corps s'était détendu et, pour la première fois depuis son ancienne relation, Soobin s'était senti incroyablement aimé.

– Ok... Soobin ?
– Mmm ?
– Oh bon sang tu n'y arrives pas aujourd'hui, rigola-t-elle.
– Pardonne-moi, j'ai vraiment la tête ailleurs.
– C'est rien, c'est rien... Tu veux en parler ?

Il secoua la tête, étrangement, ce souvenir lui tenait trop à cœur pour être partagé.

– Et toi Arin, comment vas-tu ?
– Moi, oh...

Il inclina légèrement la tête et attrapa sa petite main posée près de lui.

– J'ai... J'ai essayé, enfin, dirons-nous...
– Oh mon dieu. Il y avait bien quelqu'un qui te plaisait, c'est ça ? Tu as fait le premier pas ?

Elle le regarda avec de grands yeux, le visage cramoisi.

– Et alors ?!
– Elle... Elle a accepté de sortir boire un verre avec moi.
– Arin ! Arin c'est merveilleux !

Elle baissa les yeux, un sourire timide sur le visage.

– Je suis très heureux pour toi !
– Rien n'est encore fait... Et puis, c'est la première fois...
– Ça va le faire ! J'en suis convaincu ! Tu es une fille géniale Arin, vraiment.
– Il se passera quoi si je ne peux pas assumer publiquement, hein ?
– Arin, n'y pense pas. Pas tout de suite. Passe déjà une bonne soirée avec elle.

Elle se jeta dans ses bras en guise de remerciement, et Soobin la serra fort contre lui. En cet instant, la joie immense qu'il ressentit balaya tout le reste. Fier de sa meilleure amie, il insista pour lui offrir une glace à la toute fin de leur journée.

Ce ne fut qu'une fois chez lui, allongé sur son lit que Soobin se fit la triste réflexion que parfois, ce genre de moment ne suffisait plus. Il voulut se maudire de replonger dans son pessimisme et ses ruminations maintenant. Il aurait voulu se punir pour l'avoir fait, encore une fois. Et pourtant, une nouvelle fois, Choi Soobin se demanda comment aurait été la vie sans lui, si Arin aurait été tout aussi heureuse. Ce soir-là, il pleura de nouveau en culpabilisant.



Le grand jour pour Arin était arrivé, et Soobin l'avait regardée partir des étoiles dans les yeux ce matin-là. Avec une certaine appréhension tout de même, il lui envoya quelques messages juste au cas où les choses se passeraient mal. Elle l'avait remercié le sourire aux lèvres, le cœur léger, et Soobin était rentré chez lui. Il avait lancé un épisode d'une série qui ne l'intéressait pas plus ça, en guise de fond sonore, avant de s'étaler dans son canapé et de commencer à trier tous les papiers administratifs qui s'accumulaient depuis des mois.

Incapable de se concentrer, Soobin ne pensait qu'à elle. Comment était l'autre fille ? Quel métier faisait-elle ? Quelles étaient ses véritables intentions ? Arin avait gardé beaucoup de choses pour elle, refusant de trop se livrer au cas où les choses ne tourneraient pas en faveur. À présent, Soobin angoissait. Il ne pouvait s'empêcher de repenser à cette soirée où il l'avait rencontré. Il en était tombé amoureux – du moins il l'avait cru – dès le premier regard. L'autre garçon ressemblait en tout point à l'image qu'il se faisait du petit ami parfait. Il l'avait été, par la suite. Soobin était parti comme Arin ce soir-là. Les rôles avaient été inversés. Il était revenu le cœur en fête, des étoiles dans les yeux : cette soirée-là, Soobin en avait été convaincu, il avait rencontré l'homme de sa vie. Arin avait un peu boudé, Soobin l'avait ignorée. Elle avait été plus clairvoyante, et lui n'avait rien écouté de ses conseils.


Maintenant il revoyait son sourire. Ce maudit sourire qu'il voulait effacer de sa mémoire à tout jamais. Il râla, se blâmant d'y avoir pensé si vite. L'escalade avait été bien plus rapide que toutes les précédentes.

– Putain, sors de ma tête...

Mais l'autre persistait. Il le revoyait clairement, plus clairement que toutes les images qu'il avait gardées de lui ces derniers mois. Il augmenta le son de sa série, encore et encore. Même sous ses paupières closes, il vivait encore. Furibond, il se leva, augmenta le volume une nouvelle fois et se rua dans sa cuisine en envoyant bouler tous ses papiers. Trouve un truc à faire, n'importe quoi. Arrête de penser à ce connard. En vain. L'eau déborda du verre qu'il remplissait et Soobin l'envoya valser au fond de son évier d'un geste rageur.

– PUTAIN !

La respiration sifflante, il fixa les débris de verre sous ses yeux, et une partie de sa main en sang.

– C'est pas vrai... Je suis nul, nul... Nul !

Il accourut vers sa salle de bain pour se nettoyer, et coller maladroitement un pansement sans même prendre le temps de désinfecter sa petite plaie. Comme un zombi, il déambula dans son appartement, ses hoquets couverts par le son trop fort de sa télévision.

– Pourquoi tu reviens encore... Hein ? Pourquoi je ne peux pas juste être heureux...

Ses lamentations le menèrent jusqu'à son lit où il s'écroula. Réalisant qu'il n'avait pas éteint son poste de télévision et que le son demeurait à présent bien trop fort pour ses oreilles, il éclata en sanglots pour de bon.

– Pathétique, je suis pathétique...

Incapable de bouger, d'esquisser le moindre mouvement, il resta ainsi la tête enfoncée dans les draps. De la force, Soobin en avait. Mais jamais dans ces moments où son moral n'était plus là. Jamais lorsqu'il recommençait à s'insulter, encore et encore, ruminant sur sa vie toute entière. La plupart du temps, Soobin finissait par s'écrouler de fatigue. Tout était plus simple quand il finissait par se livrer aux bras de Morphée. Dans ces moments-là, il souhaitait souvent – presque tout le temps – de ne jamais plus ouvrir les yeux.

Aujourd'hui la fatigue ne le gagna pas. Il resta figé dans son lit deux heures durant, laissant toutes les images immondes de son passé ressurgir. Il leur laissa libre accès à ses émotions, à sa tête, pour la première fois depuis trop longtemps. Il ne pensa plus à rien, n'articula plus un mot. Ce qui défilait sous ses yeux n'était que des bribes d'un passé houleux et honteux, qui n'arrivait toujours pas à fuir. Une fois de plus, il avait gagné.




Soobin n'avait aucune idée de pourquoi il se tenait ici, devant la porte de l'appartement de Taehyun. Il n'avait envoyé aucun message, pas un appel, rien. La probabilité de le déranger – certainement occupé avec quelqu'un d'autre – était grande, et pourtant. Il sonna une fois, puis deux, avant de relaisser tomber sa main le long du corps. La porte s'ouvrit presque timidement, et Taehyun pointa le bout de son nez. Il portait un jogging gris et large sans rien d'autre sur les épaules et, presque honteusement, Soobin baissa les yeux.

– Je te dérange ?
– Euh, eh bien, je n'ai pas pour habitude qu'on se pointe chez moi à l'improviste mais –
– Je pars, excuse-moi.
– Attends, Soobin ! Reviens par ici !

Il l'attrapa par la manche et le tira vers l'entrée, les sourcils froncés.

– Tu voulais me voir ?
– Oui, souffla-t-il. Mais je tombe mal...
– Oh, je faisais mon sport. J'ai passé ma journée entière à bosser, je devais me vider l'esprit.
– Ta journée... entière ?
– Oui ! lança-t-il, les yeux brillants.

Et je vais tout gâcher, parce que comme d'habitude, je ne viens pas ici pour papoter. Je. Suis. Le. Pire. En face de lui, le sourire de Taehyun diminua un peu, comme s'il avait lu dans ses pensées.

– Laisse-moi le temps de me doucher, et je suis tout à toi, ajouta Taehyun.
– Taehyun...

Il entra malgré lui, guidé par une main dans le bas de son dos.

– Tu connais l'appartement, fait comme chez toi !

Il le regarda disparaître dans sa salle de bain, et se déchaussa, avant de s'avancer à pas timide vers sa chambre. Il se demanda à quel point la confiance que Taehyun plaçait en lui était grande pour l'accueillir ainsi à bras ouverts, sans s'en inquiéter. Comme toujours, la chambre – comme toutes les pièces de la maison – était ordonnée et rangée à la perfection. Il s'assit sur un coin du lit, les mains jointes sur ses cuisses et attendit sans plus penser à rien. Ici, l'autre ne l'atteignait jamais comme il le faisait chez lui. Les minutes lui semblèrent bien longues avant de finalement le voir ressortir de la salle de bain, sa serviette autour de la taille.

– Tu en tires une tête !

Il le regarda se laisser tomber à ses côtés sans rien dire. Il loucha sur ses épaules nues, puis le reste de son corps encore un peu humide. Il le sentait suivre son regard, et sourire en retour avant d'incliner légèrement la tête vers lui.

– Je ne voulais pas gâcher ta fin de journée, soupira-t-il.
– Tu ne gâches rien du tout, ça me fait plaisir.
– Tu... Tu n'avais pas réussi à tenir toute une journée sans... Enfin...

Taehyun laissa échapper un rire clair, qui dévoila sa dentition parfaite et Soobin se fit la réflexion qu'il ne l'avait jamais réellement entendu rire de la sorte auparavant.

– Rien depuis vingt-trois heures trente la nuit dernière très cher !

Il fut incapable de passer à côté de toute la fierté qui émanait de lui et sans plus attendre, il se pencha pour l'embrasser.



Quelque chose le bloqua ce soir-là, alors qu'il tentait en vain de chasser ses images déplaisantes de la tête. Il était loin, à dix mille lieux de cette chambre dans laquelle il se sentait pourtant en sécurité. Et Soobin luttait pour ne plus y penser, pour se concentrer sur Taehyun et ses mains partout sur son corps. En vain.

– Taehyun...

Lui fait pas ça... Laisse-le, et force-toi un peu... C'est dégueulasse de venir chez lui pour ça, et de tout laisser tomber. Il relaissa tomber sa tête dans ses coussins, le visage en feu et les larmes au bord des yeux. Se forcer pour faire plaisir, il savait faire : Soobin l'avait fait par le passé. Au même moment où le brun décida de capituler, les lèvres de Taehyun quittèrent l'intérieur de ses cuisses.

– Oui ?

Il remonta vers lui, un coude de part et d'autre de son torse.

– Désolé, je... Je ne sais même pas pourquoi je suis venu ici.

Taehyun haussa un sourcil, circonspect.

– Tu n'en as plus envie ?

Soobin, espèce de crétin.

– Si. Si, tu peux continuer.

Mais Taehyun ne bougea pas d'un poil.

– Je prends le relai ? bafouilla-t-il.
– Non Soobin, tu ne prends pas le relai, on va s'arrêter là.
– Je m'excuse, je suis tellement désolé, je...
– Ce n'est pas grave.

Taehyun se redressa et passa une main dans ses cheveux. Il ne semblait ni contrarié, ni même triste et pourtant Soobin ne put s'empêcher de l'imaginer dans ces états d'esprit là. À genoux sur le matelas, Taehyun passa une main dans ses cheveux noirs et soupira. Il le laissa faire, les yeux rivés sur ses draps, un air dépité sur le visage. Alors qu'il s'apprêtait à s'excuser de nouveau, Taehyun lui coupa la parole.

– Soobin, ce n'est pas un drame, vraiment.

Il releva des yeux brillants vers lui, persuadé une nouvelle fois d'avoir tout gâché. J'aurais dû ne rien dire. C'était l'une des phrases qui lui revenait trop souvent, avec l'impression de se sentir en trop, et mal écouté. Taehyun ne le lâchait pas des yeux, et Soobin ne s'en sentit que plus intimidé. Que pensait-il de lui en cet instant ? Était-il en train de le haïr de toutes ses tripes ? Il en avait le droit. Réalisant qu'il était sur le point de s'enfoncer à nouveau dans une spirale infernale, ou de fondre en larmes sans raison sous ses yeux, l'entièreté de son mal être soudaine s'amplifia. Il ne tiendrait pas un mot de plus, et le savait. Pourtant, comme pour l'encourager à reprendre la parole, l'une des mains de Taehyun se glissa sur les siennes. Ils restèrent un petit moment, sans rien dire, les yeux posés sur leurs mains entrelacées.

– J'ai envie que tu m'embrasses.
– Que je t'embrasse ?
– Comme la dernière fois.

Quelque chose dans le regard de Taehyun changea. Soobin se demanda si lui aussi avait éprouvé ce même plaisir, totalement différent des autres, lors de leur dernière nuit passée ensemble.

– Juste un baiser, sans rien après, précisa-t-il.

Le visage de Taehyun s'étira d'un sourire qu'il ne lui connaissait pas encore et avant même qu'il ne se fasse la réflexion que sa requête était sans aucun doute déplacée, il se pencha vers lui.

– Tu me diras ce qui s'est passé avec ta main après ?
– Rien de grave, j'ai cassé un verre, je me suis coupé.
– Rien de grave ?
– Rien de grave.

Taehyun sembla alors soulagé et déposa ses lèvres sur les siennes. Il nota tout le soin qu'il apporta pour ne pas le toucher davantage et esquissa un sourire heureux. Il s'était souvenu de leur dernier baiser avec une précision troublante et aujourd'hui, il le vivait enfin de nouveau. Se confortant dans l'idée que jamais personne ne l'avait embrassé de la sorte, il prolongea cet instant, profitant des moindres secondes qu'ils avaient encore à partager.

– Soobin ?
– Mmm...
– Tu travailles demain ?
– Non.
– Reste ici ce soir...

Il recula légèrement, interloqué. Le ton presque suppliant de Taehyun l'avait surpris.

– Si tu en as envie... tu peux.

Taehyun ne l'invitait jamais à rester. Et pour cause, Taehyun, il le savait, ne conviait jamais personne à passer la nuit entière chez lui. Il le lui avait lui-même dit, les rares conquêtes qu'ils ramenaient chez lui – car il préférait bien souvent être chez les autres – partaient dans la nuit, et ne dormaient pas à ses côtés. Il se sentit flatté, valorisé, et sentit ses joues devenir cramoisies à mesure que les secondes défilaient.

– Je veux bien, murmura-t-il alors.

Le visage de Taehyun s'illumina subitement. Il lui proposa de piocher dans les plats tout fait qu'il avait préparé pour sa semaine et quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent à réchauffer deux assiettes dans sa cuisine, un peu plus vêtus l'un et l'autre.



L'ambiance lui sembla étrange, mais pas désagréable.

Soobin aimait être là. Il aima manger en sa compagnie, lui rendre ses regards presque furtifs et y trouva enfin la paix. L'autre ne revint pas une seule fois dans son esprit. Il se doucha, Taehyun lui prêta des vêtements pour la nuit, et quand ils se couchèrent côte à côte, Soobin réprima un rire nerveux.

– Désolé c'est juste que... Je n'ai plus l'habitude.
– Moi non plus.

Gêné, il se laissa disparaître sous les draps.

– Tu... Tu es sûr que ça ne te gêne pas que je sois là ?
– Je ne t'aurais rien proposé si cela avait été le cas Soobin.
– D'accord, murmura-t-il.

Il le sentit se caler un peu plus confortablement, et hésita quelques instants à rester à sa place, ou à rejoindre le bord du matelas.

– Soobin... Est-ce que je peux... ?

Il leva légèrement sa main au-dessus de sa taille et Soobin mit quelques secondes à réaliser sa requête.

– Oh, oui, tu peux, bien sûr !
– Certain ?

Il hocha de la tête, et Taehyun se rapprocha un peu, avant de se caler contre lui, une main sur sa taille. Il se figea légèrement, très légèrement, avant de se détendre dans la minute qui suivit. Taehyun n'était pas envahissant. Taehyun n'était pas en train d'empiéter sur son espace malgré la situation. Taehyun lui avait demandé avant, sans doute à cause de sa réaction tout à l'heure, et Soobin l'en remercia mentalement. Il se demanda s'il lisait dans ses pensées, ou s'il l'avait tout simplement bien cerné... Mais Soobin se sentit bien. Il se sentit assez à l'aise pour se nicher contre lui et pour le laisser se lover dans ses bras au fil de leur nuit.




        Quand il se réveilla, Soobin réalisa que sa nuit sans rêves ni cauchemars était la première depuis longtemps. Toujours endormi à ses côtés, Taehyun avait la joue écrasée sur le haut de son bras, et Soobin ne bougea pas d'un poil, refusant de de briser ce moment. Il essaya de se remémorer la dernière fois qu'il s'était endormi avec quelqu'un à ses côtés... Et secoua la tête : il était hors de question de gâcher cet instant avec lui à ses côtés. Il tourna légèrement la tête vers lui pour l'épier un peu avant qu'il ne se réveille. Il écarta les quelques mèches de cheveux qui tombaient sur son visage, et esquissa un sourire attendri. Taehyun ne bougea pas, Soobin se demanda même s'il respirait, avant d'en conclure que peut-être, de son côté aussi, Taehyun avait besoin de repos. Il lui laissa encore une dizaine de minutes, avant de se décaler légèrement pour dégager doucement son bras qui commençait lentement à s'engourdir. Constatant qu'il dormait toujours, il se leva avec précaution avant de se diriger vers la salle de bain. Toujours en silence, il alla ensuite boire un grand verre d'eau et retourna dans la chambre, sous les draps, comme si de rien n'était.

– J'ai cru qu't'allais te barrer sans dire au revoir...

La voix encore lourde de sommeil mais rieuse de Taehyun le fit presque sursauter.

– Non je... je voulais boire et-
– J'te taquine Soobin, rigola-t-il.

Il le regarda se redresser et étirer ses bras en avant, les yeux cernés.

– Tu as bien dormi ? se risqua-t-il à demander.

Taehyun lui adressa un drôle de sourire et Soobin se demanda ce qu'il devait en déduire. Sans rien ajouter de plus, Taehyun se laissa tomber sur son matelas, laissant échapper un soupir d'aise. Un sourire échappa à Soobin quand il sentit sa main trouver l'une des siennes. Il fixa un court moment leurs doigts entrelacés, sentant le rouge lui monter au visage. Il y a quelques mois, et Soobin le savait, il aurait dégagé sa main sans un mot, sans un regard. Peut-être que je vais vraiment mieux... en fin de compte. Après une légère hésitation, il se pencha pour l'embrasser tendrement. Taehyun sembla presque surpris, mais le laissa faire, glissant une main dans ses cheveux sombres. À nouveau, Soobin se sentit fondre entre ses bras. Il aurait voulu simplement le saluer, puis partir sans plus de cérémonie comme à chaque fois, mais ce matin était le premier qu'ils partageaient. Le premier depuis longtemps où Soobin ne se réveillait pas à côté d'une place déjà froide, ou aux côtés d'un autre qui le méprisait jour après jour.

– Soobin...
– Je sais, je sais... Je reste pas longtemps, promis, souffla-t-il.

Taehyun étouffa un rire, et arrêta ses gestes quelques secondes, le temps de plonger son regard dans le sien.

– Tu restes autant que tu veux.

Il frissonna, incapable de rester insensible au timbre de sa voix, avant d'à nouveau se pencher vers lui. Il en oublia presque son prénom, son nom, qui il était tout entier en sentant les mains de Taehyun rivées sur ses hanches, tandis qu'il lui rendait avidement son baiser. Un soupir plus bruyant que les autres termina de l'achever pour de bon, et il glissa ses mains sous le coton de son haut, le souffle court.

– Soobin...
– Promis, je ne m'arrête pas cette fois-ci, murmura-t-il.

Il crut voir une lueur de soulagement dans son regard, suivi d'une autre chose qu'il ne parvint pas à traduire. Complètement abandonné à lui, Taehyun s'enfonça un peu plus dans son matelas, sourire aux lèvres et les joues rouges. Soobin termina de retirer son haut, embrassa ses clavicules et le rire léger de Taehyun lui parvint tout à coup. Oh... ici aussi... se surprit-il à penser. Il recommença, une fois, deux fois, vérifiant entre chaque baiser l'ampleur de ses dégâts : le visage rouge et heureux de Taehyun était la plus belle des récompenses.

– C'est le meilleur des réveils, soupira-t-il.

Il esquissa un sourire contre sa peau nue, et y déposa ses lèvres à nouveau. Il sentit déjà son excitation poindre, et descendit ses lèvres tout en bas de son ventre, sur cette zone sous le nombril qui, il le savait, le rendait fou. Ses réactions ne mirent qu'une fraction de seconde à lui parvenir et il lâcha un rire satisfait, maintenant son corps qu'il voulait cambrer contre le matelas.

Ne le laisse pas cette fois-ci, lui souffla une voix mesquine dans son esprit. Et Soobin s'en voulut. De le voir comme une personne simplement dépendante, sans rien d'autre. Il s'en voulut pour Taehyun, pour l'image brève mais forte qu'il eut de lui en cet instant. Il eut envie de s'excuser d'y avoir pensé, à cette addiction qui lui pourrissait la vie et que Soobin entretenait malgré lui. Il s'en voulait d'avoir pensé que Taehyun n'était sans doute pas heureux que ce soit lui dans son lit, mais tout simplement heureux d'enfin assouvir ses envies. Il se détesta d'y penser maintenant, alors qu'il s'offrait complètement à lui. Soobin se détesta en cet instant. Pourtant il continua, les larmes au bord des yeux, jusqu'à que la voix haletante de Taehyun ne le sorte de ses idées noires.

– S'il te plait Soo...

Personne ne lui donnait de surnom hormis sa meilleure amie, mais ça, Soobin ne le réalisa que bien plus tard. Il retira le reste de ses vêtements et remonta dans une caresse jusqu'à ses lèvres qu'il effleura. Son front contre le sien, ils restèrent quelques instants sans bouger, à se concentrer sur les battements de cœur de l'un et l'autre.

– Soobin ?
– Mmm ?
– Je suis vraiment heureux que tu aies accepté de rester encore un peu...

Il n'osa pas lui demander pourquoi, craignant sans doute la réponse, et se contenta d'un sourire. Les rougeurs sur ses clavicules l'appelèrent de nouveau et il faufila sa main de libre – celle qui ne tenait pas fermement l'une de ses épaules – entre ses jambes.




À présent Soobin mourrait de chaud. Le soleil était entré dans la chambre, profitant des rideaux mal fermés. Taehyun s'était rendormi, encore. Fasciné par la couleur de sa peau à la lueur matinale, il resta assis dans le lit de longues minutes, laissant l'une de ses mains reposer sur ses cuisses. Timidement, il caressa le sommet de sa main, et l'aperçut sourire légèrement dans son sommeil. Qu'est-ce que je suis en train de faire, hein... Sentant son cœur s'emballer un peu trop, il le délaissa à regret pour prendre une douche. À son retour, Taehyun dormait toujours à poings fermés.

– Taehyun, souffla-t-il.

Aucune réponse. Il retourna dans son salon, où il se saisit d'un stylo et d'un petit bloc de post-it pour lui déposer un mot sur la table de son salon. Il devait partir, maintenant, et le sentait. Il n'aimait pas la manière dont son cœur avait commencé à s'emballer, quelques heures plus tôt. Ni tout l'effet délicieux que son surnom – il le réalisa maintenant – avait eu sur lui.

Quand il claqua la porte, les larmes lui grimpèrent aux yeux. Il réalisa dans le bus que personne depuis bien longtemps ne lui avait donné autant de liberté au lit. À vrai dire, Soobin réalisa que Taehyun était sans doute le premier à le laisser entreprendre, et à ne pas tout lui dicter. Le premier à respecter ses envies également. À vouloir réellement de lui aussi. Réalisant qu'il venait de se ranger aux côtés d'Arin dans la catégorie des gens le considérant tout simplement, Soobin comprit que toute cette affaire était en train d'aller beaucoup trop loin.



Il évita de contacter Taehyun tout le mois qui suivit. Ils échangèrent un peu par message après leur matinée prolongée, mais ce fut tout. Pourtant, ce fut bel et bien lui qui revint vers l'artiste en ce début d'après-midi pluvieuse.

↪ Moi à 14h00.
Salut Taehyun, tu es libre ce soir ? Je sais que je m'y prends au dernier moment...


↪ Taehyun à 14h02.
Hey ! Je suis disponible, sans souci !


Souriant derrière son écran, Soobin s'enfonça un peu plus dans son canapé. Il s'apprêta à lui demander à quelle heure il pouvait le rejoindre chez lui, quand un nouveau message de sa part lui parvint.


↪ Taehyun à 14h04.
D'ailleurs... Est-ce que ça te dirait de venir dîner avec moi ?


Il regarda son message, perplexe. Aller dîner, avec lui ? Ils ne faisaient jamais ça. Soobin ne sut pas trop réellement quoi en penser. Pourtant, il se laissa tenter.


↪ Moi à 14h05.
Avec plaisir !


↪ Taehyun à 14h06.
Super ! Est-ce que ça te dirait qu'on se retrouve à la station de Hongdae, sortie deux ? Je connais un lieu sympa pas trop loin !


↪ Moi à 14h06.
Faisons ça ;)


↪ Taehyun à 14h06.
20h, je t'enverrais un message quand j'y serais !


Soobin se sentit soulagé. Ce quartier, Arin y traînait souvent avec ses amis, en cas de souci il savait qu'il pouvait faire appel à elle. C'était sans doute un réflexe un peu idiot, d'y penser immédiatement, mais Soobin se sentait en sécurité ainsi. Il avait besoin de ses repères, tout le temps, sans quoi il le savait : son état pouvait se dégrader plus vite que prévu.

Il ne put s'empêcher de se demander la raison de cette invitation soudaine, et de se faire une montagne de films comme il savait si bien le faire. Sa journée se déroula alors dans une lenteur extrême, si bien que vingt heures semblèrent ne jamais arriver.




Taehyun l'attendait au point de rendez-vous qu'il s'était fixé. Le voir ailleurs que dans son appartement lui sembla étrange, et Soobin se fit la réflexion que la seule fois où cela avait été le cas remontait à l'an dernier, sur le pont. Il lui adressa un sourire immense, qu'il s'empressa de lui rendre.

– J'espère que l'endroit te plaira, si tu ne le connais pas déjà !
– Je n'en ai aucun doute !

Là-dessus, il lui vouait une confiance aveugle. Il le suivit donc, sans rien ajouter de plus, soulagé de voir que Taehyun ne souhaitait pas, une fois de plus, forcer la discussion. Le restaurant n'était pas encore plein, et ils en profitèrent pour sélectionner une table loin du grabuge des cuisines et de l'entrée. Ainsi placés, ils s'installèrent et Soobin tordit nerveusement ses doigts sous la table. Il s'attendait toujours à ce que Taehyun explique son invitation, mais il n'en fut rien.

– Tu connaissais ?
– Du tout, souffla-t-il.

Il n'était pas très restaurant en temps normal, encore moins de cuisine étrangère. Il était trop gêné de manger seul la plupart du temps, et avec Arin, ils possédaient leurs petits repères bien à eux qu'ils ne quittaient jamais.

– Je suis content de te faire découvrir quelque chose alors ! Nous nous y rendions avec mes parents, il y a longtemps. J'ai beaucoup de bons souvenirs ici.
– Oh, les gens doivent te connaître ici, non ?
– Pas tous, le gérant, oui, à force de me voir... Et quelques serveurs qui sont là depuis quelques années.

Soobin fronça légèrement les sourcils, curieux.

– Est-ce que... Enfin...
– Non, le coupa Taehyun, qui devina sans aucun souci le reste de sa phrase. Je ne me jette pas sur tout ce qui bouge Soobin...

Soobin baissa les yeux sur le bois clair de la table, mort de honte. Tu es vraiment idiot, c'est pas possible ma parole. Ferme ta grande bouche et arrête de parler, la soirée se passera mieux si tu le fais. Son ex le lui avait souvent rappelé, d'ailleurs.

Taehyun avait attrapé le menu sans rajouter un mot, avant de disparaître derrière. Si Soobin le croyait fâché, il était en réalité honteux lui aussi, que le sujet revienne maintenant. Il hésita à ouvrir la bouche pour s'excuser, mais sa bouche pâteuse et cette voix méchante qui ne le quittait pas l'en empêchèrent. Comme toujours, il craignait d'aggraver son cas. J'aurais vraiment dû sauter. Il ouvrit des yeux ronds, réalisant la pensée horrible qui venait de germer toute seule dans son esprit et, paniqué, attrapa lui aussi un menu. Oh mon dieu, non, pardon Taehyun, pardon... Pas en face de toi.

– Tu as choisi ?

La voix presque timide de Taehyun le ramena sur terre.

– Oh, excuse-moi je... je ne...
– Eh, eh... Prend ton temps, ne t'excuse pas va ! Si tu as des questions sur plats, dis-moi.
– La même chose que toi.
– Tu ne sais pas ce que j'ai pris...
– Je suis curieux, je veux découvrir de nouvelles choses.

Le sourire de Taehyun refit surface et le cœur de Soobin loupa un battement. Il ne semblait pas fâché.

Leurs plats arrivèrent très rapidement, et Soobin découvrit le contenu de son assiette avec curiosité. Il attrapa sa fourchette avec un peu de maladresse, sous le regard attendri du garçon en face de lui.

– Dis Taehyun...
– Oui ?
– Pourquoi m'avoir invité à sortir ?
– Oh je... J'avais envie de te voir dans un autre cadre que... Que d'habitude. C'est si bizarre que ça ?
– Ça fait longtemps qu'on ne m'a pas invité à sortir, répondit-il en étouffant un rire nerveux. En dehors de ma meilleure amie, Arin, personne ne le faisait.

Si, l'autre. Mais les choses dérapaient toujours après.

– Oh. J'en suis désolé Soobin...
– Ne le sois pas, je n'ai pas vraiment d'amis hormis elle. Juste des collègues de bureau, et... Toi.
– Je ne suis pas un ami ?
– C'est... Notre situation est un peu différente, non ?
– J'en conviens, confirma-t-il dans un hochement de tête.

Le plat était délicieux, et Soobin le lui fit remarquer quelques minutes plus tard, faisait briller ses yeux davantage.

– Je peux te poser une question un peu délicate Taehyun ?
– Euh...
– Pas sur ça, s'empressa-t-il d'ajouter.
– Très bien, vas-y dans ce cas.
– Pourquoi tu étais sur le pont ce soir-là ?

Il le regarda avec des yeux ronds, sans comprendre. Avait-il visé juste ? Avait-il était là lui aussi pour une sinistre raison ? Taehyun essuya le coin de sa bouche avec sa serviette et passa une main dans ses cheveux, un peu gêné.

– Je... Je sortais d'un rendez-vous qui s'est mal terminé, murmura-t-il.

Soobin baissa les yeux, se demandant tout compte fait si lui poser cette question qui l'avait hanté de temps en temps était finalement une bonne idée.

– Chez un psy.
– Oh.
– Ouais, je... J'avais pris mon courage à deux mains pour aller consulter. Ce n'est pas une chose facile, j'avais honte et... Et le rendez-vous s'est mal passé. J'ai eu l'impression d'être un monstre dégueulasse. C'est comme ça qu'il m'a fait ressentir les choses. J'étais dépassé, démoralisé, et honnêtement, ce soir-là, j'ai sérieusement cru que jamais rien ne changerait. J'ai emprunté le pont par hasard, crois-le ou non, mais j'étais malheureux aussi cette soirée-là. Te voir m'a secoué, vraiment. L'espace d'un instant, toute ma tristesse et ma colère se sont envolées. Je passais une journée horrible, et je ne voulais pas non plus avoir ça sur la conscience. J'ai eu peur que tu sautes, jusqu'au dernier moment Soobin, termina-t-il à voix basse.

Il eut envie de se lever, faire le tour de la table et de le serrer dans ses bras, comme ils le faisaient dans son appartement.

– Je n'allais pas sauter... Je crois.

Le sourire de Taehyun se tordit légèrement.

– Je sais que je ne vais pas bien non plus... Que je devrais faire... des trucs pour aller mieux. J'essaie Taehyun. Et tu sais quoi ? Les fois où l'on se voit, j'oublie tout. Je suis bien.

Sauf cette nuit-là, Taehyun le savait, mais ni l'un ni l'autre ne revinrent dessus.

– C'est plus fort que moi, j'y pense souvent et je... Je gâche tout, pardonne moi.

Les mains de Taehyun trouvèrent les siennes, dans un geste réconfortant.

– Pas du tout, si tu veux en parler, vas-y.

Soobin secoua la tête. Il n'en avait pas la force.

– Sache en cas que je suis heureux d'être ici avec toi, ok ? Comment trouves-tu ton plat ?
– T-très bon, murmura-t-il.
– J'en suis ravi. Tu devrais essayer de tremper un peu la viande dans cette sauce, elle est dix fois meilleure avec.

Il suivit son conseil, sans oser relever les yeux vers lui, un sourire timide sur le visage.

– Alors ?
– Tu avais raison, articula-t-il, la bouche à moitié pleine.

Le repas se déroula dans le calme. Soobin parla peu, et le remercia de combler les trous sans lui en tenir rigueur. Les desserts commandés, Soobin le remercia une nouvelle fois de sa bonne découverte. Il loupa un énième regard attendri, un énième sourire heureux sur le visage de l'homme en face de lui. Sa timidité avait repris le devant, maintenant, sans qu'il ne sache trop pourquoi. Quand les nouvelles assiettes arrivèrent, il prit son courage à deux mains pour le regarder à nouveau, sans laisser son regard se dérober derrière son épaule, où sur la table d'à côté et... Et il la vit.

Arin se tenait là, tout sourire – immense sourire – sur le visage. Elle le regardait avec de grands yeux brillants et Soobin termina de devenir rouge écrevisse.

– Que...

Avant même qu'il ne puisse expliquer quoi que ce soit à Taehyun, qui sembla perplexe face à son attitude, elle se leva pour se diriger à grandes enjambées vers leur table.

– Soobin ! Je ne m'attendais pas à te voir ici !

Il la dévisagea avec les yeux ronds, le visage en feu. Taehyun releva les yeux vers la nouvelle venue, et s'inclina légèrement, gardant cet air calme et posé qu'il avait en toute circonstance.

– En charmante compagnie ! Tu dois être Taehyun !

L'entendant sauter les honorifiques avec légèreté, Soobin eut envie de disparaître sous la table.

– Exact. Et tu dois être Arin, je me trompe ?
– Oh, il parle de moi !

Il connaissait Arin par cœur, assez pour savoir qu'en ce moment même, elle était profondément heureuse et qu'elle pensait bien faire.

– Arin, rouspéta-t-il.
– Je ne reste pas longtemps, je buvais un petit verre !
– Tu souhaites te joindre à nous ? proposa gentiment Taehyun.
– Oh, non, non ! Je ne souhaite pas gâcher votre... Rendez-vous ?
– Ce n'est pas un rendez-vous, répondit abruptement Soobin.

Il aurait voulu que sa voix semble moins sèche, et s'en voulut aussitôt.

– C'est une sortie entre amis, précisa Taehyun en gardant son sourire malgré tout.
– Je vois, et bien... À plus tard Soobin et peut-être toi aussi Taehyun ?
– Je ne crois pas non, siffla-t-il entre ses dents.

Taehyun le regarda avec des yeux ronds, aussitôt imité par Arin. Il rebaissa les yeux vers son dessert, à peine entamé, l'appétit coupé. Pardonne-moi Arin, je sais que tu ne voulais pas déranger... Tu devais simplement être heureuse pour moi...

– Très bien, à plus du coup...

Une petite moue sur le visage, Arin tourna les talons. Il la regarda s'éloigner, mort de honte.

– Soobin...

Il ne répondit rien, et se contenta de recommencer à manger, comme si de rien n'était.

– C'est très bon, ajouta-t-il d'une vois faible.
– N'est-ce pas ?

La voix de Taehyun avait changé. Il crut y percevoir un peu de tristesse, mais se demanda si toute cette situation n'y jouait pas un peu.





Il raccompagna Taehyun jusqu'à chez lui, silencieux. Il avait tenu à le faire tout de même, malgré la fin de leur sortie compliquée.

– Je m'excuse pour tout à l'heure. J'ai été odieux.
– Eh bien...

Taehyun passa une main dans sa nuque, un peu mal à l'aise.

– Je dois avouer que ça m'a surpris.
– Je ne suis pas comme ça... Normalement. Je sais me tenir, promis...
– Je te crois, dit-il en esquissant un sourire. Ce n'est pas grave, honnêtement, j'ai connu pire, et pour ta meilleure amie, vous vous expliquerez sans doute rapidement.
– Merci quand même de m'avoir invité... D'avoir payé, aussi.
– Ça m'a fait plaisir.
– J'ai vraiment beaucoup aimé.
– Tant mieux dans ce cas.

Il le vit reculer légèrement, pour le saluer, et son cœur s'emballa légèrement. Ils allaient s'arrêter là ?

– Je te souhaite une bonne soirée Soobin.
– Je... Je n'ai plus de métro.

Il n'avait pas vraiment vérifié, mais en était pratiquement sûr. La dernière ligne de bus le ramenant chez lui se terminait très tôt.

– Je... Je vais marcher.

Comme toujours finalement. Taehyun inclina légèrement la tête, amusé.

– Est-ce que c'est une technique un peu foireuse pour me demander de monter avec moi ?
– C'est que... À la base je...
– Je sais, tu viens pour ça.

Taehyun attrapa ses deux mains pour le tirer vers lui, l'air particulièrement concentré. Non, oui... Au fond, je n'en ai pas envie plus que ça... Il ne voulait pas être seul. Et Taehyun était la personne parfaite pour ne pas rester seul.

– Aucun souci, tu le sais, souffla-t-il avant de poser ses lèvres sur les siennes.

Le sentant sans doute peu rassuré, il ajouta, éloignant légèrement son visage du sien :

– Je sais pourquoi on se voit à la base aussi, je ne l'ai pas oublié. Allez, viens.

Il glissa sa main dans la sienne et composa le code de la porte de l'immeuble, avant de s'y engouffrer. La porte de l'appartement refermé, Soobin se déchaussa et gratta sa gorge, un peu gêné.

– Tu es sûr d'en avoir envie ?

Taehyun leva un sourcil, presque amusé par sa question.

– Sérieusement ? rigola-t-il.
– Question idiote, répondit Soobin avec un demi-sourire.



– Tu ne m'en veux pas, vraiment ?
– Soobin... Combien de fois je vais devoir le répéter ? J'ai clairement été maladroite. Et toi un peu trop agacé. Mais je ne vais pas te jeter pour si peu !

Blotti dans ses bras, Soobin laissa échapper un rire heureux. Il passait une bonne après-midi, devant des vidéos un peu idiotes, mais qui avaient le don de les faire rire tous les deux. Arin lui avait un peu parlé de cette mystérieuse fille, avec laquelle les choses avaient un peu, à leur rythme, et Soobin avait voulu en savoir plus. Comme bien souvent sa meilleure amie resta vague, Soobin la charia un peu, et Arin trouva la manière parfaite de détourner la situation.

– Et toi alors ?
– Moi ?
– Deux nuits.
– Quoi deux nuits...
– Ça fait deux nuits que tu passes avec lui, que tu restes avec lui. Je croyais que vous ne faisiez pas ça.
– C'était exceptionnel.

Arin pencha la tête vers lui, un air sérieux sur le visage.

– Vraiment ?
– Oui.
– Tu sais... Au début... J'avais des doutes sur ce type.
– Des doutes ?
– Ouais, il avait l'air... Je ne sais pas... De ce que tu me racontais, je ne le sentais pas. Je veux dire, c'est quel genre de personne qui mène une vie pareille ?

Soobin ne dit rien, et se contenta d'un léger haussement d'épaules. Les problèmes de Taehyun ne la regardaient aucunement, et il lui avait donné sa parole.

– Et puis je vous ai vu, dans ce restaurant. Enfin, je l'ai vu.
– Et alors, il t'a paru sympa, tu es rassurée ?
– Il est amoureux.
– Pardon ?
– Il est amoureux de toi.

Soobin se redressa, les cheveux en pagaille et lui jeta un regard horrifié.

– Ne dis pas ça.
– Ça se voit. Ça crève les yeux. Je pense que tout le monde dans le restaurant l'a vu, sauf toi, visiblement.
– Qu'est-ce que tu racontes encore...
– Je vous ai un peu observé, après avoir remarqué que vous étiez là, c'est tout. Et je mettrais ma main à couper qu'il ne te fera jamais de mal.
– Ne jure pas des choses pareilles...
– Tu me connais, tu sais que j'ai un flair pour ça. Crois-moi, j'en suis intimement persuadée.
– Taehyun n'est pas amoureux de moi.

Elle haussa les épaules, une petite moue sur le visage.

– Tu as raison va, il ne t'aime pas comme ça. Tu ne dois pas être le seul qu'il invite à rester chez lui va, ni à manger dans un restaurant aussi coûteux.
– Tu y étais aussi, maugréa-t-il.
– Je profitais de la partie café, nuance.
– Arrête-toi là s'il te plait...
– Comme tu veux. Mais rentre-toi dans le crâne que des gens bien peuvent t'aimer Soo, ok ?
– J'en ai pas envie.

Arin le regarda avec des yeux ronds.

– Je ne veux pas d'une relation à la noix. Je ne veux pas d'un nouveau compagnon. Ça me dégoûte Arin, ok ? Je n'en suis pas capable. Ce que j'entretiens avec lui comme ça me convient très bien, je n'ai pas besoin de plus.
– D'accord Soobin, répondit-elle à demi-voix.

Elle ne lui sembla pas convaincue pour un sou, et il soupira, légèrement agacé.



Les mots de sa meilleure amie ne le quittèrent pas de la journée, puis de la soirée. Il aurait voulu les oublier, regarder sa série sans se poser la moindre question, continuer à travailler dans son bureau ennuyeux comme si de rien n'était... Mais en fut incapable. Il posa les rapports sur le bureau de son patron tard le soir, avant d'attraper sa veste et de quitter les bureaux, seul et en silence. Il est amoureux. Il soupira, chassant la voir de Arin de sa tête. Pas toi, hein Taehyun ? Elle s'est trompée... Elle s'est forcément trompée... Et pourtant, plus leur discussion tournait en boucle dans sa tête, moins cette dernière lui semblait saugrenue.



Soobin n'en avait pas dormi de la nuit.

Il s'était levé le matin presque aux aurores, avant de rester assis sur son lit, méditant sur les derniers mois de sa vie. Quelque chose prenait un tournant désagréable, un tournant qui le prenait au dépourvu et il n'aimait pas ça. Il regarda le mur en face de lui pendant une bonne heure, avant de se lever comme un zombi, et d'aller se doucher. Sous l'eau il ne pensa plus à rien. Sauf peut-être à son visage qui le hantait depuis la veille. Taehyun refusait de quitter ses pensées. Il se sécha en vitesse, coiffa ses cheveux et appliqua une crème sur son visage avant d'enfiler ses habits et de quitter son appartement d'un pas pressé.


Il devait le voir, aujourd'hui.

Sans attendre un jour de plus.


Taehyun sembla surpris de le retrouver là une fois de plus, sur son palier, à l'improviste. Pourtant, il lui adressa un sourire immense, dévoilant ses petites dents parfaitement alignées, et le cœur de Soobin loupa un battement. Dis-moi que Arin se trompe, dis-moi que Arin se trompe...

– Salut Soobin... Quel bon vent t'amène ?
– Je dois te parler.
– Oh. Est-ce que c'est grave ?
– Non, non...
– Tu entres ?
– Je préfère le faire ici.

Taehyun le dévisagea un brève seconde, juste avant de se reprendre.

– Très bien, vas-y...
– Je voulais... Te remercier.
– Me remercier ?
– Pour ces derniers mois.
Ah.
– Pour la sortie au restaurant aussi, que j'ai vraiment beaucoup aimé. C'était un bel endroit, reposant, beau, j'y retournerais pour sûr.
– Soobin...

Il se tut, plongeant son regard dans le sien, ne sachant pas comment terminer ce qu'il avait entamé. Il avait l'impression de voir son regard se mettre un briller un peu plus que d'ordinaire et Soobin se persuada qu'il ne faisait que se faire des idées, encore une fois. Il aurait aimé que Taehyun termine sa phrase pour lui, aille au bout des choses à sa place. Mais ce dernier gardait sa bouche fermée et attendait.

– Je voudrais...

Il se gratta la gorge, nerveux, mal à l'aise de faire tout cela ici, devant la porte de son appartement. En face de lui, Taehyun avait blêmi.

– Je voudrais qu'on arrête là, murmura-t-il.



Face à lui, le cœur de Taehyun se brisa.

Il tomba à leurs pieds, pour se fracasser en un millier de morceaux inconsolable.

Pourtant, il garda son sourire et la tête haute.



– D'accord.
– Désolé, je–
– Soobin, eh... On n'a jamais dit que ça devait durer pour toujours ou quelque chose comme ça, ok ? Ne culpabilise pas, je m'y attendais.
– Vraiment ?
– Je me doutais que tu allais...

Il sembla chercher ses mots, et Soobin sentit le rouge lui grimper aux joues.

– Finir par vouloir autre chose. Peut-être une relation plus sérieuse avec un homme plus sérieux, ou simplement arrêter ce genre de chose... Peu importe, je ne te forcerais pas la main pour continuer.

– Merci, souffla-t-il.
– Ne me remercie pas pour ça, rigola-t-il, un peu nerveusement. Je... Je te souhaite d'être heureux Soobin, ok ? Je ne sais pas si tu souhaites simplement arrêter de me voir, de me parler... Mais si jamais l'idée te revient de te rendre sur ce pont à nouveau, téléphone-moi à la place, d'accord ?

Soobin le regarda sans comprendre.

– J'aimerais que tu fasses ça pour moi, s'il te plait. Si cela ne te gêne pas, bien entendu.
– Je... Oui.
– Je serais heureux que tu ne m'appelles jamais dans ce cas.

Il acquiesça, ne trouvant rien à ajouter.

– Je te suis reconnaissant d'être venu me dire tout ça en fasse, d'autres l'auraient fait par message... Prends soin de toi Soobin.
– Toi aussi, murmura-t-il.

Il attendit quelques secondes que Taehyun referme la porte de son appartement... Mais cette dernière resta ouverte. Embarrassé, il tourna lui-même les talons, incapable de lui faire face plus longtemps.



Il marcha longuement après ça, sans réel but.

Il laissa ses pas le guider, un peu partout dans ce quartier qu'il connaissait assez bien. Il s'arrêta devant une devanture, puis deux, avant de soupirer et se remettre à marcher. Soobin n'avait le goût à rien et ses pensées, elles, ne parvenaient pas à se fixer sur quoi que ce soit. Il avait l'estomac noué en repensant au regard de Taehyun qui avait si brutalement changé en face de lui. Je lui ai fait du mal, pensa-t-il. Il essaya de ne pas se focaliser dessus, de continuer à marcher sans se focaliser sur son ventre douloureux. Soobin l'avait fait pour lui-même. Il s'était écouté, et n'en revenait toujours pas.

Il avait eu le courage de tout arrêter, comme il aurait dû le faire avec l'autre, avant que tout dégénère, avant de se retrouver coincer dans une relation affreusement mauvaise. À l'époque, Soobin n'avait rien vu des drapeaux rouges qu'il lui agitait sous le nez, ou qu'Arin s'était évertuée à lui démontrer. Il ne s'était pas écouté, il l'avait laissé l'embobiner comme il avait dû le faire avec d'autres... Et en avait payé le prix fort, longtemps après.

Il avait hésité de temps en temps à en parler à Taehyun. Du pourquoi ce jour-là, ils s'étaient rencontrés sur ce pont tristement célèbre. De pourquoi ce jour plutôt qu'un autre, Soobin avait décidé d'en finir. Il l'avait rencontré le jour de son anniversaire, tout comme Taehyun et eu presque envie d'en rire. Il avait été charmant et amoureux, Soobin en était persuadé. Il avait été doux et patient, Soobin ne pouvait pas le lui retirer. Puis, semaine après semaine, mois après mois, quelque chose avait changé. Il n'avait jamais été violent physiquement, et Soobin l'avait toujours défendu avec hargne contre ça quand Arin lui avait posé la question. À aucun moment, ils ne s'étaient battus. Tout avait toujours été dans les mots et les actions de son côté. Il l'avait mis lentement de côté. Il l'avait moins écouté. Au bout d'une toute petite année, la première, leurs soirées ne s'étaient résumées qu'à manger rapidement ensemble sans un mot et parfois, à faire l'amour. Soobin avait pris ça pour une petite lassitude, le temps qu'une nouvelle page se tourne dans leur relation.

Il lui avait toujours trouvé des excuses. Toujours.

Puis, les mots plus durs les uns que les autres étaient arrivés. Soobin parlait peu – plus en réalité – avec lui. Il n'osait pas, de peur de faire une remarque qu'il trouverait idiote. Il souriait bêtement en l'écoutant, en se demandant ce qu'il avait bien pu faire de mal. Les idées plus noires que les autres avaient débuté à ce moment-là. Elles n'attendaient que ça, tapies dans son esprit depuis bien trop longtemps : simplement en attente d'un tout petit élément déclencheur qui ferait des ravages. Ce dernier était finalement arrivé.

Un jour, Soobin avait compris : il y avait quelqu'un d'autre dans sa vie. Depuis des mois. Il s'était effondré en le réalisant. Il s'en était voulu tout d'abord, se demandant ce que lui avait bien pu faire de mal, ou pas assez bien. Il s'était blâmé pendant trois semaines avant d'enfin en parler à Arin. Je peux t'aider à déménager tes affaires, avait-elle répondu avant toute chose. Mais il était resté. Aujourd'hui, Soobin ne comprenait pas lui-même ce qui l'avait poussé à attendre, à voir ce que tout ça donnerait. Les faits étaient sous ses yeux, mais il refusait presque de les assimiler. Arin l'avait supplié de partir, encore une fois. Il se souvenait parfaitement de cette soirée où il avait retrouvé cet illustre inconnu dans son salon. Il prenait un thé, pendant que son compagnon était dans leur salle de bain. Ils s'étaient dévisagés, longuement, et Soobin avait fini par lui hurler de dégager de chez lui.

La vérité était que l'inconnu ne connaissait rien de son existence.

Et Soobin avait remarqué que toutes ses photos, toutes les choses qui laissaient voir qu'il habitait ici avaient disparu. Tu ne devais pas partir en week-end avec ta meilleure amie ? C'était la seule phrase qu'il avait trouvé à lui sortir. Soobin avait opiné du chef, en silence. Si, mais ses plans avaient pris une tournure différente. Si, il devait s'absenter. Oui, il s'était senti profondément idiot. Il avait quitté son appartement sans rien dire, complètement abattu, sous le regard effondré de l'inconnu et celui blasé de son compagnon. Il avait erré dans les rues comme il le faisait aujourd'hui même, en se demandant ce qu'il allait devenir.

– J'aurais dû savoir, hein ? marmonna-t-il à lui-même.

Il shoota dans un gobelet en plastique jonchant le sol, et s'engouffra dans sa rame de métro, déserte. Il se souvenait parfaitement de ce moment-là, car les choses avaient dégénéré après. Toutes ses insécurités dormantes s'étaient réveillées, et pour de bon. Sourire devenait compliqué, manger aussi. Arin l'avait récupéré le jour même, et Soobin avait passé la soirée sans rien dire, pas un mot. En réalité, il n'avait pas pu parler la journée suivante non plus, et ce furent les pleurs paniqués de sa meilleure amie qui l'avaient fait revenir sur terre. Il ne se souvenait pas très bien s'il s'agissait de ce jour-là qu'il avait décrété que personne ne pourrait vraiment l'aimer, ou qu'il ne le méritait pas, tout simplement. Pour la première fois de sa vie, Soobin avait eu envie de mourir.


En rentrant chez lui, il réalisa qu'il n'avait jamais fourni la moindre explication à Taehyun.

Et que cela ne l'avait jamais dérangé.



Un peu reclus sur le bord du canapé, Soobin écoutait avec le plus d'attention possible les deux jeunes femmes qui papotaient ensemble. Voir Arin aussi épanouie le rendait heureux et aujourd'hui tout particulièrement. Pour la première fois depuis qu'elles se côtoyaient, il la rencontrait enfin. Il l'avait détaillée des pieds à la tête comme une bête curieuse, en y cherchant les moindres défauts, par mauvaise habitude. La jeune femme avait ri, avant de s'incliner légèrement et Soobin l'avait imitée. Il ne l'avait pas quittée des yeux pendant tout le repas, pendant tout le temps où ils avaient pris le thé ensemble... Et avait été soulagé de voir que rien d'alarmant n'émanait d'elle. Il n'était pas passé à côté des étoiles dans les yeux d'Arin quand il avait enfin réussi à lui parler plus d'une minute, sans se sentir en trop ou encombrant. Il progressait, et le sentait.


Peut-être parce qu'il avait changé son boulot pour un autre.

Peut-être parce qu'il avait écouté Arin après une énième crise d'angoisse et qu'il avait finalement accepté de consulter.

Peut-être parce que Soobin avait mis des mots sur les choses, sur le passé.


Dans la poche arrière de son jean, son portable vibra, et il s'éloigna un peu pour lire son message. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaître le numéro et Soobin sentit son cœur battre un peu plus fort.


↪ Taehyun à 19h07.
Hey Soobin, j'espère que je ne te dérange pas...

Je sais que nous nous étions entendus pour ne plus se voir, mais... Ne plus se parler n'avait jamais fait partie du deal, si ? Si oui, je m'en excuse, efface mon message et supprime moi de tes contacts. Si non, je m'en veux de ne pas t'avoir demandé de nouvelles ces derniers mois. Comment vas-tu ? Mieux, bien, je l'espère.

Je mentirais en disant que tu ne me manques pas un peu (ce n'est pas une invitation, rassure-toi).

Tu sais, pour moi en tout cas, ça va mieux. J'ai réussi à aller de nouveau voir quelqu'un, à lui accorder ma confiance. C'est une femme admirable, à l'écoute et comme avec toi, j'ai eu l'impression d'être compris, et non jugé. Elle m'aide beaucoup. Je sais que certaines choses ne changeront pas, ou très lentement... Mais chaque jour est un combat et je veux le mener la tête haute. Je vois moins de gens, aussi. Pour m'envoyer en l'air j'entends. Je sors davantage avec mes collègues, des gens de mon milieu. J'ai l'impression que c'est un peu grâce à toi aussi, à l'empreinte que tu as laissée sur moi.

Parfois je repense à quel point nous sommes différents tous les deux. Tu aimes le rouge et le bleu de la mer. Moi j'aime le violet, et le sommet des montagnes. Deux opposés, en un sens, mais c'est ce qui me plaisait. Un peu comme une orangeade bleue.

Aujourd'hui je ressentais vraiment le besoin de t'écrire ce message long comme le bras. Tu sais ce jour-là, j'ai voulu te dire tellement de choses... Des belles choses, évidemment, je ne me serais jamais permis du contraire. Elles n'auraient certainement pas été réciproques, mais... Je suis persuadé qu'elles auraient allégé mon cœur.

Je vais te laisser Soobin, j'espère que tu passes une bonne journée,

Prends soin de toi

Taehyun


Il passa une main sur ses yeux humides et renifla, ému. Kang Taehyun, espèce d'imbécile...


↪ Moi à 19h15.
Taehyun, allons marcher sur le pont Mapo


↪ Taehyun à 19h16.
Maintenant ?
(je ne m'attendais pas à une réponse aussi rapide, et encore moins celle-là)


↪ Moi à 19h16.
Si tu veux bien, oui, maintenant


↪ Taehyun à 19h16.
Je me mets en route
Pourquoi cette envie soudaine ?


↪ Moi à 19h16.
J'ai envie d'entendre ce que tu voulais me dire


↪ Taehyun à 19h16.
Oh
Soobin
Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée


↪ Moi à 19h16.
Parce que ce n'est plus d'actualité ?


↪ Taehyun à 19h16.
Si, toujours.


Il quitta les deux jeunes femmes sans trop donner d'explications, simplement un « je dois aller voir un ami ». Elles le regardèrent partir sans trop comprendre, Soobin enfila une veste légère et quitta l'appartement à la volée. Quelle idée, non mais quelle idée !! Pourtant, il n'eut envie de faire demi-tour à aucun moment. Il marchait d'un pas décidé, sûr comme il ne l'avait jamais été auparavant. Il se demanda ce que Taehyun faisait, s'il ne l'avait pas trop dérangé dans ses plans... Avant de finalement se dire que si cela avait été le cas, Taehyun n'aurait certainement pas accepté sa proposition.




Il arriva en premier sur leur lieu de rendez-vous. Il s'installa en contrebas, envoyant un message dans la foulée à Taehyun. Il faisait bon, et légèrement chaud, et Soobin aimait sentir la chaleur de la fin de journée sur sa peau. Il le savait, d'ici une dizaine de minutes, le spectacle lumineux organisé ce soir-là débuterait. Sans quitter son écran de téléphone des yeux – comme par peur que Taehyun se décide finalement à faire demi-tour – Soobin sentit l'une de ses jambes tressauter d'appréhension.

Il ne l'entendit pas arriver, et encore moins s'installer à côté de lui en silence. Quand Taehyun se gratta un peu la gorge, Soobin laissa échapper un cri de surprise.

– Je vois qu'on était parti très loin d'ici, rigola-t-il.
– Oh, je... Oui.

Il sentit son visage s'embraser à l'instant même où Taehyun posa son regard sur lui, avant de le détourner vers le pont.

– Je passais une bonne journée, pour répondre à ta question.

Il le vit sourire du coin de l'œil.

– Ton message m'a fait plaisir tu sais ?
– Vraiment ?
– Oui. Je suis vraiment heureux de savoir que tu avances.

Taehyun étouffa un rire du bout de ses doigts, un peu embarrassé.

– J'ai encore du chemin à parcourir hein...
– Mais c'est déjà beaucoup, j'en suis persuadé.
– Et toi ?

Il passa une main dans ses cheveux, gêné. Lui ? Lui aussi avançait. Doucement, mais surement.

– Je vais un peu mieux.
– Vraiment ? Soobin, c'est extra !

Il se retourna vers lui, un sourire aux lèvres.

– Tu sais, tu m'y as un peu aidé, en un sens.

Taehyun posa une main sur sa poitrine, touché.

– Comme toi, je sais que c'est loin d'être terminé mais...
– Si ça ne te gêne pas Soobin, j'aimerais bien que nous restions en contact.
– C'est de ça dont je voulais parler justement, souffla Soobin. Je m'en veux toujours un peu d'être parti comme ça...

Taehyun baissa les yeux vers le sol.

– Je voudrais vraiment que l'on garde contact. Parce que tu es une personne géniale, et que je n'ai pas envie de tirer un trait sur toi.

Taehyun acquiesça en silence et Soobin ne le quitta pas des yeux. Il trouva étrange de le voir ainsi pour la première fois. Muet, un peu replié sur lui-même, sans réponse à tout. Pour briser ce drôle de silence un peu désagréable, il effleura son épaule du bout des doigts, murmurant son prénom.

– Je n'ai pas envie non plus, lui glissa Taehyun.

Il se sentit sourire. Il est amoureux de toi. Parfois, cette phrase d'Arin lui revenait et Soobin ne parvenait pas à s'empêcher de se demander si sa meilleure amie avait vu juste ou non.

– Taehyun ?
– Oui ?
– C'était quoi ce que tu voulais me dire ce jour-là ?
– Oh... ça, que je voulais rester en contact avec toi.
– Taehyun...
– Je ne crois pas que ça soit réciproque Soobin, vraiment.
– Quand bien même ça ne l'est pas, je tiens à toi, vraiment. Je tiens à notre relation, assez pour vouloir t'aider, ou être là, assez pour avoir pris mon courage à deux mains pour te demander de venir ici. Je n'éprouve peut-être pas les mêmes... Sentiments que toi à mon égard, mais je ne veux pas te perdre.

Taehyun retint un rire.

– Tu l'as deviné, hein...
– Arin me l'a dit. Je suis aveugle il faut croire, rigola-t-il.
– Sacrée Arin, murmura-t-il.

Il se rapprocha un peu plus, et attrapa l'une de ses mains.

– J'ai menti sur un point dans mes messages.
– Lequel ?
– Je ne vois pas « moins de gens », c'est plutôt devenu rare. Je compense avec autre chose évidemment, on ne se refait pas mais... J'ai essayé quelques fois, après que tu sois parti, et je me suis rendu compte que je ne prenais plus réellement le même plaisir avec des gens pour qui je n'avais pas un réel attachement.

Cette fois-ci, Soobin resta muet. Taehyun n'attendait pas réellement de réponse, et il le savait. Alors en silence, il sera un peu plus fort sa main dans la sienne, et ils détournèrent le regard vers le pont. Déjà, la troupe d'artistes s'était mise en action au bord de la rivière et les premières lumières firent leurs apparitions. Autour d'eux se pressèrent des couples, des familles, qui s'installèrent à la hâte pour dîner devant le joli spectacle coloré.

– Ce sont nos couleurs, lui glissa Taehyun, un air amusé dans la voix.

Et Soobin fut surpris de constater que oui. Il le sentit poser la tête sur son épaule, et le laissa faire, aux anges. Soobin avait une tonne de questions à lui poser, là, maintenant. Mais quand les premières gerbes d'eaux, illuminées de violet et de rouge jaillirent sous leurs yeux, il se promit de les poser un peu plus tard. Tu crois qu'une chose possible serait pareille, hein Taehyun ? Que l'on continue à se côtoyer un peu comme on le faisait, mais en se voyant dehors aussi... En se baladant ensemble, en allant manger ensemble... Que l'on s'offre des cadeaux, de temps en temps... Tu crois que même si nos sentiments sont différents, ça pourrait fonctionner ? Soobin avait envie d'y croire. Pour la première fois depuis des années, quelque chose dans son avenir demeurait limpide : Taehyun demeurait à ses côtés. Les larmes aux yeux, il sortit son portable en toute discrétion pour capturer les jolies lumières sur l'eau, et filmer ce moment unique. Il voulait le garder précieusement en mémoire, ce jour où il réalisait enfin que sa rencontre sur le pont n'était peut-être pas le fruit du hasard. Ce jour-là, Taehyun l'avait sauvé. Et désormais, Soobin était intimement persuadé de lui avoir rendu la pareille. Il frémit légèrement en sentant les doigts froids de Taehyun sur sa joue. Un bref instant, son regard se perdit dans le sien. Il essuya cette petite larme qui lui avait échappé, et Soobin le remercia d'un regard. Ils se penchèrent légèrement l'un vers l'autre, jusqu'à ce que leurs fronts se touchent et leurs nez s'effleurent et Soobin esquissa un sourire timide. Il était exactement à l'endroit où il voulait être. En cet instant, il bouclait cette boucle infernale qui le pourrissait depuis des années, il le ressentait partout dans son corps. Alors il déposa ses lèvres sur les siennes, juste une poignée de secondes. Il chercha ses mots quelques secondes avant que finalement, Taehyun ne les trouve pour lui.

– Soobin... Tu es ma plus belle rencontre.




Blue orangeade, fin. 



︶︶︶︶༉‧₊˚ merci de votre lecture, cet os compte beaucoup pour moi. prenez soin de vous ! <3

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