SEIZE

« The film is fading, look at me »

Shawn a abandonné le navire, ou plutôt rejoint ses quartiers privés, lorsqu'après avoir vidées d'un tiers le saladier de vodka à la louche - so classy...-, Jily et moi-même sommes tombées dans le sentimentalisme. Après tout, on a six mois de confidences de filles et parlottes en tout genre à rattraper.

Titanic en arrière-plan sur le grand écran en face de nous, nous partageons les grandes lignes de ces derniers mois séparés l'une de l'autre, bien que nous ayons régulièrement débriefé par téléphone.

Au fil de la conversation, ma meilleure amie aborde le sujet délicat de ma dernière désintox, et bien que je n'éprouve absolument pas l'envie d'en parler, je dois le faire. Je le lui dois. J'ai toujours esquivé cette discussion, et par téléphone c'est bien plus facile de le faire. Seulement maintenant, il se trouve que Jily est en face de moi. Alors, à contrecœur, je lui parle de ces trois mois où j'ai été internée. Il faut savoir, qu'hormis les coups de fils passé à ma mère, qui furent autorisés après quelques semaines, je n'avais aucun contact avec l'extérieur. Ma copine m'avait donc vu pour la dernière fois la veille de mon internement, peu avant son départ pour Londres.

Je passe aux aveux - difficilement, lui parle des longues heures, seule dans une chambre démoralisante, à rougir ma peau a force de la gratter. Des seaux remplis de mon propre vomis... de la difficulté à se sevrer, des médicaments de substitution, des séances de thérapie, en groupes ou individuels, l'absence de visites de ma mère, celles quotidiennes du docteur Brown. Je lui raconte tout ce dont je me souviens, les premières semaines étant un peu floues. Je reviens aussi sur mon retour chez-moi, trois mois à tenir bon pour finalement me perdre à nouveau...

Je suis vraiment une championne quand il s'agit de tout foutre en l'air !

- J'n'aurais pas dû partir, soupire Jily en reniflant. C'est vrai, quoi... non ? J'aurais dû rester... et puis, hein... pourquoi j'ai rien dit l'autre soir ?! J'aurais dû t'empêcher de toucher à ça, encore une fois, j'aurai dû ! Merde !

Ma brunette attrape un mouchoir dans son sac et tamponne ses grands yeux marrons. Puis les bras remuant dans tous les sens, les cils se repeuplant de larmes, elle reprends :

- Non à la drogue, putain ! Oui aux licornes ! Pourquoi, tu fais ça, coooo- gloups, pine. 'scuse-moi. Copine. Peut-être que si j'avais fait... genre, je sais pas, moi. N'importe quoi, toi, là - ( elle me pointe du doigts) - oui, toi, t'aurais pas finis comme ça y a six mois. Peut-être que je devrais pas partir...

Je récupère son mouchoir entre ses mains pendant qu'elle parle, et me mouche dedans avec la délicatesse d'un pachyderme. Elle m'observe d'abord dégoûtée puis souris.

- Tu veux que je reste ?

- Tu vas partir quoi... deux jours ? Ou trois ? je lui demande, en me grattant l'arrête du nez. Je crois bien que je peux survivre.

- Attends, j'en ai pas... finis avec toi, marmonne-t-elle en se levant. J'ai faim.

D'un œil vitreux, je suis ma copine qui s'élance vers la cuisine. Ça loupe pas, elle perds l'équilibre en contournant le bar,  qui fait office de séparation avec le salon, et manque de s'étaler sur le parquet, les quatre fers en l'air. Un rire disgracieux quitte mes lèvres, je pouffe de façon incontrôlable et elle me foudroie d'un regard noir en plissant les yeux.

- Oh ça va toi, c'est pas ma faute si Shawn a déplacé les meubles et... pousser les murs.

Mais bien sûr...

Jily ouvre un placard et en sort un paquet de céréales, elle part à la recherche d'une brique de lait, sans succès, puis revient s'installer sur le canapé. Ma copine s'extasie deux minutes sur Léonardo DiCaprio, les yeux en cœurs et la bave aux lèvres, puis enfourne une grosse poignée de frosties dans sa bouche.

- C'est sec, conclut-elle en grimaçant. Et rance.

Je me saisis du saladier où gît encore un quart de son mixe et le lui tends. Jily me dévisage, hausse les épaules et renverse les céréales dans la vodka. Nous goûtons à l'aide de la louche et... en fait, ce n'est pas aussi dégueulasse que ça en l'air. Enfin, ça l'est, mais on est plus réellement en état de s'en apercevoir, je crois. Ou d'en avoir quelque chose à foutre.

- J'ai pas envie de... te retrouver dans le même état que l'année dernière, Ivy, reprends ma meilleure amie. C'était... c'était vraiment... c'est pour ça que je suis quand même parti. J'aurais pas dû mais... je ne veux plus jamais te trouver comme ça.

Rien que de repenser au soir auquel Jily fait référence, j'en ai froid dans le dos. Tout les poils de mon épiderme se redresse. J'aimerais ne jamais revivre ça, et j'évite d'y penser car replonger c'est prendre le risque de prendre le même type de décisions qui auraient pu me tuer. Peut-être même que ça aurait dû, après tout. Je tourne en rond, dans une boucle sans fin comme un putain de clébard qui court après sa foutue queue, à détruire tout ce qui m'entourent, en commençant par ceux que j'aime. Je ne prends réellement conscience que maintenant de ce que je leurs inflige. C'est pas faute d'avoir retourné le sujet dans tous les sens pendant ma thérapie, mais jusque là, jusqu'à Shawn... et maintenant Jily, je ne voyais pas la conséquence de mes actes sur eux. Je les blesse, comme je sais que j'ai blessé ma mère à plusieurs reprises, ne voulant voir d'elle que le monstre qui m'a en partie façonné. Mais qui l'a façonné, elle ?

- Je ne supporterais pas de revivre ça, murmure Jily, interrompant mes pensées qui divergent malgré moi.

La détresse, la peur et le remord étirent ses traits si gracieux à l'origine. Je ressens pour la première fois son mal-être, un mal que j'ai causé. Je n'ai aucun souvenir du moment où elle m'a retrouvé, ni l'état dans lequel j'étais et pourquoi j'étais là. Tout n'était que néant, j'étais plongée dans l'obscurité, pataugeant dans la noirceur de mon âme. Les seuls témoins de cette soirée, sont les ecchymoses et les traces de piqûres que j'ai découvert le lendemain matin, en me réveillant enchaîné dans un lit d'hôpital. Je bousille tout, ma mère, mes amis, en me bousillant moi-même.

J'aime la drogue, et ce sentiment d'être en apesanteur qu'elle m'apporte, qui m'épargne la réalité de ma maladie... parce que oui, je suis malade, profondément, incurablement, sinon qu'est-ce qui me pousserait à laisser cette salope me tuer ?

Égoïste, je suis une sale égoïste.

- Je sais, je soupire en croisant mes jambes sur la table, la tête basse, incapable de supporter le regard de ma meilleure amie encore plus longtemps. Tu n'aurais rien pu faire pour m'aider à l'époque, et il n'y a rien que tu pourrais faire maintenant qui m'empêcherait de faire les choix que je fais... tu sais bien que, tout ça, ça a commencé bien avant qu'on se rencontre.

Le film de ma courte vie défile dans ma petite tête, mes mini-moi confortablement installés avec du popcorn en mains. C'était il y a un peu plus de quatre ans, la première fois. J'ai commencé par un joint... je n'avais que seize ans et nous ne vivions pas encore en Floride mais à Los Angeles, où nous avions emménagé trois ans plus tôt. Ma mère a rencontré ce type, propriétaire de clubs, un soir où elle performait sur l'une de ses scènes. Elle l'a épousé très vite, et en a divorcé dans l'année. Ce second divorce l'a anéanti... et je me suis retrouvée livrée à moi-même. J'ai finis par goûter à une forme de liberté qui m'a rendu esclave, qui m'a enchaîner à elle de façon si sournoise que je n'ai pas sentie ses griffes acérées se refermer autour de moi.

Et finalement, plus ma mère remontait la pente, plus je la descendais sans qu'elle ne s'en aperçoivent.

Je n'ai plus envie de penser à ça...

- Tu dois y aller, hors de questions que tu laisse passer cette chance, je reprends en relevant les yeux vers elle et encerclant son visage de mes mains, me voulant rassurante malgré les tourments qui m'assaillent. Promis, pas de bêtises au moins jusqu'à ton retours, et... je te ferais plus jamais vivre ça. Jamais, d'accord ?

- D'accord...

De mes pouces, j'efface les larmes qui ont souillés les joues de Jily. Je déteste l'idée d'en être à l'origine, j'ai horreur d'imaginer ce qu'elle a pu ressentir en me voyant allongée à terre, très probablement dans ma gerbe. Je suis incapable d'imaginer à quel point ça a été dur pour elle de se remettre de cette vision, de la force et le courage dont elle a fait preuve par la suite. Elle ne m'a jamais incité de façon explicite à parler de ce que j'ai vécu jusqu'à maintenant. Et je lui en suis reconnaissante, mais au fond de moi je sais que nous devions le faire maintenant. Il me faudrait une vie entière pour lui conter tout ce que j'ai traversé durant ma cure, mais les avoir survolé est déjà suffisant. Pour moi, comme pour elle d'ailleurs. Je n'ai pas envie de noircir sa lumière, j'ai l'impression de l'avoir suffisamment entaché comme ça.

Quand j'ai rencontré cette jolie brune excentrique, je ne m'attendais pas à ce qu'elle rende à ma vie quelques couleurs. C'était à une soirée chez Shawn, qui à l'époque était déjà mon dealeur attitré, peu de temps après notre emménagement. Je crois pouvoir dire que Jily et moi avons eu un véritable coup de foudre l'une pour l'autre. Après cette nuit là, nous ne nous sommes plus quitté. J'étais déjà à côté de mes converse en ce temps, et pourtant elle a vu en moi ce que moi-même je ne voyais plus. Du moins, c'est ce qu'elle m'a dit. Et j'ai choisi de la croire, même si j'ignore encore aujourd'hui ce qu'elle a pu voir. Toujours est-il, que c'était la première fois de ma vie que je me faisais une amie. Une vraie. De celles qui ne jugeront jamais vos actes passés ou présents, peu importe ce qu'il leur en coûterait. Jily m'a aimé pour celle que j'étais vraiment. L'innocence qui la caractérise lui a permis de fermer les yeux sur mes habitudes dévastatrices, et peut-être qu'après tout, qu'après cette nuit là, elle voit enfin le mal là où il est. La culpabilité m'assaille, j'ai ternie son arc-en-ciels...

- Je t'aime, connasse.

- Moi aussi, copine. Moi aussi...

Dans les bras l'une de l'autre, en tailleurs sur le canapé, nous nous perdons dans notre étreinte. Nous faisons peine à voir, non ? Avec nos pyjamas une pièce à capuche, licorne pour elle, lapin pour moi - qu'elle a acheté pour l'occasion, et qu'elle nous a obligé à enfiler il y a deux heure de ça...oui, Shawn aussi.

Justement, des bruits de pas nous parviennent rapidement, et Spanish Baby débarque, à moitié dévêtu, une trace de l'oreiller lui barrant le visage. Il a descendu le haut de son pyjama sur ses hanches, les manches nouées autour de sa taille. Il est aussi hilarant que sexy - je suis bien obligée de l'admettre.

- J'interromps un grand moment ? demande Shawn en s'approchant.

- Non, mon petit cochon, t'en fais pas, répond ma copine lorsque le beau brun passe devant nous pour s'installer dans le fauteuil à sa droite, ne manquant pas d'attraper sa petite queue en tire-bouchon.

- Touche pas à ma queue, toi !

Cet imbécile, sourire aux lèvres, me fait pouffer.

- Tu ne dis pas ça d'habitude, s'offusque faussement Jily en levant les mains en l'air.

- J'ai décidé de la reprendre en main.

Ma copine et moi échangeons un regard complice avant de nous bidonner comme des folles.

- En v'la une bonne ! s'exclame-t-elle, hilare.

- Faites pas celles qui n'avait compris, je voulais dire me reprendre en main, reprend Spanish Baby, souriant à sa propre bêtise. Je ne couche plus. Avec vous, en tout cas.

Je cligne d'un œil à son attention, et il me le renvoie. Shawn a raison, on l'aime, et il nous aime en retours, mais nous avons toutes les deux plus ou moins abusé de lui. Pas sans son consentement, c'est certain, mais il mérite mieux que de simples coucheries.

- Whait, what ?! s'insurge Jily. Qui va me consoler en mode caliente quand mon petit coeur sera brisé ?

- T'avais pas le cœur brisé l'autre fois, remarque le beau gosse.

- Nan, mais je venais de passer deux heures trente en avion et j'avais besoin de me dégourdir !

Les dents enfoncées dans ses lèvres, Spanish Baby tente de contenir son fous rire. En vain, quand le mien éclate, il me rejoint, et Jily elle-même en rit. Des larmes pointent aux coins de nos yeux, tandis que nous nous plions sur nous mêmes, nous esclaffant toujours.

- Bon, les meufs, intervient Shawn en se calmant, je vous kiffe, et tout mais j'ai mon plan cul qui revient donc...

- Tu nous fout dehors ?

- Attends, l'autre là ? Celle d'avant ? je demande.

- Ouais, la prostitué bénévole.

- Là quoi ? Y a des putes qui font du bénévolat maintenant ?

« Give me the bright lights »

•••
Hello, vous allez toutes bien, j'espère, de tout mon coeur, en cette période compliqué. Une fois n'est pas coutume, je vous remercie d'être là ♥️
J'aimerais pouvoir écrire des chapitres plus long, comme avant, mais je manque grandement de temps... alors, j'espère que vous apprécierez quand même ♥️😘

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