CHAPITRE 17
DICEY
Dicey. Je l'ai tellement surprise qu'elle m'a appelé par mon vrai blaze. Il ne m'en faut pas plus pour le lui faire remarquer. Veronica se contente d'intensifier la pression de son coude contre ma nuque, me faisant grimacer.
— T'as pas répondu à ma question, gronde-t-elle. Qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu me suis ?!
Qui eut cru que cette grande blonde dissimulerait tant de force et de hargne ? Je crois qu'avec un peu de bonne volonté, je pourrais me défaire de son étreinte. Je n'en suis pas à mon premier fait d'arme. Étonnement, savoir son corps pressé contre le mien ne me donne pas particulièrement envie d'intervenir.
En fait, j'aimerais même que ça dure encore un peu. Je me maudis pour ça, mais je n'ai pas l'énergie de lutter contre le désir ardent qui brûle au creux de mes reins.
— Je te jure que je vais te péter le bras si t'ouvres pas ta bouche !
Veronica insiste en rehaussant davantage mon poignet, m'obligeant à serrer les dents pour juguler la douleur.
Cette petite teigne sait s'y prendre, y a pas à dire !
— J'ai vu de la lumière, je suis entr...
Son genou s'enfonce dans mes lombaires, m'interrompant au beau milieu de ma phrase.
— Arrête tes conneries ! Tu me suivais !
— Si tu sais déjà tout, pourquoi tu m'interroges ?
Son souffle tiède s'échoue dans mon cou. J'ai beau être grand, elle n'est pas si éloignée de moi lorsqu'elle est montée sur talons. Ses jambes paraissent interminables à les observer de loin. Non pas que je l'ai déjà fait, j'imagine, c'est tout.
— Tu me suis depuis combien de temps ?
— D'abord quand t'as quitté le MC. Et ensuite quand t'as bougé de Riverbend.
Ce quartier de la Nouvelle-Orléans est plutôt calme. C'était même la première fois que je m'y rendais et je comprends pourquoi. Le silence là-bas est glauque. Il me donne froid dans le dos. Je préfère de loin les hurlements inopinés des fauteurs de trouble dans les quartiers fuis par les bourges.
Les gens ont peur : de la pauvreté, de la violence, du crime. Tout cela m'est familier, je me sens bien quand je le côtoie.
— On peut savoir pourquoi ?
— Si tu me lâches, on peut en discuter.
Elle semble hésiter encore un moment, puis finit par consentir à me libérer. Je me masse la nuque et le poignet sous la flamme de son regard inquisiteur. Les bras croisés sur sa poitrine moulée dans ce top noir qui la met un peu trop en valeur, elle me fixe sans broncher.
Au début, j'ai cru que Veronica n'avait que de la gueule. Les brebis qui veulent jouer les dures, il y en a un paquet. Au début, elles aboient fort mais elles finissent vite par retrouver leur place quand elles tombent sur un os. Non seulement la grande blonde n'est pas une brebis, mais en plus elle a le culot de me faire mentir. C'est une dure à cuire. Elle ne se contente pas de donner le change.
— Où t'as appris à te battre, comme ça ?
Elle hausse les épaules.
— À la télé.
— À la télé ?
— Tu sais, le petit objet rectangulaire qui montre des images en couleurs. La télévision, quoi !
Son sourire narquois en dit long sur la nouvelle passion qu'elle s'est découverte : me prendre pour un con en toute occasion.
Surtout, elle ment. Bien, je le reconnais. Sauf que je suis un expert en la matière. Déjà parce que je ne laisse jamais personne entrer dans ma tête. Ensuite car j'ai été désigné expert en torture par le MC pour soutirer des informations aux ennemis capturés. Je ne verse pas vraiment dans l'originalité des sévices que j'inflige. Faire souffrir mes victimes ne m'enthousiasme pas. Au mieux, ça me laisse indifférent. Au pire, je serre les dents en pensant à autre chose.
C'est ma capacité à déceler le mensonge qui fait de moi un interrogateur hors pair. Veronica a beau être une excellente comédienne puisque tout le monde adhère, avec moi, ça ne prend pas. Je la percerai à jour, je sais qu'elle cache quelque chose.
— Tu mens !
— C'est toi qui le dis. Maintenant bouge, j'aimerais rentrer chez moi !
Je continue de me tenir entre elle et la porte d'entrée. Elle soupire, puis s'accroupit de nouveau pour ramasser les objets tombés de son sac à main. Avec notre altercation, j'en aurais oublié que je marchais sur un tas de conneries.
— Tu exposes à la brocante du coin ?
Veronica termine de tout remettre dans son sac. Lorsqu'elle se remet debout, elle enfonce son regard dans le mien et rétorque :
— Exactement ! D'ailleurs c'est un peu lourd, j'aurais besoin d'un diable pour tout transporter. T'es dispo ?
Sa remarque me prend tellement au dépourvu que j'en éclate de rire. Sur le cul moi-même, je ne peux m'empêcher de coller ma main contre ma bouche juste après.
Depuis quand ne m'étais-je pas laissé aller comme ça avec une inconnue ? Au sein du MC, j'ai fini par m'habituer à la présence des autres. Je ne me lâche pas complètement, mais je ne suis pas taciturne du matin au soir. Avec des gens que je ne connais pas, en revanche, je me contente de revêtir un masque qui me protège.
Ou qui les protège eux, au choix. Je crois que si la foule pouvait percevoir la noirceur qui sommeille en moi, elle prendrait ses jambes à son cou.
— Moi, le diable ? Tu me flattes !
— Comme si ton ego avait besoin de ça ! Bon tu bouges ? T'attends quoi ? Que je t'invite à l'apéro ?
J'arque un sourcil.
— Pourquoi pas ?
— J'ai plus d'arsenic en stock. Repasse la semaine prochaine ! Tu verras, mélangé avec un zeste de citron, tu ne te sentiras même pas mourir.
— Amatrice !
— Je te demande pardon ?
— L'arsenic n'a pas de goût. Essaie la cigüe si tu tiens vraiment à agrémenter le dernier cocktail du condamné.
Mon regard et celui de Veronica s'affrontent longuement. Aucun de nous ne semble vouloir ployer, lorsqu'un sourire apparaît en écho sur nos lèvres respectives.
Pourquoi ce petit jeu me divertit tellement ? Je suis censé détester cette nana. Un instant elle m'agace, le suivant elle m'amuse. Je ne sais plus sur quel pied danser. Quel genre de sorcellerie pratique-t-elle pour me mettre la tête sens dessus dessous ?
— Tu vois que tu peux être drôle quand tu veux, Darcy !
— À ton service, La Corvée !
— Tu vas finir par me dire pourquoi t'es là où on passe la nuit à s'insulter sur mon palier ?
Avant que je puisse répondre, elle ajoute plus bas :
— Non pas que ce programme me déplaise. Je me dis juste que ce n'est pas très équitable pour toi. Mon sens de la répartie est classé au niveau national, alors...
Toute envie de déconner la déserte quand j'assène de but en blanc :
— T'es pas nette ! Je sais que tu caches un truc.
Son sourire dévie en un rictus amer.
— Flic, taupe... je ne sais pas ce que tu es exactement, mais tes intentions sont loin d'être honorables.
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? demande-t-elle sans se laisser démonter.
— Les yeux ne mentent pas ! Tout le monde achète peut-être ton petit numéro de miss maladroite, mais je sais que tu es plus maligne que tu le laisses entendre.
Elle secoue la tête, l'air de ne pas en penser moins.
— Voilà pourquoi je te suis : pour découvrir ce que tu caches.
Veronica me tend sa clef d'appartement et dit :
— Entre, fais comme chez toi ! Je n'ai rien à cacher, Darcy ! Quand tu l'auras compris, tu pourras peut-être admettre que ton obsession pour moi n'a rien à voir avec ton envie de protéger le MC...
D'un pas, elle franchit la distance qui nous sépare et pose la main sur mon jean. Au niveau de mon entrejambe. Bien trop gonflé. Bien trop sensible.
Elle colle sa bouche à mon oreille et lorsque son murmure me caresse la peau, je frisonne de la tête aux pieds :
— ... mais tout à voir avec ton envie de me sauter.
Elle me fourre les clés dans la paume, effectue un pas sur le côté, puis d'un geste de la main, m'invite à déverrouiller pour entrer.
Bon sang ! Cette fille est une diablesse. Ça valait le coup de me comparer à Satan alors que c'est elle qui règne sur les enfers...
En dépit de la fébrilité dans mes jambes, je lève fièrement le menton et tente de ne rien montrer de ce qui se passe dans mon corps. Mon sang bout dans mes veines, mais j'agis comme si j'étais mort à l'intérieur.
Je serre les clefs entre mes doigts puis utilise la plus longue pour ouvrir. En toute logique, la plus petite m'inspire surtout la serrure d'une boîte aux lettres. Ma déduction s'avère juste puisque le mécanisme s'actionne. La seconde suivante, les gonds pivotent sur une étendue lugubre. Veronica me passe devant pour allumer vu que je ne sais pas où se trouve l'interrupteur.
J'entre alors dans une pièce mêlant séjour et cuisine. La séparation s'effectue par une petite marche qui rehausse l'espace pour manger. Les éléments en contreplaqué s'étendent d'un bout à l'autre de la cloison. Micro-ondes, four, réfrigérateur... l'équipement n'est pas des plus sophistiqués, mais il fait l'affaire. La petite table carrée noir mat laisse à peine assez de place pour quatre personnes.
— Tu ne reçois pas souvent à dîner, noté-je.
— Seulement les stalkers du coin mais ils viennent chacun leur tour !
Je me retourne pour dissimuler un sourire. Elle n'a pas besoin de voir qu'elle arrive à m'amuser. Face à moi se trouve un salon tout ce qu'il y a de plus basique. Un canapé en tissu crème, une table basse en verre et une télé autour de laquelle se trouvent de multiples étagères remplies de livres. À en juger par les formes et les couleurs différentes, il y a sûrement un peu de tout. Je ne m'y connais pas, je n'ai pas touché à un bouquin depuis que je suis gamin.
Ce côté-là de la pièce donne un peu plus envie : le tapis à poils longs, les plaids en fourrure et la lampe inspirée d'un projecteur qui doit diffuser une lumière davantage tamisée contribuent à un sentiment de bien-être.
— Vas-y, fouille ! N'hésite pas à ouvrir tous les livres un par un, des fois que j'aurais des petites coupures ou un micro caché dedans.
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