TROIS
« I've been watching you for some time,
Can't stop staring at those ocean eyes »
Autour de moi les discussions, les rires, résonnent, se font écho. Des visages heureux, des mines enjouées, des sourires satisfaits. Alors pourquoi, contrairement aux autres, l'air semble ne pas parvenir jusqu'à mes poumons. Je manque d'air, mon cerveau refuse de donner à mon corps un ordre aussi simple que celui de respirer. Je suis en stand-by, complètement déconnectée.
Ne te retourne pas, ne te retourne pas.
Il le fait, putain, il le fait. Ses yeux, ses magnifiques yeux d'un bleu océanique, se détournent de moi. Je nage en plein cauchemar, une violente vague s'abat sur moi, me ramène à la réalité, me tire de ma douce noyade. C'est lui, je le sais.
À mesure où je sens le parfum hors de prix de ma mère s'approcher, je réalise. Oui, l'homme en face de moi est James. L'euphorie qui me submergeait laisse place au malaise. Je ferme les yeux, là tout de suite, j'aimerais m'évaporer, disparaître. Vous connaissez l'expression se prendre le ciel sur la tête ? Concrètement, je viens de me le prendre en pleine poire, mais pas seulement, je mange le bitume, le sable, l'eau de mer, c'est la totale. Je me suis refroidi en un quart de seconde et ça n'a rien à voir avec la température de la pièce. C'est la douche froide.
Au ralenti, j'observe l'homme devant moi se lever. Sa prestance, son charme, sa beauté virile et mûre à souhait, me frappent une dernière fois, quand ma mère apparaît dans mon champ de vision. Face à lui, le regard aussi brillant que celui d'un chiot qui retrouve son maître après une trop longue journée. Ça m'écœure.
Mes yeux effarés suivent ses lèvres déposer un baiser aux commissures de celles de James. Si un doute avait subsisté jusque-là, il s'est envolé. Avec mes espoirs complètement fous.
Les minutes qui suivent me paraissent surréalistes. Ma mère me remarque enfin, plus surprise de me savoir en avance que de me trouver aux côtés de son apollon. En moins de temps qu'il n'en faut, nous sommes attablés à l'une des meilleures tables du restaurant. Maman me présente, je ne sais plus où me mettre.
Moi qui suis pourtant extrêmement confiante, sûre de moi, ne mène pas large. Je me sens toute petite et j'ai perdue tout mes moyens. Je souris poliment, le salue comme si l'instant précédant l'arrivée de maman n'avait pas existé. Il en fait de même, aucunement déstabilisé par cette situation inédite, gênante, inattendue.
James est impassible. Il écoute attentivement les fausses éloges de ma mère à mon sujet. Je n'ose plus ouvrir la bouche, au risque d'être malpoli, et je ne la contredis pas lorsqu'elle se vante de mon voyage en Europe qui n'a jamais eu lieu. C'est ce qu'elle a choisie de dire, à qui veut l'entendre, pour justifier mes mois d'absence à la maison, à l'université. Prétextant un besoin de découvrir le monde, décision qu'elle soutient et encourage, plutôt qu'une nécessité absolue de se désintoxiquer. Je me contente d'affirmer par hochement de tête, incapable de détourner mon regard de notre interlocuteur. Il boit les paroles de ma mère, me lance quelques œillades approbatrices, aucun malaise ne semble l'avoir gagné, contrairement à moi. Ai-je déjà mentionné que je voulais disparaître ?
- ... bien sûr, Ivy reprendra les cours à la rentrée prochaine. Les études sont très importante, cependant je me félicite de l'avoir encouragé à découvrir d'autres cultures. L'expérience de la vie est tout aussi primordiale, si ce n'est plus, que la scolarité, continue ma mère, sûre d'elle et son tissu de mensonges. Et puisqu'elle est une très bonne élève, ces quelques mois en dehors du parcours scolaire ne seront pas un problème pour ma fille, n'est-ce pas mon lapin ?
J'entends, enfin, je sais qu'elle me parle mais je suis encore sous le choc. Qu'est ce que j'ai bien pu faire dans une vie antérieure pour mériter qu'un tel homme, qui me fasse instantanément vibrer corps et âme, soit le fameux petit ami de ma mère ? Ma voix intérieure, ma fichue conscience, me souffle que j'en ai bien assez fait dans celle-ci pour que le karma se joue d'ores et déjà de moi. Va te faire foutre putain de karma.
- Mon lapin, tu ne te sens pas bien ?
Je me racle la gorge, et me détourne du regard hypnotique, qui lui, est tourné vers ma mère.
- Tout va bien, excuse-moi maman. Tu disais ?
- Ton voyage en Europe, il n'est pas un problème pour tes études. N'est-ce pas ?
Elle me foudroie imperceptiblement du regard et j'acquiesce.
- Non, évidemment non. J'étais l'une des meilleures de ma promotion jusqu'à... enfin, ce ne sera absolument pas un problème, bien sûr.
Maman me couve d'un regard faussement fier, puis j'ose à nouveau me tourner vers James, qui me scrute à présent, un sourire énigmatique sur les lèvres. Cette bouche qui me nargue. Qui ne se posera jamais sur la mienne, ni entre mes cuisses ni partout ailleurs. Je suis un foutue iceberg en pleine fonte. Je me liquéfie sous ce regard envoûtant. Mon cerveau se tourne et se retourne à plein régime. Mon cœur fait des sauts de cabri qui martèlent ma poitrine. Mon pouls s'emballe comme un dératé.
Aidez-moi, je crois que j'hyperventile, aussi.
- C'est un choix risqué, commence James, en s'adressant à moi. Et j'approuve la prise de risques. Je n'ai personnellement jamais terminé mes études et j'ai malgré tout réussi à faire fortune dans l'immobilier. Je considère l'apprentissage de la vie bien plus important et impactant que l'apprentissage scolaire. Avoir un diplôme ne fait de personne un gagnant. Il faut en vouloir, quelques soit notre milieu et nos ambitions.
Sa voix rocailleuse me fait tant d'effet que je ne fais que très peu attention à ce qu'il dit. J'écoute, mais je ne parviens pas à totalement y prêter attention. Je perçois les battements de mon organe vital tambouriner jusque dans mes tempes. Des frissons me parcourent quand je l'imagine, de cette même voix, me souffler des insanités à l'oreille, pendant que ses mains...
merde ! Plus ça va, plus mon état et mes pensées s'empirent.
- Je partage tout à fait ta vision, James chéri. Sans volonté, je n'aurais à ce jour moi-même aucun sous.
Je m'étrangle avec un amuse-bouche, ce qui a au moins le mérite de me sortir momentanément de ma transe. Ma mère vient-elle réellement de sous-entendre que c'est grâce à elle seule, grâce à sa volonté, que nous sommes assises sur une belle somme d'argent, que nous possédons une villa en bord de plage qui vaut des millions ? J'imagine que se vanter de sa « volonté » à délester ses ex-maris d'autant de leurs richesses que possible, ne fait pas partie de ses intérêts. Je dois admettre que cela pourrait en faire fuir plus d'un.
Fuis James, fuis-la. Et suis moi.
- J'admire cela chez toi, Victoria, lui répond mon fantasme interdit.
Ma mère lui sourit à s'en décrocher la mâchoire, prenant le risque d'éclabousser son nouveau prince charmant de botox fraîchement injecté. La situation m'écœure. Je ne supporte déjà pas de voir ma mère minauder en temps normal, mais là, c'est encore pire. Ses minauderies sont destinés à l'homme qui aurait dû être à moi. Cruel destin, enfoiré de karma.
- Mylan ne devait-il pas nous rejoindre ? demande ma mère, attirant mon attention.
- Qui est Mylan ?
James jette un œil à son smartphone qui vibre
au même moment, avant de répondre :
- Mon fils. Il ne devrait pas tarder, son entraînement à durer plus longtemps que prévu.
Je tique sur le mot entraînement et James m'explique avec fierté que son unique rejeton est un futur tennisman de renom. Le prochain Federer, apparemment. La discussion tourne autour du gamin un moment, je commence à doucement me détendre même si je n'arrive pas à dévier mon regard de James. Par chance ma mère ne semble pas y faire attention, elle aussi trop occupée à l'observer amoureusement pendant qu'il continue de parler, de son morveux, de son entreprise, de son dernier voyage.
Pour être honnête, je participe peu, n'écoute qu'à moitié. Je suis obnubilé par ses mains, ses doigts experts qui pianotent sur la table. Ses lèvres qu'il humecte de sa langue après chaque gorgée de bourbon. Qui s'étire en coin lorsqu'il croise mon regard le détaillant, et qui s'étire franchement quand ma mère intervient, monopolisant son attention. Il l'aime bien, ça saute aux yeux, mais je ne peux m'empêcher de voir des signes, à mon égard, dans son comportement.
Tu te fais des films, ma pauvre fille.
- Bonsoir.
Alors que je m'étais recluse dans mes pensées salaces, une voix ténébreuse me ramène à la réalité.
- Fiston ! J'ai bien cru que tu ne nous ferais pas l'honneur de ta présence, réprimande mon fantasme ambulant en se levant.
Je tourne le regard vers James, en profitant sournoisement pour observer son délicieux postérieur, qui donne une accolade virile à son gamin. Ok, le môme n'en est pas un. Devant moi, un garçon d'environ mon âge, à un ou deux ans près, je dirais. Mylan n'a rien à voir avec son père, là où son géniteur est d'un blond grisonnant, lui est doté d'une tignasse noir corbeau qui contraste avec des yeux d'un vert marécageux. Le seul point commun physique, à vue d'œil, est sans aucun doute la beauté.
- Désolé pap', j'ai eu un léger contretemps après l'entraînement.
Mylan se tourne vers ma mère et moi, nous offrant un sourire d'un charme indéniable mais hautain. Il doit en faire mouiller des culottes, si vous voulez mon avis. D'emblée, je devine que ce dernier n'est pas à l'aise dans son costume de pingouin, porté pour faire plaisir à papa sans aucun doute. Il tire sur son col, dévoilant en partie un tatouage qui remonte dans son cou. Intéressant.
- Fils, tu te souviens de Victoria, bien sûr. Et voici sa fille, Ivy.
Pourquoi je suis entrain d'imaginer James grogner mon prénom en plein orgasme ?
- Enchanté, Ivy.
Le parfait rejeton est hyper bien gaulé je dois l'admettre. Sa chemise se tend sur son torse et laisse apparaître en transparence une musculature sèche et bien dessinée. Junior attrape ma main et y dépose un baiser qui me prend de court avant d'embrasser chaleureusement ma mère sur l'une de ses joues. Les deux hommes s'installent, et James attire par un geste fluide de la main un serveur qui prend nos commandes.
L'entièreté du repas se déroule bien, il n'y a pas de blanc. Le père et le fils mènent la danse, ma mère participe activement, tandis que je reste dans mon coin et écoute attentivement. Je me risque à quelques œillades discrète vers l'objet de tous mes désir, sous le regard inquisiteur du fils. Qu'est-ce qu'il a me mater avec autant d'insistance celui-là ?
Je me sens passer à la loupe, au peigne fin. Il me mets mal à l'aise, du moins encore plus que je ne le suis depuis l'arrivé de ma mère. Il me fixe sans aucune gêne apparente et je le surprends à ricaner silencieusement. Je le fusille du regard à la fois de trop et il hausse les sourcils sans se démonter, un sourire ravageur aux lèvres.
- Comment se déroule tes entraînements, mon chat, avec la compétition qui arrive ?
Je me tourne vers maman, effarée du surnom dont elle a affublé Mylan. Ce dernier, pas du tout dérangé, lui sourit, jouant avec son couteau à viande, avant de répondre :
- Très bien, Victoria. Pas de pression, ça devient une routine presque lassante.
James pose une main sur l'épaule de son fils. Une immense fierté se dégage de son être envers sa progéniture. Je m'étonne à penser que j'aurais aimé avoir un père a rendre fière.
- A la bonne heure ! s'exclame maman, nous serons présente à chacun de tes matches.
***
Enfin, le dîner touche à sa fin. Le calvaire avec. Je crois ne m'être jamais senti aussi mal de toute ma vie. J'ai vécu en une soirée ma plus belle illusion et ma pire désillusion. J'attends à l'extérieur du building que ma mère daigne bien me rejoindre.
C'est Mylan qui rejoint l'extérieur en premier, il s'approche de moi avec une démarche sûr et s'adosse au mur du bâtiment. Je le toise pendant que monsieur le tennisman sort son paquet de cigarette de sa veste. Il me le tend et je refuse, puis il en sort ce qui me semble être un cône d'herbe. Je l'observe l'allumer et ferme les yeux lorsque les premières bouffées de fumée s'échappent de ses lèvres. J'adore l'odeur qui nous enveloppe.
- Un sportif comme toi n'est pas censé être clean ? je demande après quelques minutes de silence.
- Umm... pas quand on a quelqu'un pour pisser à sa place dans un gobelet en plastique.
- Je vois...
- T'en veux ?
Il agite son joint sous mon nez quand j'entends les voix de ma mère et de Monsieur tentation résonner au loin. J'attrape son tube fumant et l'écrase sous mon talon. J'en ai rien à foutre qu'il se fasse choper par son père, dans le cas où celui-ci ignorerait que son fils consomme de la drogue, aussi douce soit-elle.
Mais si ma mère voit ça graviter près de moi, nulle doute qu'elle me renvoie illico presto en cure sans me faire passer par la case prise de sang. Aussi, je pourrais oublier qu'elle m'accorde une sortie ce soir. Il n'est que vint-deux heures trente et j'espère bien pouvoir me servir de ma fausse carte pour me mettre une mine après avoir tourné à l'eau gazeuse pendant des heures.
Sans compter le petit pochon de pilules au fond de mon sac à mains. J'ai besoin de tout envoyer en l'air, en commençant par moi. Prendre une cuite, prendre une ecsta, me faire prendre. Pas nécessairement dans cet ordre là.
- Les enfants, vous voilà ! s'enthousiasme ma mère.
Du coin de l'œil, je remarque les yeux plissés de mécontentement de Mylan. Oups, aurais-je mis en colère mon futur demi-frère ? Pensée insoutenable qui me rappelle que si il devient mon demi-frère, James deviendra mon beau-père. No way.
Ce dernier s'approche de nous, et je fonds encore intérieurement lorsque son regard se perd sur moi. J'aime qu'il me regarde, parce que je le sens, je le sais, qu'il ne me regarde pas comme une potentielle belle-fille. Du moins, je l'espère. Merde, arrête ça Ivy, c'est le mec de ta mère. Le mec de TA mère bordel de merde !
- Si vous le souhaitez, j'aimerais vous inviter à boire un verre chez nous, propose mon bellâtre aux cheveux gris.
Je tuerais, même ma mère et c'est dire qu'elle genre de fille ça fait de moi, pour passer quelques heures de plus avec lui. Mais le voir roucouler avec elle ? Non merci, pas alors que je n'ai de cesse de l'imaginer entre mes chairs brûlantes de désir pour lui.
Pourquoi, pourquoi ça, ça me tombe dessus ? Ah oui, le karma, j'ai failli oublier.
Avant de répondre, j'envisage les options qui s'offrent à moi tandis que ma mère, évidemment, accepte de le suivre. Je doute franchement que maman accède à ma demande pour sortir faire la fête donc...
- À vrai dire, Mylan et moi avions dans l'idée d'aller boire un coup afin de faire plus ample connaissance, j'annonce un sourire faux mais resplendissant aux lèvres.
Ma mère paraît étonné, bouche bée mais ravie, même si je devine une lueur d'inquiétude passer furtivement dans son regard. James, je ne saurais le dire, il fait partie de ces personnes qui arbore un visage impassible à la perfection sauf quand il s'agit de se vanter de sa progéniture comme j'ai pu le constater. Quant à son fils justement, il me fixe intensément, les sourcils relevés avant d'esquisser un rictus qui se veut amical en hochant la tête.
- Bien, tu ne la ramène pas trop tard, mon garçon, dit James en s'approchant un peu plus de moi.
Il attrape mes deux mains dans les siennes et je sens une décharge électrique parcourir mon pauvre corps affamé de lui. Ses yeux se plongent dans les miens et j'en fais de même, me noyant dans la profondeur abyssale de son regard qui m'engloutit.
À ce moment-là, j'ai la certitude que je ne me lasserais jamais de ce visage, de ces deux billes bleues dans lesquelles je me perds. Je sais que ce toucher ne me suffira jamais, que je dépérirais de ne pas en avoir plus. Que cette rencontre inattendue va bouleverser ma vie comme elle ne le doit pas. Qu'elle fait naître en moi un espoir que je m'interdis pour ma mère.
- Je suis comblée, Ivy, d'avoir enfin fais ta connaissance, continue-t-il de sa voix à la fois rauque et douce. C'était un plaisir.
Un plaisir plus que partagé. Je viens de ruiner une culotte au prix déraisonnable. Je baragouine un « merci, moi de même » et le laisse se détacher à contre cœur de moi pour rejoindre ma mère qui affiche la mine la plus heureuse que je ne lui ai jamais vu. Ma mère est amoureuse et je crois, sans trop m'avancer, que j'ai peut-être même eu le coup de foudre pour son homme.
« Fifteen flares inside that ocean eyes,
Your ocean eyes »
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