CHAPITRE 7


VERONICA


Natalie m'explique les ficelles du métier, tandis que Tania s'active pour gérer le service seule le temps que j'intègre les infos.

— Toujours avec un plateau, que tu aies un verre ou dix. Question de standing !

J'opine du chef à chaque nouvelle indication, ce qui finit par me donner le tournis tant il y en a.

— La clientèle du casino est chic, comme tu as pu le constater.

En effet, d'un simple coup d'œil, on s'aperçoit facilement que les personnes qui fréquentent l'établissement sont pour la plupart des gens bourrés de pognon. C'est intéressant que tant de riches se sentent à l'aise à venir dans un casino géré par des bikers. Enfin, les employés qui font tourner la machine n'en sont pas : ni les serveuses, ni les croupiers. Toutefois, il est de notoriété publique que ce bâtiment appartient aux Bloodlust Spectrum. En témoigne le garage qui compose l'autre façade et où la clientèle est radicalement différente.

— Ta tenue doit toujours être impeccable. Pense à en avoir une de rechange au cas où ! Tu te tacheras sûrement à un moment ou à un autre. Dans ce cas, tu nous préviens, tu files dans les vestiaires et tu reviens au plus vite.

D'un geste de la main, elle me désigne une petite porte à laquelle je n'avais pas prêté attention. Celle-ci paraît presque invisible, entre deux machines à sous. Un code digital semble nécessaire pour la déverrouiller.

— Ça, c'est la carte des cocktails !

Natalie me confie une fiche plastifiée sur laquelle se trouve une liste longue comme mon bras.

— Je dois retenir tout ça ?

— Par cœur ! confirme-t-elle en passant la main dans sa frange droite.

— Ça tombe bien, l'école me manquait, plaisanté-je.

Elle ne semble pas capter mon humour puisqu'elle passe outre et continue de m'apprendre tout ce qu'il faut savoir. Nous terminons par la fameuse visite des vestiaires, avant de revenir derrière le bar.

— Des questions ?

— Une seule : il faut un QI de 160 pour bosser ici ?

Natalie me décroche enfin un sourire.

— Les spectres sont cool quand tu es réglo avec eux, m'explique-t-elle. Mais ils ne supportent pas le travail mal fait. Un conseil : applique-toi !

Un vent de panique souffle en moi. J'ai l'impression de me retrouver lors de mon premier jour dans les cuisines du fast-food. Il y a tellement d'informations à retenir que mon cerveau se transforme en passoire. J'ai déjà tout oublié... ou serait-ce juste le stress ?

Autant la restauration rapide ne me détendait pas, autant le milieu des bikers surpasse largement cette émotion. Ici, un pet de travers pourrait avoir des conséquences désastreuses. Il n'y a qu'à voir l'attitude hargneuse de l'abruti qui m'a fait visiter les locaux.

La Corvée.

Tu parles d'un surnom ! Je suis sûre qu'aucune nana ne l'a jamais remis à sa place, ce mufle. Il ne sait pas sur qui il est tombé avec moi. Je lui recommande vivement de m'éviter, s'il ne veut pas voir de quel bois je me chauffe. C'est peut-être un biker et sa réputation le prétend dangereux, mais pour l'instant, je n'ai pas l'intention de prendre mes jambes à mon cou.

L'aura de Dicey est menaçante et ne me rassure pas. Toutefois, je ne l'imagine pas sortir un couteau ou un flingue pour me mettre en joue, pas plus que m'en coller une, contrairement à ce qu'il prétend. Peut-être suis-je juste naïve ?

Je ferais mieux de rester sur mes gardes.

— Tiens !

Natalie me confie un torchon et me propose d'essuyer les verres.

— Ça te permettra de te familiariser avec le matos et tu me feras gagner du temps. Je te laisse t'échauffer avec ça et je t'envoie avec une commande après. Ça marche ?

— Ça marche !

Natalie prépare les différentes boissons tandis que Tania les porte jusqu'aux tables. Les deux forment une machine bien rodée. Elles ont à peine besoin de communiquer pour se comprendre. Lorsque j'interroge ma nouvelle collègue à ce sujet, elle répond :

— Je bosse ici depuis quatre ans et Tania trois. À force, on finit par prendre des habitudes.

— Et ça va, tu n'as rien à reprocher au taf en lui-même ?

Ma mission principale est bien ancrée dans ma tête : intégrer le monde des bikers pour écrire leur histoire de l'intérieur. Au vu des deux interlocuteurs que j'ai eus jusqu'ici – à savoir Hawk et Dicey – j'ai vite compris que je ne gagnerais pas leur confiance en claquant des doigts. Ces gens-là sont d'un naturel méfiant et s'il existe des motards plus bêtes que d'autres, je doute d'être tombée sur eux.

Bien que Dicey m'agace profondément, je ne peux pas le qualifier de stupide. Au contraire : il semble savoir ce qu'il fait, ce qu'il veut et où il va. Ses yeux me l'affirment, même quand il garde la bouche fermée.

Faute de pouvoir brûler les étapes, les premières personnes qui doivent m'accorder leur confiance sont Natalie et Tania. Depuis le temps qu'elles côtoient les spectres, ils doivent placer une certaine foi en elles. Autrement dit, si elles parlent en bien de moi, je pourrais gagner des points auprès des personnes qui m'intéressent vraiment.

— Comme je te l'ai dit, si tu bosses correctement, Hawk est cool. Il m'accorde les vacances que je veux, parfois mes week-ends si besoin. Ça marche dans les deux sens, s'il a besoin de moi pour des heures sup', ici ou à côté, je suis toujours partante pour rendre service.

— Et ça paie bien ?

— Plutôt, ouais !

Une lueur brille dans les prunelles de Natalie. J'en déduis qu'elle ne me dit pas tout. Je n'ai pas demandé sous quelle forme j'allais recevoir mon salaire, probablement parce que je m'en tape un peu. Bien que ma précarité actuelle ne me permette pas de cracher dans la soupe, mon objectif en venant ici n'est pas de m'enrichir. Enfin, pas en servant des Cuba Libre ! Néanmoins, je me demande si l'argent ne circule pas en liquide dans le coin. Des billets en extra à se glisser dans la poche, ça arrangerait tout le monde.

Étant donné la réputation des Bloodlust Spectrum, je doute qu'agir dans la légalité de A à Z soit leur passion dans la vie. Je n'obtiendrai sûrement ce genre d'info qu'à la fin du mois, lorsqu'ils auront évalué s'ils peuvent me faire confiance ne serait-ce que sur ça.

— Tu le connais bien, Dicey ?

Cette question m'a échappé. La curiosité me ronge depuis qu'il m'a fait visiter les lieux. Il m'a à la fois agacée, énervée, saoulée, frustrée... et intriguée. Je me demande pourquoi il joue sans arrêt avec son dé. Cela doit avoir un rapport avec son blaze, dans un sens ou dans l'autre.

Monsieur se permet sûrement d'être aussi con avec les femmes parce qu'il est beau.

— Personne n'a jamais vraiment cerné Dicey, me répond Natalie. Pourquoi ?

Je hausse les épaules pour me donner un air détaché.

— C'est lui qui m'a fait faire le tour du proprio ! Il n'est pas des plus avenants.

— Faut pas chercher. Au début, je m'étais demandé s'il devait payer chaque mot qu'il prononçait. Avec le temps, j'ai compris qu'il est comme ça. Quand il n'a rien à dire, il préfère se taire que combler le silence.

Contrairement à la majorité des gens, dont moi. J'ai bien envie de demander pour le dé, mais j'ai peur de passer pour la curieuse de service. Ce n'est sûrement pas la réputation que je veux qu'on m'attribue. Au lieu de quoi, je décide de me concentrer sur mon travail pour prouver que je peux être efficace.

Mon infiltration dans ce milieu ne durera pas trois jours. Je suis partie pour des mois, alors autant prendre mon temps et placer mes billes correctement, plutôt que de me précipiter pour me casser la figure. Je n'ai pas l'intention de subir un nouvel échec.

Gary veut du best-seller ? Je vais lui en refiler !

Au cours de mon service, je vois un paquet de gens aller et venir. Je différencie sans peine les clients des bikers, qui portent tous la même veste en cuir sans manches, affichant l'écusson des Bloodlust Spectrum. J'essaie de mémoriser leur visage lorsque Natalie ne me met pas trop la pression, ou qu'elle a le dos tourné.

Je finis par me faire remonter gentiment les bretelles, quand une rousse aussi séduisante que terrifiante débarque parmi les mecs.

— T'es dans la lune, Veronica !

— Désolée !

Je m'empresse de reprendre le rangement des verres, tandis que j'observe la nouvelle arrivante. Son corps mince et élancé privilégie une allure tonique. À chacun de ses pas, les muscles de ses bras se découpent. En dépit de la douceur de son visage, son regard s'avère meurtrier. Il me suffit de le croiser pour avoir envie de baisser les yeux.

Qui est-elle ?

Le plus étonnant, c'est qu'elle porte la même veste que les autres, avec l'insigne des spectres. Je ne m'y connais pas des masses en motards, mais j'ai effectué quelques recherches avant de me lancer dans l'aventure. Au moins histoire de connaître deux ou trois notions. Tous les sites que j'ai consultés étaient unanimes sur la question : pas de femme chez les bikers.

Peut-être qu'elle est la fréquente d'un des membres ? Je décide de poser la question à Natalie, qui ricane.

— On dit « régulière », pas « fréquente ».

Merde ! Miss bourde a encore frappé. La malédiction du « jamais deux sans trois » a fini par se produire.

— Pour te répondre, non, Libertine n'est pas une régulière. T'avise pas de dire ça devant elle ou c'est la dernière phrase que tu prononcerais. Il paraît qu'elle a arraché plus de langues qu'il y a de machines à sous ici.

Par réflexe, mon regard balaie l'espace tandis que ma glotte tombe au fond de ma gorge nouée. L'envie de demander qui elle est me démange, mais Natalie me fixe d'un œil circonspect. Je me désintéresse immédiatement de la nouvelle, malgré la curiosité qui me démange davantage qu'une plaque d'eczéma.

Une fois ma besogne achevée, Tania et Natalie inversent leurs rôles. La seconde part chargée d'un plateau en direction de la Roulette, tandis que la première m'adresse un sourire. Elle semble un peu plus avenante que sa collègue. Plus jeune aussi. Elle doit avoir quoi, deux ou trois ans de plus que moi ?

Cela ne me rappelle que trop bien à quel point la trentaine se rapproche. OK, je n'ai que vingt-six ans, je suis un peu drama queen sur les bords. Simplement, quand je vois la vitesse à laquelle les années passent depuis que j'ai quitté le lycée, j'ai l'impression de ne pas voir ma vie me filer entre les doigts.

— Prête pour le service ?

J'aimerais surtout poser toutes les questions qui me brûlent la langue tout en prenant des notes précises sur un calepin.

Je retiens l'élan de pragmatisme qui me vient un peu trop naturellement, pour répondre :

— Et comment !

Après avoir trébuché deux fois et fait tomber un plateau plein de verres, je me retrouve à quatre pattes à récurer la moquette. Un picotement sur ma nuque me met mal à l'aise. Certaine qu'on m'observe, je relève la tête et découvre Dicey, installé au Black Jack. Si son visage revêt le même air énigmatique que tout à l'heure, j'ai l'impression de distinguer un sourire.

Enfin, pour lui, c'est un millimètre de commissure de lèvres rehaussé. J'ai le sentiment que ça représente beaucoup. Il se moque de moi, c'est une évidence. En lui accordant un regard, je lui donne de l'attention et c'est ce qu'il recherche.

Changement de stratégie : je l'ignore pour nettoyer mes conneries puis je retourne au bar. Tout en soupirant, j'essuie la pellicule de sueur qui me recouvre le front. Qui aurait cru que bosser en tant que barmaid serait aussi épuisant ? Je ne pesterai plus jamais contre le personnel qui prend du temps à amener ma commande.

Promis juré.

Tiens... pourquoi mes doigts sont-ils croisés ? Sûrement parce que je ne peux pas tenir une telle promesse. J'aime beaucoup trop me plaindre des gens. Ça me donne matière à réfléchir pour écrire mes romans, par la suite. Peut-être que je devrais arrêter les immersions pour me lancer dans la fiction. Ça me coûterait sûrement moins d'efforts. Les ventes ne seraient pas comparables non plus, mais ça me permettrait de vivre avec l'appui d'un éditeur comme Gary&Co.

Impossible. J'aime beaucoup trop le frisson de la découverte, l'adrénaline de la prise de risque. J'en ai besoin pour me sentir vivante et ralentir le temps qui passe. C'est la seule manière pour moi de le maîtriser, au lieu de le subir.

— Je peux repasser au rinçage ? demandé-je à Tania. Je crois que je me suis suffisamment embarrassée pour aujourd'hui.

Elle rit.

— Il n'y a pas de meilleure manière d'apprendre que de commettre des erreurs.

— Ça veut dire oui ?

Natalie qui débarque derrière moi répond à sa place :

— Ça veut dire non.

Elle me fourre son plateau dans les mains puis y dépose les cocktails que Tania a tout juste terminé de préparer.

— C'est pour qui ? m'enquiers-je sans pouvoir retenir un soupir.

— Je sais que je suis un peu dure, avoue Natalie. Ça m'aide à trier les empotées de celles qui ont du potentiel.

— Hawk aime bien qu'on lui fasse un rapport sur les nouvelles, renchérit Tania. Les périodes d'essai sont prises au sérieux, ici.

J'assure davantage la prise de mes mains sur le plateau, histoire de ne pas briser plus de verres que nécessaire.

— Alors, de quelle catégorie je fais partie ?

Tania interroge Natalie du regard. Celle-ci n'a aucune pitié pour moi lorsqu'elle révèle :

— Les deux.

— Les deux ?

Comment est-ce possible ?

— T'es une empotée qui a du potentiel.

Ça ressemble à la fois à un compliment et à un tacle. Ne sachant trop comment le prendre, je reste coite. Natalie précise :

— Tu ne manques pas de détermination et tu présentes bien devant les clients. Ton défaut, c'est que t'es beaucoup trop tête en l'air. Si tu te concentrais sur ce que tu fais au lieu de rêvasser, tu n'enchaînerais pas les maladresses.

Cet avis tranché a le mérite d'être clair. Bien que Natalie ne soit pas des plus chaleureuses dans sa manière de s'exprimer, je sens qu'aucune méchanceté ne guide ses propos. Elle parle comme ça, c'est tout. D'ailleurs, le temps qu'elle prend à me révéler tout ça a sûrement pour unique but de m'aider. Elle n'était pas obligée.

— Merci pour l'analyse. Je tâcherai d'en tenir compte !

Je m'apprête à redemander à qui je dois emmener les deux Pornstar Martini qui siègent sur mon plateau, lorsque Natalie me coupe l'herbe sous le pied.

— Black Jack !

Je tourne les talons, déterminée à aller droit au but sans rêvasser. Sauf qu'au bout de trois pas, je me rappelle qui est installé à ce jeu.

Dicey.

La mort dans l'âme, je me dirige vers le brun ténébreux en veillant à garder une posture élégante. Ayant l'habitude de marcher avec des talons, je n'ai aucune difficulté à y parvenir en me concentrant sur ma démarche et mon plateau. J'arrive sans encombre à son niveau et il tourne la tête dans ma direction, sans mot dire, tout en jouant distraitement avec son dé.

À côté de lui, un autre biker châtain clair aux iris si bleus que j'en marque un temps d'arrêt, m'avise. Une tache de naissance surplombe l'extrémité de son sourcil gauche. Si ce genre de détail aurait pu gâcher son joli minois, il n'en est rien. Je crois même que ça ajoute à son charme.

Il m'adresse un sourire chaleureux qui provoque mon étonnement.

— Vos Pornstar Martini, déclaré-je en m'emparant des verres par leur pied.

Je veille à ne rien renverser puis je les pose devant eux, sans pouvoir m'empêcher d'écouter d'une oreille les paroles du croupier. Je reste fascinée par le jeu une seconde de trop car le pote de Dicey me lance :

— Une partie, charmante demoiselle ?

Charmante demoiselle ? Ça change de « La Corvée »...

— Eiffel ! se présente-t-il en me tendant la main.

— Comme la tour ? demandé-je en la serrant.

— Exactement.

À son accent, je devine sans mal son origine. Pourtant, la suite de la conversation me laisse perplexe.

— C'est ton surnom parce que tu es français ?

Eiffel et Dicey s'échangent un regard. Le premier pouffe, tandis que le deuxième sourit. Pour lui, c'est l'équivalent d'un fou rire. Il vient sûrement d'atteindre son quota mensuel et s'apprête à redevenir sérieux. Il ne manquerait plus qu'il se fasse les abdos en abusant de la chose...

Quoique... si l'aperçu que j'ai eu de son tee-shirt se collant à son ventre tout à l'heure est juste, il n'a pas besoin d'insister sur l'exercice. Après tout, que serait un parfait connard sans un corps de rêve ?

Rien de plus qu'un lourdeau qui n'intéresse personne. Triste constat, mais il serait hypocrite de prétendre le contraire.

— C'est la version officielle, en tout cas, admet Eiffel hilare.

Mes joues s'empourprent quand je devine à quoi fait allusion la version officieuse. Peut-être que je me trompe, toujours est-il que je n'ai pas l'aplomb de m'enquérir sur le sujet.

— C'est toi la nouvelle serveuse ?

Tout en m'interrogeant, il vérifie ses cartes et jette un regard rapide sur le jeu.

— Si je passe la période d'essai.

Vu toutes les bourdes que j'ai accumulées, ce n'est pas gagné d'avance. Néanmoins, le discours de Natalie m'a paru encourageant, en dépit des faiblesses évidentes qu'elle a évoquées. J'espère qu'elle glissera un mot positif pour moi à Hawk. Ou en tout cas, qu'elle ne penchera pas en faveur de mon éviction.

Ce job de serveuse, c'est l'unique manière pour moi de m'approcher des Bloodlust Spectrum. Croupière, ce n'est pas la peine. En mécanique, je n'ai pas une seule notion. Agent de sécurité, laissez-moi rire.

À la limite, il me resterait bien l'option strip-teaseuse, mais je n'ai pas l'intention d'explorer ce métier. Je laisse ça aux nanas décomplexées qui feront ça bien mieux que moi. Je n'éprouve aucune haine envers mon corps. Enfin de là à l'exposer à une bande de mecs qui bavent et glissent des billets dans ma culotte, il y a une marge.

— Tu m'as l'air bien partie, m'encourage Eiffel.

Dicey souffle par les narines, ce qui me suffit à partir au quart de tour.

— Un problème, Darcy ?

Le concerné me foudroie du regard tandis que son pote en profite pour se réapproprier l'atmosphère de la partie en cours.

— Aucun, La Corvée !

— Je peux compter sur toi pour me recommander auprès de Hawk, dans ce cas ?

Mon propre culot m'étonne parfois. Il m'arrive, dans le feu de l'action, de me sentir pousser des ailes. Après coup, je me demande toujours comment j'ai pu faire preuve d'une telle témérité.

— On me compare souvent à Dieu mais je n'accorde pas de miracle à la première chaudasse qui supplie à genoux.

À force d'entendre ce mot, je commence à comprendre que la notion de chaudasse ou brebis, désigne les nanas qui tournent autour des bikers. Ma définition manque peut-être de précision, mais je ne doute pas qu'elle évoluera avec le temps.

Je m'apprête à le confronter sur ce mot, que je trouve carrément dégradant, lorsqu'une autre réplique me vient en tête.

— Amateur ! La dernière fois que j'ai réalisé un miracle à genoux, je n'étais pas en train de prier !

Dicey arque un sourcil, désarçonné, tandis qu'Eiffel ouvre grand la bouche puis explose de rire.

Puisque monsieur le connard semble déterminé à me prendre pour une allumeuse de premier choix, autant lui donner raison. Je n'ai aucun problème avec le fait de m'attirer une telle réputation. Après tout, la vie sexuelle d'une femme n'a pas à être blâmée plus que celle d'un mec. Lui doit bien tirer sur tout ce qui bouge sans que ça pose problème.

Visiblement, il ne s'attendait pas à une telle réponse puisqu'il reste bouche bée. Et pas parce qu'il économise sa salive, mais parce qu'il ne sait pas quoi dire.

Eiffel me pointe du doigt et me lance :

— Toi, je t'aime bien !

Un sourire étire mes lèvres sans que je puisse le contrôler. Un peu de sympathie dans ce monde de brutes n'est pas désagréable. Toutefois, je dois rester méfiante. Ne dit-on pas que les eaux les plus calmes sont les plus profondes ? Derrière son sourire charmeur, je ne doute pas qu'il a sa place chez les Bloodlust Spectrum. Autrement dit, il n'est pas moins dangereux que les autres.

Il le cache juste mieux.

— T'attache pas trop à elle, elle va pas faire long feu ! lui dit Dicey.

Il continue de manipuler son dé comme si la lumière divine allait en sortir.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? contré-je du tac-au-tac.

Dicey incline le visage dans ma direction. Ses prunelles noisette percutent les miennes avec une brutalité qui m'étourdit. Je m'accroche par réflexe à la table, tandis qu'il murmure :

— Derrière tes grands airs, je sais que tu es terrifiée d'être ici. Tu peux crier plus fort que les autres, tu ne l'effaceras pas.

— Quoi donc ?

Plus bas encore, il répond :

— La peur. Un prédateur te sentirait à des kilomètres à la ronde.

Un frisson me parcourt la colonne vertébrale. J'accueille le rire d'Eiffel comme un électrochoc et reprends possession de moi.

— Vous êtes mignons tous les deux, nous chambre-t-il.

Je me raidis, puis grimace.

— Je ne sais pas ce que vous entendez par « mignon » en français, mais ici, ça ne colle pas du tout.

Eiffel conserve son hilarité et ajoute insidieusement :

— Les plus belles histoires d'amour commencent toujours dans la haine.

Dicey se plonge dans ses cartes, tandis que je relève le menton en signe d'affront. Estimant la discussion close, je m'apprête à tourner les talons, quand il capture une ultime fois mon regard et renchérit :

— Les crimes passionnels aussi.

Une nuée de frissons s'envole sur ma peau. Même si ce type m'inspire une rage flamboyante, je dois reconnaître qu'il a raison. Au-delà de l'excitation et de l'enthousiasme à découvrir un monde inconnu qui m'inspirera mon prochain manuscrit, une émotion est belle et bien logée au creux de mon ventre depuis mon arrivée ici.

La peur.


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