32 - Un peu de calme

Elya et moi passâmes la semaine suivante sans nous quitter d'une semelle. Avoir un secret en commun nous rapprochait et nous passions des moments interminables à papoter, une fois chez l'une, une fois chez l'autre.

Nous reparlâmes bien sûr de l'agression de cette pauvre Laïla, et Elya m'expliqua que les Mages pouvaient contrôler un élément sur les cinq qui existent : l'eau, le feu, les plantes, l'air ou le métal. Les deux jeunes que nous venions de rencontrer, ainsi que Laïla, devaient faire partie d'une école spéciale de magie, dont nous ignorions la localisation.

Ce qui était sûr, c'est qu'ils vivaient cachés parmi les humains et qu'ils n'avaient pas le droit de montrer leur magie. Ce que venait de faire cet Erwan, et qui avait mis son camarade dans tous ses états.

J'avais essayé plusieurs fois de visiter Laïla, après l'incident, mais sa mère m'avait toujours empêchée d'entrer chez eux. Selon elle, sa fille était malade et ne souhaitait pas de visite.

Elya me parla ensuite plus précisément de ses propres capacités. J'appris entre autres, car elle se confiait de plus en plus facilement, que son premier animal avait été le chat, mais qu'elle pouvait se transformer en sept animaux différents aujourd'hui.

Quand je lui avais demandé si sa capacité de transformation était infinie, elle m'avait répondu qu'elle n'en savait rien. A chaque nouvel animal, elle devait passer par une phase de première transformation assez désagréable, donc elle s'était arrêtée quand elle en avait eu assez pour faire tout ce qu'elle souhaitait. Voler, grimper aux arbres, nager, se cacher, se défendre...

Les seuls animaux dont elle pouvait prendre la forme que je n'avais pas encore vus étaient une magnifique jument à la robe alezan et un dauphin qui allait pouvoir m'accompagner sous l'eau. Seulement des vertébrés. Pas d'insectes ou autres de ce genre. En gros, elle s'était arrêtée à un animal par espèce de métamorphes existantes, et c'était déjà pas mal !

― Il existe vraiment un clan de métamorphes rongeurs ? lui demandai-je en ayant du mal à imaginer des hommes se transformer en animaux petits et mignons.

Toutes deux affalées dans les poufs qui lui servaient de canapé, dans la petite chambre de bonne dans laquelle elle logeait, nous piochions allégrement dans un paquet de chips déjà bien entamés, quand ma question la prit au dépourvu.

Elle rit en m'affirmant que c'était le cas. Et qu'il n'y avait pas que des souris, mais aussi des rongeurs bien plus imposants.

Puis elle me fit comprendre qu'elle avait assez parlé d'elle, ces derniers jours, et que c'était à mon tour de raconter.

Mais je n'avais pas grand-chose à lui dire, tout simplement parce que je n'avais pas eu le courage de poser plus de questions à mon père, après le traumatisme vécu au fond de l'océan. Il me tardait maintenant de le faire !

L'histoire de la sirène qui avait tout d'une reine et pouvait entrer dans l'esprit de ses congénères de force n'étonna pas Elya. Ils avaient un fonctionnement très semblable avec leur chef de clan. C'était utilisé très rarement, dans des circonstances extrêmes, mais c'était possible. Seul le chef en était capable, par contre.

Je me souvins des paroles interrompues de Diritta et me demandai si ce n'était pas le cas également chez les sirènes. Ce qui me mit une nouvelle idée en tête concernant mon père, à creuser.

Plus nous en discutions, plus nous nous rendions compte, malgré mes connaissances très pauvres en la matière, de nombreux points communs entre les sirènes et les métamorphes.

― On pourrait même penser que c'est une sorte de mélange entre des humains et des métas marins, tellement c'est frappant, suggéra mon amie.

J'acquiesçai en énumérant :

― Le côté animal, la télépathie, la hiérarchie, la pleine lune... C'est un point à creuser, en effet. J'en saurai plus après avoir interrogé mon père.

― Et tu ne penses pas que cette sirène pourrait venir te chercher ici ? me demanda Elya, après un court silence.

Je secouai la tête :

― Mon père affirme que non. Selon lui, il en faudrait bien plus pour qu'une sirène, même puissante, décide de franchir une frontière millénaire et magique.

― Ton père l'a bien fait, lui...

― Oui, mais seul. Que viendrait faire le reine mi-poisson seule au territoire totalement inconnu ? En plus, il existe des espèces bien plus puissantes à la surface. Et elle sait que je peux lui résister mentalement.

Mon amie haussa les épaules avec une moue d'ignorance, puis nous changeâmes de sujet. Fac, appartement, loisirs, etc. Et ça ne nous fit pas de mal !


*****


Le weekend arriva et je décidai de me rendre chez mes parents, pour en savoir plus sur les sirènes, et sur l'histoire de mon père. Notamment sur cette capacité à résister à l'attaque mentale de la Suvrana.

Je n'osai pas aborder le sujet de mon amitié avec une métamorphe – et encore moins mon altercation avec des mages élémentaires – ne sachant pas comment mon père aurait pu réagir. Mais concernant les sirènes, je m'adressai à lui dès que nous nous trouvâmes seuls, de peur d'embêter maman avec ces histoires.

Je n'y allai pas par quatre chemins et lui demandai de but en blanc :

― Ce mur mental que j'ai créé pour me protéger, est-ce que toutes les sirènes peuvent le faire ?

Mon père sourit devant ma question directe mais ne rechigna pas et s'installa avec moi sur le canapé du salon. Il s'attendait sûrement à devoir me donner plus d'explications et fut moins réticent que les fois passées.

J'y avais bien le droit maintenant. Ça devenait même nécessaire.

― La capacité à résister à une intrusion mentale d'un membre de la famille royale – les Suvranus – est impossible pour les membres du peuple, commença-t-il. Même pour les Savius, les anciens et conseillers que tu as vus auprès d'Attrattiva. Seuls les sirènes et tritons ayant le même rang en sont capables.

C'était donc bien ce que je pensais.

― C'est héréditaire ? demandai-je pour confirmer mes soupçons.

Il me sourit tendrement en me regardant dans les yeux.

― Oui. Tout comme moi, tu as visiblement hérité du don des Suvranus. On le nomme la putenza, ce qui pourrait se traduire par le mot "puissance" dans notre langue.

Je décidai de ne pas m'attarder sur l'idée légèrement angoissante d'être une princesse des océans et continuai à le questionner :

― De quoi s'agit-il exactement ?

― La putenza permet au Suvranu et à la Suvrana de pénétrer dans l'esprit de ses semblables, essentiellement dans le but de maintenir la paix dans son Royaume. Pour y chercher une information – comme ce qu'Attrattiva a tenté de faire sur toi – mais aussi pour ôter un souvenir, ou même contrôler un esprit. Mais ces deux derniers points ne sont mis en pratique que dans des cas extrêmes et dangereux pour le peuple. De mon vivant, jamais mes parents ni moi y avons eu recours. C'est contraire à notre Code de s'en servir à outrance.

Cette possibilité de contrôle était vraiment effrayante, et je fus soulagée d'apprendre qu'elle n'était que très rarement pratiquée. Je notai cependant que la "recherche d'information" ne paraissait pas si rare dans la bouche de mon père, ce qui me mit légèrement mal à l'aise. Je n'insistai cependant pas sur ce point, voulant aller plus loin.

― Ayant moi-même cette putenza, en concluai-je, je peux donc empêcher un autre Suvranu de s'en servir contre moi, c'est bien ça ?

― C'est ce qu'il s'est passé automatiquement, en effet. Ta résistance à enclencher le processus de défense, si on peut dire ça comme ça.

Une autre question me vint à l'esprit et je changeai de sujet :

― Est-ce qu'il existe beaucoup de Royaumes différents ? Quelles sont les relations entre eux ?

Patient devant mes questions qui partaient un peu dans tous les sens, mon père répondit encore calmement :

― Il y en a quatre. Ils se maintiennent dans une paix relative qui tient surtout grâce à la grande distance qui les sépare.

Je hochai la tête en me souvenant que Diritta me disait que la communication n'était pas possible à cause de cette distance. Mon père continua en comptant sur ses doigts :

― Tu connais déjà le Royaume de Rocciosumare, la « Mer des rochers ». Il y a aussi Algamare, la Mer des algues, Abissumare qui se trouve encore bien plus en profondeur, dans les abysses, et enfin Corallomare, que l'on peut traduire par la Mer de corail. C'est... de là que je viens.

Un silence gênant s'installa. Je repris la parole avec douceur, sachant que le sujet était délicat :

― Si tu étais Suvranu, pourquoi es-tu parti ?

Son regard me lâcha et se perdit au loin, bien plus loin que le mur qui se tenait devant lui. Ses grandes mains malaxaient ses genoux comme s'il allait y trouver la force de me parler de son passé douloureux.

J'attendis patiemment qu'il commence, sans le brusquer, et décidai de ne pas le couper pendant tout son récit, sauf incompréhension totale.

Il commença enfin, avec une voix couverte par l'émotion :


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Hello ! Je me rends compte que j'ai mis deux parties en une, ce qui fait un chapitre un peu plus long que les autres, désolée ! Mais ça serait trop compliqué de tout décaler, vous ne m'en voudrez pas j'espère ! 🥰😇

L'histoire de Dan est publiée ! 😁

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