I
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Large, dominante, un peu penchée, plus ou moins oubliée. Voilà comment était la maison bleue. Cette villa de bois peint veillait sur le lac depuis ses grandes fenêtres. Les arbres changeants du bon et du mauvais temps goûtaient au plaisir de la contempler, si belle. Les piliers, tels des gardes, se dressaient à son entrée. Les oiseaux filaient au dessus des anciennes plantations de cotons sans la voir. Les passants finissaient par l'oublier. Mais moi, je ne pouvais l'oublier. Je ne pouvais retirer sa couleur de mon esprit. Et par moment, j'entendais encore les sons du piano se répercuter contre les murs. Et parfois, j'imaginais ses doigts fins, retraçant les lignes de mon esprit en quelques notes. Non, je ne pouvais leur dire adieu. Alors qu'est-ce qui clochait ce jour là ?
Quittant la chaise en rotin du petit salon richement décoré, je m'approchai du miroir au cadre doré. La salle ronde était vaguement constituée d'un tapis, de tableaux sans valeurs et de meubles délavés. De l'autre côté des vitres, on pouvait apercevoir la route, les trottoirs de pierres sèches et les invités rieurs. Ils étaient venus pour moi. Les feuilles d'érables virent me cacher cette vision et je préférai m'en détourner. Sur la commode avait été déposé un grand bouquet blanc. Il me semblait aussi couteux que fade, comparé aux saveurs de ses yeux. A côté de l'assemblage floral, je trouvai une carte sur laquelle étaient écrits des mots si simples : « Félicitations à mon fils. » Cela valait-il la peine de me féliciter ? Qu'avais-je fait ? Je ne savais même pas pourquoi j'étais là. Ou du moins, je préférai repousser l'instant terrible de la compréhension. M'emparant d'une des roses en papier, je la déposai à l'intérieur de la poche de mon costume. Le blanc se fondait dans le noir, et tout dignement vêtu, je daignais me détailler. Bientôt, cet être droit et calme ne serait plus lui-même. Bientôt, je plongerais dans une prison innommable. Bientôt tout serait fini.
Voilà ce que signifiaient vraiment les félicitations. « Bravo, vous allez prochainement disparaître en vous-même. »
Je baissai puis relevai les pupilles à plusieurs reprises. Rien à faire. J'étais toujours coincé là. Dans cette petite salle ronde. Dans mon deux pièces étouffants. Dans mes constatations terrifiantes. Une larme coula le long de ma joue. Froide. Suintante de vérité. Je la laissai trancher mon âme une seconde, deux secondes, puis la balayai vivement. On frappa à la porte. On me quémanda de sortir. On me parla de « grand moment » et de « courage ». Je ne ressentis rien. Il fallait que je pousse la porte. Il fallait que je me rende là où il était écrit que je devais me rendre.
Lentement, je me tournai vers la fenêtre entrouverte. Un vent léger brusqua les rideaux de soie, venant ensuite se déposer sur mon visage statufié. On demanda à nouveau après moi. Mais c'était trop tard. Ma conscience s'était faufilée entre les deux carreaux. Elle filait déjà au dessus de la ville, au dessus des autos, au dessus des gens et des autres gens. Elle longeait les fleuves et remontaient les temps. Elle cherchait et retournait les rives pour le retrouver.
Ainsi je regagnais la maison bleue.
Ainsi nous regagnions les toutes premières pages de cette histoire.
Ainsi nous nous délections du commencement.
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