La tempête
Cette nuit-là, Liam dormit mal. Il n'avait jamais partagé une chambre avec quelqu'un. Enfant unique, il avait préféré un studio individuel lorsqu'il était entré à l'université à Paris au lieu des collocations bruyantes. Il aimait être entouré de ses amis mais le soir venu, il appréciait sa solitude. Une façon également pour lui de préserver son intimité.
Au foyer, ce confort n'existait pas.
Liam mit plusieurs heures à trouver le sommeil. Plusieurs pensionnaires dans le dortoir ronflaient, tandis que d'autres discutaient entre eux. Le jeune homme espéra obtenir rapidement, même si cela était un peu égoïste, une chambre individuelle. Il avait remarqué certains regards étranges sur lui et s'était senti très mal à l'aise.
À l'université, plusieurs filles l'avaient qualifié de beau gosse. Un adjectif qu'il exécrait par-dessus tout. Il détestait être au centre de l'attention.
Pour avoir fréquenté quelques lieux de la communauté LBGT à Paris, Liam avait tout de suite deviné que certains sans abris étaient gay, comme lui. Néanmoins, tout dans leur attitude lui suggérait de se tenir le plus éloigné possible d'eux.
Foncièrement honnête, Liam se sentit obligé d'en parler à Danika le lendemain matin pendant la préparation du petit déjeuner. En omettant naturellement ce qu'il soupçonnait.
Cette dernière fronça les sourcils :
— Est-ce que l'un d'entre eux a eu des gestes mal placés ?
— Oh, non, du tout ! Mais...ah je ne sais pas, c'est peut-être la fatigue qui me joue des tours.
— Non. Hier soir nous avons accueilli trois hommes qui sont sortis récemment de prison. Ils organisaient des soirées clandestines destinées à la communauté gay d'Andalia. Elles auraient pu rester secrètes mais un jour, un voisin de l'immeuble où ils se réunissaient, a porté plainte pour tapage nocturne. Je peux leur demander de te laisser tranquille.
— J'aimerais bien, merci.
— Au fait, j'allais oublier. Tu as rendez-vous à dix heures avec Andréa, notre conseillère emploi. Surtout, ne fait pas le timide avec elle. Tout ce qu'elle souhaite c'est t'aider !
Le jeune homme sourit. Il aimait la répartie de Danika.
Après s'être restauré, Liam aida au nettoyage de la salle où se prenaient les repas. Il ne voulait pas rester à rien faire et il gardait en tête l'espoir de se voir attribuer une chambre individuelle. S'impliquer dans la vie du foyer était donc une nécessité.
Puis, il rejoignit le bureau d'Andréa. C'était une femme dans la cinquantaine, très mince et dont la chevelure était parsemée de fils argentés. Elle était vêtue d'un pull rose pâle et d'un pantalon noir très simple. Aucun bijou tape à l'œil ni maquillage exagéré. Cela n'était de toute façon pas approprié dans un tel lieu.
Liam eut l'impression d'être passé au scanner par le regard vif d la conseillère. Fébrile, il comprit tout de suite qu'il ne gagnerait rien à lui mentir. De toute façon, s'il voulait se dénicher un job, Andréa était son meilleur atout. Autant être franc avec elle.
Cette dernière invita le jeune homme à prendre place face à elle :
— Bonjour Liam. Danika m'a briefé à ton sujet. Tu ne vois aucun inconvénient à ce que l'on se tutoie ?
— Non, aucun problème.
— Très bien. J'ai examiné ton CV. Tu as un profil intéressant. Je crois qu'il ne te sera pas trop compliqué d'obtenir un emploi. Je pense qu'il te serait plus simple de viser des fonctions administratives ou d'accueil, dans un premier temps. J'ai consulté le site internet qui mentionne toutes les offres dans la principauté. Il n'y a rien actuellement dans les musées ou les galeries d'art. Par contre, j'ai déniché une trentaine d'annonces pour du support administratif. Il y a des postes dans des domaines très différents : la vente, le secteur de la construction, de l'événementiel, la communication d'entreprise, le secteur médical...tu as le choix.
Liam esquissa une grimace qu'Andréa remarqua tout de suite. Elle lui adressa un sourire bienveillant :
— Je comprends que tu veuilles rester dans le domaine de l'art. Mais le plus important c'est de renflouer ton compte en banque. D'avoir de l'argent qui tombe chaque mois pour te permettre de subvenir à tes besoins. Désolée de te le dire ainsi, mais il faudra revoir tes ambitions à la baisse dans les prochaines semaines. Hum...je ne te cache pas non plus que certains employeurs risquent de refuser ta candidature à cause de ton parcours scolaire.
— Comment cela ? s'étonna Liam.
— Ils vont raisonner comme moi. Avec de telles études, il est évident que tu n'as pas pour projet de devenir secrétaire ou aide-comptable. Ils comprendront immédiatement que tu ne passeras pas des années à te morfondre dans un emploi qui exige peu de compétences. C'est pourquoi tu vas devoir te battre si tu veux travailler. Prouver ta bonne foi et ton envie de t'impliquer pour l'entreprise qui acceptera de te donner ta chance. Même si pour cela tu dois accepter un salaire trois fois moins important que ce que tu pourrais viser.
Le jeune homme soupira. Il n'avait pas du tout envie de postuler à un job de préposé à l'accueil dans un supermarché ou un cabinet d'avocats. Il avait fait de longues études et il avait surtout un objectif précis dans sa tête. Il croisa le regard interrogateur d'Andréa et comprit qu'elle avait raison. Et qu'il ne pouvait surtout pas se permettre de se brouiller avec elle. Il n'avait pas une bonne connaissance du marché de l'emploi à Andalia. La conseillère était la seule à l'heure actuelle à pouvoir l'aider. Il hocha la tête sans dire un mot.
Andréa reprit, comme s'il n'y avait eu aucune interruption :
— Ah, j'oubliais. Il y a peut-être une offre qui t'intéressera plus qu'une autre. Et que tu devrais privilégier. C'est l'unique jardinerie de la capitale. Enfin, c'est bien plus qu'une jardinerie. Ils proposent également de nombreux produits pour la décoration et l'aménagement de la maison. Et ils ont même une animalerie. Tu te demandes sans doute pourquoi je t'en parle.
— Oui, effectivement, approuva Liam, curieux.
La conseillère sourit :
— Ils font partie des fournisseurs brevetés de la famille princière. Je ne sais pas si cela pourrait t'aider à atteindre ton but mais il n'est pas impossible que tu traites directement avec des employés du palais. Se faire remarquer positivement sera sans doute ta meilleure chance pour décrocher le job de tes rêves. Tu peux te présenter sur place directement. J'ai rédigé un courrier à l'attention du directeur. Ce n'est pas la première fois que je lui envoi des personnes en recherche d'emploi. Il sait également qu'il peut faire confiance en mon jugement. Par contre, le contrat proposé n'est que de vingt heures par semaine et pour six mois. Ils fonctionnent beaucoup avec des étudiants. Souvent ce sont les enfants des membres du personnel. En cette période, ils doublent pratiquement leurs effectifs. S'ils t'engagent et qu'ils sont satisfaits de toi, il est possible que tu puisses obtenir un emploi à temps plein et à durée indéterminée.
— Très bien, je vais commencer par-là, approuva Liam.
— Je suis présente tous les matins au foyer. Si tu as besoin de conseil, n'hésite pas. On se revoit dans une semaine pour faire le point sur tes recherches. Si tu trouves quelque chose entre temps, tu peux m'envoyer un message. Voilà mon numéro de téléphone. Bonne chance Liam. Ne te décourage pas, surtout. Je suis convaincue que tu y arriveras.
Liam ne perdit pas de temps. Il quitta le foyer et se rendit à la jardinerie située à l'extérieur de la ville. Un fournisseur breveté d'une famille princière, cela apporterait une certaine valeur à son curriculum vitae. De plus, quelque chose dans les paroles d'Andréa l'avait alerté. Elle ne l'orientait pas vers ce commerce pour rien. Il allait tout faire pour obtenir cet emploi. Car il avait bien compris que les places étaient chères.
En arrivant devant le magasin, il hésita un bref instant. Cela restait à des années-lumière de ses objectifs professionnels. Il n'avait pas envie de devoir remporter des pots de fleur à longueur de journée ou de nettoyer les cages des lapins et des cochons d'inde. Quant à conseiller les clients sur les meilleurs engrais à utiliser, c'était presque mission impossible. Il n'y connaissait rien.
Le jeune homme observa le bâtiment face à lui. Tout était rutilant. À côté de la porte d'entrée, une plaque de bronze mentionnait la distinction de fournisseur officiel de la famille princière d'Andalia.
Liam se demanda si les prix étaient adaptés à cet honneur. En tout cas, élevés ou non, la clientèle se pressait à l'intérieur.
Un peu nerveux, il finit par se décider à entrer. Il se présenta à l'accueil et tendit la lettre qu'Andréa lui avait remis. L'employée le laissa quelques instants. Lorsqu'elle revint, elle lui indiqua de le suivre.
Liam fut conduit dans un petit bureau où il fut reçu par Agnès, l'épouse du propriétaire, qui gérait tous les aspects RH. La lettre d'Andréa sembla lui faire beaucoup d'effet. Liam répondit en toute honnêteté aux questions d'Agnès pendant plus d'une demi-heure. Elle voulait tout savoir de lui.
Le jeune homme préféra lui expliquer le drame qui avait bouleversé sa vie avant qu'elle ne l'apprenne par internet. Il lui détailla son parcours chaotique jusqu'à Andalia. Il opta pour une transparence totale en confiant ses véritables ambitions professionnelles mais il assura qu'il veillerait à effectuer son travail correctement. Il précisa ensuite qu'il avait conscience que s'il était engagé à la jardinerie, c'était une chance qu'il ne pouvait refuser. Surtout sur un marché de l'emploi aussi étroit.
Agnès relut ensuite attentivement le CV du jeune homme avant de le dévisager avec un petit sourire :
— Je pense que je n'ai pas besoin de plus de renseignements. Si tu es d'accord, tu peux commencer dès demain.
Abasourdi, Liam bafouilla de nombreux remerciements. Ce boulot, c'était une sacrée bouffée d'oxygène. Certes, il ignorait encore quelles seraient ses tâches. Agnès n'avait rien dit à ce sujet. Il n'avait d'ailleurs pas osé lui poser la question de peur qu'elle lui attribue les missions les plus désagréables. En réalité, il était convaincu que c'est ce qui l'attendait.
Et il ne gagnerait que mille euros par mois. Néanmoins c'était un début. Et, comme l'avait si bien dit Andréa, la certitude d'avoir un revenu régulier. Il ne pouvait décidemment pas cracher sur une telle opportunité.
C'est donc le cœur plus léger qu'il retourna au foyer pour annoncer la bonne nouvelle.
Malheureusement, dans l'après-midi, et comme annoncé par les prévisions météorologiques, la neige se mit à tomber à gros flocons. Le vent monta et un véritable blizzard envahit toute la principauté. Les températures chutèrent brutalement. Après un début d'hier clément, la transition était particulièrement violente.
En une petite heure, la capitale d'Andalia fut recouverte d'un fin manteau blanc. Si les véhicules pouvaient encore circuler facilement en ville, Liam savait que le pire était à venir. Comme tout le monde à Charnia, il avait écouté les derniers bulletins météorologiques. La vague de froid qui s'apprêtait à envahir la région était, selon les prévisionnistes, la pire que la principauté avait connue depuis plus de cent ans.
De la fenêtre de la cuisine où il préparait le repas du soir, il observait avec appréhension la couche de poudreuse qui ne cessait de croître dans la petite cour à l'arrière du foyer.
Trois familles nombreuses, venues de Roumanie, demandèrent l'asile. Plusieurs enfants étaient malades et l'une des mères était enceinte de huit mois. Avec cette arrivée, le foyer était complet. Liam terminait son diner lorsque deux hommes firent leur entrée dans la salle commune. Ils toussaient, ils étaient très pâles et semblaient épuisés.
Le jeune homme savait qu'il n'y avait plus assez de lits disponibles et que l'un d'eux serait contraint de dormir dehors.
En ramenant son assiette à la cuisine, il décida de céder sa place. Il n'était pas malade et il était en bonne santé. Même si passer la nuit à l'extérieur l'angoissait, il refusait de se comporter de manière égoïste. De toute façon, il ne pourrait jamais profiter de son lit dans le dortoir pendant qu'un homme mal en point errerait dans les rues de Charnia.
Il en informa Danika qui le remercia d'un air désolé. Elle remit au jeune homme une grosse couverture d'hiver très chaude ainsi qu'un plaid polaire.
Liam se rendit au sous-sol pour prendre dans son sac plusieurs vêtements et se changea dans les toilettes.
Par-dessus son jeans, il enfila un pantalon de training devenu un peu trop large à cause des privations qu'il avait enduré ces dernières semaines. Il revêtit plusieurs t-shirts à manches longues, deux gros pulls et un sweat à capuche. Il fouilla dans ses affaires pour dénicher deux paires de gants, un gros bonnet de laine, un tour de cou et une grande écharpe en polaire.
Il se félicita d'avoir anticipé cette situation.
Il enveloppa ses pieds de trois paires de chaussettes dont une spéciale pour la randonnée. Il troqua ses boots pour des chaussures très chaudes et imperméables à la neige. Il prit ensuite une grosse doudoune qu'il avait pour habitude de revêtir lorsqu'il partait au ski.
Ainsi paré, Liam espérait pouvoir tenir jusqu'au petit matin. Il n'avait pas le choix, de toute façon.
Par précaution, il demanda à Danika de garder son smartphone et n'emporta avec lui que ses papiers d'identité ainsi que quelques pièces de monnaie.
Le froid glacial l'accueillit dès sa sortie du foyer et lui arracher une grimace. Un bref instant, Liam faillit renoncer à ses bonnes résolutions. Il se retourna brièvement vers le bâtiment qu'il venait de quitter mais il se rappela ensuite l'air hagard des deux derniers arrivants. Non, il n'avait pas le droit d'en envoyer un à la rue. Il parcourut les environs du regard, à la recherche d'un abri. La seule chose à laquelle il n'avait pas réfléchi avant de sortir.
Le jeune homme se rendit alors à la gare et se réfugia dans le vaste hall des départs. Même si la température n'y était pas très agréable, il était à l'intérieur et au sec. Un luxe appréciable dans sa situation.
Dehors, la tempête annoncée faisait rage. Le vent puissant soulevait des tourbillons de neige et les quelque rares passants ployaient sous la force des rafales.
Une annonce retentissait à intervalle régulier dans la gare, prévenant des retards et annulations de nombreux trains. Malgré les avertissements parus dans la presse et les reportages de l'unique chaîne d'information d'Andalia, plusieurs voyageurs se retrouvèrent coincés à la gare parce qu'ils n'avaient pas pris la peine de se renseigner au préalable.
Assis dans un coin à l'abri des regards, Liam pria de toutes ses forces pour qu'il ne soit pas contraint de quitter les lieux. Avec un peu de chance, les autorités se montreraient clémentes. Les circonstances étaient quand même particulières.
Malheureusement, vers minuit trente, un agent de sécurité le repéra et lui demanda de partir. Il lui expliqua que les bâtiments fermaient jusqu' à cinq heures du matin pour éviter les fréquentes dégradations causées par les sans-abris. La tempête n'y changeait rien.
Dépité, le jeune homme prit son courage à deux mains et sortit. La neige tombait dru.
Pour une fois, Liam ne s'extasia pas devant la multitude de flocons qui voletaient dans les airs. Pourtant, il adorait partir aux sports d'hiver. Il appréciait les longues balades dans la poudreuse et les courses de traineau avec ses amis.
Cette nuit néanmoins l'or blanc serait son ennemi.
Hésitant, le jeune homme finit par se diriger sur le côté de la gare où il trouva un renfoncement qui lui permettait de se mettre à l'abri du vent. Il préféra rester debout pour préserver ses vêtements de l'humidité. S'assoir dans la neige était exclu. Appuyé contre le mur, Liam somnola pendant une heure tout en serrant sa couverture contre son corps. Il refusait de céder au sommeil pour de bon par crainte de ne pas se réveiller.
Ce serait si simple pourtant. Il n'aurait plus aucun problème. Il ne devrait plus se casser la tête à chercher du boulot, à compter son argent pour ne pas être à sec. Il éviterait les regards emplit de pitié des employés du foyer.
Oui, ce serait tellement plus facile. Il n'avait qu'à fermer les yeux et ne plus les ouvrir.
Le jeune homme s'adressa mentalement une gifle. Il n'avait pas le droit de renoncer. Andréa, Danika, Agnès, toutes ces personnes qui lui avaient tendu la main pour l'aider à remonter la peinte, il ne pouvait pas les décevoir.
Ce n'était pas non plus dans son caractère de baisser les bras. Comment parviendrait-il à convaincre Gaetano Barisciani de l'engager, s'il le rencontrait un jour, s'il était prêt à abandonner à la moindre difficulté.
Liam serra les dents. Ce n'était pas quelques ridicules flocons de neige qui allaient l'empêcher d'atteindre son rêve. Hors de question.
Vers deux heures du matin, le jeune homme se résolut à acheter un thé au citron au distributeur de boissons chaudes qui se trouvait à quelques mètres à peine. Cela lui coûta deux euros. Pour beaucoup cela ne représentait qu'une pièce insignifiante. Pour lui, c'était une petite fortune quand on devait compter le moindre centime.
Liam prit le temps de savourer le breuvage au goût industriel. Il se demanda d'ailleurs où se trouvait le citron car dans le gobelet en plastique qu'il tenait entre ses mains, il avait l'impression qu'il s'agissait seulement d'eau bouillante.
Mais c'était toujours mieux que rien. Et si cela pouvait lui permettre de tenir, c'était de l'argent intelligemment dépensé.
Le jeune homme sentit avec bonheur la chaleur transpercer ses gants. Il avait froid malgré toutes les couches dont il était vêtu. Ses pieds engourdis lui faisaient mal. Il songea un instant à marcher quelques pas mais le vent qui soufflait toujours en puissantes rafales l'en dissuada. Il ne lui faudrait pas plus de cinq minutes pour être couvert de neige.
Liam savait que les températures étaient exceptionnellement basses pour la saison dans la plaine. Et qu'elles étaient descendues en dessous de zéro. Une situation classique dans les montagnes mais rare à Charnia. Il chassa néanmoins rapidement cette idée de son esprit. S'il pensait aux valeurs que devaient indiquer les thermomètres actuellement, il risquait de lâcher prise.
Liam compta les minutes et son regard se fixa sur l'entrée de la gare. Il devait encore tenir trois longues heures dans ces conditions pénibles.
Autour de lui, la neige s'était accumulée avec les bourrasques de vent.
Des camions passaient à intervalle régulier dans les rues afin de dégager la poudreuse et permettre aux rares véhicules de pouvoir circuler sans encombre.
Le jeune homme les observait avec attention pour ne pas s'endormir. Pour tromper son ennui et rester alerte, il essaya même de réciter par cœur certains de ses cours. Il se concentra particulièrement sur les techniques de nettoyage des tableaux et lista à plusieurs reprises tout ce qu'il avait appris au cours de ses études.
Il essaya ensuite de s'imaginer le travail qui pourrait être le sien s'il intégrait les ateliers de Gaetano Barisciani. Cette seule pensée le revigora. Il avait fait le plus dur. Il était arrivé à Andalia. Il ne lâcherait rien. Pas en étant si près de son objectif.
Enfin, après ce qui lui sembla être une éternité, les cloches de la cathédrale de Charnia annoncèrent la délivrance. Sa délivrance. Engourdi par le froid, Liam boitilla pour rejoindre la gare. Il fut le premier à se réfugier dans le hall des départs. À cette heure matinale, et avec la neige, le jeune homme ne fut pas étonné d'être le seul à se précipiter à l'intérieur.
Il se détendit. Le plus dur était passé.
Même si le lieu n'était pas chauffé, il était à nouveau à l'abri de la tempête.
Liam s'assit dans un coin qu'il estima le plus approprié, là où il serait à peine visible. Il n'avait pas envie de croiser des regards désapprobateurs.
Il resserra autour de lui la couverture que Danika lui avait donnée et il s'autorisa, enfin, à fermer les yeux. Deux heures plus tard, il se réveilla en sursaut.
Les annonces résonnaient plus fort et plus régulièrement dans la gare. Les voyageurs commençaient à affluer, tous priant pour que leur train circule malgré la neige.
Une délicieuse odeur de pain chaud agaça alors les narines de Liam. Il n'avait pas prêté attention à ce qui l'entourait lorsqu'il s'était installé dans son coin. Il grimaça en réalisant qu'il se trouvait pratiquement en face d'une boutique qui faisait office de boulangerie, de salon de thé et de sandwicherie.
Le jeune homme se leva avec l'idée de s'éloigner de la tentation. Ses finances restaient précaires. Il ne pouvait pas céder. S'il s'écoutait, il irait acheter un délicieux mocaccino. Il imagina les arômes du café et du chocolat, noir et amer de préférence, se mêlant généreusement à de la crème fouettée. En laissant échapper un grognement de frustration, il chercha du regard un autre endroit où se poser.
C'est alors qu'une femme sortit de la boutique, un sachet et un grand gobelet fumant à la main. Elle l'interpella avant qu'il n'ait eu le temps de fuir :
— Ne partez pas ! Je vous ai vu arriver et je présume que vous avez passé la nuit dehors. Tenez, prenez ceci. C'est du chocolat chaud. Et il y a deux croissants fourrés à la frangipane dans ce sac.
— Merci madame, murmura Liam en baissant les yeux.
Le jeune homme se réinstalla dans son coin, gêné par cette attention. Il n'aimait pas se sentir vulnérable et encore moins dépendre des autres pour se nourrir. Il n'avait pas une apparence misérable comme certains pensionnaires du foyer mais avec sa couverture et toutes ses couches de vêtements, il n'avait aucun doute sur l'image qu'il renvoyait aux passants. Un sans-abri. Un homme dans le besoin. Quelqu'un qui dépensait certainement son argent dans l'alcool et le tabac. Ou pire, la drogue. Un fainéant qui n'avait pas envie de travailler. C'est ce que disaient ses amis à Paris, lorsqu'ils découvraient des silhouettes endormies sous des cartons dans les rues de la capitale française.
C'est ce qu'il pensait parfois lui-aussi. Liam se sentit tout à coup honteux. Un jour il ne manquait de rien, le lendemain il avait tout perdu. Pourtant il n'était pas alcoolique. Et encore moins un junkie. Et il était pourtant à la rue.
Il jeta un coup d'œil discret vers la boutique. Même s'il devait encore passer plusieurs nuits dehors, il savait qu'il éviterait le coin dans les prochains jours.
« Orgueil mal placé » aurait dit son ex-meilleur ami. Sans doute.
Cependant, le jeune homme n'arrivait pas à accepter sa situation précaire. Il ne vivait pas dans le luxe à Paris, mais il s'en sortait. Il mangeait à sa fin, il dormait dans un lit confortable et il avait du chauffage dans son studio.
Et il avait pour habitude de détourner le regard dans la rue lorsqu'il apercevait des sans-abris.
Voilà peut-être pourquoi il résisterait aux marques de bienveillance de la commerçante. Il ne lui laisserait plus l'opportunité de l'aider.
Tandis qu'il mangeait son premier croissant, il sentit le regard de la femme posé sur lui. Un profiteur, voilà comment il s'identifiait à l'heure actuelle. Et il détestait cela.
Heureusement, il fut bientôt l'heure pour Liam de se rendre à son nouveau lieu de travail.
Auparavant, il se rendit au foyer pour retirer ses multiples couches de vêtements, prendre une douche et revêtir une tenue plus adaptée pour travailler. Il ne pouvait décemment se rendre à la jardinerie avec un air débraillé.
Il croisa Emilie, la préposée à l'accueil, qui lui confia une mauvaise nouvelle. Plusieurs résidents présentaient des symptômes de gastroentérite. La nuit avait été particulièrement agitée dans certains dortoirs. Le regard de dégoût de la jeune femme fut suffisant pour décourager Liam de lui poser des questions à ce sujet.
Afin d'éviter une contagion massive, la direction du foyer avait été contrainte d'interdire toute entrée tant que les malades n'étaient pas guéris et tout danger d'infection écarté. Cela signifiait également que le service des repas était interrompu.
Liam savait également ce que cela signifiait pour lui.
Heureusement, il avait cependant toujours l'autorisation de se rendre à son casier afin de changer de tenue. Mais il pouvait oublier sa douche chaude.
Emilie expliqua ensuite que les membres du personnel n'avaient plus le droit d'héberger des résidents suite à de nombreux problèmes. Sans quoi, elle lui aurait proposer de venir chez elle.
Dépité mais compréhensif, le jeune homme s'apprêtait à quitter le foyer, inquiet, lorsqu'Emilie lui tendit une petite carte :
— Tu peux te présenter à l'hôtel du Centre. Ils acceptent de mettre à disposition une chambre pour certains de nos résidents pour qu'ils puissent accéder à des installations sanitaires en cas de besoin. J'ai indiqué que tu ne présentais aucun signe de maladie et que tu avais une bonne hygiène.
Liam remercia Émilie avec chaleur. Il consulta sa montre : il avait tout juste le temps de se rendre à l'hôtel avant de rejoindre la jardinerie.
Le propriétaire de l'établissement l'accueillit aimablement et le conduisit dans une petite chambre du rez-de-chaussée. Le jeune homme aurait aimé s'attarder sous l'eau chaude mais il préféra ne pas abuser de l'amabilité de l'hôtelier. Il prit la peine néanmoins de sécher ses cheveux correctement. Pas question d'attraper froid !
D'autant que de nouvelles averses de neige étaient prévues pour les prochains jours et il se demandait s'il serait capable de tenir le coup.
Néanmoins, en se remémorant les paroles d'Émilie, cette première nuit dehors lui avait été bénéfique, d'une certaine manière. Il n'était pas touché par le virus. Malade, son état se serait certainement très vite dégradé dans le froid.
Une vingtaine de minutes plus tard, l'accueil chaleureux d'Agnès à la jardinerie lui remonta le moral, tout comme la douce chaleur qui régnait dans le bureau que Liam allait partager avec elle.
Il ne fut pas dupe lorsqu'elle lui montra un meuble sur lequel trônait une machine à dosettes de café et de thé. Et surtout, lorsqu'il remarqua, juste à côté, une corbeille en osier remplie de nombreux biscuits.
Le jeune homme se promit de ne pas abuser de ce qui lui était offert. Il soupçonnait Andréa d'avoir appelé sa patronne pour lui détailler son parcours et sa situation.
Naturellement, il n'aimait pas cela. Il refusait de voir de la pitié dans les yeux des gens. Il ne voulait pas de leur pitié tout simplement.
Cela le motivait encore plus pour retrouver une situation stable.
Même s'il n'avait pas du tout envie de devenir jardinier ou paysagiste, Liam se promit de tout faire pour obtenir rapidement un emploi à temps plein. Ainsi, il pourrait quitter le foyer et se dénicher un petit studio. Ne plus dépendre des autres, c'était son objectif à court terme. Et il ferait tout pour l'atteindre aussi vite que possible.
Il suivit ensuite Agnès pour effectuer un tour des installations et rencontrer ses nouveaux collègues.
Finalement, le temps passa trop vite. Quand il fut l'heure de quitter les lieux, Liam grimaça. Le temps était toujours exécrable et il ne pouvait pas retourner au foyer. Il se demanda alors comment il allait pouvoir s'occuper le reste de la journée. Et rester au chaud.
En se rappelant les paroles d'Andréa, il décida de partir à la recherche d'un job complémentaire. Mais il fit chou blanc. Même les agences d'intérim n'avaient aucun poste à lui proposer
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Comme vous le voyez un chapitre très très long. J'ignore encore ce que je vais faire à la réécriture. Mais je voulais vraiment montrer les galères de Liam avec cette tempête.
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