SEPT

«  You are to me, a part of me,
Just like anatomy. »

Quand je passe la porte de chez moi, je découvre ma mère installée dans l'un des fauteuils en velours du salon, machouillant une olive - avec la classe qui s'impose, cela va de soit. Sur la table basse, sa précieuse et fidèle amie Margarita qui ne la quitte généralement que le temps de s'en servir un autre verre. Le marathon a commencé il y a seulement quelques minutes.

Par chance, ma mère fait partie de la trempe des alcooliques qui picolent toute la journée sans pour autant finir au bord du coma éthylique, la gueule gisant dans le vomit. Elle peut ingérer autant de verre qu'elle veut dans la journée, elle garde - comme par miracle ou enchantement - toute sa lucidité. J'ai toujours pensé, depuis aussi loin que remonte son addiction à l'alcool et mes souvenirs, qu'elle était une sorcière. Sérieusement ! Jamais, Ô grand jamais, vous ne la verrez avec la gueule de bois. Je n'ai malheureusement pas hérité de sa capacité à encaisser des litres d'alcool. La vie est injuste !

Je m'approche à pas de loup, silencieuse. Difficile de juger dans quel état se trouve la bête dissimulée sous un maquillage sophistiqué, une robe de grand couturier et un chignon parfaitement maîtrisé. D'autant plus, que ses traits légèrement figés par des injections de Botox empêchent souvent de discerner ses émotions. Le pire dans tout ça ? C'est que ma mère n'en a pas véritablement besoin ! C'est un camouflage de plus, un caprice sans intérêt. Elle a toujours été d'une beauté à se damner - limite révoltante -, elle n'a même pas encore atteint la quarantaine, et ses premières rides ont à peine eu le temps de se manifester, c'est pour dire !

Je ne comprends pas ce que James lui trouve. Ouais je sais, c'est l'Ivy à cornes et à fourche qui parle là... Elle est belle, magnifique même, mais elle est devenue aussi fade que toutes ces poules de luxe environnantes. Je suis incapable de me convaincre que Sexy Daddy est le genre d'hommes qui aiment ces femmes-accessoires. Qu'est-ce que j'en sais après tout ? Je ne le connais pas...

J'avance encore, toujours sans un mot, et elle ne lève pas les yeux sur moi pourtant consciente de ma présence. Je m'installe donc en face d'elle dans le canapé, craignant le pire et feignant l'innocence.

Courage, Ivy ! C'est ta mère, pas un grizzli !

- Lapinou ! aboie-t-elle, se saisissant d'une des amuses-bouches sur la table.

Oh, c'est nouveau ça, 《lapinou》! Ne lançons pas de plan sur la comète, c'est peut-être mauvais signe.

- Qu'est ce que c'est cette tenue ? demande-t-elle en me regardant enfin, horrifiée - au moins autant qu'elle peut le paraître avec toute cette toxine botulique dans le visage. Ta robe ? Et seigneur, tes chaussures ! Pourquoi es-tu pieds nus ?

Ah ! Ce sont mes vêtements, enfin ceux de Dirty Baby, et l'absence de mes louboutins qui dérangent. Et non pas l'heure à laquelle je débarque ici, ni ce que j'ai pu faire jusque là. Ma très chère maman vit désormais sur son petit nuage, dans son petit monde en tout point parfait, et m'adresser la parole n'est sûrement déjà plus qu'une formalité. Ivy n'est désormais qu'un de ces point noirs qu'on traquent avec acharnement à coup d'ongles ! Si elle pouvait, elle m'enverrait vraiment en Europe afin de se dévouer à cette énième relation sans m'avoir dans les pattes.

- Tu sais quoi, lapin ? Je ne veux même pas savoir, continue-t-elle avant que je ne puisse répliquer quoi que ce soit. Je t'ai appelé deux fois cette nuit, sans réponse. Idem pour mon texto. Heureusement, James a eu la délicatesse de m'apprendre ce matin, que toi et Mylan, étiez rentré chez eux après mon départ. Je me suis fait un sang d'encre !

Sur le moment, je ne sais pas ce qui me choque le plus. Qu'elle n'ait tenté de me joindre en tout et pour tout seulement trois fois, que James lui ait menti pour me couvrir ou encore qu'elle feinte l'inquiétude. Dans les trois cas, je reste muette et je ne sais pas quoi lui répondre.

Quand a-t-il mis au courant ma mégère de mère ? J'ai du pioncer dans sa voiture plus longtemps qu'il me l'a semblé...

- Jily a appelé,m'annonce-t-elle l'air sévère, après quelques minutes de silence. Qu'as-tu encore fait de ton portable ?

- J'ai du le perdre dans le bar où Mylan m'a emmené.

- Un bar ? s'étrangle ma mère, manquant de recracher son précieux liquide de survie.

- Rassures-toi, j'ai tourné à l'eau, maman.

Je me lève avec la ferme intention de ne pas éterniser cet agréable moment mère-fille. Je rejoins le coin cuisine, pas déstabilisée par mon petit mensonge et camouflant l'hystérie qui me gagne, pour me jeter sur le téléphone fixe. J'embarque le combiné portatif jusque dans ma chambre. La pièce est baignée par les rayons du soleil qui filtrent à travers les stores. Je me dirige vers les portes fenêtres qui donnent sur mon balcon privée avec vue sur l'Océan. Ici, c'est mon endroit préféré de la maison. Je fais défiler les appels entrant et m'arrête sur le prénom de ma meilleure amie. Un petit clique du bout de l'index et deux tonalité plus tard, ma copine décroche en hurlant.

- DEVINE QUI EST DE RETOUR APRÈS S'ÊTRE ENVOYÉ L'ANGLETERRE TOUTE ENTIÈRE ???

Sa voix m'a manqué, même si nous nous sommes appelés régulièrement depuis qu'elle s'est envolée vers le Royaume Unis. Six mois mine de rien c'est long.

- Sûrement pas toi, je pouffe, en m'asseyant à même le sol, dos au mur.

- Ouais, ok peut-être... mais une belle brochette de londoniens quand même !

- Et comment sont-ils là-bas ?

- Tes petits vieux, je ne sais pas ! s'esclaffe-t-elle, taquine. En revanche, en ce qui concerne MA tranche d'âge, je peux te dire qu'ils valaient TOUS le coup ! La plupart avait les critères du Top 5 !

Laissez-moi vous faire un topo à propos du Top 5. Il y a cinq critères non négociables pour en faire partie : le regard, la voix, les cheveux, les mains et les fesses ! Ma meilleure amie et moi, avons chacune un critère « bonus ». Le mien étant là tranche d'âge dans la quarantaine, maximum la  petite cinquantaine - bien conservé, hein, pas défraîchi. Il m'arrive d'y déroger, comme vous le savez. Celui de Jily et bien, c'est simple, c'est l'inverse. Elle ne jure que par les garçons de notre âge avec une préférence absolue pour ceux qui ont une Baby Face ! Du haut de ses 24 ans, il lui arrive aussi de craquer pour des mecs plus jeunes, du moment qu'ils sont dans la vingtaine.

- T'en a profité pour visiter, au moins ?

J'entends son rire qui me réchauffe le cœur. Cette nana c'est tout simplement mon petit soleil un jour de pluie.

- Mon Dieu, oui, pour qui me prends-tu ? s'indigne-t-elle faussement. Un géant anglais digne d'être top modèle, avec des yeux hors du commun, une gueule à désintégrer les petites culottes et un sourire à dégradé la couche d'ozone, m'a fait découvrir Londres. Trois mois ultra intense avec lui, jusqu'à ce qu'il mette les voiles. Ce mec rendait tout tellement plus... attractif !

- Je n'en doute pas ! Tu n'as donc pas été très sage, non ? Racontes-Moi, tout les détails !

Une heure au moins s'écoule pendant que Jily me fait le récit de ses aventures, toutes plus où moins Olé-Olé, si vous voyez ce que je veux dire ! Bien sûr, elle finit par me décrire Londres avec soin, les lieux qu'elle a découvert - toujours en agréable compagnie -, le super appartement loué par ses parents qu'elle avait pour elle toute seule, son petit  quotidien londonien, la petite routine qu'elle s'y était créé, le pub où elle avait pris ses habitudes, les amitiés qu'elle a tissé en chemin... tout y passe, et c'est un plaisir, un dépaysement même, de l'écouter déblatérer de tout ça avec tant d'intérêt.

On se promet d'y aller un jour ensembles et qu'elle m'y présentera le bel anglais - avec qui elle a gardé le contact - qui l'a le plus marqué au cours de son séjour. Je crois que son petit cœur d'artichaut s'est encore gravement épris.

Irrécupérable, ma copine ! Toujours à s'amouracher.

- On se retrouve chez Shawn, ce soir ? demande Jilie. Vicky va te lâcher un peu du leste ?

- Je vais m'arranger pour venir, t'en fais pas pour elle. Chez Shawn, alors vers, 20 heures ?

- Yep ! Soirée vodka et mauvais choix, okay ?

- On ne change pas une équipe qui gagne ! À plus tard, ma sœur.

Après une multitude de « bisous », « à ce soir », « je t'aime », « oublie pas la vodka », nous raccrochons enfin. Je ne peux m'empêcher de sourire bêtement. Parler avec elle, l'écouter, m'a fait du bien, et s'y j'ai pu échapper à la confession pour l'instant, je sais qu'à l'instant où elle me verra elle comprendra qu'un truc cloche. Que le poisson rouge dans ma boîte crânienne, qui lui sert de bocal, ne tourne plus rond. Pire encore, qu'il ait possiblement déjà rendu l'âme.

Un bruit de pas, ou plutôt de talons qui claquent, attire mon attention vers la chambre. En effet, ma mère vient d'en passer la porte. Une longue et fine tige incandescente entre les doigts.

- Est-ce qu'on peut parler deux minutes, mon lapin ? demande ma mère en s'installant sur le banc devant ma coiffeuse.

J'accepte avec un petit « um » et entre dans ma chambre, pour prendre place en face d'elle dans mon lit. Sa mine sérieuse ne m'échappe pas et ne laisse place à aucun doute. Le sujet est sérieux.

A-t-elle déjà peur que je crève sa jolie bubulle toute neuve ? Une partie de moi hurle que ses inquiétudes sont fondées.

- Que penses-tu de James et Mylan ?

Nous y voilà ! Go girl, tu peux le faire, sans te trahir !

- Et bien... James a l'air d'être un homme bien, du peu que j'en ai vu, dis-je en prenant sur moi. Et Mylan est vraiment...

Particulier ?  Dérangé ? Pervers ? Arrogant ?Obsédé ? Malsain ? Loufoque ? Prétentieux? Étonnamment attractif sexuellement ?

- Il est vraiment cool.

Ma mère hoche la tête, satisfaite. Elle croise gracieusement l'une de ses jambes sur l'autre et y appose ses mains.

- Je suis ravi que vous ayez fait connaissance, je pense que ce garçon peut avoir une bonne influence sur toi.

Si tu savais, maman, si tu savais...

- C'est un jeune garçon très discipliné qui a eu droit à une très bonne éducation, continue-t-elle, j'espère que vous aurez encore l'occasion de passer du temps ensemble. C'est d'amis comme lui dont tu as besoin, lapin.

J'entends bien le sous-entendu. En dépit, d'être née dans une famille respectée, réputée et aisée, Jily n'a jamais trouvé grâce aux yeux de ma très chère mère. Sûrement, parce que nous nous sommes rencontrés à la période où j'ai commencé à  vraiment, mais vraiment partir en vrille, après ma première cure - qui fut express et surtout vite derrière moi, contrairement à la seconde, plus longue, plus éprouvante et qui m'aura permis de passer trois mois sobre de toutes mes addictions, jusqu'à hier.

- D'ailleurs, à ce sujet, maman...

La petite, mais maléfique, Ivy cornue sur mon épaule gauche à eu une idée. Dirty Baby est mon échappatoire !

- J'aurais aimé inviter Mylan ce soir, au restaurant, dis-je, un sourire innocent plaqué sur mon visage. Pour le remercier d'avoir été si prévenant et... charmant avec moi.

- Tous les deux seulement ?

- Oui, enfin, dans la mesure où tu n'y vois aucun inconvénient.

Je le vois dans ses yeux, que l'idée lui plaît. Je sais que dans sa petite tête d'amoureuse de l'amour, elle dresse le tableau de la petite famille recomposée parfaite.

Que tu crois, ton potentiel futur beau-fils m'a mis des doigts ! On repassera pour la relation fraternelle, hein !

- C'est une bonne idée, lapin, approuve-t-elle enfin. Laisse-Moi chercher mon portefeuille, je vais te donner ce dont tu as besoin.

Ma mère se lève, le sourire aux lèvres, fière de sa fille et de ses bonnes - mais très fausses - intention. Je l'observe traverser ma chambre, avec son aisance habituelle, avant de l'interpeller. Presque malgré moi.

- Attends maman, comment... comment ça se passe entre vous, James et toi ?

Est-ce que j'ai vraiment envie de le savoir ? J'n'en suis pas certaine. Seulement je n'arrive pas à combattre la curiosité.

- Oh, et bien... tu sais, nous sommes, comment dire... bafouille ma mère, l'air incertaine. Nous apprenons encore à nous connaître, je pense. Pour ma part, je me sens vraiment bien avec lui. C'est un homme tout à fait exceptionnel, lapin.

Exceptionnel, c'est bien le mot.

- Je crois que je suis heureuse, reprend-t-elle. Je vais te préparer une enveloppe digne de ce nom pour que toi et Mylan puissiez vous offrir une belle soirée. J'appelle James pour qu'il prévienne son fils, puisque tu n'as plus de portable.

Non ! Merde, j'avais malencontreusement zappé ce détail. Et voilà que ma mère disparaît sans que je n'ai le temps de riposter d'une feinte. Cette soirée promet d'avance ! Ma meilleure amie, Shawn, Mylan et moi... L'enfer est pavé de bonnes intentions, hein ? Résignée, victorieuse et perdante à la fois, je file en direction de ma salle de bain personnelle. Prendre une douche brûlante pour m'habituer au brasier du feu éternel qui m'attends. Au propres comme au figuré.

Cher karma, pourrais-tu au moins utiliser du lubrifiant la prochaine fois ?

« You're pulling me, you're pulling me
Like you are gravity »

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