Chapitre 42 - Elwin
Plus les secondes passaient, plus j'arrivais à voir dans le noir. Je voyais Sushi, étendu devant moi. Je ne voyais de lui que le contour de sa silhouette, mais je savais qu'il était toujours inconscient. J'essayai désespé-rément de le réveiller, lui secouant le bras, donnant des petites claques sur sa joue. Presque la moitié de son visage était poisseux de sang. Je collais ma main à son cou, la peur au ventre, mais je parvins à sentir son cœur battre lentement. Tout ce que je pouvais faire pour lui, c'était d'attendre qu'il se réveille. Je me relevai et retournai contre la porte, essayant de la forcer, sans y parvenir. Si seulement Bleu serait là ! Il était surement encore à retirer les costumes de Rose et de la Reine. Et ensuite, dans moins de cinq minutes, il sera ici, il nous ramènera sur Terre avec les autres... Quand bien même que je ne peux pas parler, il sait bien prendre des initiatives par lui-même. Ou bien qu'il ait quelque notion du langage des signes. Il n'y a aucune raison que cette muselière puisse empêcher Bleu de nous sortir d'ici.
L'un des hommes de Finlah m'avait injecté quelque chose dans le bras, par contre. Peut-être que ça fera une différence. Peut-être que c'était cette même drogue, sous forme liquide, que j'avalais tous les jours et qui m'empêchait de voir Bleu. Et si je ne le voie pas, que je ne l'entend pas, est-ce qu'il pourra tout de même faire quelque chose pour moi...?
Je retournai m'asseoir près de Sushi, une main sur son bras pour lui laisser compren-dre qu'il n'est pas seul. Aussitôt ma peau en contact avec la sienne, j'entendis un petit bruit qui me fit sursauter, avant de me rendre compte que c'était Sushi qui mar-monnait, ou gémissait. Il commençait enfin à se réveiller. Je lui secouai le bras, le pressant de se réveiller un peu plus vite, mais il n'en arrêtait plus de gémir, sans jamais se lever. Il leva lentement une main pour toucher sa tempe gauche, et gémi un peu plus fort sous la douleur.
- Y'a quelqu'un ? marmonna-t-il faiblement.
J'aurais bien voulu lui répondre que j'étais là, mais je ne pouvais pas. Et si, moi qui avait des yeux on ne peut plus clair, arrivait à distinguer tout juste quelque contour de sa silhouette, lui, avec ses yeux on ne peut plus sombre, n'y voyait rien du tout. Il n'avait aucun moyen de deviner que c'était moi.
- Qui est là ? répéta-t-il un peu plus fort.
Sa peur augmentait aussi surement que sa température. Bientôt, je ne pouvais même plus supporter de le toucher. Mais comme je m'éloignais de lui, il s'élança vers moi, guidé par le bruit, et m'agrippa le bras pour me brûler. Je donnais un coup de pied pour me dégager et Sushi retomba au sol, trop faible pour faire plus.
- Qui êtes-vous...?
Sa voix tremblait, il semblait sur le point de se mettre à pleurer. Être coincé dans le noir, sans savoir où ni comment il s'était retrouvé là, avec une personne muette, je pouvais bien le comprendre d'avoir peur.
Précautionneusement, je lui pris la main, qui était brûlante, à la limite du supportable, et la mit sur ma vieille brûlure, espérant qu'il me reconnaitrait ainsi. Mais il avait brûlé des tas de gens, ici... Je passais ensuite sa main dans mes cheveux, puis le bandage de mon pied. Il sembla enfin se calmer.
- Bleu, c'est toi ?
Je mis sa main sur ma joue pour qu'il me sente hocher la tête. Sushi laissa échapper un petit rire nerveux.
- Pourquoi tu l'as pas dit avant ?
Je mis sa main sur ma muselière. Sushi retira vivement sa main, comme quoi ma muselière lui faisait peur.
- Qu'est-ce que c'est ?
J'aurais bien voulu répondre, mais mon silence fut tout autant révélateur.
- Ok, éloignes-toi, dit Sushi au bout d'un moment. Je vais essayer...
Une grande chaleur irradia du corps de Sushi et je m'éloignais aussitôt, toujours à quatre pattes au sol. La chaleur en devenait étouffante, mais Sushi réussi enfin ce qu'il voulait faire ; de la lumière. Une boule de flamme dansait dans le creux de ses paumes. Son front était plissé par la concentration, de la sueur gouttait de son front là où il n'était pas déjà beurré de sang.
- Ça fait une éternité que j'ai pas réussi à faire ça...
Sushi leva les yeux vers moi, et ses yeux s'écarquillèrent quand il vit à quoi ressemblait ma muselière. Sushi se releva lentement et me contourna, une seule main pour tenir ses flammes, l'autre s'agrippant au mur.
- Y'a un cadenas. Je peux peut-être essayer de le faire fondre...
Je secouai vivement la tête, me relevant pour lui faire face et m'éloignant de deux pas. Sa chaleur me faisait souffrir alors que deux mètres nous séparaient. S'il fallait qu'il fasse fondre ce cadenas, il me fondra le cerveau avec !
Sushi baissa la tête, en venant surement à la même conclusion que moi. Si seulement il avait eu un peu de pratique, avec son don, je n'aurais pas été contre de me débarrasser de ce truc. Mais il avait passé la moitié de sa vie ici dans le seul but d'empêcher son don de se manifester. Et quand il arrivait à faire quelque chose, c'était toujours dans le but de faire souffrir, voir même tuer, et là-dessus, il était un expert.
- On fait quoi, alors ? Et on est où, ici ?
Sushi se passa une main dans les cheveux, grimaçant.
- J'ai l'impression d'oublier quelque chose. Eh... On était dans ma chambre, tous les quatre, et...
Sushi n'ajouta rien, incapable de se rappeler de la suite. Son coup à la tête lui avait volé ses derniers souvenirs.
- Et tu pourras pas m'éclairer...
Je secouai la tête ; comment expliquer tout ça sans même ouvrir la bouche ? Sushi alla à la porte, donnant un coup d'épaule en tenant sa flamme. La porte ne bougea pas d'un poil. Il se retourna en soupirant.
- Ton ami est pas là pour aider, hein ? Ce serait gentil qu'il ouvre la porte.
Je haussai les épaules en baissant la tête. À ce que j'en sais, il pourrait être là, mais je serais trop drogué pour le voir.
- Qu'est-ce qu'il y a, au fond de ce corridor, d'après toi ?
Sans attendre ma réponse - qui ne viendrait jamais, de toute façon -, Sushi me contourna, je m'aplatie contre le mur pour ne pas me faire brûler, et il s'aventura vers le fond du corridor, tenant sa flamme bien haut pour propager le plus de lumière possible.
J'aurais voulu lui crier de ne pas aller par là - j'avais d'assez bonne raison de croire qu'un monstre se cachait par là -, mais, bien sûr, je ne pouvais pas. J'aurais voulu le retenir par le bras, mais au risque de me brûler les deux mains, je préférais le suivre comme une ombre, à distance respectable.
J'avais peur, j'étais incapable de faire autrement. Je regardai au-dessus des épaules de sushi - ce qui était facile dans la mesure qu'il faisait une tête de moins que moi -, me demandant à quel moment j'entendrais le monstre gronder, ou quand je le verrais. À quoi ressemblera-t-il ? C'était peut-être un genre de dragon. Si c'était le cas, Sushi s'occupera tout seul ! Il est mieux placé que moi pour en affronter un, de toute façon... malgré le coup à la tête qu'il avait reçu une dizaine de minutes plus tôt, qui le fait marcher un peu de travers alors qu'il se soutiens contre le mur... Non, même Sushi n'aurait aucune chance contre un dragon. On mourra tous les deux.
À force de regarder droit devant nous, nous avions surement négligé de vérifier où nous m'étions les pieds. Sushi tomba en premier, la surprise lui faisant perdre la concentra-tion et sa flamme s'éteignit en un petit nuage de fumé. Je me précipitai pour le retenir, mais tombai à mon tour ; le sol était en pente, et nous glissions tous les deux, chacun incapable de nous retenir à quoi que ce soit, jusqu'à ce que le sol disparaisse totalement. Enfin, je réussi à m'agripper à quelque chose, va savoir quoi, je n'y voyais rien, mais cela me semblait être une barre de fer. Une sensation de brûlure atroce me traversa la cheville et je sus que c'était Sushi qui s'agrippai à moi. J'avais envie de le dégager d'un coup de pied, mais quelle distance nous séparait du sol ? Je préférais avoir une brûlure de plus - une parmi tant d'autre - que de tuer Sushi en le poussant dans le vide.
- Je suis désolé, je fais pas exprès, marmonna Sushi. Je chauffe quand je stress ! Je crois qu'il est l'heure que je prenne mes médicaments...
Je répondis d'un grognement alors que je m'efforçai de distinguer quelque chose dans le noir. Au bout d'une dizaine de secondes, je parvins à voir la barre de fer à laquelle j'étais accroché. Un peu plus haut, le sol en pente qui se terminait sur le vide, où nous étions suspendus, Sushi et moi. Il y avait plusieurs barres de fer, l'une au-dessus de l'autre espacé d'une trentaine de centimètres. Il me fallut un moment pour comprendre que c'était une échelle. De mon pied que Sushi ne tenait pas, je frappais contre le mur et trouvai une autre barre de fer. Comprenant le bruit, Sushi me lâcha et s'agrippa à la barre.
- Sortons de là, cet endroit me faire peur !
Sushi grimpa l'échelle pour se mettre près de moi et alluma une petite flamme dans sa paume gauche. Je profitais de la lumière pour regarder la pente devant nous, et Sushi poussa un soupir, comprenant en même temps que moi que la pente était beaucoup trop raide et trop lisse ; aucune chance qu'on arrive à la remonter. La seule option qu'il nous restait était de descendre.
Sushi se retourna précautionneusement sur l'échelle pour regarder en bas, il fit grossir sa boule de feu autant de possible, et la lança dans le vide. Nous la regardâmes tomber, encore et encore... quand elle toucha enfin le sol, elle devait avoir parcouru une centaine de mètres.
- Il faut vraiment qu'on descende là-dedans ? marmonna timidement Sushi.
Je hochai la tête ; c'était mieux que de rester suspendu à cette échelle pour toujours. Sushi ne produisant plus de lumière pour me voir, il resta là, sans bouger. Je me décidais donc de descendre le premier, donnant une tape sur le pied de Sushi pour le lui faire comprendre, et il descendit à son tour.
- J'aime pas ça, murmura Sushi pour lui-même, un mètre au-dessus de moi. Pas du tout. Je veux retourner dans ma chambre... Où il est, Koishi ? Il est jamais loin, d'habi-tude. Pourquoi il est pas là avec nous ?
Si seulement il savait que c'était lui qui l'avait assommé et déposé ici, dans le seul but de le laisser mourir ! Mais, bien sûr, il avait oublié.
Sa devait faire une bonne minute que je descendais quand mon pied ne rencontra plus aucune barre ; je ne pouvais plus descendre. Sushi, sans comprendre que je m'étais arrêté, posa un pied sur ma main. Je grognais, autant pour m'être fait écraser que brûler les doigts.
- Désolé ! dit-il aussitôt en remontant quelque barre. Tu t'es arrêté ? Pourquoi ?
Je commençai à avoir hâte qu'il comprenne que je ne pouvais pas répondre à toutes ses questions. Après quelques secondes de silence, Sushi se décida enfin à produire une flamme dans sa main. Sa flamme était minuscule, ses yeux plissés par la concentration. Son autre main s'agrippant toujours sur l'échelle, il se pencha légèrement vers moi, et je vis dans ses yeux qu'il semblait déjà sur le point de manquer de force. La drogue circulait toujours dans ces veines, même si elle semblait se dissiper rapidement, et je savais qu'utiliser son don ainsi ne faisait que l'affaiblir.
S'il y avait une chose que Bleu m'avait appris, c'était que, un don, c'est comme un muscle. Il faut y aller progressivement ; trop vite et d'un coup, tu risques de le déchirer. Sushi n'avait pas fait ses exercices, et il semblait sur le point de tomber de fatigue.
J'aurais voulu lui dire d'arrêter ça, de se ménager. Avec ou sans lumière, ça venait au même ; nous étions coincés. Mais puisque je ne pouvais pas, je décidais qu'il valait mieux en profiter, et lançai un regard en bas ; nous n'étions pas coincés, en fin de compte. L'échelle s'arrêtait là, mais le sol était un peu plus pas, il suffisait de sauter. J'atterris un mètre plus pas, et Sushi attendis que je m'éloigne un peu avant de sauter à son tour. Il atterrit à quatre pattes dans un grogne-ment. J'allais l'aider à se relever, mais j'avais à peine frôler son épaule que je m'éloignais, les larmes me montant aux yeux sous la douleur. C'était pire que de mettre sa main sur une plaque de cuisson.
- Désolé, je fais pas exprès... je suis désolé...
J'attendis qu'il se lève de lui-même, un peu à retrait. Être avec Sushi, sans ses médica-ments, c'était sérieusement dangereux. Mais Sushi ne se relevait pas, restant assis dans son coin, respirant bruyamment. Ça y est, il était à bout.
- On pourrait pas rester ici ? murmura-t-il faiblement. Assis ? Tranquillement...?
Je hochai la tête, même s'il n'avait aucun moyen de le savoir, et m'assis près de lui, à tout de même assez de distance pour ne pas souffrir de sa chaleur.
- Je me sens tellement nul, murmura Sushi au bout de deux longues minutes de silences. Je sais pas pourquoi j'arrive à faire du feu... mais... pourquoi si peu...?
Simple : c'était le manque de pratique. À ce que j'en sais, la dernière fois qu'il avait pleinement utiliser son don, c'était pour tuer quelqu'un, l'histoire de deux ou trois minutes pour le brûler à mort. Je ne savais pas quand cela c'était produit, mais ça devait tout de même faire un bon bout de temps, car je sais que l'homme en question était son ancien tuteur, et que le nouveau, Koishi, semblait bien connaitre Sushi.
- J'arrive pas à comprendre ce qu'on fait ici.
Moi, je le savais trop bien. Quand est-ce que le monstre va apparaître pour nous sauter dessus ? Ça venait surement de mon imagination, du fait que j'étais apeuré et que je ne pensais plus qu'à ce monstre, mais j'entendis un étrange grognement, qui ne venait clairement pas de Sushi, mais plutôt vers le fond de ce trou, une cinquantaine de mètres plus loin. Je restais assis, espérant que ce n'était que mon imagination, voir même carrément des hallucinations. Sushi ne réagissait pas, lui, comme s'il n'entendait rien. Il continuait de parler, mais je n'y faisais plus attention. Le grognement revint, un peu plus près. Je me relevai et reculai de quelque pas.
- Est-ce qu'on était dans les conduits ? disait Sushi pour lui-même. Peut-être qu'on a pris le mauvais chemin et qu'on est tombé ici. Peut-être que c'est ça. T'en pense quoi ?
Me préparant mentalement à la douleur, j'allais vers Sushi et lui secouai le bras qui, pour ma chance, était moins chaud que tout à l'heure, tout de même assez désagréable. Je voulais qu'il fasse de la lumière, qu'il me prouve qu'il n'y avait rien, que j'étais en pleine crise d'hallucination. Éclairant de vide, m'assurant que, lui au moins, n'y voyait rien. Mais Sushi n'y comprenait rien.
- Qu'est-ce que tu fais ? marmonna-t-il en se dégageant. Tu devrais pas me toucher, je suis trop chaud. Il faut que Koishi m'apporte mes médicaments. Et à diner... j'ai faim... Pas toi ?
Manger me passait loin au-dessus de la tête, en ce moment. Je continuai de secouer son bras, et Sushi fini par comprendre le mes-sage et fit paraitre une minuscule flamme sur le bout de son index, comme une chandelle.
- T'as peur du noir, c'est ça ? dit-il en voyant mes yeux écarquillés par la peur, regardant dans chaque recoin à la recherche de l'origine de ses grognements. Quand j'étais plus jeune, moi aussi, j'avais peur du noir. Mais plus maintenant ! Maintenant, j'aime bien le noir. C'est calme. Tu trouves pas ? Rien à voir, rien à entendre...
Ce n'était plus un grognement, cette fois, c'était plus fort, plus près, et ce que j'entendis retira pour de bon l'image dans ma tête d'un chien à trois têtes ou d'un dragon ; c'était plutôt un oiseau. Mais ce n'était pas un joli chant, loin de là. C'était plutôt comme le crie d'un corbeau, mais en pire. Non, ce n'était pas un corbeau, j'aurais dit quelque chose de plus gros... quelque chose que je n'avais jamais vu de ma vie, mais je sus aussitôt que j'avais la bonne réponse, pour preuve l'autocollant sur la porte du corridor qui nous avait amené ici, Sushi et moi : un vautour.
- Aucune raison d'avoir peur. Koishi va nous trouver et nous ramener à nos chambres.
Au moins, j'étais fixé ; j'hallucinais. J'étais le seul à entendre ses cris et ses grognements. Sois Sushi était sourd, celons je doutais, sois il n'y avait rien à entendre. Ou peut-être étais-je le seul à pouvoir l'entendre, comme j'étais le seul à entendre Bleu ? Là aussi, je doutais. Mais non, ça ne pouvait pas être des hallucinations ; je n'en ai jamais eux, c'était Finlah qui me faisait croire que j'en avait, ce qui était faux ! Alors, qu'est-ce que c'est ? Peut-être que j'entends naturellement mieux que Sushi, tout comme je voie mieux dans le noir que lui. Mais ce n'était pas ça, bien sûr. Qu'est-ce que c'était ? Peut-être que j'étais simplement en plein cauchemar ! Peut-être que je vais me réveiller dans ma chambre, Finlah m'apportera mon petit déjeuné avec son habituelle « Bonjour, Elwin ! »
Un nouveau cri me fit sursauter ; il venait de tout juste deux mètres, où la lumière de Sushi s'arrêtait. Cette chose, ou ce vautour, devait faire près de trois mètres de haut. Je m'étais rarement sentis aussi minuscule.
- Hé, Bleu, tu sais que t'as aucune raison d'avoir peur, hein ? Vraiment aucune. Tout va bien aller.
J'aurais peut-être pu le croire. Mais c'était un peu profond pour ce qu'aurait pu dire Sushi. Sushi était quelqu'un de parfois assez imprévisible, mais, en dehors de la lave qui bouille en lui à la place du sang, il n'a pas la capacité de se déplacer sans se faire entendre comme un ninja, malgré ses origines japonaises. En fait, la seule chose qui me manquait pour le croire aurait été que le son de sa voix vienne de derrière moi, où il est assis, et non de devant, où était le monstre.
C'était le monstre qui me parlait avec la voix de Sushi.
Je reculai d'un pas, jusqu'à marcher sur les orteils de Sushi, qui dégagea aussitôt son pied. Je lui lançai un regard, et fut surpris de voir qu'il n'était plus là. J'avais bien sentis son pied sous le miens, pourtant, je ne le voyais plus. Sa lumière était toujours là, comme une minuscule boule de feu flottant dans le vide.
C'était peut-être comme ça que Finlah cherchait à me tuer. En me faisant mourir de peur. Du moins, j'étais bien partit.
Je sentis quelque chose m'attraper par la taille, comme une main géante, et me soulever dans les airs. J'essayai de me débattre, mais je n'arrivais qu'à me faire mal, comme si des griffes s'enfonçais dans mes côtes. Ou plutôt, des serres.
- Je t'ai dit de ne pas avoir peur ! Ça ne servirait à rien.
La lumière derrière mon dos devins plus forte, me permettant pour la première fois de voir ce monstres ; je ne m'étais pas trompé, c'était un énorme vautour, sa grosse tête et son bec recourbé n'était qu'à quelque centimètre de mon visage, une odeur de pourriture m'emplissait les narines. Des larmes se mirent à couler de mes yeux alors que je détournais la tête pour ne plus le voir.
- Arrête de trembler, Bleu. Je te ferrais pas de mal, tu vois bien. Il ne peut rien t'arriver, ici.
Le monstre garda le silence un instant, et j'ouvris un œil pour l'observer. Je voyais le feu se refléter dans ses grands yeux jaunes, faisant briller sa peau rose. Mais ses yeux, planté dans les miens, me donnait l'impression qu'il ne fixait pas que mes yeux ; il regardait à l'intérieur de moi, comme s'il lisait dans mes pensées.
- Tu veux que je te lâche et que je m'en vais ? Tu en est sûr ?
Je hochai la tête, même si je ne comprenais rien de ce qui se passait. Et sans rien ajouter, le vautour me redéposa au sol et disparût. Je regardai longuement tout autour de moi, à la recherche du vautour, et tout ce que je trouvai, c'était Sushi, assis là où il était depuis le début, me regardant droit dans les yeux en faisant la grimace, la tête légèrement inclinée au point que ses cheveux pendaient au-dessus de sa flamme, mais ils n'avaient aucun risque de prendre en feu.
- Ça fait changement. Pour une fois que c'est pas moi qui est en plein délire. Pour un peu, je me sentirais presque saint d'esprit.
Le corps tremblant, j'allais m'asseoir près de Sushi. Malgré la belle chaleur qu'il dégageait, j'avais froid.
- Tu devrais pas t'asseoir. Il va revenir, tu sais ?
Je levais les yeux vers Sushi, sans comprendre. Le son de sa voix venait réellement de lui, mais sa bouche ne bougeait pas. Il jouait distraitement avec sa flamme, la faisant grossir et rétrécir, la passant d'une main à l'autre comme un ballon.
- Il faudrait que t'aille tout au bout de ce chemin, au fond de ce tunnel. Tu va y trouver un ami.
Malgré ses deux mains occupées à jouer avec sa boule de feu, je vie clairement une autre main se lever pour pointer droit devant. Et pourtant, j'avais beau observer attentivement, il n'y avait que deux bras... d'où venait cette troisième main... ?
Je me pris la tête à deux mains, essayant de comprendre quoi que ce soit là-dedans. C'est sûr, j'étais en plein délire. Un vautour qui parle, Sushi à trois mains... Et Bleu était assurément revenu, depuis le temps, mais il ne pouvait rien faire pour moi, puisque je ne pouvais pas lui dire quoi faire. Si j'étais carrément en danger de mort, il m'aiderait. Mais là, qu'est-ce qu'il pouvait faire ? Rien du tout.
Je me mis à pleurer, en plein désespoir, le front sur les genoux.
- Allez, lèves-toi et marche, Bleu, dit Sushi dans un soupir d'ennuis. Vas-y.
Je secouai la tête de gauche à droite ; il était hors de questions que je bouge. J'étais en plein délire, c'était évident, et je ne voulais pas, en plus, m'éloigner de Sushi.
- Et si je viens avec toi ? Tu vas me suivre ?
Cette fois, je hochai la tête. Je n'avais pas le choix ; je ne voulais pas me séparer de lui. C'était comme ça qu'on meurt, dans les films d'horreurs.
Sushi se leva et, sa main tenant la petite boule de feu bien haut, il s'avança vers le mur opposé, caché par l'obscurité. Je le suivi aussitôt, aussi près que possible. Si j'aurais pu, je lui aurais agrippé le bras bien fort pour m'assurer de ne pas le perdre. Au bout d'un moment, nous vîmes le mur, qui était à une trentaine de mètres de l'autre. Il ne nous restait plus que cinq mètres à parcourir quand Sushi étegnit sa lumière. Totalement aveuglé, je me mis à tâter l'air où était autrefois Sushi, mais je ne le trouvais pas, et il ne disait rien. Je me retournai vers le mur près de l'échelle, vingt-cinq mètres plus loin ; Sushi était là, assis, sa petite flamme sur le bout de l'index. Pendant tout ce temps, il ne s'était même pas levé. Je l'avais encore halluciné.
Je couru vers lui, mais je n'avais pas fait deux pas que je heurtais un genre de mur invisible ; je n'arrivais plus à faire un pas de plus dans cette direction. J'essayai d'appeler Sushi à l'aide, mais il restait tranquillement assis, me regardant sans rien comprendre. Et il disparût.
- Hé, Bleu ! dit une voix derrière moi que je reconnu aussitôt.
Je me retournai lentement, le cœur lourd. Une faible lumière bleue émanait de lui, très faible. Pour la première fois, je pu distinguer ce qui se cachait en dessous ; c'était impossible. J'hallucinais encore, ça ne pouvait être que ça. Finlah avait réussi à me rendre complètement cinglé.
Adossé au mur, faisant tournoyer un porte clé sur son index, il y avait Simon, Roquet sous le bras et me regardant avec un petit sourire.
- Je vais chez Fred. Ça te dit, de venir ?
Je fis deux pas dans sa direction. Simon baissa les yeux sur son téléphone, fit la grimace, et redéposa Roquet au sol, qui disparût aussitôt, comme s'il n'avait jamais été là.
- Eh, désolé, tu peux pas venir. Il veut pas de toi. Comprend le, hein, il veut pas d'un meurtrier dans son salon.
Simon releva les yeux vers moi, l'air pas du tout désolé ; il avait plutôt l'air soulagé.
- Il faut voir les choses en face ; tu pourrais tuer quelqu'un et t'en rendre compte qu'une heure plus tard, comme avec Suzie. Tu es totalement fou, pour preuve ; t'as même pas conscience du moment présent... Oh, ce serait tellement plus simple pour tout le monde si tu serais mort... Tu me manquerais, bien sûr. Mais ce serait un poids en moins sur mes épaules. Allez, on se revoit plus tard !
Simon me tourna le dos, passa une porte qui n'était pas là une seconde plus tôt, et lui, tout comme la porte, disparût.
Mes jambes ne me soutenaient plus. Je tombais à genoux, fixant où était autrefois Simon, des rivières de larmes coulant sur mes joues. Non, Simon n'aurait jamais pu dire ça. Il aimait bien me conter des mensonges pour rire de moi, mais il me disait aussitôt après que c'était une blague. Mais là, il ne revenait pas pour me dire que c'en était une. Et puis, après tout, il avait raison. Je suis un fou dangereux, et il vaudrait mieux pour tout le monde que je sois mort.
- Alors, Bleu, c'est à ça qu'il ressemble, ton grand frère ?
Je levais les yeux, lentement, pour voir devant moi le vautour qui était revenu. Il avait les ailes déployées, mais semblait étrangement plus petit que tout à l'heure.
- Non, ce n'était pas Simon ? dit-il en penchant sa tête vers moi. Je sais pourtant que, si tu revenais à lui, c'est exactement ce qu'il penserait de toi. Il ne s'est jamais senti aussi libre depuis qu'il n'a plus son boulet de petit frère à trainer partout derrière lui.
Le vautour pencha un peu plus sa tête, au point que j'aurais pu toucher son bec en levant la main. Ses yeux jaunes me scrutait avec une tel intensité...
- Ferme les yeux, Bleu, c'est tout ce que tu as à faire... Et tout sera terminé. Tu te rappel, ce que Koishi t'avait injecté ? Ce n'était pas de la drogue. C'était du poison.
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