CHAPITRE 19


VERONICA

Me balader en bikini dans les locaux du MC ne m'aurait jamais traversé l'esprit, jusqu'à cette histoire de soirée à thème. « Retour de plage ». Qui a eu cette idée saugrenue ?

J'ai mis deux heures à trouver un maillot de bain qui ne me fait pas ressembler à une patate. C'est fou comme certaines coupes ne mettent pas la silhouette en valeur. Soit le bas est trop court, soit le tissu est trop épais, soit trop fin, soit la coupe est trop échancrée, soit les ficelles ne sont pas solides. Sans parler du haut : soit ça fait déborder les seins, soit ils sont paumés dedans, soit la matière démange.

Trouver un bikini confortable et joli, c'est un véritable parcours du combattant. J'ai fini par mettre la main sur la perle rare : un ensemble rouge coquelicot uni qui ne me donne pas l'impression d'être une strip-teaseuse en talons aiguilles et maillot de bain de gamine. Un liseré subtilement plus foncé et très élégant renforce la partie sous mes seins. Au moins, là, aucune chance qu'ils se barrent à la moindre seconde d'inattention.

Quand j'entre dans la réserve, je retrouve Hawk qui marque un temps d'arrêt en voyant ma dégaine. Il se ressaisit rapidement et ne fait aucun commentaire. Tu m'étonnes, je remarque Missandei juste derrière lui, accroupie entre deux caisses de bières brunes.

— Prête pour la soirée ? me demande le président.

— Et comment ! C'est un peu bizarre de me balader dans cette tenue, mais j'imagine que je vais m'y faire.

Maintenant que j'y prête attention, lui-même est en short de bain. Le genre un peu moche qu'on trouve à trois dollars chez Primark et qui tombe sous les genoux. Pour son âge, il est plutôt en forme, il faut le reconnaître. Je découvre d'ailleurs que son bras n'est pas le seul à être tatoué : une partie de son torse l'est aussi.

— Tu n'es pas obligée de rester en talons, me suggère-t-il. La plupart des gens seront en tongs. Tu sais, thème sur la plage... D'habitude, j'exige une tenue professionnelle, mais là, on s'en fout.

Des tongs. Des tongs... Je retiens le rictus sarcastique qui menace de me déformer le visage à vie. J'ai une tête à porter des tongs ?

— Merci, je vais rester en talons, réponds-je simplement.

— Comme tu le sens !

Hawk se retourne et me désigne plusieurs caisses.

— On est en train de finir l'inventaire ! Laisse-moi te montrer deux ou trois trucs, si jamais tu es à sec au cours de la soirée.

Il me file plusieurs conseils et m'indique où venir chercher du matos en rab lorsque les quantités manqueront au bar.

— Normalement, on a tout rechargé à bloc. Mais on n'est jamais à l'abri d'une surprise. Cette soirée attire toujours la foule !

— C'est noté !

— De toute façon, tu auras Sandy et Ed' à tes côtés.

Sandy et Ed' sont les barmans attitrés de la Golden Fever. Je les ai croisés une ou deux fois dans un couloir, depuis mon arrivée. Ils ont l'air plutôt sympas.

— Certaines tables VIP nécessitent un service en salle ! Tu ne t'en occuperas pas. J'ai discuté avec Sandy et Ed', ils te laisseront derrière le bar toute la soirée et eux seront volants. Ça marche ?

— Ça marche !

Une fois les explications achevées, je vais prendre mes marques à mon poste. Le matériel ressemble sensiblement à celui du casino, bien qu'il soit plus abîmé ici. Cela ne m'étonne pas : le standing d'une boîte de nuit et d'un casino ne sont pas les mêmes.

Il ne me reste plus qu'à attendre les premiers clients. Je suis à la fois stressée et excitée, ce qui me permet de ne pas ressentir l'effet de la fatigue. Et puis, j'ai déjà bossé plusieurs nuits au casino, je commence à me faire au rythme irrégulier.

Les idées pour mon roman ne manquent pas. Mon plan avance bien et j'ai régulièrement des petits ajouts pour creuser certains axes plus en profondeur. Je ne devrais plus tarder à commencer la rédaction et si de nouveaux éléments se présentent à moi, je complèterai à la fin. Il est temps que mon objectif devienne concret. Je ne suis pas ici pour jouer à la parfaite serveuse mais pour trouver l'inspiration du prochain best-seller.

Si seulement mes pensées n'étaient pas aussi polluées par Dicey. Ce mec n'a aucune limite et aucun respect de la vie privée. Pénétrer dans mon appartement pour fouiller... qu'est-ce qui m'a pris de lui dire oui ? Il m'a tellement surprise sur le palier que je n'ai pas trouvé de meilleure stratégie que la transparence pour éteindre les braises de ses soupçons.

En effet, rien chez moi ne lui a permis de comprendre quoi que ce soit sur mes véritables intentions et je le savais. Malgré tout, je n'apprécie pas la manière dont il s'immisce dans ma vie tel un serpent venimeux. Il m'arrive parfois de ressentir la douleur de sa morsure, son poison dans mes veines. Les effluves d'une fièvre dont je n'arrive pas à déterminer la tangibilité. Est-ce mon imagination qui me joue des tours ?

La tension sexuelle entre nous est amplifiée par cette profonde détestation que nous nous vouons mutuellement. Je ne sais pas où cela va me mener, mais je sais déjà que je suis en train de perdre le contrôle. Je l'ai mis en garde de ne pas jouer avec le feu, au risque de se brûler les ailes. Jusqu'ici, j'ai l'impression d'être la seule à me prendre pour une saltimbanque, sans avoir la moindre idée de ce que je fais.

Me rapprocher de lui pourrait me permettre d'obtenir des infos croustillantes pour mon manuscrit. Et en même temps... s'il me perçait à jour, je ne donne pas cher de ma peau. Les spectres ne sont pas des tendres. Ils ne se contenteraient pas de me mettre à la porte. Je finirais avec une balle entre les yeux, noyée au fond du bayou.

Ma gorge se serre. Le piège se referme autour de moi et je ne peux rien faire. Comme une proie engluée dans la toile d'une araignée particulièrement affamée, je n'ai d'autre option que de continuer sur ma lancée en priant le Ciel pour qu'il me préserve.

Les premiers clients arrivent, m'offrant un peu de distraction. Je sers quelques bières et cocktails, personne ne reste au bar. La piste de danse est encore dégagée, permettant aux privilégiés de se déhancher sur la piste sans craindre la bousculade. La musique donne à fond et je finis par me laisser aller au rythme de Don't Stop the Music, de Rihanna.

— T'as changé d'avis sur les extras, La Corvée ?

Mon corps se fige. Cette voix rauque... je la reconnaîtrais entre mille, même sans l'horrible surnom qui a ponctué la fin de sa phrase.

En me retournant, je découvre Dicey, installé sur un tabouret haut. Ma mâchoire se décroche une seconde quand je découvre le haut de son torse nu qui dépasse du bar. Les lignes de ses épaules, biceps et triceps se découpent outrageusement. En prime, j'ai le plaisir de découvrir ses pectoraux taillés dans la roche volcanique et la naissance de ses abdominaux saillants. Il est mince et sec, un vrai physique de criminel comme n'importe qui le fantasmerait. Pas un poil ne recouvre cette merveille imberbe qui devrait me laisser parfaitement indifférente, mais qui réveille mes pulsions animales.

Seul détail qui dénote parmi le reste : il n'a retiré aucun des nombreux bracelets qui habillent ses poignets.

Je me reprends rapidement, redresse le dos et rétorque :

— Ça y est, une nana bouge son bassin deux secondes et c'est assimilé à un strip-tease ? Il ne t'en faut pas beaucoup. T'as tes chaleurs, Darcy ?

— Peut-être bien ! Sers-moi une tequila, ça calmera mes ardeurs.

Je me plante devant lui, lui adressant mon sourire le plus caustique, tout en demandant d'une voix mielleuse :

— Avec joie ! Tu prendras un ou deux crachats, avec ?

Dicey jette un regard suspicieux autour de lui puis se penche vers l'avant. Il me fait signe d'approcher, comme pour m'adresser une confidence. Perplexe, je me prête au jeu et tend le visage dans sa direction. Il colle ses deux mains de part et d'autre de mon oreille pour protéger le secret qu'il s'apprête à révéler, puis murmure :

— Dans ma tequila, un. Sur mon gland, deux.

Son souffle chaud se répercute sur mon lobe et j'accuse un frisson qui ne lui échappe pas. Mon cœur palpite un peu trop bas dans mon corps et je serre les cuisses pour endiguer cette délicieuse – et honteuse – sensation.

Dicey reprend sa position initiale sur le tabouret, un sourire carnassier aux lèvres. Je crois que je préférais quand il faisait la gueule.

— Sors ton dé ! ordonné-je.

— Pourquoi ?

— Pour savoir si je peux t'en coller une !

Dicey ne se laisse pas démonter. Il s'exécute, récupérant le petit objet dans sa poche. Je remarque que la surface est abîmée à plusieurs endroits, sûrement en traînant avec d'autres objets comme des clefs. Certains chiffres sont partiellement effacés mais toujours lisibles.

— Tu connais les règles ? me demande-t-il.

Je crois en avoir compris une partie, en tout cas.

— Si c'est quatre, c'est oui, énoncé-je.

— Exactement !

— Pourquoi ce chiffre ?

Dicey me fixe d'un air impassible, sans me répondre. Évidemment, j'aurais dû me douter qu'il ne révélerait pas ce grand mystère sur une simple demande. Surtout venant de ma part.

— On peut aussi pimenter le jeu, me propose-t-il.

— C'est à dire ?

— Si tu fais trois, je te mets des doigts.

Un vertige me saisit. Dicey a prononcé ses mots avec neutralité, comme il le fait toujours. Pourtant, son timbre de voix suave fait sauter mes barrières les unes après les autres. Un désir fulgurant brûle au creux de mes reins et je parviens de plus en plus difficilement à l'endiguer.

— Ma main sur ta joue ou la tienne entre mes jambes, résumé-je. Tentant...

— Prends ton temps pour réfléchir, même si entre nous, on ne peut pas tricher avec un dé. Tu auras beau prier le Ciel pour qu'il annonce trois, rien n'est garanti.

Quel culot ! Il est si sûr de lui... de son aura émane une confiance en lui surnaturelle. J'ai vu plusieurs garçons mignons rentrer dans la boîte. Certains qui auraient sûrement pu me séduire, il y a encore quelques semaines. Or là, je n'ai d'yeux que pour Dicey. Celui-là même que je m'évertue à haïr de toutes mes forces, parce qu'il est désagréable, prétentieux, arrogant, froid et cynique. Alors pourquoi est-il aussi séduisant, magnétique, ténébreux, hypnotique et délicieusement dangereux ?

Je perds la tête. Je devrais ignorer ce mec et partir loin de lui, là où les ténèbres qui l'habitent ne pourront pas me corrompre. Seulement, mon corps tout entier le réclame, hurlant à qui veut l'entendre que la corruption n'est pas si mal, après tout...

— S'il annonce quatre, rétorqué-je, ce sera le plus beau jour de ma vie.

Je prends une inspiration puis tends ma paume vers Dicey. Celui-ci secoue le dé dans sa main avant de le laisser tomber dans la mienne. La chute du cube se déroule au ralenti pour mon esprit tourmenté qui ne sait plus ce qu'il doit craindre ni espérer.

Trois.

Oh Seigneur !

Le regard noisette de Dicey trouve le mien. L'étonnement y règne en maître. Puis il reprend un masque impassible et lâche :

— Relax, La Corvée ! C'était juste pour plaisanter. Mes doigts sont bien en évidence sur le bar.

Il joint ses deux mains comme pour prouver sa bonne foi. Ou pour me narguer et me priver de ce qu'il m'avait promis.

J'aimerais ressentir du soulagement face à son retour en arrière. Tout ce qui brûle dans mes veines, c'est une rancœur sourde. Le poison de la trahison, de la promesse non tenue me fait monter le sang à la tête. Il bat dans mes tempes. Je me sens vaciller un instant, me raccrochant au bar.

Il me faut un verre. D'urgence !

Me rappelant pourquoi je me trouve ici, j'attrape la bouteille de tequila pour servir un verre à Dicey, qui m'observe avec une attention redoublée. Je sers ensuite quatre petits shooters à la suite. Puis, sans réfléchir, je les enquille les uns après les autres, me repaissant de la brûlure qui s'étend de ma gorge à mon œsophage.

L'espace d'une seconde, je lâche prise sur toutes mes émotions et c'est tout ce qu'il me fallait pour reprendre pied.

— Quelle descente, La Corvée ! Pour info, de ton côté du bar, t'es censée servir les clients, pas vider les bouteilles.

— Estime-toi heureux que j'aie versé la tequila dans ton verre et pas sur ta tête de prétentieux qui pense tout savoir mieux que tout le monde !

Dicey me sourit. Sans cynisme, sans ironie. Avec une simplicité qui me heurte.

— T'es belle quand tu t'énerves !

Ses mots me criblent le corps comme autant de balles tirées d'une mitraillette. Pourquoi ce garçon possède-t-il autant d'ascendant sur moi ? Pourquoi mon corps a-t-il décidé de ressentir cette folle attraction envers le sien ? Bon sang ! Je ne contrôle rien. J'aimerais tant pouvoir appuyer sur un bouton qui me permettrait de couper court à tout ça.

Rien que pour ne plus éprouver la houle d'émotions contradictoires qui me submerge en présence de ce biker. Rien que pour lui prouver qu'il a tort et qu'il n'a aucun contrôle sur moi. Que je suis hermétique à son charme.

Mais c'est un mensonge. Éhonté, qui plus est.

Ne trouvant rien d'intelligent à répondre, je me tais. La chance me sourit un peu lorsqu'un groupe de jeunes débarque au comptoir pour une grosse commande. Cela me donne suffisamment d'occupation pour me distraire, bien que je n'arrive pas à oublier la présence de Dicey. Pour cela, encore faudrait-il qu'il arrête de braquer son regard brûlant sur moi. Je me sens épiée dans mes moindres faits et gestes, et à tout mom...

Fracas.

Bah voilà ! J'aurai à peine eu le temps de le penser que miss boulette est de nouveau dans la place. J'ai échappé une bouteille de rhum ambré dont le liquide s'est répandu partout derrière le bar. Des éclaboussures ont redécoré la moitié de l'espace. Je vais en avoir pour un moment à réparer toutes mes conneries. Et évidemment, Sandy et Ed' sont tous les deux occupés autre part.

Ne pouvant laisser les clients patienter, je dédaigne les bouts de verre à mes pieds, m'estimant heureuse d'être juchée sur mes talons plutôt qu'en tongs pour attraper une bouteille de rhum pleine et achever mes cocktails.

Contre toute attente, Dicey débarque à côté de moi pendant que je m'affaire. Il s'accroupit et ramasse les bris de verre sans rien demander à personne. Je n'ai même pas le droit à une réflexion désobligeante à voix basse. D'où il se tient, je serais la seule à l'entendre. L'opportunité est trop belle, pourquoi ne la saisit-il pas ?

Tandis que je réponds à deux nouvelles commandes, j'observe du coin de l'œil le biker s'affairer. Ses abdos se contractent et se desserrent au rythme de ses mouvements, les vestiges de sa blessure renforçant son aspect de guerrier. Je suis hypnotisée par la somptuosité de son torse parfait, à tel point que j'en ai presque oublié de gérer le règlement de la dernière cliente. Il ne manquerait plus qu'il y ait un trou dans la caisse maintenant...

Serveuse n'est pas mon métier à la base. Maintenant que je suis dans les rails depuis plusieurs semaines, je réalise à quel point il ne s'improvise pas. Il y a tant de choses à savoir et à retenir. Ce n'est pas adapté à tout le monde.

Quand la clientèle me laisse un instant de répit, je tourne la tête pour constater que tout a été nettoyé. À la suite de Dicey, Ed' a débarqué avec une serpillère pour éponger le liquide sombre et éviter que nos pas ne collent. Je le remercie d'un hochement de tête et il me fait signe qu'il n'y a pas de quoi, repartant déjà à l'autre bout de la boîte avec un plateau en main.

Il est tellement efficace qu'il m'en donne le tournis. Et tous ces corps dénudés qui dansent sur la piste... depuis combien de temps je n'ai pas couché avec un mec, déjà ? Trop longtemps pour mes hormones, en tout cas.

Dicey a repris sa place sur son tabouret et il m'observe, silencieusement.

— Quoi ?

— Un merci, ça t'écorcherait la bouche ?

— Je ne te dois rien ! répliqué-je sèchement.

Là je suis carrément injuste et je le sais. Ce mec me sort tellement de mes gonds que je ne sais plus sur quel pied danser. J'ai peur de baisser la garder pour un simple « merci » et qu'il en profite pour s'engouffrer dans la faille. Qui sait ce dont il est capable ?

— Ingrate !

— Prétentieux !

— Maladroite !

— Egocentrique !

— Hypocrite !

Je m'apprête à retourner un adjectif du tac-au-tac, quand celui-ci m'interpelle.

— Hypocrite ? Sérieusement ?

— Ouais, c'est ce que tu es.

Je croise les bras sur ma poitrine, comprimant mes seins au passage. La vue ne doit pas être déplaisante puisque Dicey déglutit longuement avant de se ressaisir. Cette nouvelle brèche dans son masque me désarçonne.

— Développe !

— Tu passes ton temps à me clasher, à me remettre à ma place. Tu dépenses toute ton énergie à me détester de toutes tes forces, juste pour mieux détourner ta propre attention.

Mes genoux fléchissent à ses mots.

— Tu te la joues psychologue de comptoir, maintenant ? répliqué-je avec moins d'assurance que je l'aurais voulu.

— À mes heures perdues !

— Termine ton analyse, alors ! Détourner mon attention de quoi ?

— Ta colère envers moi ne sert qu'à mieux cacher ce que tu ressens vraiment.

Il marque un temps d'arrêt, capture brutalement mes prunelles et achève :

— Du désir.

J'éclate de rire. Ça sonne faux.

— Dans tes rêves !

Dicey ne se laisse pas démonter. Il se contente de sourire d'un air suffisant qui ne contribue qu'à attiser ma rage. Bon sang ! Ce que je rêverais de lui infliger comme torture pour l'entendre me supplier d'arrêter...

C'est alors que la situation vire au drame. Une brebis s'approche de Dicey. Enfin, se frotte carrément à lui. Elle porte un haut de maillot de bain tellement court que ses mamelons font coucou à l'assistance. Sa culotte, si on peut appeler ça comme ça, est si échancrée qu'à ce stade je me demande presque pourquoi elle en porte une.

Est-ce qu'elle a le droit de s'habiller comme elle le veut ?

Oui.

Est-ce que ça m'énerve qu'elle soit si bien gaulée et collée à Dicey ?

OUI !

— Sympa ton maillot ! lancé-je sans réfléchir. Il ne restait plus que du douze ans en rayon ?

Son visage refait se crispe mais elle finit par glousser.

— Très drôle ma chérie. Tu lui ressers un verre ? demande-t-elle en caressant le bras du biker. Et mets-moi la même chose, tu seras mignonne.

Mignonne. J'ai l'air d'avoir dix ans, des couettes et un tee-shirt à l'effigie de La Petite Maison dans la Prairie ?

Agacée, je m'exécute malgré tout et leur sers les deux verres demandés. Dicey se tient parfaitement silencieux. Je ne doute pas que la situation l'amuse. J'aimerais tellement rester indifférente mais c'est plus fort que moi, je n'y arrive pas.

Les cinq minutes qui suivent me filent la gerbe. La brebis, dont je reconnaîtrais l'allure à des kilomètres à la ronde à présent, ne cesse de se trémousser contre Dicey. Si elle n'avait été rien de plus qu'une nana intéressée par lui dans une boîte de nuit, son attitude n'aurait pas été la même. Je commence à faire la différence, maintenant.

Elle veut se le faire et lui n'a pas l'air de dire non. Il se laisse caresser comme s'il n'était rien de plus qu'un chiot à un concours de beauté. L'autre lui frotte tellement la peau qu'elle va finir soit par briller, soit par être tellement poncée qu'on pourrait appliquer une couche de peinture dessus.

Le sang bout dans mes veines au point que j'en ai des fourmillements au bout des doigts. Lorsque la pire idée de la soirée me tombe dessus, je ne peux que courir dans sa direction pour l'enlacer.

Eiffel se pointe au comptoir et me lance :

— Deux Bloody Mary, s'teuplait, Veronica !

Mon regard passe de ses jolis yeux bleus à ceux noisette de Dicey qui observe sa greluche. Quand celui-ci se rappelle que j'existe, je n'hésite pas : je marche jusqu'au bout du bar pour rejoindre l'endroit où se trouve Eiffel, je m'appuie sur le comptoir et demande :

— J'ai besoin de ton consentement !

— Pourquoi ?

— Pour tout ce que je voudrais.

Un autre mec aurait été à sa place, il aurait sûrement hésité. Heureusement, je commence à connaître Eiffel. Le français m'adresse un franc sourire, tandis que ses prunelles pétillent d'enthousiasme.

— Je suis tout à toi, beauté !

Du coin de l'œil, je m'assure que Dicey contemple la scène. Parfait ! J'attrape les joues d'Eiffel et lui roule la galoche de sa vie. Mes lèvres s'écrasent un peu maladroitement sur les siennes, mais il rattrape le coup sans mal en frayant un chemin avec sa langue jusqu'à la mienne. Ce qui n'aurait dû durer que deux ou trois secondes s'éternise.

Putain ! Il embrasse bien le salaud. Dommage que mon cerveau détraqué profite de mes paupières closes pour s'imaginer que c'est Dicey à sa place.

T'es vraiment pas nette, ma pauvre !

Quand je m'écarte d'Eiffel, le souffle court, j'en rajoute une couche en me passant la langue sur les lèvres. Le français m'observe avec un air lubrique puis me glisse tout bas :

— Je savais que tu serais douée à ce jeu-là. On remet ça quand tu veux ! J'adore l'idée d'être utilisé pour rendre mon frère jaloux.

Sa réaction me prend de court et je finis par pouffer.

— Toi, je t'aime bien ! lui lancé-je en servant les deux cocktails demandés.

— C'est réciproque ! Je suis content d'avoir pu te dire ce que je pensais de toi avant que tu ne décèdes.

J'avale ma salive de travers.

— Que je... quoi ?

D'un signe de tête, il me désigne Dicey dont j'évitais soigneusement le regard depuis le french kiss le plus chaud que j'ai eu ces derniers mois.

Ses iris sont braqués sur moi comme un canon prêt à faire feu. Je ne sais pas si la plaisanterie d'Eiffel était métaphorique, mais là, tout de suite, je me sens mourir de l'intérieur.



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