Chapitre 7 - Elwin

Le docteur Finlah était revenu je ne sais combien d'heures plus tard. Il m'avait retrouvé dans la salle de bain, alors que j'étais recroquevillé dans mon coin, ne sachant plus du tout quoi faire de ma vie. J'avais désespérément cherché un ciseau pour me couper ces mèches bleues, pour couper tous les liens possibles que j'avais avec Bleu, mais je n'avais rien trouvé ; toutes les armoires étaient vides, sauf pour une brosse à cheveux et une brosse à dents. Il n'y avait même pas de pâte pour aller avec la brosse à dents. Il y avait un bain-douche, mais quand je tournais le robinet, aucune eau n'en sortait. C'était vraiment une salle de bain pour suicidaire, comme quoi, ici, il m'était impossible de m'empoisonner en avalant du rince-bouche, ou de me noyer dans le bain. À défaut, j'avais essayé de me les arracher, mais ça faisait trop mal, j'avais vite abandonné l'idée. Il y avait tout de même un bon paquet de petits cheveux bleus tout autour de moi.

- Alors, tu as résolu ton problème ? demanda Finlah.

Je secouai la tête en levant mes yeux rougis vers lui.

- Je l'ai trouvé, marmonnais-je. Je l'ai pas résolu.

- Je peux savoir ce que c'est ?

Finlah s'assit devant moi, directement sur le sol couvert de mes cheveux bleus. Il ne dit aucun commentaire là-dessus.

J'étais partagé entre l'envie de tout lui dire, et de tout garder pour moi. Après tout, Finlah était docteur, et il était la seule personne – réelle – dont il m'était possible de voir. Si quelqu'un pouvait m'aider, c'était lui. Mais en même temps, lui parler de mon ami imaginaire, peut-être pas si imaginaire que ça, c'était des plans pour rester coincé dans ce trou trois fois plus longtemps. Ça ne faisait même pas encore un jour entier que j'étais ici, et j'en avais déjà par-dessus la tête.

- Désolé, je crois pas que je sois prêt à en parler...

- Ça va, prend ton temps.

Malgré tout, Finlah resta sagement assis devant moi, exactement dans la même position, genoux repliés et bras tout autour.

- Qu'est-ce qui te ferait plaisir, là tout de suite ? demanda-t-il au bout d'un moment.

- Retourner chez moi. Voir Simon. Et Suzie, surtout.

- Quelque chose de possible, que je pourrais te donner maintenant.

- Une coupe de cheveux.

Finlah haussa les sourcils, surpris de la demande.

- J'en ai marre du bleu, je veux couper mes mèches. Ou les teindre blonds, comme le reste de mes cheveux.

- On n'a aucune teinture, ici.

- Vous ne pourriez pas aller en acheter ?

Finlah baissa les yeux, cherchant un moyen de me révéler la triste réalité ; je n'avais pas le droit de toucher à ce genre de produit.

- Vous me le ferrez, c'est pas trop difficile si on suis les instructions. Je resterais sagement assis sur une chaise pendant ce temps-là.

- Je peux pas faire ça, Elwin. Je suis pas coiffeur ; je suis médecin.

- Je savais pas qu'il fallait un doctorat pour se faire une couleur, grognais-je. Des tas de gens se teignent les cheveux par eux-mêmes.

- Je ne te teindrais pas les cheveux. Et je les couperais encore moins. Demande quelque chose d'autre.

- Sortir de cette chambre.

- Je t'ai déjà avertie que tu ne sortiras pas d'ici...

- À moins d'être étroitement surveillé.

Finlah garda le silence un long moment, réfléchissant à la question. J'espérais bien qu'il allait dire oui, car je ne savais plus quoi lui demander d'autre. Un exorcisme, peut-être... peut-être que ce serait un bon moyen de me débarrasser de Bleu.

- Très bien, finis par dire le docteur. Je vais te faire visiter la place, trente minutes pas plus. Je vais aller chercher du personnel. Ça te va ?

- Oui.

Sans rien ajouter, Finlah sortie de la salle de bain. Au moment où j'en sortais aussi, il était déjà sorti de la chambre. J'étais à nouveau seul dans la pièce, mais cette fois, au moins, j'avais la certitude qu'il allait revenir. Ce qui prit à peu près dix minutes. Il était maintenant accompagné de quatre hommes, tous assez grand et bien raide, en tout point conforme aux gardiens de prison, sauf pour leur vêtement. Ils n'avaient pas d'uniforme ; tous un pantalon du même matériel, les ressemblances s'arrêtaient là. L'un avait une chemise, l'autre un chandail gris et un peu troué par endroit, l'un avait un chandail de Star Wars et le dernier de Star Trek et se donnait des coups de coude, comme si leurs vêtements racontaient une blague. Malgré tout, leurs carrures étaient déjà assez impressionnantes pour ne pas me donner envie de tenter quoi que ce soit.

- Tu veux toujours visiter les lieux ? me demanda le docteur.

Je hochais la tête, décidée. Star Wars et Star Trek sortirent avant moi, Finlah vint à mes côtés, les deux derniers restèrent derrière pour bien pouvoir me surveiller.

Comme dans ma chambre, les murs du couloir que nous parcourrions étaient gris métallique, comme si les murs n'étaient faits en rien d'autre que du métal. Pas de bois, pas de plâtre... rien que du métal.

- C'est vraiment un hôpital psychiatrique, ici ?

- Tout à fait, me répondit Finlah.

Alors, c'est un drôle d'hôpital, pensais-je. À intervalle régulier, il y avait d'autres portes, surement d'autre chambre comme la mienne, abritant d'autres personnes avec des besoins particuliers. Nous étions surement au centre du bâtiment, car je ne trouvais aucune fenêtre sur mon chemin. Il nous fallut près de deux minutes de marches pour sortir de ce corridor, et arrivée au bout, j'étais déjà à bout de souffle. Je ne savais pas si c'était un effet de la dépression, mais j'avais plutôt l'impression que ça venait de l'air lui-même, comme s'il contenait moins d'oxygènes.

- Ça va ? me demanda le docteur en m'agrippant l'épaule.

Je hochais encore la tête, même si, dans le fond, je ne me sentais pas si bien que ça. Si ce bâtiment se résumait vraiment à de longues suites de corridor au mur gris, j'étais plutôt tenté de retourner à ma chambre pour me coucher, plutôt que de continuer. Malgré tout, il fallait que je sache où j'étais exactement ; je ne m'arrêterais pas tant que je n'aurais pas trouvé de fenêtres.

Finlah continua sa marche, toujours une main sur mon épaule. Il tourna à droite et nous longeâmes un long mur sans aucune porte, mais toujours sans fenêtre. Il y avait surement une grande salle de l'autre côté de se mur, mais où était sa porte, je n'en savais rien.

Je m'arrêtais au bout d'un autre deux ou trois minutes de marches, m'appuyant sur Finlah, les jambes molles. Je n'y tenais plus ; il fallait que je m'assoie, ce que je fis, directement au sol. Finlah m'agrippa le bras, comme s'il croyait que je tombais et qu'il voulait me retenir, mais me lâcha quand il vit que c'était volontaire. Il me demanda encore une fois si ça allait, et cette fois, je marmonnais un non. J'avais la tête qui tournait violemment.

- Va lui chercher de l'eau.

Je levais les yeux pour voir Star Trek s'éloigner, puis tourner au coin d'un corridor que nous avions quitté il y a peu de temps.

- Qu'est-ce qui m'arrive ? marmonnais-je.

J'essayai de me concentrer sur Finlah, mais j'avais des points noirs qui dansaient devant mes yeux.

- Rien de grave, ce sont des choses qui arrivent. T'es pas le premier, je t'assure.

- Mais en quelle situation ? Pas le premier qui quoi, à cause de quoi ?

Finlah fut dispensé de répondre à la question, car au même moment, Star Trek revint avec une bouteille d'eau, qu'il me tendit. J'en bus les trois quarts, même si cette eau goutait un peu bizarre, et je me sentis vite beaucoup mieux. Finlah me tendit sa main pour m'aider à me relever, et j'acceptais son aide. Aussitôt sur pieds, la tête recommença à me tourner, et j'eus à nouveau envie de m'assoir au sol, ce que je me retins de faire.

- Tu veux toujours continuer la visite ?

Je secouais lentement la tête de gauche à droite ; je regrettais déjà de m'être autant éloigné de ma chambre. J'avais presque envie qu'on m'y ramène en fauteuil roulant.

- On devrait peut-être le laisser aller dans la salle, pour qu'il puisse s'assoir et reprendre un peu son souffle, dit l'un des hommes. Ça va, on est quand même cinq pour le surveiller.

- Ouais, mais tous les autres ? S'il s'énerve, ils pourraient s'énerver aussi, et ça pourrait vite dégénérer.

- S'il te plait, soupirais-je en fermant les yeux. Laissez-moi y aller, je veux seulement m'écraser quelque part.

- Ça va, allons-y, finis par dire Finlah. Même s'il voudrait profiter de l'occasion d'une quelconque manière, il est bien trop épuisé pour ça.

Puis, enfin, mes cinq gardes du corps personnel rebroussèrent chemin pour revenir sur nos pas, mais nous n'en avions fait qu'une dizaine quand nous nous arrêtèrent devant une porte en tout point conforme à toutes les autres ; en métal. L'un des hommes, celui avec le chandail gris et légèrement troué, s'avança pour l'ouvrir et nous la garder ouverte pendant que nous la passions. Puis, je remarquais que cette salle était immense, ou du moins beaucoup plus grande que ma chambre. Il y avait des tables, des armoires pleins de jeux de sociétés, des arcades, des jeux comme le air-hockey et le babyfoot. Mais le mieux, c'était les gens, les patients, pensais-je plutôt. Ils devaient être une vingtaine, les plus vieux faisant peut-être seize ans, les plus jeunes à peine cinq ou six. Ils portaient tous les mêmes habits blancs que moi, ce qui les rendait faciles à distinguer du personnel, deux fois plus nombreux que les patients, habillés comme bon leur semblait.

À l'instant précis où je mis un pas dans la pièce, ce fus le silence complet chez les patients. Ils me dévisageaient, comme s'il essayait de deviner à quelle espèce je faisais partie. Au schtroumpf, était d'ordinaire ma réponse à ce genre de questions. Mais cette fois, j'avais honte de mes cheveux bleus. Ça ne faisait que me rappeler Bleu, et j'aurais préféré l'oublier, l'effacer totalement, et même, si c'était possible, de le tuer. J'étais déjà ici à cause de lui, aussi bien mériter ma place.

Finlah m'entraina vers un coin de table inoccupé, et je me laissais tomber dans la chaise, faisant de mon mieux pour respirer normalement. Finlah s'était assis en face de moi, deux hommes s'étaient assis de chaque côté de moi, les deux derniers étaient debout derrière. Finlah attrapa le premier jeu à portée de main - serpent et échelle -. L'ouvris et installa le jeu. Je le regardais faire, la tête appuyée dans ma paume.

- Dès la partie terminée, tu vas retourner dans ta chambre. Ça te va ?

Je hochais la tête, songeant que je devrais y jouer aussi lentement que possible. Finlah se choisit un pion rouge et me donna le bleu. Je lançai le pion en bas de la table et prit plutôt le jaune. Finlah joua en premier, brassant les dés, et je promenais encore une fois mon regard dans la salle ; la plupart des patients avaient recommencé à faire ce qu'ils faisaient avant mon arrivée, jouant entre eux à des jeux, les plus saints d'esprit d'entre eux parlant tranquillement de quelconque sujet. Mais il y en avait encore quatre, tous regroupés dans leurs coins, à me fixer avec intérêts. Eux aussi, ils étaient entourés d'un bon nombre de personnelles. C'était surement les plus dangereux, tout de même pas plus que moi.

- Elwin, à toi de jouer.

Je reportais mon attention sur le jeu, pris les dés, les secouaient, les laissaient tomber sur la table. Huit. Je montai une échelle qui m'apporta directement à la case trente. Moi qui voulais faire durer la partie le plus longtemps possible, j'étais mal barré.

Je lançais encore un regard vers la bande de quatre, un peu plus loin ; ils s'étaient maintenant assis autour d'une table, jouant à ce qui me semblait être le scrabble, mais tous me regardaient encore subtilement. J'avais envie d'aller les voir et de leur demander qu'est-ce qu'il me voulait, mais j'avais l'impression que c'était le genre de chose que je n'avais pas le droit de faire, ici. De toute façon, j'étais bien, assis. La tête me tournait de moins en moins, et d'ici la fin de cette partie de serpent échelle, je serais surement tout à fait rétabli.

- Elwin, à toi de jouer.

Je commençai à croire que cette partie était là dans le simple but de m'empêcher d'observer mon nouvel environnement. Je jouais, atterrissant sur la case trente-neuf. Le pion de Finlah était loin derrière le mien. Je m'essayai encore une fois à regarder les autres ; eux aussi me regardaient encore.

- Elwin, à toi...

- Je sais ! m'énervais-je.

Maintenant, j'avais hâte que la partie se termine, pour ne plus entendre encore une fois de « Elwin, à toi de jouer ». Mais j'avais tout de même envie de rester ici, dans cette salle, avec tout un tas de gens, parce que j'en avais marre d'être seul. J'avais envie d'aller voir ces quatre-là, qui jouaient au scrabble un peu plus loin, mais, bien sûr, je n'en avais pas le droit. J'étais coincé avec Finlah et ces quatre gardes du corps, jusqu'à ce que la partie se termine.

Avec un soupire, je me décidais de me consacrer entièrement à la partie. Cette fois, je tombai sur un serpent, qui me fit atterrir à la case quinze. Finlah me rattrapa, allant à la vingt-quatre.

- Hé, retourne dans ton coin, toi !

Je levais les yeux pour voir à qui s'adressait le message ; une fille à la peau noire dans ses habits bien blancs de patiente s'était approchée de moi. L'un de mes gardes s'approcha d'elle, mains levées pour lui faire comprendre de reculer, mais elle ne bronchait pas, continuant de m'observer. Elle était facile à reconnaitre ; c'était l'une des quatre qui n'arrêtaient pas de m'espionner.

- Salut ! me lança-t-elle, tout en essayant d'échapper au garde qui essayait de la faire reculer. Je suis Marie la Reine ! Et toi ?

- El...

Avant même que je pusse terminer ma phrase, le garde attrapa Marie la Reine (dont je soupçonnais de s'appeler simplement Marie-Reine) à bras le corps et la ramena auprès de ses amis, et un autre garde, celui au chandail de Star Wars, m'agrippa par le bras pour me forcer à me lever, et ils me firent sortir de la salle, alors que ça commençait vraiment à dégénérer. Presque tous les patients s'étaient lancés à la rescousse de Marie-Reine, tout le personnel vint par la suite en aide au garde qui la tenait. Une bonne partie des patients, les plus atteints, surement, ne participaient pas à ce qui était devenu une bagarre, ils se contentaient de lancer dans les airs tout ce qu'ils pouvaient, en criant comme George de la jungle. Même longtemps après que la porte se soit fermée derrière moi, j'entendais encore les cris.

Si j'avais eu des doutes où j'étais exactement, maintenant, au moins, j'avais la confirmation d'être bel et bien dans un hôpital psychiatrique. Ou au moins, à la limite, dans un endroit où étaient regroupés les pires tarés que je n'avais jamais vus.

Le reste du trajet du retour vers ma chambre se fit dans le silence, alors que j'étais maintenant entouré que de trois gardes, le quatrième toujours coincé dans la salle. Va savoir pourquoi, cette fois, je parvins à faire tout le trajet sans m'effondrer de fatigue. Arrivé à la chambre, je me laissais tout de même tomber dans le lit, épuisé, mais pas à bout. Peut-être qu'avec quelque petite marche, je réussirais à me faire un peu d'endurance.

- Je te laisse seul, Elwin, me dit Finlah. Si t'as un problème, appuis sur le bouton. Cette fois, je viendrais, promis.

Sans attendre de réponse, Finlah et les trois autres hommes sortirent en hâte de ma chambre, surement pour porter un secours de dernières minutes aux autres.

Depuis que j'étais arrivé ici, je n'avais rien mangé du tout. Je commençai à avoir sérieusement faim, mais je préférais ne pas appuyer sur le bouton. Pas tout de suite, du moins. Tout ce qui m'importait, sur le moment, va savoir pourquoi, c'était Marie la Reine. À première vue, elle semblait tout à fait saine d'esprit... du moins, celons-moi, qui ne l'était clairement pas.

Tout de même, je me demande qu'est-ce qu'elle fait ici, celle-là. Elle, et les trois autres de ses amis. Ils semblaient tellement différents des autres...

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