Chapitre 1 (Partie I)
C U R T I S
La nuit est tombée depuis longtemps, seuls quelques lampadaires éclairent la rue. Aucun au-dessus de moi ne le fait. Je reste dans l'ombre. Appuyé contre le mur à l'angle, j'expire un souffle. Les mains dans les poches et le nez enfoncé dans mon pull à cause du froid mordant, je détaille les passants. Il y en a peu, ce qui me permet de faire le tri. Les clients versus les flics en planque. J'enfonce ma capuche pour cacher un peu plus mon visage et baisse les yeux sur le trottoir. Je n'ai pas besoin de voir pour sentir un danger approcher. Je l'ai toujours su. Ma sœur appelle ça l'instinct, ma mère un cul de chanceux. Pour ma part, ça s'arrête à un don qui m'empêche de finir, au choix : poignardé, emprisonné ou emmailloté dans un cercueil bon marché.
Un client approche. Comment je le sais ? Grâce à sa marche claudicante, sa respiration hachée, l'odeur de sa sueur qui irritent mes narines. Seuls les habitués, malgré la drogue qui circule dans leur sang, savent où je suis. Un radar, un désespoir qui les mènent droit à moi. Je partage leur misère, mais, au lieu de la sniffer ou de me l'injecter, je la vends en petite dose. Je ne suis pas un mec bien, je ne fais aucun effort pour le devenir. La vie m'a mis assez de coups pour que je décide que je n'en ai pas envie. Je laisse ça aux autres membres de ma famille.
Je relève les yeux quand l'homme arrive à ma portée. Son manteau élimé ne le protège plus du vent, son Tee-shirt autrefois blanc est presque noir et couvert de taches que je ne souhaite pas identifier. Son jean est troué, ses chaussures ne sont pas dans un meilleur état.
Ses yeux injectés fixent le vide, comme si ses pieds avançaient alors que son cerveau est déjà focalisé sur sa prochaine dose. Je secoue la tête, dépité.
— Mike, un jour cette merde te tuera, lui dis-je en croisant les bras contre mon torse.
J'ai vu sa chute. Identique à celle de ceux qui vivent ici, à Détroit. Employé dans une célèbre usine automobile, il a tout perdu du jour au lendemain. Les banques se sont fait une joie de saisir le peu de biens qui lui restaient. Sa femme a pris ses affaires, les enfants, et a claqué la porte de la maison avant qu'ils ne finissent tous à la rue. Mike, par désespoir ou orgueil, a résisté et n'a quitté la maison qu'au moment où les forces de l'ordre l'ont délogé de force. Voilà le chemin, voilà le résultat. Un homme sans rien, sans espoir. Sans vie. Je suis comme lui, mais j'ai encore de la famille contrairement à lui.
Mike se frotte nerveusement les bras, ses jambes tremblent. Il fourrage dans ses cheveux.
— Tu as ce qu'il faut cette fois ? lui demandé-je.
D'une main tremblante, il sort quelques billets puis me les tend. Je les compte rapidement et lui donne sa dose. Ses yeux s'agrandissent d'excitation en la voyant. Mon cœur sombre encore un peu plus.
— Merci, mec, s'extasie-t-il.
Je ne réponds rien. Mike s'empresse de faire demi-tour. Je sais que dès qu'il trouvera une ruelle tranquille, il s'injectera sa dose. Je serre les dents pour m'empêcher de le rattraper et l'en empêcher. La première fois que j'ai essayé, ça m'a valu un petit tour chez le doc clandestin du coin.
Plus que deux à vendre et je pourrais rentrer chez moi. Je reprends ma posture et ferme les yeux. Je rêve d'une seule chose, me coucher. Un rictus se forme sur mes lèvres. Dès que je franchirai le seuil de la maison, j'affronterai une vraie tornade. Je me frotte le front, déjà las.
Je resserre ma veste autour de moi et m'appuie un peu plus contre le mur. Encore un peu et je passerai pour un homme à la rue. À la rue de son destin.
Des pas pressants, un souffle erratique, la peur étouffante. D'autres pas suivent, plus lourds, presque grivois. J'ouvre les yeux et découvre une fille, l'air apeuré, suivie par un homme. Je penche la tête sur le côté, certain de l'avoir déjà vue dans le quartier. Elle serre son sac contre sa poitrine et accélère un peu plus. Je jette un coup d'œil par-dessus son épaule. Un homme, patibulaire, marche derrière elle. Presque détendu, mais son attitude prouve le contraire. C'est un prédateur prêt à se jeter sur sa proie. Ou peut-être que je me trompe. Je laisse les ombres m'aspirer un peu plus. La fille me dépasse sans me voir. Son parfum subtil, mais agréable titille mes sens. Je la regarde s'éloigner, pensif. Elle ne peut pas être du coin. Ses vêtements sont trop classe pour que ça soit le cas. À l'instar de la fille, l'homme ne me voit pas, trop focalisé sur sa cible. Je referme les yeux et soupire. J'ai arpenté ces rues tellement de fois que je sais combien de pas il y a jusqu'à la prochaine ruelle, elle y sera bientôt. Il n'aura qu'à la pousser pour l'y coincer. Personne n'interviendra parce qu'il l'empêchera d'ouvrir la bouche. Couteau ou flingue, je me demande quelle sera son arme de prédilection. Je me mets en marche, mes pas sont légers. Une véritable danseuse sur le bitume craquelé. Devant moi se joue la scène comme je l'avais imaginée.
J'entre dans la ruelle, l'homme a eu le temps de la clouer au sol et plaque sa main crasseuse sur sa bouche. Je ne réfléchis pas avant de l'attraper et de l'envoyer valser contre le mur.
— Hé, espèce de...
Ses mots se meurent quand il me reconnaît. Il lève les mains en l'air.
— Merde, Curtis, s'exclame-t-il.
Je penche la tête sur le côté. Je m'accroupis devant lui et sors, très lentement, le couteau que j'ai toujours sur moi. Je joue négligemment avec la pointe tandis que la sueur recouvre son visage sale.
— Tu sais donc qui je suis. C'est cool, je n'ai même pas besoin de te faire tout un speech. Tu penses que je devrais faire quoi avec ça ? lui demandé-je en levant mon arme.
Il est à deux doigts de se pisser dessus. J'entends des pas dans mon dos. Je ne me retourne pas. Je sais que c'est elle. Son parfum me le confirme.
— Je t'en prie, Curtis, ne fais pas ça.
— C'est drôle de t'entendre supplier maintenant.
Je m'approche dangereusement de lui, sa vessie le lâche. Je me redresse.
— Dégage avant que je change d'avis.
Il ne se fait pas prier pour prendre ses jambes à son cou. Je sors à mon tour de la ruelle, dépasse la fille sans la regarder et secoue mes épaules pour tenter d'évacuer la tension que j'y ai accumulée. Fais chier, j'aurai dû le planter comme j'en rêvais. Les mains dans les poches, je me dirige vers chez moi. Tant pis pour les dernières doses. Je fais toujours attention à ne rien ramener chez moi, je ferai une halte à ma planque.
— Attendez, crie une voix dans mon dos.
Je serre les mâchoires et continue sans me retourner. Elle attrape mon bras et tente de m'arrêter, mais peinant à le faire elle décide de me barrer la route. Ce sont ses yeux que je remarque en premier. Bleu électrique. C'est la première fois que j'en vois de si beaux... Beaux ? Depuis quand je me mets à penser comme une gonzesse. Ses cheveux blonds, sa posture de fille prête à devenir femme, sa candeur puent les emmerdes à tous les niveaux. Je lui jette un regard froid.
— Quoi ?
D'abord décontenancée, elle redresse le menton.
— Je voulais seulement vous remercier.
— Voilà, c'est fait. Maintenant, rentre chez toi. Personne ne te sauvera une seconde fois.
— Je n'ai besoin de personne pour ça.
J'éclate d'un rire froid.
— Tant mieux pour toi.
Elle me détaille longuement, ses paupières s'étrécissent. Pense-t-elle qu'elle vient de troquer un enfer pour un autre ? Si elle reste près de moi, elle le saura bien assez tôt. Son cerveau vient certainement de percevoir l'aura de danger que je dégage, car elle recule d'un pas. Bien !
— Encore merci.
Elle s'enfuit à toutes jambes. Je la vois s'arrêter au bout de la rue et ouvrir le portail d'une maison en mauvais état. Comme toutes celles du quartier. Un chien aboie et se jette à ses pieds, elle se penche pour le caresser avant de rentrer à l'intérieur de la maison. Je n'aurais pu imaginer qu'elle habitait si près. Je secoue la tête et me détourne pour rentrer chez moi où un tas d'emmerdes m'attendent.
***
Hey!
Bienvenue sur cette nouvelle histoire.
J'espère qu'elle vous plaira. N'hésitez pas à commenter pour me partager vos ressentis.
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