Visite princière
Alors qu'il espérait regagner le foyer quelques jours plus tard, Liam fut contraint de dormir dehors durant deux longues semaines. Les plus horribles de toute sa vie. Chaque fois qu'il passait au foyer pour s'équiper pour la nuit, il s'attardait toujours un peu plus afin de retarder l'échéance. Le temps était toujours exécrable, les températures négatives affaiblissaient ses défenses et même la gare de Charnia ne lui semblait plus si accueillante.
Conscient qu'il serait incapable de jeuner dans de telles circonstances, Liam s'était fixé un budget de cinq euros par jour. En comparant attentivement les offres dans les rayons d'un supermarché, il pouvait s'offrir un semblant de repas, toujours froid, chaque midi. Parfois, il craquait et prenait un chocolat chaud au distributaire automatique. Le jour de Noël, il s'acheta une pâtisserie en guise de dîner. Le jeune homme se rendait compte que les privations avaient une incidence négative sur son estomac. Cela faisait pratiquement dix mois qu'il avait quitté Paris et les restrictions alimentaires qu'il s'imposait ne lui permettait plus de manger en grande quantité, malgré la faim qui le tiraillait en permanence. Afin de ne pas être malade ou pour éviter les douleurs abdominales, Liam cessait de manger lorsqu'il sentait qu'il arrivait à la limite de ce qu'il pouvait ingurgiter.
En plus de ses problèmes privés, il devait également gérer le regard des passants. Avec sa couverture sur le dos, recroquevillé dans un coin, tout le monde pouvait l'identifier comme sans abris.
Charnia était une ville prospère. Il n'y avait aucune cité telle que Liam les connaissait à Paris, et très peu de logements sociaux. Même la banlieue de la capitale ne comportait que des maisons proprettes. Tout ce qui pouvait ternir le paysage était soigneusement bannit, le gouvernement y veillait scrupuleusement. Danika avait expliqué que si les SDF n'étaient pas chassés dans le pays, c'était uniquement pour ne pas s'attirer les foudres d'organisations militant pour les droits de l'Homme.
Enfin, le foyer fut de nouveau ouvert sans restriction deux jours après le réveillon du nouvel an et Liam put prendre possession d'une chambre individuelle pour son plus grand bonheur. Il n'en pouvait plus de dormir sur le béton et son dos le faisait atrocement souffrir.
Pur fêter la réouverture et compenser les repas qui n'avaient pas été servis, le personnel décida d'organiser un véritable dîner de gala. Liam s'activa gaiement en cuisine toute l'après-midi, heureux de retrouver ceux et celles avec lesquels il s'était lié d'amitié. Alors que l'entrée était sur le point d'être servie, de nombreux murmures en provenance du réfectoire attirèrent l'attention du jeune homme.
Danika vint l'informer, ainsi que ses collègues, de la visite du prince Matthew et de la plus jeune enfant du prince Filippo III, la princesse Kerry.
Curieux, Liam jeta des regards fréquents vers la salle à manger commune. Hadrijan, le cuisinier, lui désigna un homme habillé d'une simple veste et d'un jeans :
— Le prince est un chic type. Pas prétentieux comme son père et son frère aîné. Il sait adapter son style vestimentaire selon les visites qu'il effectue. Si je ne te l'avais pas désigné, tu l'aurais sans doute pris pour un journaliste ou un visiteur lambda.
— C'est clair. Il vient souvent ici ? demanda Liam.
— Non, c'est la deuxième fois seulement. Mais il semble vouloir développer une réelle politique d'aide aux personnes défavorisées. Enfin, si on le laisse faire. Dommage qu'il ne soit pas l'héritier direct. Il n'est que le sixième enfant du couple princier.
— Il faudrait une improbable catastrophe pour que cela arrive.
— Voilà. En sachant que le prince héréditaire Alessandro est déjà père de trois enfants et que la princesse Mary-Ann, qui n'est qu'un an plus jeune que lui, a des jumeaux.
— Tiens, y a-t-il une règle particulière dans le choix des prénoms princiers ?
— Oui. Le couple a opté en alternance pour des prénoms italiens et anglais. La mère du prince Filippo est italienne et la princesse Davina est anglaise.
— Oh, je comprends.
Liam observa à nouveau le frère et la sœur. Tout dans leur attitude démontrait un intérêt non feint. De même, un examen attentif de leur personne ne laissait planer aucun doute sur leur appartenance à la famille princière. Leur posture, leurs gestes tout en retenue, la manière dont ils s'exprimaient...
Liam s'arrêta sur leur physique. La princesse Kerry était petite. Un mètre soixante-cinq, pas plus. Ses yeux émeraude reflétaient toute la compassion qu'elle ressentait pour les résidents du foyer. Ses cheveux châtains étaient tout simplement relevés en une queue de cheval.
Le prince, lui, était très grand. Sans doute aussi grand que Liam qui mesurait un mètre quatre-vingt-trois. Il arborait une crinière brune indisciplinée. Couplée à une barbe de trois jours soigneusement travaillée, elle conférait au jeune homme une allure sauvage et distinguée en même temps. Le mélange était détonant.
Liam songea à sa propre apparence. Ses cheveux avaient poussé. Il les attachait à l'arrière de la tête avec un élastique, en une sorte de man bun pas très artistique. Même s'ils étaient propres et qu'il veillait à se coiffer tous les matins, il se sentait sale. Bien loin du jeune homme soigné et du brillant étudiant qu'il était un an auparavant.
Liam secoua la tête tristement et se concentra à nouveau sur ses tâches. Il commença à amener plusieurs assiettes dans le réfectoire. Il veilla à rester bien appliqué et à ne pas se laisser distraire par l'agitation ambiante. Il s'installa ensuite au bout d'une table, proche de la cuisine.
Surpris, il constata que le prince Matthew et la princesse Kerry avaient décidé de partager le repas des résidents du foyer. Liam remarqua également le regard noir des personnes qui les accompagnaient.
De retour auprès de Hadrijan, il lui désigna le frère et la sœur :
— Entorse au protocole ?
— Ce n'est pas étonnant de leur part. Ils sont du genre spontané. Et ce n'est pas toujours au goût de leurs gardes du corps, comme tu peux le constater. Il y a six mois ils ont lancé un compte Instagram commun sans demander l'accord de leur père. On a frôlé la crise gouvernementale. Le palais a un compte officiel mais les membres de la famille princière n'étaient pas autorisés à en avoir un. Finalement, devant le succès rencontré, cette interdiction a été levée. Ils ont plus de cinq cent mille abonnés.
— C'est impressionnant ! s'exclama Liam.
— Ils sont doués tous les deux. La princesse est une photographe amateure de talent. Son frère manie le pinceau comme personne. Mais, encore une fois, le protocole leur interdit d'organiser toute exposition de leurs œuvres. C'est dommage, je trouve.
— Leur vie ne doit pas être très agréable tous les jours. Ils sont peut-être privilégiés mais quelles libertés ont-ils ?
— C'est certain qu'ils ne peuvent pas se balader seuls au centre commercial par exemple. Mais la famille princière s'investit dans de nombreuses causes. On ne peut pas leur reprocher de rester dans leur tour d'argent. Par exemple, il existe de nombreuses associations et fondations dans le domaine médical. Elles ont été créées à l'initiative de divers souverains. Le prince Filippo III a lancé il y a dix ans un programme de recherche consacré aux maladies orphelines. Et son épouse se consacre à l'écologie et l'environnement. En fait, chaque membre de la famille princière a une fondation à son nom. Beaucoup disent que c'est uniquement pour le prestige mais c'est faux. Ils s'investissent à deux cent pour cent et ne comptent pas leurs heures. Personne ne les a obligés.
— Quels sont les autres domaines dans lesquels ils s'impliquent ?
— La sauvegarde de notre patrimoine, le harcèlement sous toutes ses formes, la santé mentale, le sport, la culture, l'aide humanitaire, les soins de santé, les troubles dys, la science. C'est très vaste.
— C'est assez curieux de voir un tel engagement quand on connait la vision si conservatrice du pays.
— Je peux me tromper, mais je ne suis pas certain que la plupart des enfants princiers partagent ce point de vue. Il se murmure même que le prince héritier aurait déjà décidé de quelques modifications lorsqu'il accèdera au trône. Mais ce n'est pas pour bientôt. Son père n'a que cinquante-neuf ans et aucun ennui de santé. Bien, allons servir le plat principal !
Liam prit soin de vérifier qu'aucun résident n'avait été oublié avant de manger à son tour. Le prince Matthew et la princesse Kerry discutaient gaiement avec toutes les personnes attablées autour d'eux. Le jeune homme ne manqua pas de remarquer la grande complicité qui unissait le frère et la sœur.
Il soupira. Enfant unique, il ne connaîtrait jamais une telle chance.
À nouveau le regard de Liam se posa sur le duo princier. Malgré leurs habits très simples, le contraste avec les résidents était bien visible.
Quand il se rendit compte qu'il fixait un peu trop le prince Matthew, le jeune homme détourna la tête. S'il y a bien une chose qu'il devait éviter à tout prix, c'est que son homosexualité soit découverte au sein du foyer.
S'il avait croisé le prince en rue, Liam ne se serait pas retourné. Ce n'était pas le genre d'homme qui ressortait dans la foule mais, après un examen attentif, il fallait bien reconnaître qu'il n'était pas désagréable à regarder. Il avait des traits harmonieux et surtout, un regard captivant.
Liam se hâta de terminer son assiette pour retourner en cuisine, loin de toute tentation. Hadrijan consultait son smartphone en grommelant dans sa barbe.
— Un problème ? s'inquiéta le jeune homme.
— Tous les sites d'information ont déjà indiqué la présence de nos deux invités spéciaux. Dans moins de vingt minutes, tu peux être certain qu'une dizaine de journalistes fera le pied de grue devant le foyer. Et comme à chaque fois que le prince Matthew est seul, les rumeurs au sujet de ses fiançailles repartiront de plus belle, répondit le cuisinier.
— Il va se marier ?
— Non, il est encore jeune. Il n'a que vingt-cinq ans. Mais, ce n'est un secret pour personne qu'il est très proche de Katharina de Steyrling, son amie d'enfance. La presse aimerait un rapprochement intime. Mais le prince est très discret sur sa vie privée. Personne n'a d'ailleurs pu lui attribuer la moindre liaison. À bien y réfléchir, je crois même qu'il ne s'est jamais affiché en public avec une femme. Pourtant ce ne sont pas les prétendantes qui manquent.
— C'est un beau parti. Fortuné et qui a sans doute moins de tracas à supporter que le prince héritier.
— C'est certain. Mais je crois aussi qu'il préfère fréquenter des personnes qui ne sont pas de son milieu. Il n'a d'ailleurs fait qu'une seule année ici à l'université de Charnia. Ici, il était toujours entouré d'une nuée de fans. C'était invivable. Il a étudié à Paris, à Rome et à Londres dans des établissements moins huppés et où il était un étudiant parmi les autres. Je crois que c'est pour ça que la presse publie régulièrement des rumeurs au sujet de roturières avec lesquelles il aurait eu une relation. Il y a trois ans, un quotidien anglais affirmait qu'il avait rencontré une étudiante. Ils parlaient d'une histoire similaire à celle de Catherine Middleton et du Prince William. Mais, encore une fois, rien n'a jamais pu être prouvé.
— Au moins, même si ma situation est précaire, je n'ai pas ce genre d'ennui. Honnêtement, je serais incapable de supporter que l'on balance ainsi des rumeurs sur ma vie privée.
— C'est le lot de toutes les personnes connues. Je ne roule pas sur l'or mais je ne voudrais pas de leur vie. Le protocole, les paparazzis, un emploi du temps réglé à la minute près...très peu pour moi. J'aime trop ma liberté !
Deux heures plus tard, blotti sous une couverture moelleuse, Liam songeait à la visite impromptue du prince Matthew et de sa sœur. Danika lui avait expliqué qu'il était interdit d'adresser la parole à un membre de la famille princière. Il fallait attendre que l'un d'entre eux vous pose une question.
Ils étaient déjà venus deux fois au foyer. Y aurait-il une troisième fois ? Il lui suffirait de provoquer une rencontre, de parler de ses difficultés, de son envie de travailler avec Gaetano Barisciani. Et, qui sait ?
Ah...il rêvait. Andréa avait été claire : tant qu'il n'avait pas son diplôme en poche, il était inutile d'espérer quoi que ce soit.
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Une première apparition du prince Matthew dans ce roman. ça ne sera pas la seule...
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