CHAPITRE 48

DICEY


Un roman. Cette garce a écrit un roman sur mes frères et moi. Sur ma famille. Depuis le début, elle n'était qu'une infiltrée cherchant à glaner des informations sur nos faits et gestes. Notre rencontre n'a pas seulement été tumultueuse, elle a surtout été ponctuée de vigilance. J'étais convaincu que Veronica cachait quelque chose.

La Corvée. Tu parles d'un surnom qui l'a fait passer pour une petite chose fragile et maladroite, alors qu'elle se jouait de nous avec une aisance déconcertante.

— Allez, c'est terminé pour cette petite session poésie devant toute la classe. Je vais m'en griller une. Et quand je reviendrai, on s'amusera un peu tous les trois.

L'aigle se tourne vers son acolyte.

— Je te laisse cinq minutes.

L'autre acquiesce, tandis que mes pensées se referment sur moi. Peu à peu, j'ai laissé Veronica endormir ma méfiance. Je me suis rapproché d'elle, je l'ai découverte authentique et vulnérable. Tout cela n'était-il qu'un mensonge ? Même la meilleure comédienne du monde n'aurait pas pu simuler sa réaction en apprenant la mort de sa mère. Et la manière dont elle a pété les plombs sur sa tombe...

« Tu n'as aucune idée de tout ce que j'ai sacrifié pour que tu me voies, pour que tu sois fière de moi. J'ai menti, j'ai trahi. J'ai renoncé à mes propres valeurs... »

Les mots de Veronica me reviennent en tête et soudain, tout s'éclaire. C'était donc à cela qu'elle faisait référence. Pour briller aux yeux de cette femme qui n'en a jamais eu rien à faire d'elle, elle aura été jusqu'à nous planter un couteau dans le dos à tous. À Hawk qui lui a donné un travail. À Natalie et Tania qui l'ont accueillie au bar. À Eiffel qui a été un ami pour elle. À Delta et Hook qui lui ont toujours montré de la sympathie. Et à moi.

Moi qui l'ai détestée pour mieux la désirer. Moi qui l'ai serrée dans mes bras. Moi qui l'ai sentie nue contre mon corps. Moi qui l'ai entendue gémir mon nom. Moi qui l'ai écoutée m'exposer ses failles. Moi qui lui ai confié mon plus noir secret.

Qu'est-ce qui était vrai, qu'est-ce qui était faux ? Où se dessine la limite entre sincérité et manipulation ? Je ne pourrai plus jamais avoir confiance en elle. Quoi qu'elle me dise, quelles que soient les excuses qu'elle trouvera, je ne pourrai pas la croire.

Veronica a trahi les Bloodlust Spectrum. Si son putain de roman voit le jour, les conséquences pour nous seront apocalyptiques. Je suppose qu'elle a changé les noms et les lieux. Elle n'est pas conne. Mais tout le monde saura faire le rapprochement, c'est évident.

Putain, je vais la tuer !

Je relève les yeux vers elle. Recroquevillée contre le pilier, elle semble mortifiée. Aucune empathie ne m'anime. Elle pourrait souffrir le martyre que ça ne me ferait ni chaud ni froid. À la seconde où j'ai compris qu'elle n'était qu'une traîtresse, mon cœur s'est refermé. Figé dans une calotte glacière, il ne laissera plus jamais personne l'atteindre.

Quand Veronica réalise que je la regarde, elle murmure :

— Laisse-moi t'expliquer...

— Tu es morte à mes yeux ! craché-je.

Une grimace déforme ses traits et elle fond en sanglots. Une pointe s'enfonce au creux de mon ventre.

Bordel ! Je ne vais quand même pas culpabiliser, en plus du reste ?!

Alors que je m'apprête à en rajouter une couche, déterminé à lui faire du mal autant qu'à moi, des coups de feu retentissent au loin. Des cris ne tardent pas à suivre, ainsi qu'un vacarme impossible à ignorer.

L'aigle qui nous surveille raffermit sa prise autour de son gun tandis que je me redresse. Serait-il possible que mes frères et sœurs viennent à la rescousse ? Mais comment auraient-ils pu savoir où je suis, si rapidement ?

La porte en bois menant à la cave explose et une pluie de balles arrose le mec qui nous surveille. Celui-ci s'écrase dans une mare de sang, tandis qu'Eiffel et Delta accourent jusqu'à nous. Le français me libère de mes liens.

— Comment vous nous avez trouvés ?

Eiffel fronce les sourcils.

— Ton signal d'urgence s'est déclenché !

— Mon signal d'urg...

Ça me revient ! J'ai oublié de demander à Veronica de me le rendre, après notre opération vengeresse au Raptor Den. Je me remets debout et obtiens la confirmation de mes soupçons. La blonde, libre de ses mouvements, me lance le petit bouton. C'est bel et bien elle qui a réussi à appeler à l'aide.

Je la revois gigoter dans tous les sens et je pensais qu'elle s'efforçait pour rien. En fin de compte, sans son intervention, ma famille ne nous aurait pas retrouvés.

Pourtant, j'avais modifié le signal de détresse pour qu'il n'alerte que mon téléphone, ne voulant pas que les autres sachent que je partais en vendetta en solo. Veronica en était restée là. Si elle ne savait pas que Connor avait réinitialisé les paramètres de tous nos appareils, pourquoi se serait-elle donné du mal pour déclencher le signal ? Elle aurait dû croire que je serais le seul à obtenir l'alerte, ce qui n'aurait servi à rien.

Si elle l'a fait, c'est qu'elle le savait. Et si elle le savait, cela confirme une nouvelle fois qu'elle nous espionne. Cette information est confidentielle. Elle n'a été partagée qu'au cours d'un conseil de famille.

Je n'avais déjà plus de doute après la révélation du roman, mais ce détail supplémentaire enfonce le clou. J'ai si mal au bide que je voudrais me plier en deux pour ne pas me sentir aussi mal. Or je n'en ferai rien. Pas question de lui montrer qu'elle m'atteint.

Première urgence : se tirer d'ici. Ensuite, je réfléchirai pour décider ce que je fais d'elle. Cette histoire de roman ne peut pas rester en l'état, il faut intervenir.

Je n'ai pas le temps de réfléchir davantage que l'ennemi débarque dans la cave.

— À COUVERT ! s'écrie Delta.

Je plonge sur le côté pour trouver refuge derrière un pilier. Mon cœur s'emballe quand je me demande si Veronica a pu se protéger. Je ne devrais pas penser à sa sécurité, mais l'urgence fait émerger cette émotion malgré tout. Je me maudis d'être aussi faible. Un coup d'œil à ma gauche m'indique qu'Eiffel l'a mise à l'abri.

J'ignore le soulagement que je ressens. Delta me colle un flingue dans les mains et je le remercie d'un signe de tête. Les échanges de balle retentissent et ce petit manège dure un long moment. C'est finalement l'intervention de Libertine qui prend les ennemis à revers qui nous permet de sortir de la cave.

— Bougez-vous !

Au rez-de-chaussée, nous débarquons dans un véritable capharnaüm. Je peine à identifier ce qui devait être une cuisine avant que la lutte fasse rage. Nous progressons pièce par pièce et je tâche d'ignorer Veronica. Je ne veux pas savoir où elle se trouve, ni même si elle est en proie au danger. Je veux la haïr de toutes mes forces. Je dois me concentrer sur cette seule sensation et ignorer tout le reste.

Je n'ai pas le droit de ressentir de l'inquiétude pour elle. Pas après ce que je viens de découvrir, ou cela ferait de moi le roi des cons.

— Le prés' est avec Hook et Scar au niveau supérieur, me glisse Delta. L'ennemi est en surnombre, il faut se barrer au plus vite.

Pour assurer notre libération, je suppose que mes frères et sœurs se sont dispersés dans la maison. Il s'agit maintenant de tous se rallier pour fuir cet endroit avant d'essuyer des pertes. Si l'effet de surprise a permis aux miens de bénéficier d'un avantage solide, celui-ci reste éphémère.

— RENFORTS !

Cette voix...

— Hawk a besoin d'aide !! m'écrié-je.

Eiffel et moi échangeons un simple regard. Nous nous comprenons. Nous nous élançons dans les escaliers les plus proches pour gagner l'étage. Nous avançons prudemment en vérifiant que la zone soit dégagée. Des coups de feu semblent provenir d'un peu plus loin.

— Cet baraque est immense, murmuré-je.

Eiffel confirme d'un hochement de tête. Nous passons ce qui semble être des bureaux, un laboratoire étrange et des piaules. À un moment donné, je réalise que Veronica et Delta ne sont plus dans les parages. Ils n'ont pas dû nous suivre jusqu'ici.

Chaque problème en son temps. D'un signe de la main, j'indique à mon binôme que je m'engage sur la salle de droite. D'un coup de pied, j'arrache la porte de ses gonds, me tenant sur le qui-vive. Dans une salle de bain des plus vétustes, un des aigles m'attendait, gun en main. Je plonge aussitôt vers le sol, esquivant de justesse ses tirs et l'entraînant dans ma chute. Ma propre arme m'échappe dans l'affrontement.

Les coups de poings, de coudes et de genoux s'enchaînent. Le type essaie de m'enfoncer ses doigts dans les yeux, ce qui me fait grogner de douleur. Eiffel se mêle à la bataille mais se fait rattraper par un autre biker. La lutte finit dans un véritable pugilat. Je ne sais plus qui je frappe.

Allié ? Ennemi ? Tout se passe trop rapidement pour que je puisse identifier.

Lorsque le dos de ma cible heurte la baignoire jaunie, elle marque un temps d'arrêt qui me fait prendre l'avantage. Je lui attrape le crâne et le martèle trois fois contre le carrelage marmoréen qui se découvre une teinte écarlate.

Je me redresse pour aider Eiffel à neutraliser son assaillant, tandis que les coups de feu reprennent de plus belle dans la pièce d'à côté. Le prés' doit s'y trouver !

Putain ! S'il arrive quoi que ce soit à ma famille alors qu'ils se sont mis en danger pour me libérer, je ne me le pardonnerai pas.

— Tout ça c'est ma faute, grincé-je entre mes dents.

Eiffel pose la main sur mon épaule.

— Si j'avais pas joué au gros bras pour niquer l'assassin d'Arès, on n'en serait pas là.

— Les aigles sont nos ennemis, Dicey ! Si ça n'avait pas été ce prétexte, ça en aurait été un autre. Maintenant magne-toi, les autres ont besoin de nous !

Nous retournons prudemment dans le couloir jusqu'à rejoindre Hawk, Hook et Scar, barricadés derrière une table à manger couchée sur le flanc. Nous nous glissons jusqu'à eux et ils nous font un topo de la situation.

— J'espérais profiter de cette petite visite pour choper des infos sensibles, me confie le prés'. Il faut laisser tomber, ils sont trop nombreux ! Vaut mieux se barrer avant qu'on soit complètement cernés. Tout le monde est prêt à décaler ?

— Il va falloir bourrer dans le tas, intervient Scar. Si on ne fait pas de la place, ils ne nous laisseront pas partir !

— Une idée ?

Alors que je me creuse moi-même l'esprit, je glisse la main dans ma poche et mon cœur s'arrête.

Mon dé a disparu.

Quand je réalise que je n'ai sûrement aucune chance de le retrouver dans le foutoir de cette immense maison, la colère s'embrase dans mes veines.

— Putain ! Je vais tous me les faire !


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