II
II
Lorsque j'étais enfant, ma famille et moi vivions dans un appartement étriqué de la capitale. Mes petites sœurs et moi-même étions trop nombreux pour ce si petit espace. Nous écrasant à moitié au milieu de ces pièces blanches, marchant les uns après les autres sur les lattes cirées, le son de nos voix ricochant contre les murs de couloirs trop étroits. Cette vie, serrés tous ensemble, à se réchauffer devant la cheminée et à racler les fonds de tiroirs n'étaient pas celle qu'avaient rêvé mes parents. Moi, elle m'avait toujours séduit et je n'en garderais que les souvenirs d'une unité incomprise. En vérité, nous n'avons jamais eu beaucoup d'argent. Notre entreprise familiale qui s'était élevée au début du XIXème siècle avait perdu beaucoup de son éclat après la guerre et désormais, la moitié de XXème siècle étant passée, mon père et ma mère sont au bord de la faillite. Alors nous nous contentions de maigres moyens pour tous nous contenter. Je me souviens encore des fenêtres ouvertes par grande chaleur et des cache-cache lors des jours de pluie. Je me souviens des saisons et des années qui passaient derrière les rideaux. Je me souviens de mon âme d'enfant qui a grandi au creux de ce cocon un peu délabré. Mais peu importait, j'étais heureux malgré tout.
Nous avions également l'habitude de voyager grâce à notre voiture de vieille collection. Elle avait son odeur forte et sa peinture écaillée qui la distinguaient des autres. Je me rappelle d'elle lorsqu'elle nous emmenait loin. Nous partions généralement là où nous avions un pied à terre. Et il y avait cet endroit, à quelques centaines de kilomètres, une petite ville à proximité des carrières, faites de maisons penchées, avachies les unes sur les autres, tels de grands dominos. Tout était peint de blanc dans ces environs. On y trouvait une fête forraine, un cinéma antique et des gens qui ne se souciaient ni de la misère du monde, ni du lendemain. Les routes bétonnées étaient parfois couvertes de dessins colorées et j'aimais ces terrains vierges qui se trouvaient à la sortie de la mince cité. Mais ce que j'aimais le plus, c'était la mer. Si l'on prenait la route pendant une demi-heure, minute pour minute, on pouvait l'atteindre. Son sable était gris, ses vagues sombres et ses falaises pleuraient la craie.
Un jour, alors que nous rentrions vers la ville, encore proche de ses vagues gémissantes, mon père s'engagea dans un chemin de terre claire, une route caillouteuse et peu fréquentée. Une simple erreur de parcours qui nous a conduit sur cette déroute lumineuse. Nous passâmes devant un minuscule panneau noir, se fondant presque entièrement entre les arbres. Sur celui-ci était indiqué un lieu qu'aucun de nous ne connaissais. On l'appelait le « Lac Perdu ». Je n'avais compris sur l'instant. Puis nous sommes arrivés au bout du l'allée. Nous nous sommes arrêtés et sommes sortis pour observer, touristes curieux, plongés en l'inconnu. D'abord je n'ai vu que le fameux lac. Sa surface miroitante reflétait le ciel avec une précision si douce que l'on aurait pas osé s'en approcher. Un ponton couvrait l'herbe verte, parfois séchée à cause de l'abandon. Au loin, s'étalait une masse d'arbres aux racines aquatiques, s'effaçant à l'horizon. Puis, je me suis détourné du spectacle pour en contempler un autre. Juste là, dans mon dos, veillait une maison. Ce fut notre première rencontre. Elle, si grande et si belle. La demeure revêtue de bleu. Un bleu oublié sous les gravas, la terre et la poussière. Je me suis ainsi approché d'elle, comme hypnotisé par son charme inattendu. Elle se mourrait là, délaissée avec le lac oublié. Mère de souvenirs muets. Mes mains encore marquées par le sel et le vent froid se sont accrochées à la barrière métallique et j'ai murmuré autant pour le monde que pour ma propre personne :
« -Je veux vivre dans cette maison. Je veux vivre ici. »
Depuis ce jour, l'idée d'arpenter cet endroit a peuplé mes rêves et mes projets d'avenir. Je ne savais pas de quoi serait faite ma vie dans le futur mais une chose était sûre, il y avait cette maison. Il y avait la maison bleue. Et si seulement j'avais pu deviner que cette demeure faite de passé et d'avenir incertain m'offrirait bien plus que des pièces et un paysage merveilleux, je n'y aurais sûrement pas cru.
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