- Parce que je ne vaux rien du tout.

Mes pleurs ne s'arrêtant pas, tout comme la douleur, je sens néanmoins, un horrible poids s'enlever de mes épaules. Je sens Namjoon se relever, satisfait. Je sens les ombres reculer et retourner dans l'obscurité. Je sens leur présence disparaître peu à peu de ma réalité pour se confiner dans un coin sombre de mon esprit brisé.

Me laissant alors seul dans ma propre noirceur, prostré par le froid intérieur qui vient de m'envahir.

Le sang sur le sol s'étale de plus en plus, glissant dans les sillages du carrelage, atteignant déjà le palier de la porte de la salle de bain pour venir contaminer aussi le salon. D'un coup de la main, je tente de ramener le liquide rouge vers moi en reniflant. Ce dernier revient alors s'écrasant contre mon pantalon déjà collant, en une petite vague.

Plusieurs fois, je réitère l'opération alors que mes larmes sèchent maintenant sur mes joues. Puis, je me retourne finalement, attrapant un de mes vieux t shirt traînant dans la panière à linge sale pour venir éponger ce qu'il y a au sol.

Cela fait, je me penche vers ma petite boite à pharmacie, équipée spécialement pour ce genre d'occasion. Ouvrant la bouteille de désinfectant, je fais couler liquide sur mes coupures, en geignant de douleur. Il s'infiltre dans mes coupures et semblent mes brûler encore plus que quand j'étais en train de me mutiler. Puis, le plus dur finalement passé, j'étire les bandes de straps sur ma peau en grimaçant, avant de les enrouler fermement autour de poignets meurtris.

Restant quelques minutes au sol, j'attends que mon souffle se calme finalement et que mes larmes se stoppent. De plusieurs revers de la main, j'essuie les perles salées qui tentent encore de s'échapper de mes pupilles, alors que le sang commence me coller sérieusement sur les doigts.

Puis finalement, je me lève, m'appuyant contre le rebord du lavabo, le tâchant au passage. Mes yeux s'ancrent dans mon reflet en face de moi, et, une fois de plus, je manque de me remettre à pleurer en observant mon visage recouvert de sang, et mes yeux gonflés par le chagrin et la douleur. C'est à peine si je suis reconnaissable. Mais cette fois, je réussis à me contenir. Me contentant de fuir mon propre regard en allumant le robinet pour me nettoyer les mains et le visage avant de m'occuper des surfaces que je peux nettoyer aisément.

Ce genre de choses est devenu presque une routine pour moi. Je sais parfaitement à quoi penser pour qu'au retour de Taehyung, tout ai l'air entièrement normal, et qu'il ne se doute de rien.

Cependant, aujourd'hui, je ne sais pas s'il rentrera. Mais malgré tout, je fais comme d'habitude.

Me déshabillant entièrement, lançant une machine, faisant bouillir les vêtements qui peuvent l'être, avant de mettre les autres, complètement fichus, dans un sac poubelle. Puis, récurant le sol, retirant la moindre petite tâche de sang qui pourrait traîner n'importe où, ramassant mon étui de pilules que j'ai balancé il y a quelques minutes, je finis la dissimulation de mes actes antérieurs en bonnes et dues formes.

Mes avants bras me tirent horriblement à chaque fois que je fais un geste, et j'ai l'impression que ma peau continue de se déchirer encore et encore. Pourtant, alors que je devrais être habitué à cette douleur, je n'arrive pas à m'y faire. À chaque fois, je me dis intérieurement que c'est la dernière fois que je fais ce genre de truc, que mes blessures pourront finalement cicatriser et disparaître peu à peu avec le temps.

Seulement, comme à chaque fois, toutes ces pensées ne sont qu'un doux rêve que je me force à nourrir d'espoir.

Traînant des pieds jusqu'à la cuisine, je choisis alors la meilleure option qui s'offre à moi, en ouvrant le frigo. Une bouteille de gin à moitié pleine, coincée dans le bac à légumes entre trois tomates et une carotte, attendant patiemment que je la vide entièrement.

Emprisonnant le goulot entre mes doigts, je la sors délicatement avant de venir la poser sur la table basse, juste à côté d'un verre que j'ai soigneusement apporté et rempli de glaçons. Puis, je m'affale finalement sur le sofa en soupirant tristement, avant de porter la bouteille fraîche sur les rubans, déjà légèrement rosis, entourant mes blessures. Le froid passe à travers le tissu et je souffle de bien être en sentant la sensation sur mes coupures.

Mais je stoppe ce moment rapidement pour qu'un bien meilleur ne prenne sa place. Remplissant le verre au trois quart, je m'en saisis avant de faire couler la totalité du contenu dans ma gorge. Le liquide amer me fait aussitôt grimacer et réchauffe ma trachée dans le même temps. Je le sens glisser dans mon estomac et j'esquisse un léger sourire en pensant à la suite.

La suite, où, pour quelques heures, je vais me saouler jusqu'à oublier tous mes problèmes de l'instant et vivre ne serait ce qu'un peu dans le mensonge.

Mon verre ne cesse de se vider et se remplir, inlassablement, alors que mon doigt sur la télécommande change de chaînes toutes les trente secondes. Les images passent devant mes yeux, mais je ne les vois pas. Je laisse seulement la luminosité éblouir mes pupilles dilatées par l'alcool et la fatigue.

Depuis une bonne trentaine de minutes déjà, je sens mon portable vibrer sans arrêt à côté de moi. Je ne l'ai pas encore pris, je n'ai pas encore regardé ce que je venais de recevoir comme message. Seulement, je n'ai pas besoin de regarder pour savoir ce que c'est. Je m'en doute déjà.

Connaissant un peu les amis de Taehyung, je sais pertinemment que ma déclaration et ma scène de tout à l'heure ne sont pas tombées dans les oreilles de sourds. Ils vont s'en souvenir, et ils vont tenter de me faire du mal eux aussi.

Pas nécessairement par méchanceté.

Pas par plaisir non plus.

Non, en fait, ils vont faire ça parce que leur pauvre et minable petite vie ne leur donne pas assez de satisfaction et d'intérêt pour se contenter de se mêler de leurs propres affaires. Ils ont besoin de se mêler de la vie des autres. De les faire chier. De les humilier.

Tout ça pour s'ennuyer un peu moins, et peut être pour se sentir moins minable.

Mais au final, ce sont eux les minables, ça ne changera jamais et faire ce genre de choses ne les rendra pas meilleurs.

Loin de là.

Et puis, comparer à ce que j'endure avec mon propre esprit, ils ne seront définitivement pas assez intelligents pour trouver les mots pouvant me blesser réellement.

C'est alors que sans vraiment de crainte, j'attrape mon cellulaire et le déverrouille. Une dizaine de messages affichés en attente. La plupart sont d'Hoseok et Jimin. Ils savent parfaitement que j'ai leurs numéros et pourtant ça ne les empêche pas de m'envoyer des insultes à deux balles avec leurs propres téléphones.

Ils sont tellement stupides qu'ils ne se cachent même pas. Me sortant de pauvres remarques, tel que « crève pd » ou « sale tapette ». Je soupire devant tant de médiocrité face à leurs paroles. Ça ne me fait rien. Venant de personne que je ne respecte pas, qui ne m'intéresse même pas, ça ne me fait rien.

Seulement, un message ne vient pas d'eux.

Un vient de Taehyung.

Et tout de suite, mon doigt au dessus du bouton « lire » se met à trembler. Si ça vient de Taehyung ça m'importe. Si ça vient de Taehyung, forcément, je vais être atteins.

Néanmoins, piqué à vif par la curiosité, je l'ouvre quand même, et regrette aussitôt en le lisant.

« Les personnes comme toi méritent de mourir Jungkook. Tu me dégoûtes tellement. »

Et voilà.

Aucune insulte.

Aucune violence visible.

Juste de la haine froide et dure.

Juste ce qu'il faut pour viser juste.

Mon cœur se serre et mes yeux deviennent une nouvelle fois humides. Seulement, je ne veux pas faire face à cette vérité ce soir. J'ai déjà eu ma dose.

Alors, je verrouille en vitesse le téléphone pour faire abstraction de ce que je viens de lire et attrape la bouteille en face de moi pour la terminer. Pour oublier la douleur que ses mots viennent une nouvelle fois de m'infliger.

Remplissant et vidant sans aucun répit le verre que je me suis apporté, je bois, encore et encore, jusqu'à ce que mon esprit divague.

Jusqu'à ce que mon esprit se vide et que je ne pense plus à rien.

Jusqu'à ce que le simple nom de Taehyung soit à dix milles lieux de mes souvenirs.

Peu à peu, mes paupières deviennent plus lourdes. La fatigue me gagne finalement, alors que une heure plus tard, je termine les dernières gouttes d'alcool présentes sur la table basse.

Titubant plusieurs fois en me levant, je trouve quand même encore la lucidité d'aller planquer la bouteille vide dans un coin de l'appartement où Taehyung ne pourra pas la trouver. Celle de gin rejoint alors celle de whisky et celle de rhum que je n'ai pas eu le temps d'aller jeter il y a presque deux semaines.

Puis, machinalement, suivant seulement le sommeil et mon instinct, je rejoins ma chambre, refermant d'un coup sec la porte derrière moi en la faisant claquer, avant que mon corps ne s'écrase lourdement sur le matelas.

Je me sens partir de plus en plus. Mes yeux se ferment et s'ouvrent à intervalle réguliers, et j'ai de plus en plus de mal à les rouvrir. Me glissant alors sous la couette, je jette un dernier regard brumeux à mes poignets, où les pansements que je me suis faits sont déjà bien rougis.

Je sais que demain, mes draps seront bons à changer.

En soupirant alors de plus belle, je tends ma main vers l'interrupteur et l'ampoule devient sombre, comme ma chambre. L'obscurité m'entoure enfin, et au lieu de fermer les yeux, comme n'importe quelle personne normale le ferait, je les laisse grands ouverts, comme à mon habitude.

Tout simplement parce que je ne suis pas une personne normale.

~~~~

Un bruit sourd résonne dans l'appartement. Je ne sais pas quelle heure il est. Mais ça doit faire au moins plusieurs heures que je me suis couché puisque la plupart des effets que l'alcool avaient sur moi semblent s'être envolés.

Ma tête ne tourne plus, et j'aperçois nettement la lumière du salon passer entre les rainures de ma porte et se refléter contre le mur.

Je n'ai presque pas dormi depuis tout ce temps. Une heure, même pas. À chaque fois que je ferme les yeux, je me sens obligé de les rouvrir aussitôt. Comme d'habitude.

Sans que je m'y attende, le pan de bois séparant ma chambre et la pièce principale s'ouvre bruyamment, la poignée claquant sans précaution contre le béton et une personne pénètre dans mon espace de vie.

Je vois son ombre s'approcher de mon lit grâce au mur en face de moi. Et je reconnais immédiatement la silhouette de Taehyung tituber jusqu'à moi. Il est clairement bourré. De toute façon, je n'avais même pas besoin de voir son ombre s'avancer pour le savoir. Les effluves d'alcool et de tabac provenant tout droit de sa personne s'infiltrent déjà dans mes narines et me font grimacer.

Restant complètement immobile, faisant semblant de dormir calmement, je le vois finalement s'arrêter juste devant moi et l'entends respirer profondément. Son regard lourd et ivre se pose sur moi et je frissonne sans pouvoir me contrôler.

Je sais parfaitement que, quand il a bu, il est complètement imprévisible. Avec n'importe qui et n'importe quoi. Et encore plus en sachant que s'il a bu cette nuit, c'est parce qu'il était en colère contre moi.

Alors en cet instant, je n'imagine pas ce qu'il serait capable de me faire.

Brusquement, son pied frappe alors dans mon sommier plusieurs fois. Il cherche à me réveiller, mais je ne lui donnerais pas ce plaisir. Et de toute façon, je n'ai pas le courage de l'affronter ce soir.

Croyant alors que le sommeil me tenaille fortement, il finit par lâcher sans aucune émotion dans la voix.

- J'arrive même pas à croire que tu puisses dormir espèce d'enculé.

Intérieurement, je rigole presque à ses propos complètement faux.

Ouais, tu me fais rire Tae.

Si tu savais.

Je ne dors pas, tu sais. Ou plutôt, je ne dors plus. Depuis longtemps déjà, j'arrive à peine à dormir.

Et ce soir ne fait pas exception à la règle.

Et tu veux savoir pourquoi ?

Parce qu'il est là.

Tout simplement.

Parce que Namjooon est là.

Il est toujours là quand la nuit tombe.

Accroupit au pied de mon lit.

Les pupilles entièrement noires.

Observant mon visage crispé et craintif tentant d'atteindre la sérénité.

Me souriant en constatant que je n'y arrive pas.

Là aussi il est là, tu sais.

Comme à son habitude.

Juste devant moi.

C'est pour ça que je n'arrive pas à dormir même en ayant bu beaucoup trop pour le supporter.

Parce que sa présence me dérange profondément.

Sauf que ce soir, il y a quelque chose de différent.

Ce soir, ce n'est pas moi qu'il regarde avec des yeux remplis de haine.

Ce soir, c'est toi qu'il regarde Taehyung.