IV



IV

Je suis entré pour la première fois dans la maison bleue, entraîné par TaeHyung, aussi impressionné qu'exalté. Les pièces étaient grandes. Les fenêtres répandaient toute la lumière du jour avec splendeur. Les murs étaient à demi peints, à demi recouverts de papiers neufs. Les cartons et les meubles se regroupaient à droite à gauche, sans logique, attendant d'obtenir leur place. Il y avait seulement ce piano de bois vernis, installé au milieu de la salle principale. Lui me parut juste à l'endroit propice, à deux pas de la cheminée, à trois de la baie vitrée. Oui c'était là qu'il devait être et je n'en avais jamais douté. Comme je lui semblais curieux, le jeune homme m'entraîna à l'étage. Il me fit découvrir les longs couloirs et les chambres vides, il me conduisit au balcon d'où je plongeai mon esprit au cœur du lac, les mots perdus quelque part entre ma gorge et mes lèvres.

« -C'est un héritage de ma famille, cette maison, expliqua TaeHyung sans me regarder, reproduisant la position qu'il abordait à notre rencontre.
Personne n'en voulait car elle était en trop mauvais état. Pourtant j'ai insisté et maintenant je suis là. »

Il rit.

« -Je dois la rénover seul, ça va probablement me prendre des mois, voire des années, mais j'en ai vraiment envie. »

Cette fois, il se retourna pour contempler sa douce possession. Et moi je comprenais l'affection qu'il éprouvait à son égard. Sans même qu'il n'ait eu à le dire, je sus qu'il avait vu en elle la même beauté que celle dont je rêvais encore. Il avait une chance immense, car au fond j'avais conscience de ne jamais pouvoir m'offrir un tel bien. Mais peut être que j'étais content de la savoir entre de bonnes mains.

Je souris au garçon. Il me sourit. Et nous sourîmes ainsi, comprenant l'avis de l'autre sans l'énoncer, jusqu'à ce qu'il soit temps pour moi de partir. Je remerciai vivement l'aimable étranger puis repris la route, tout songeur, tout rêveur de tant de beauté. Et le soir à l'hôtel, je m'imaginai un piano en bois vernis. Je savais que l'on y jouait mais je n'arrivais pas à mettre un visage sur les mains si fines frappant les notes. Enfin, le rêve me quitta et les cris des oies sauvages couvrirent les profondeurs d'un sommeil bâti d'eau et de lumière.

Le lendemain, je retournai la voir. Je revins et j'eus l'impression de ne jamais repartir. En me voyant arriver, haussant les épaules comme je savais si bien le faire, le garçon fut surpris. Puis il se mit à rire. Je le rejoignis sur le balcon et lui avouai mon envie de l'aider. Plus encore qu'une envie, un besoin ardent de remplir mes mains et de les rendre utile. Un désir d'agir avec un but déterminé. Je voulais vivre quelque chose sans me soucier du temps que cela prendrait, de la fatigue qui en résulterait ou de l'argent que je pouvais dépenser. Je voulais me lever le matin et ne jamais regarder ma montre. Je voulais parler à un inconnu. Je voulais salir mes paumes et redorer la maison bleue tel que je l'avais souhaité. Je voulais des causes à mon bonheur sans conséquences, je voulais bouleverser une partie ridicule de mon existence.

« -Ce sera épuisant tu sais, m'annonçant TaeHyung en posant les rebords d'une fenêtre blanche.

-Je sais, répondis-je. »

Il leva les yeux au ciel en signe d'abandon et me lança ses gants que je rattrapai promptement avant qu'ils ne me frappent au visage.

Ce matin là, a commencé une relation hors du temps, attrapée entre le ciel infini et le lac vibrant. Destituant le trône de la demeure, nous dominions ce que notre réalité nous imposait. Et sans même l'avoir choisi, nous avions déjà baissé les bras, trop heureux de tâtonner comme des enfants à la recherche de l'autre.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top