Chapitre 1 (Partie II)
Média :
Logic feat Rag'N'Bone Man : Broken people
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C U R T I S
J'ai parfois l'impression d'habiter une ville fantôme. À dire vrai, ce n'est pas qu'une illusion, beaucoup de maisons de mon quartier sont abandonnées. Le maire a décidé d'en détruire le plus possible, pour cacher la misère, je suppose. Il paraît que notre merveilleuse cité est en train de renaître de ses cendres. Ces dernières doivent se limiter au centre-ville, car je ne vois aucune amélioration de notre côté. Les habitants tentent de survivre, de monter des associations en attendant que le renouveau daigne passer par chez nous.
Au bout de vingt minutes, j'aperçois enfin ma maison. Entre deux ruines, c'est un miracle qu'elle soit encore debout.
En rentrant chez moi, une tornade de 1m50 me fonce dessus.
— Toi. Moi. Salle de bain. Tout de suite, dit-elle.
Je lève les yeux au ciel et prends le temps d'enlever ma veste alors qu'elle repart comme une furie.
Je soupire et me dirige vers la salle de bain. Amy est assise sur le rabat des toilettes, des ciseaux entre les mains.
— Il faut que tu me coupes les cheveux.
Il me faut plusieurs secondes avant que ses paroles soient comprises par mon cerveau.
— Quoi ? C'est hors de question, putain !
— Ton langage Curt !
Je serre les mâchoires et inspire profondément. Ses cheveux bruns aux reflets roux sont magnifiques. Il est inconcevable qu'une paire de ciseaux s'en approche.
— Tu vas déposer ces ciseaux et arrêter tes conneries. Je te donnerai de l'argent pour qu'une personne, diplômée pour ça, le fasse à ma place.
— On n'a pas les sous pour ça !
— Mais bien sûr que si !
— Je préfère qu'on le garde pour manger correctement, rétorque-t-elle.
Je pince les lèvres et me passe une main dans les cheveux qui ont eux aussi besoin d'une bonne coupe. Je m'assieds à côté d'elle et retire l'arme entre ses doigts.
— Amy, on ne va pas mourir de faim si tu vas chez le coiffeur.
Tandis qu'elle hausse les épaules, mon cœur saigne. Notre situation est précaire, mais je fais tout ce que je peux pour qu'elle n'en pâtisse pas. Je passe mon bras autour de son cou. Habituellement, elle m'aurait déjà repoussée, mais parfois, comme maintenant, notre complicité revient.
— Imagine que je rate, tu vas faire comment à l'école ?
— Je mettrai un bonnet !
— Même en cours ?
— Trevor, lui, en a bien un tout le temps. Personne ne lui dit rien.
Trevor est un con que les professeurs ne peuvent plus encadrer. Ça m'étonne qu'il ne soit pas encore fait virer. J'imagine que le fait que Rosedale soit la dernière école publique qui veut bien de lui y est pour beaucoup. Je pousse un soupir.
— Je ne peux pas te couper les cheveux.
— Tu n'auras qu'à faire comme sur le tuto sur YouTube. Jodie l'a fait et ça rend très bien.
— Pourquoi tu ne lui demandes pas ?
— Parce qu'elle est sortie avec Carl, grogne Amy.
— Et ?
Elle me jette un regard noir. D'accord. Je vois. Je vais devoir remercier Jodie d'éloigner des connards aux hormones surexcitées de ma sœur. Je ne suis pas prêt à avoir une conversation de ce genre avec elle. 14 ans, c'est trop tôt. Trop tôt pour mon cerveau. Trop tôt pour que son regard sur les mecs change. Je me passe une main sur le visage.
— Si tu ne le fais pas, je le ferai moi-même.
Elle attrape une de ses mèches et en approche la paire de ciseaux. Je lui arrache des mains.
— Tu peux les cacher si tu le souhaites, je le ferai tout de même.
— Putain, soupiré-je. Où est Judith ?
Elle hausse les épaules.
— Sûrement avec son nouveau mec.
La colère qui m'habite si souvent ces derniers temps monte d'un cran. Je ne réponds rien, me lève et tends la main à ma sœur. Je la positionne devant le miroir et me place derrière elle. Nous avons le même visage anguleux, des yeux vert émeraude, des cheveux bruns. On pourrait passer pour des jumeaux si nous avions le même âge et si mes traits n'étaient pas déformés par la vie.
— Tu es sûre de vouloir faire ça ? lui demandé-je.
Elle opine de la tête puis elle me montre un tuto sur son portable. Je noue sa tignasse et prends une grande inspiration avant de couper ses cheveux. On se met à rire après que j'ai entamé un chant composé uniquement de juron. Je lui demande plusieurs fois de revenir en arrière sur la vidéo pour ne pas me louper.
— Je n'arrive pas à croire que je suis en train de faire ça, marmonné-je.
— On a presque fini.
— Tu es tarée.
— J'essaie de marcher dans tes pas.
— Prends un autre chemin.
Elle glousse, mais je suis sérieux. Je ne fais pas tout ça pour qu'elle emprunte la même route que moi. Après un dernier coup de ciseau, Amy détache ses cheveux. Je recule d'un pas et la détaille longuement, je m'attends à ce qu'elle se mette à pleurer, mais un sourire éclaire son visage.
— J'adore.
Elle sautille sur place, touche à ses mèches puis me prends dans ses bras. Elle se regarde encore un peu dans la glace avant de sortir en courant de la salle de bain, pour appeler ses amies, je suppose. Ce n'est pas comme ça que j'imaginais passer ma soirée.
Je secoue la tête, dépose les ciseaux et nettoie la pièce. Au moment de la quitter, mon regard s'accroche à mon reflet dans le miroir. Mes paupières se plissent de dégoût. Je me détourne rapidement, je ne veux pas y penser. Pas ce soir.
Je suis en train de manger un sandwich quand Judith rentre enfin. Ses cheveux, similaires aux miens, sont ébouriffés, sa tenue débraillée. Je reporte mon attention sur mon repas avant que les mots dépassent ma pensée.
— Bonjour mon chéri, tu es là depuis longtemps ?
Sous-entendu, est-ce que tu as remarqué que j'ai laissé ta sœur seule pour aller m'envoyer en l'air ? Le fait qu'elle a une vie en dehors de nous ne me dérange pas. J'aimerais simplement qu'elle ne laisse pas Amy livrée à elle-même. Je ne lui réponds pas. Nos rapports sont un peu tendus dernièrement. Elle me reproche ce que je fais, je lui reproche d'en être la cause. Je finis mon en-cas tandis qu'elle fait mine de s'occuper. Elle ne croise pas mon regard, je crois que ça fait bientôt un an qu'elle ne l'a pas fait sans avoir un mouvement de recul. Je pourrais être blessé si je n'avais pas le même réflexe lorsque je la vois. Je sens mon portable vibrer dans la poche de mon pantalon. Mon humeur au plus bas remonte un peu quand je le consulte. C'est un SMS de Gina.
[Dispo ce soir ?]
[Oui]
[Je t'attends]
Je range mon portable dans ma poche. J'en oublie la présence de Judith, mon esprit entièrement focalisé sur la fin de la soirée. Gina est mon dernier plan cul en date. On s'est rencontré dans un bar, une nuit particulièrement sombre pour moi. Elle n'a pas tremblé quand elle m'a vu, au contraire elle m'a proposé de coucher avec elle. J'ai accepté et trois mois plus tard, elle n'a toujours pas fui. Je me demande quand arrivera ce moment, parce qu'il arrivera j'en suis certain. En attendant, on prend du bon temps, il m'arrive de discuter avec elle sans que ça donne l'impression qu'elle attend plus de moi. Amy débarque avant que j'aie pu m'échapper de mon enfer personnel.
— Mon dieu ! s'exclame Judith. Qu'as-tu fait à tes cheveux ?
Amy me jette un regard en quête d'aide. Je hausse les épaules, c'était son idée pas la mienne.
— J'ai fait un carré plongeant.
— Comment... Pourquoi ? bégaie Judith.
Amy se passe une main dans les cheveux puis détourne les yeux. Je viens de comprendre pourquoi elle tenait tant à le faire. L'une à côté de l'autre, elle se ressemble tellement que ça en est troublant. Amy souhaitait changer d'apparences, poser là sa différence avec Judith. Étant donné les rumeurs qui courent sur elle, je peux comprendre, mais ça n'en est pas moins douloureux.
— Comment tu as pu faire ça ? Avec quel argent ?
Sitôt son regard accusateur se porte sur moi.
— C'est toi et ton argent sale qui êtes responsables, c'est ça ?
Mes paupières se plissent, mes poings se serrent. Je tente de me contrôler, en vain. Je fais un pas dans sa direction, elle recule. Un rictus ourle mes lèvres. Je la détaille, lui montrant à quel point elle est insignifiante à mes yeux.
— Aux dernières nouvelles, tu étais contente d'avoir de l'argent pour ta manucure. Si tu ne veux plus de cet argent, libre à toi de travailler !
— Je t'interdis de me juger, éructe-t-elle.
— Tu ne vaux pas le temps que je perdrais pour ça.
Je la dépasse, prends ma sœur dans mes bras. J'attrape ma veste et sors de cette maison les nerfs à vif.
— Attends ! crie Amy dans mon dos.
Je me retourne, surpris.
— Je suis désolée, souffle-t-elle.
— Tu n'y es pour rien. Rentre, tu vas tomber malade et tu ne pourras pas montrer ta super coupe à tes copines demain.
Elle m'offre sourire qui n'atteint pas ses yeux et me serre contre elle. J'attends qu'elle soit à l'intérieur avant de reprendre la route. Cette discussion avec Judith a anéanti mon sang-froid. Cette femme m'ignore dès que nous sommes dans la même pièce, n'est pratiquement jamais à la maison, mais elle ose me juger. J'en rirais si ce n'était pas si déprimant qu'elle soit ma mère.
***
Hey! (Il faut que je vous trouve un surnom pour cette histoire haha)
Vous avez un petit aperçu de la vie de Curtis. Vous en voulez plus ? Patience, ça arrive,mais avant vous allez faire la connaissance d'Elsie.
Puisque je suis en retard dans les publications, je vous donne rendez-vous demain ❤️
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