CHAPITRE 37
VERONICA
Dicey écarte l'une de mes mèches de cheveux de mon visage et la glisse derrière mon oreille.
— Ça n'a pas été trop dur, d'assister à ça ?
Ça. Ce simple mot qui désigne l'horreur s'étant produite dans la ruelle. Inutile de le préciser, je l'ai compris de suite. Mes tripes se tordent. Je n'ai pas la force d'y penser. Alors je colle mon index sur la bouche de Dicey.
— Je n'ai pas envie de parler.
Ses yeux s'écarquillent.
— Toi, Veronica Fox, tu n'as pas envie de parler ?
Ses lèvres remuant contre la pulpe de mon doigt m'envoient une décharge d'électricité statique dans tout le corps.
— De quoi as-tu envie, alors ?
Un sourire me fend les lèvres.
— De te montrer pourquoi on m'appelle Miss Chupa Chups dans le milieu.
L'ambiance bascule lorsque je tire sur le tee-shirt de Dicey pour le faire passer par-dessus sa tête. Je presse ensuite les paumes contre ses pectoraux pour le pousser, le mouvement de recul l'entraînant trois pas en arrière. Ses mollets percutent le cadre de lit et le biker s'étale sur le matelas. Je lui grimpe dessus, plaquant mes genoux contre ses hanches et je fonds sur sa bouche. Mes cheveux tombent en rideau autour de sa tête, nous enfermant dans une bulle où le temps et le plaisir n'appartiennent qu'à nous.
Mes baisers dérivent au coin de ses lèvres, le long de sa mâchoire, puis dans son cou. Cette zone particulièrement sensible chez lui me pousse à prolonger ma douce torture, au rythme de son souffle saccadé. Savoir que je suis responsable de ce bien-être qui s'infiltre en lui me grise. J'oublie tout : la violence, le sang, la mort.
Il n'y a plus que mon corps et celui de Dicey. Ma bouche sillonne le long de ses clavicules, suivant ensuite la ligne de ses pectoraux pour se perdre sur ses tétons durcis. J'en mordille le bout, lui arrachant un grognement qui me fait sourire. Il m'attrape le menton pour m'obliger à m'ancrer à ses iris et gronde :
— Ça t'amuse ?
Tout en soutenant son regard ténébreux, je réponds :
— Beaucoup !
Mes incisives se referment à nouveau sur sa chair, ajoutant un râle supplémentaire à mon palmarès. J'insiste longuement, puis je délaisse le haut de son torse pour rejoindre son nombril. La fine ligne de poils qui s'étendent dessous me guide jusqu'à son jean. Je le déboutonne tandis qu'il soulève son bassin pour me permettre de le retirer.
Son boxer blanc présente une bosse qui me remplit d'une fierté non dissimulée. J'aime l'effet que je lui fais. Je le mordille à travers le tissu, jouant avec sa patience et ses nerfs, jusqu'à ce qu'il implose. À bout, il tire lui-même sur l'élastique pour se débarrasser du sous-vêtement, libérant sa verge tendue.
Je l'empoigne et lèche le bout de son gland avec gourmandise. Ses cordes vocales éraillées laissent tomber les râles pour passer aux gémissements. D'abord timide, Dicey finit par se laisser aller lorsque je l'enfonce dans ma gorge. Mes lèvres coulissent sur son membre avec ardeur, déversant à travers ce geste, toutes les émotions qui grondent en moi.
À défaut de les comprendre et de les accepter, je les canalise pour éviter qu'elles me noient et les transforme en désir frénétique. Dicey gesticule contre moi et j'appuie sur son bas-ventre pour l'obliger à rester en place, tandis que j'accélère la cadence.
Au moment où je devine qu'il s'apprête à jouir, je m'arrête net. Il m'observe, désarçonné, le regard luisant de désir.
Malicieuse, je susurre :
— Si tu voulais la totale, il fallait la jouer au dé.
Sa mâchoire se décroche.
— Tu vas me le payer !
Mon cœur bat si fort qu'il va exploser. Depuis quand le sexe est-il aussi intense ? D'habitude, je ressens de la jouissance. Là, j'ai l'impression qu'une forme de plaisir insoupçonné irradie dans la moindre de mes cellules, levant le voile sur un monde qui m'est encore inconnu. Un monde immaculé, vierge, peut-être hostile... que seul Dicey peut me faire visiter. La simple idée de le découvrir avec lui me subjugue.
Après m'avoir déshabillée avec une lenteur douloureuse, tout en découvrant chaque recoin de ma peau de ses lèvres, Dicey fouille dans sa table de chevet pour récupérer un préservatif. D'un geste habile, il m'incite à me placer à quatre pattes pour m'offrir à lui. Ses doigts s'enroulent autour de ma chevelure tandis qu'il s'enfonce en moi avec une facilité appelant l'évidence. Je le sens si profondément qu'il pourrait aussi bien s'être logé dans mon ventre.
Le biker sort d'un seul coup puis s'enfonce jusqu'à la garde, me tirant un cri que je n'ai pas réussi à étouffer. Il me tire les cheveux, m'obligeant à garder la tête en arrière puis me pilonne sans ménagement. Sa peau claque contre la mienne tandis que tous les maux que je garde au fond de moi se mêlent et s'expulsent à travers mes cordes vocales. Jamais personne ne m'a fait crier comme je crie sous les coups de reins de Dicey.
Une impulsion plus prononcée sur mon cuir cheveu m'incite à redresser le dos. Dicey passe son autre bras autour de moi, pressant mes seins contre son avant-bras. Ses doigts lâchent mes cheveux pour glisser entre mes lèvres. Je les suce avidement tandis qu'il me maintient aussi droite que possible pour me percuter brutalement.
Mon plaisir est étouffé par l'intervention de ses doigts. Mes jambes fébriles tremblent tellement que si Dicey ne me tenait pas, je m'effondrerais. Mon cerveau déconnecte, mon prénom m'échappe, mes problèmes aussi. L'orgasme s'écoule lentement dans mes veines jusqu'à étendre son réseau dans l'intégralité de mon corps.
— Tu me rends fou, murmure Dicey alors que je perds pied.
Incapable de me rappeler comment on fait pour parler, je le laisse me traîner jusqu'aux portes du paradis où notre plaisir atteint son paroxysme dans une simultanéité parfaite. Épuisés, nous retombons sur le lit, nus et essoufflés.
Dicey me presse contre son torse. L'étreinte de ses bras solides me maintient dans la bulle de bien-être qu'il m'a offerte, me permettant de profiter d'encore un peu de répit avant de revenir brutalement à la réalité du traumatisme qui me guette.
Sans même m'en rendre compte, je trace des cercles dans la paume de la main de Dicey. Le mouvement m'hypnotise. Un long silence prend place avant que le biker me demande :
— Pourquoi tu n'as pas déclenché le signal avec le bouton d'alerte ?
Je me raidis. Cette question me renvoie brutalement vers le souvenir que je tente d'effacer de ma mémoire. Je suis consciente que cela ne sera jamais possible sans l'affronter et l'accepter au préalable. Pourtant, le réflexe de fuir la difficulté est irrépressible.
— Je... je ne sais pas trop...
En fouillant dans mes souvenirs, je me retrouve perdue au cœur d'un imbroglio difficile à démêler.
— Tout s'est passé si vite... je crois que dans la panique, je n'y ai plus pensé. Ou je ne le trouvais plus... mon corps était comme... tétanisé.
Je passe ma langue sur mes lèvres sèches.
— Et puis... j'ai cru que tu ne viendrais pas. Que tout ça n'était peut-être qu'un plan pour me donner une leçon.
Et quelle effroyable leçon. À l'exprimer à voix haute, en connaissant la tournure des événements, cela me paraît ridicule. D'autant que j'ai dû faire des pieds et des mains pour que Dicey accepte mon aide. Dans la panique, mes pensées n'avaient plus rien de rationnelles.
— Tu penses vraiment que j'aurais pu te laisser en pâture à ces ordures d'aigles ?
Sa voix s'est faite plus rauque que d'habitude. Serait-ce un marqueur de surprise ou de déception ? Les deux, peut-être...
Bien contente d'être dos à lui afin de ne pas avoir à affronter l'orage que j'imagine dans ses yeux, je réponds :
— Tu n'es pas facile à cerner, tu sais. À force de passer du temps ensemble, j'ai l'impression de mieux te connaître. Mais la vérité, c'est que tu restes encore une énigme pour moi.
Il ne dit rien. La pression de ses bras contre ma peau ne faiblit pas. Au moment où je m'apprête à reprendre, il me demande :
— Parle-moi de toi !
— Que veux-tu savoir ?
— Tu as évoqué ta relation étrange avec tes parents, l'autre fois. Raconte-moi un truc à ce sujet. Une anecdote, un moment qui m'aiderait à comprendre ce que tu as vécu quand t'étais gamine.
Ma mémoire opère un demi-tour brutal pour repartir dans les méandres de mon enfance. Ces souvenirs ne sont pas des plus heureux et au fond, je ne sais même pas ce que je pourrais raconter d'intéressant. Tout n'était qu'indifférence.
— Il n'y a pas eu d'événements marquants, expliqué-je. Ça a plutôt été une succession de choses. Mon père n'avait le temps de rien et ma mère n'avait pas envie de sacrifier le sien. Pour les réunions parents-profs, par exemple, je devais toujours dire qu'ils travaillaient loin et ne pouvaient pas venir. J'ai fini par être cataloguée comme la fille aux parents absents, qui grandit seule élevée par une gouvernante.
— Tu as eu une gouvernante ?
— Pas du tout. Il n'y avait que mes parents et moi. Les gens s'imaginaient qu'ils bossaient en Alaska ou au Japon, juste parce que je les décrivais comme absents. Il n'en faut pas plus pour qu'une rumeur se lance au collège. En vérité, ils étaient à dix minutes à pied, l'un dans les bureaux de son cabinet d'avocat, l'autre tranquillement à la maison.
— Tu ne m'as pas dit que ta mère travaillait ?
— Si, dans le digital. Elle n'a pas de bureau, ni d'horaires.
— Donc elle aurait pu assister à ces réunions.
— Bien sûr ! Je finissais par avoir honte de cette vie que tout le monde m'a inventée, alors qu'à tout moment, l'un d'eux pouvait croiser mes parents au supermarché ou dans la rue. Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Le jour où il a fallu remonter nos arbres généalogiques pour un cours d'histoire, j'ai dû me débrouiller seule et inventer des noms pour ne pas avouer que je ne sais rien de ma famille. Ma mère refusait de m'en parler, mon père n'avait pas le temps.
Un rire nerveux me secoue. Mon existence est ridicule. Tellement de gens affrontent de véritables problèmes alors que moi, je n'ai jamais été gravement malade, ou battue, ou maltraitée. On se contentait de m'ignorer. J'étais à la fois là et pas vraiment. J'ai pris l'habitude de me considérer comme invisible. Ce n'est qu'au lycée que j'ai commencé à m'affirmer, à faire du bruit pour montrer que j'étais là, sans tomber dans les pires conneries pour autant.
À cette confidence, Dicey me dit, visiblement amusé :
— Je t'imagine bien dans ta période rebelle.
— Rebelle est un grand mot. J'étais une élève moyenne, ni bonne, ni mauvaise. Mes résultats suffisaient à m'ouvrir les portes que je voulais. Disons que j'ai essayé tout un tas de choses pour attirer l'attention de ma mère mais rien n'a jamais suffi.
— Et maintenant ?
— Maintenant quoi ?
— Tu cherches toujours à attirer son attention ?
Un temps de réflexion m'est nécessaire. Une partie de moi a envie de clamer que non. Et pourtant, ce n'est pas l'entière vérité. Je suis vexée et blessée de voir qu'elle ignore mes appels depuis des mois. Même si nos conversations n'ont jamais été agréables, au moins avant elle me répondait. Je suis passée du stade de la progéniture non considérée à la pestiférée. J'ai été éjectée de ma famille comme si je n'avais jamais existé et j'ai du mal à l'encaisser.
— Sûrement. Il y a bien un jour où je m'en moquerai, non ?
— Si tu attends un signe, il ne viendra pas. C'est à toi de lui dire d'aller se faire foutre.
J'essaie de m'imaginer un instant prononcer ces mots à ma mère. Une sueur froide me passe. Je n'en aurai jamais le courage.
— Pas forcément comme ça, précise Dicey. Arrête juste de penser à elle. Vis ta vie pour toi, fais ce qui te plaît et oublie le regard des autres. Oublie son regard à elle.
— C'est ce que tu as appris en devenant un spectre ?
— On peut dire ça. Disons que j'ai découvert le vrai sens du mot « liberté ».
La sensation du vent sur ma peau, à l'arrière de la moto de Dicey me revient en tête. J'imagine toutefois qu'il ne parle pas uniquement de liberté au sens physique et que cela inclut la dimension psychologique.
— Je ne sais rien de ta vie, murmuré-je à mon tour. Ni ton prénom, ni d'où tu viens, ni ce qui t'est arrivé. J'aimerais... j'aimerais savoir pourquoi le chiffre tatoué sur ta paupière est un neuf.
Mon estomac se retourne. Ça y est, le pavé est jeté dans la mare. Les chances que Dicey s'ouvre enfin à moi son pratiquement inexistantes. Comme moi aux yeux de ma mère.
Foutue voix dans ma tête.
— Tu n'es pas une brebis, souffle Dicey dans mon cou. Tu n'es pas un plan cul. Tu n'es pas n'importe quelle fille.
Je m'attendais à ce que l'énumération se poursuive, mais elle s'arrête. Serait-ce sa manière... de me dire qu'il tient à moi ?
— Je t'interdis de penser que je t'aurais abandonnée au danger. Tu m'entends ? Je ne laisserai jamais rien t'arriver, Veronica. Tu es sous ma protection maintenant.
Une bourrasque de chaleur envahit ma poitrine et converge vers mon cœur. Sous les pulsations de ce dernier, je ferme les yeux pour accueillir l'émotion. Le biker ténébreux qui m'appelait encore « La Corvée » il n'y a pas si longtemps a fini par puiser en lui le courage d'aller au-delà de ce qu'il déteste : parler et se confier. Pour moi. Pour admettre ce que je représente à ses yeux.
Et c'est réciproque... tellement réciproque. Lorsque j'ai dû parler à la police après la fusillade, instinctivement je n'ai cherché qu'à couvrir les spectres. Ils n'étaient pas en tort mais je sais que ces bikers ne sont pas des saints. Sans même y réfléchir, chacune de mes réponses se formulait de façon à ne pas leur causer de problèmes.
Quand j'ai insisté pour aider Dicey à se venger, c'était essentiellement pour surmonter ma peur. Mais pas que. Une partie de moi voulait se frotter à tous les aspects de sa vie, même les plus sombres. J'avais besoin de découvrir toutes les facettes de cet homme pour savoir si j'étais prête à accepter sa soif de sang.
Mon esprit m'a crié de fuir quand j'ai vu Dicey tirer sur Ralf. Une balle, puis une deuxième. Des cris, du sang. Mon instinct hurlait à mes jambes de s'actionner pour courir le plus loin possible. Pourtant, mon cœur n'a pas flanché. Il a placé sa foi en celui qui s'est interposé entre les balles et moi pendant la fusillade puis qui est intervenu pour empêcher le Desert Eagle de me violer.
Dicey évolue parmi les ténèbres, or celles-ci m'effraient moins que la lumière. L'évidence m'est alors apparue : oui, je suis prête à accepter la part d'ombre de celui qui a bouleversé mon existence ces derniers mois. Tour à tour, il m'a insufflé colère et curiosité pour prendre une place inaliénable dans ma vie. S'il disparaissait maintenant, il laisserait derrière lui un vide que rien ni personne ne pourrait combler.
Je ne sais pas si j'aurai la force de voir de mes propres yeux une nouvelle scène de violence ou de règlement de compte. Mais je pense être en mesure d'accepter que cette pièce fasse partie intégrante du puzzle qu'est Dicey. Il suffirait qu'il me tienne à l'écart des opérations du club. De toute manière, c'est sûrement ce qu'il ferait, que je sois d'accord ou non.
— S'il te plaît, ne brise jamais cette promesse...
En guise de réponse, Dicey raffermit son étreinte. Cela me suffit. Le silence reprend ses droits un si long moment que mes paupières finissent par s'alourdir. Mes cils papillonnent et je plonge dans un demi-sommeil. Je ne sais pas combien de temps mon esprit s'évade.
La voix de Dicey finit par me ramener à la réalité. Elle n'est qu'un chuchotement, comme s'il ne voulait pas vraiment que je l'entende.
— Si tu veux savoir pourquoi mon tatouage indique neuf, tu dois d'abord comprendre pourquoi le dé... pourquoi le quatre.
Ces mots résonnent dans ma tête, achevant de dissiper la brume qui y règne.
— Ma mère, mon père et mon frère sont morts le dix-neuf avril deux mille un.
— Ils... ils ont eu un accident ?
— Je les ai tués.
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