Chapitre 25 - Simon

Le barrage devant nous se rapprochait considérablement. J'essayai de trouver une idée quoi faire ; arrêter la voiture et partir en courant vers la forêt avant que les policiers ne nous remarquent ? Non, ils ont déjà remarqué les phares de la voiture qui fonce droit vers eux. Me cacher dans le coffre et laisser le psy s'arranger avec eux ? Non, toutes les chances sont pour dire qu'ils vont vouloir fouiller le coffre. On se sépare, le psy continu et moi je prends la forêt, et on se retrouve plus tard ? Sans compter les chances que je me perde dans la forêt, ce n'est pas garanti qu'on sache se retrouver. Je connaissais assez bien ma petite province, mais là, nous étions dans un trou perdu dont je n'avais fait que passer à côté en voiture une ou deux fois dans ma vie. Et puis, les policiers allaient surement remarquer que la voiture s'était arrêtée pour laisser sortir quelqu'un.

- On pourrait toujours arrêter dans la cour de cette maison, faire comme si c'était chez nous, et repartir quand les policiers seront partis ?

- Non, ils pourraient rester là des heures, dit le psy en secouant la tête. Et puis, plus on attend, plus il va en avoir, des problèmes. De jour, tu vas tout de suite te faire remarquer, il va y avoir des annonces à la radio et à la télévision. Ce sera plus que les policiers qu'il faudra craindre, mais tout le monde.

- Qu'est-ce qu'il me reste comme option ? murmurais-je, en proie à la panique.

- Eh bien... il te reste Bleu.

J'échangeai un regard avec le psy. Il voulait vraiment y aller par la force.

- Il est avec nous, là, au moins ?

- Ouais, il est derrière, il bouge pas et parle pas, comme d'habitude...

Je me retournai pour voir qu'il était effectivement là, immobile.

- Tu pourrais nous débarrasser des policiers, Bleu ? Je veux dire, les empêcher de nous arrêter, pas de les tuer...

Bleu ne répondit rien.

- Bleu ? S'il te plait, là, on a besoin de toi.

- Qu'est-ce qu'il fait ? demanda le psy.

- Rien... merde ! m'écriais-je en me retournant pour donner un coup de pied dans le vide. Ça doit être Elwin qui... je sais pas ce qu'il fait, mais c'est comme si Bleu était totalement déconnecté.

Nous étions maintenant tout près du barrage. Il ne nous restait plus que quelques secondes pour trouver quoi faire, et je commençai sérieusement à paniquer.

- Merde ! criais-je. Merde, merde, merde ! Saloperie !

- Ça va, calme-toi.

- Non, je me calmerais pas ! Je vais me faire coincer, je serais obligé de retourner en prison, et je pourrais jamais retrouver Elwin ! (Je me retournai dans mon siège pour voir que Bleu était toujours là, sans donner le moindre signe de vie.) BOUGE-TOI!

J'essayai de lui donner une claque en plein visage pour le réveiller, mais je ne réussis qu'à me faire mal. Bleu était aussi solide qu'un mur de brique.

- C'est bon, laisse-moi faire, dit le psy en posant une main sur mon genou comme dans une vaine tentative de me calmer. Va te cacher derrière.

- T'es sérieux ? Me cacher ? Ils vont certainement fouiller la voiture !

- On perd rien d'essayer ! Allez, cache-toi !

Dans un rugissement d'impuissance, j'allais à l'arrière, passant au-dessus des genoux de Bleu, puis m'accroupis dans l'espace au sol. J'essayai de prendre la couverture sur la banquette arrière pour m'en recouvrir, mais Bleu était assis dessus, et pas moyen de le faire bouger. Je sentis la voiture ralentir, puis s'arrêter près de la voiture de police qui nous attendait. J'avais le cœur qui battait aussi surement qu'à la fin d'un cours de gym.

- Salut, monsieur, dit le psy en abaissant la vitre. Y'a un problème ?

- Non, aucun, je voudrais seulement vérifier que tout est en ordre... vous me montrez vos papiers ?

Je sentis le psy s'incliner de côté pour sortir son portefeuille, puis se pencher jusqu'au coffre à gant pour d'autre papier. Il donna le tout au policier.

- Alors... Bernard Lachance. Vous faites quoi dehors, à trois heures du matin, si loin de chez vous ?

Lachance, pensais-je en réprimant un rire. Si seulement on en avait !

- J'allai chez mon frère, il y a une urgence. Problème de santé, j'ai pas eu les détails. Il est à l'hôpital.

- Oh, je suis désolé pour vous. Une petite fouille et je vous laisse tranquille.

- Inutile, je n'ai rien à cacher.

- C'est ce que les criminels disent... le prenez pas personnellement. Allez, ouvrez-moi le coffre.

- Comme vous voudrez...

J'entendis le psy appuyer sur un bouton, puis le coffre s'ouvrir. Le policier contourna la voiture pour aller vérifier. Pendant ce temps, je donnais des coups de poing contre la jambe de Bleu, essayant de le faire réagir. Ce n'était qu'une question de seconde avant que le policier regarde à l'arrière et me voie.

- Bleu, murmurais-je tout bas. S'il te plait ! Fais quelque chose, ou je suis cuit !

- Bleu est presque bleu, dit-il.

- Allez !

Le policier revint à l'avant. Je fermai les yeux, me sentant trembler comme une feuille. J'entendais ses pas, avançant lentement. J'ouvris un œil, levai la tête vers Bleu, suppliant. La lumière d'une lampe torche tomba tout juste devant moi, et je sus aussitôt que c'était fini. La portière s'ouvrit, des mains m'agrippèrent par le col de mon teeshirt et me tira pour me faire atterrir dos contre l'asphalte et la neige, qui me glaça aussitôt jusqu'à l'os, mais j'étais trop sur les nerfs pour m'en soucier.

- Simon Bowan, comme on se retrouve ! dit le policier pendant qu'il me retournait comme une crêpe pour me mettre des menottes au poignet.

- Parle tout seul, je te connais même pas ! répliquais-je tout en essayant vainement de me dégager. Lâchez-moi ! Hé, le psy, faites quelque chose, merde !

- Quoi ? s'écria le psy exagérément fort. Mais c'est qui, ce gamin ?!

- QUOI ?! hurlais-je encore plus fort. Je vais vous tuer, un de ces jours !

Le policier, qui avait terminé d'attacher les menottes à mes poignets, me remit sur pied et me traina de force jusqu'à sa voiture. Je bouillais littéralement de rage, et j'étais assez convaincu que ma peau avait viré au rouge. Voilà, le psy m'abandonne une deuxième fois. Bleu aussi m'abandonne, mais à cause d'Elwin. Merde, quand j'aurais enfin retrouvé Elwin, je lui enfoncerais mon poing dans le ventre. Je m'excuserais, et je recommencerais. Et je m'excuserais encore, et j'arrêterais là.

La portière de la voiture de police claqua derrière moi. Le policier m'abandonna là et retourna voir le psy pour des explications. Le psy gesticulait, l'air complètement dépassé. Il était plutôt convaincant dans son rôle de victime innocente. Lui aussi, il aura droit à mon poing dans son ventre !

D'un côté, j'avais envie de me battre. Défoncer la vitre à coup de pied et m'enfuir. Sans, bien sûr, oublier de donner un coup de poing dans le ventre du psy au passage. Et au policier aussi, tant qu'à faire. Et ensuite, tout droit en Virginie. À pied, ça va me prendre une éternité. J'avais hâte de retrouver Elwin, mais je savais, surtout, qu'il était en sécurité tant et aussi longtemps qu'il n'aura pas atteint ses dix-sept ans, ce qui se trouve être, tout de même, à deux ans, un mois et trois jours. Ou deux jours ? Je n'arrivais plus à me rappeler si nous étions le 3 ou le 4 février. J'étais pressé, mais, dans le fond, rien ne presse.

D'un autre côté, j'avais envie d'abandonner. C'était déjà la deuxième fois que le psy me trahissait. J'avais beau essayer de me convaincre du contraire ; je n'arriverais jamais à traverser les frontières par moi-même. Si seulement j'avais pu être d'avance un fier citoyen américain, rien qu'à avoir une maison à près de quatre-cents kilomètres plus au sud, je n'aurais pas eu de frontière à passer. Et dire qu'il y a un temps, cette partie du Canada faisait réellement partie des États-Unis ! Puis retour au Canada, et retour aux États, puis retour au Canada... Finalement, ce n'est qu'un bout de terre que personne ne veut. « Tiens, prends-le, je te le donne. Non, toi, prends-le, j'en ai rien à faire de ce bout de terre. Allez, toi, prend le. Tu vas aimer, regarde, y'a des bleuets partout ! »

J'étais totalement perdu dans mes pensées quand je me décidais enfin de lancer un regard en direction du psy et du policier, plus en colère que jamais. J'avais sérieusement envie de tuer quelqu'un. Faute de mieux, hurler ce que je ressentais. Mais je me retins, préférant regarder la scène qui se déroulait devant mes yeux.

Le psy était en train de se battre contre le policier. Ils se roulaient au sol, les poings revolant dans toutes les directions. Là, j'étais choqué. Il fallait vraiment être timbré pour vouloir se battre contre un policier, alors qu'il avait un flingue, un teaser et une matraque attachés à la ceinture !

- Bleu !

Je me retournai en sursaut ; Bleu était juste à côté de moi.

- C'est que maintenant que tu te décides de bouger ?! m'écriais-je.

- Bleu désolé, pardon. Bleu à des bleu problèmes.

- Quel genre de problème ?

Bleu ne répondit rien. Au lieu de quoi, il me força à me retourner en me pressant l'épaule, cassa mes menottes et poussa dans la porte qui s'ouvrit simplement, comme si elle n'avait jamais été verrouillée.

- Bleu doit aller.

- Attends, une seconde !

Mais Bleu avait déjà disparu. En jurant, je me précipitais dehors à la rescousse du psy. Oui, je voulais le faire souffrir pour sa traitrise, mais je voulais surtout le faire moi-même, et surtout pas laisser le policier le faire à ma place ! Mais au moment où j'arrivais à bonne distance pour intervenir, le psy donna un dernier coup de poing en pleine tête au policier, qui en resta inconscient. Le psy resta assis près de sa victime, le souffle court et bien sonné. Il respirait fort, la bouche ouverte, et il avait la tête qui tournait littéralement. Il s'était retrouvé là à cause de moi, mais tout ce que je trouvai à dire fut :

- Vous êtes trop con ! J'avais cru que vous m'aviez vendu !

Le psy leva la main, genre « baisse d'un ton, s'il te plait », mais trop à bout de souffle pour parler. J'étais toujours en colère contre lui, mais je jugeai préférable de quitter l'endroit au plus vite. J'agrippai le psy par les aisselles pour le remettre debout et le guidai jusqu'au siège passager, puis allai m'installer derrière le volant pour continuer la route sans plus attendre. Il fallut près de dix minutes avant que le psy ait retrouvé assez de souffle pour parler. Moi, malgré tout, j'étais toujours en colère contre lui.

- Je t'ai pas vendu, Simon, marmonna-t-il, une main sur une plaie à la joue. J'improvisais.

- Eh bien, vous étiez convaincant. J'avais vraiment cru que vous m'aviez abandonné. Encore.

Il y eut un autre silence, plus court, mais plus pesant. J'étais moins en colère, mais je me sentais toujours mal. Je me sentais mal d'avoir été en colère.

- Je suis désolé d'avoir cru que vous m'aviez abandonné.

- Ne le sois pas, j'aurais pensé la même chose, à ta place...

- J'arrive pas à comprendre pourquoi tu ne l'as pas fait, tout de même.

- Arrête toi, une seconde.

Sans trop comprendre, j'arrêtai la voiture sur le bord de la route. Le psy ouvrit sa portière et se laissa tomber à genoux au sol. Je cru pendant un instant qu'il était plus sonné qu'il en avait l'air et qu'il était sur le point de tomber dans les pommes, mais en me penchant un peu pour voir ce qu'il faisait exactement, je remarquais qu'il se faisait une boule de neige. Il revint s'assoir dans la voiture, attacha sa ceinture de sécurité, puis plaqua la neige sur son front, soupirant. Je continuai aussitôt la route.

- Vous avez fait comment pour battre un policier ? Il était certainement mieux entrainé que vous.

- Je travaille dans un centre de redressement pour jeune, je te rappelle. Des petits merdeux, j'en ai connu des tas... je me suis entrainé à la boxe en cas de problème, tu vois ?

Je hochai la tête, sans rien ajouter. À cet instant précis, j'avais abandonné l'idée de lui donner un coup de poing dans le ventre.

- Va falloir changer de voiture, dit-il. Je sais pas si le policier a su enregistrer la plaque, mais je veux pas prendre de chance.

- Il saura, pour sur, enregistrer la plaque d'une voiture volée.

Le psy garda le silence ; je l'avais bouché. J'étais, en un sens, fier de moi. D'un autre sens, il reste toujours qu'il fallait trouver quelque chose ou, d'une manière comme d'une autre, nous n'étions certainement pas à notre premier obstacle.

- Et si on prenait plutôt un taxi ? demandais-je.

- Je voie pas où serait l'avantage...

Il y eu encore un autre silence, pendant que nous cherchions tous les deux une solution.

- Au moins, on a toujours Bleu... dit le psy.

- Nah, il est parti. Aucune idée quand il reviendra. Il a dit qu'Elwin avait des problèmes. Enfin, je crois que c'est ce qu'il a dit.

Et ce ne fut que là que je me rendis compte que, justement, Elwin avait des problèmes. Qu'est-ce qui pouvait bien se passer, de son côté ? Si seulement je pouvais simplement lui passer un coup de fil !

Lui demander « ça va ? » avec tout de même un peu d'indifférence, car je sais pertinemment que rien de grave ai pu lui arriver ; il est là, devant moi, l'air tout aussi indifférent alors qu'il va porter son sac dans sa chambre. « Mouais, ça pourrait aller mieux », dit-il à son retour dans le salon. « Mais j'ai pas été pris dans l'équipe. Meilleure chance l'an prochain. Apparemment, je suis trop jeune. » Puis, maman entre dans la pièce, nous lance à tous les deux un grand sourire, et nous demande, encore une fois « ça va ? » et cette fois, Elwin répond « ouais ! » avec beaucoup plus d'entrain. Elwin, tout comme moi, était incapable de dire la simple vérité à maman, par simple ennui d'avoir à se justifier. « Ouais » était plus simple à dire que toute une phrase.

C'était la dernière fois que j'avais posé la question à Elwin. À l'époque, ce qui l'inquiétait le plus, c'était l'équipe de soccer ! Maintenant, le soccer est très certainement le dernier de ses soucis. Pour moi, du moins, le soccer n'en fait même pas partie.

- Simon ?

- Oui, quoi ? dis-je, revenant brutalement à la réalité. Pardon, j'étais un peu perdu dans mes souvenirs...

- Je t'ai dit... que je ne te laisserais pas tomber. Je vais t'aider autant que je peux à retrouver Elwin.

- Pourquoi ?

- Je te l'ai déjà dit. C'est de ma faute s'il est là-bas.

- Non, c'est la faute de Bleu.

- Principalement... mais j'ai aussi mon rôle à jouer, on ne peut pas le nier.

- Vous allez pas la fermer ? m'énervais-je. Je préfère encore penser à vous comme à un champion de boxe plutôt qu'au type qui à envoyé mon frère dans les étoiles.

- T'as le droit d'être en colère contre moi.

- Vous de même, je vous ai enlevé.

- J'ai passé près de te trahir, une fois.

- Arrête, tu commences vraiment à me faire chier.

Le psy poussa un long soupir, secoua la tête, puis laissa échapper un rire. Il essuya ses mains pleines de neige fondue sur son pantalon avant de se retourner vers moi.

- Est-ce qu'on vient de composer un poème ?

- Arrête de détourner le sujet. Je veux seulement que tu te tais... au moins cinq minutes.

Enfin, le psy se tue, respectant ma demande. Au cours de la deuxième minute, nous entrâmes dans un village. Je lançai un regard à chaque petit magasin que je voyais, jusqu'à trouver une station-service, et je m'y arrêtai.

- Qu'est-ce que tu fait ? On a encore assez d'essence pour un bon bout de chemin!

- C'est pas de l'essence que je veux. Des cigarettes. Va m'en chercher, tu sera gentil.

- Pas avec la tête que j'ai, moi, j'entre nulle part.

- La mienne est recherchér, c'est pas mieux.

- Alors tu vas devoir t'en passer.

- Donne-moi de l'argent !

Le psy roula les yeux avant d'enfoncer sa main dans sa poche et d'en ressortir son portefeuille. Il me donna un vingt dollars, puis marmonna quelques mots sur sa façon de penser sur la jeunesse, de nos jours. Je lui lançai un regard noir, puis sorti de la voiture en claquant la porte. Je me dépêchai d'entrer dans la boutique pour éviter le froid puis, une fois à l'intérieur, profitait du moment loin du psy, flânant un peu. Au bout d'une minute à tourner en rond, j'allais à la caisse pour un paquet de cigarettes et un briquet, ainsi qu'une boisson Monster et un sac de chips pour tenir la route. Le caissier ne fit aucune remarque sur mon âge en passant les cigarettes, mais je n'avais pas assez d'argent pour le tout. En soupirant, je décidais d'abandonner la boisson et de me prendre, à la place, une bouteille d'eau

- Pas de manteau ? dit le caissier. T'as pas froid, dehors ?

- Si... j'ai perdu mon manteau, j'ai pas su le retrouver...

- Ah, t'es pas du coin.

- L'avantage de cette province, soupirais-je en levant les yeux au ciel. Tu fais une heure de route et y'a déjà une différence dans l'accent.

Le caissier me donna mon sac avec mes affaires, me laissant libre de repartir. Je pris le sac, lançai un regard par la porte vitrée ; je voyais toujours la voiture du psy, lui-même maintenant assis derrière le volant. Tout allait bien de son côté, et j'avais envie de rester un peu ici, pour changer d'air, le temps que je le pouvais. Mais j'avais tout de même plus envie de fumer, alors je me retournai, prêt à sortir.

- On s'est déjà connu, pas vrai ?

Je me retournai vers le caissier, le détaillant. Il ne semblait pas plus vieux que moi, cheveux bruns mi-long et un peu graisseux, quelque rare bouton d'acné au visage, dont l'un bien gros sur la joue de droite, les dents relativement droites, mais les palettes bien écartées. Et pourtant, sa tête ne me disait rien.

- Euh... je crois pas, non. Je suis rarement venu dans le coin.

- Et moi, je suis rarement sortie. Il reste que ta tête me dit vraiment quelque chose !

Je me mordis la lèvre en évitant son regard ; peut-être qu'il avait seulement vu mon avis de recherche à la télé, ou même la grande nouvelle que j'étais maintenant un meurtrier, tout comme mon petit frère. Peut-être aussi qu'il me confondait à Elwin, à cause de mes cheveux. Je fouillais la boutique du regard, mais il ne semblait pas y avoir de télé. Tout ce que je trouvais fut un miroir en cercle, fait pour voir d'ici tous les petits recoins de la boutique. J'y vis mon reflet, ainsi que celui du caissier derrière son comptoir qui continuait toujours de m'observer.

- Non, on se connait pas, dis-je, catégorique.

Je sortis du magasin et, aussitôt dehors, fouillait dans mon sac pour en ressortir les cigarettes et le briquet. J'en glissais une entre mes lèvres et l'allumai, m'adossant au mur de brique de la boutique, repensant à cette courte conversation. Je me demandai si j'étais maintenant un genre de petite célébrité locale, connu dans toute la province, ou même plus sérieusement, connu dans tout le pays. Voir, peut-être que des gens marmonnais mon nom à l'autre bout du monde ! Je savais déjà que des types dans une navette spatiale avaient parlé de moi. Quand même que j'ai toujours eu l'espoir caché de devenir un peu célèbre, disons plutôt « populaire », ça faisait tout de même un choc. À l'école, je n'étais pas populaire, c'était plutôt Elwin qui rapportait les mérites, mais je n'étais pas invisible non plus. Car, d'abord, s'il se faisait remarquer par ses cheveux, les autres remarquaient par la suite assez rapidement qu'Elwin n'avait pas seulement l'air cool ; il l'était. La seule chose qu'il n'avait pas, l'intelligence (il fallait bien le dire, il était nul dans toutes les matières) et le cran (il préférait faire le mort que de s'attaquer à quelqu'un qui le provoquait). Moi, je le compensais. Je l'aidais avec ses devoirs, et s'il avait des problèmes, c'était moi qui attaquais. Elwin aurait facilement pu attraper la grosse tête, mais non, il restait toujours lui-même, et c'était ce que j'appréciai le plus chez lui. Entre l'école ou à la maison, il agissait toujours exactement de la même manière avec moi, sans aucun faux semblant. À ce que j'en sais, il n'a jamais eu à jouer la comédie avec qui que ce soit (sauf une fois à papa, pour ne pas lui dire quel était son cadeau de fête de père, Elwin avait simplement paniqué et été se cacher dans sa chambre pour éviter les questions. J'avais tellement ri de lui qu'il avait refusé de me parler pendant deux jours).

Ma cigarette terminée, j'allais retrouver le psy dans sa voiture, sur le siège passager puisqu'il avait repris la roue en mon absence. Aussitôt ma ceinture bouclée, le psy décolla, continuant le chemin vers la Virginie.

- Je crois que le caissier m'a reconnu.

- Prévisible.

- Je crois, seulement.

Le psy me lança un regard avant de reporter son attention à la route devant lui. Je sortis la bouteille d'eau et les chips de mon sac.

- Simon, c'est dans ton intérêt que je dis ça ; ne sors plus de cette voiture. S'il y a des achats à faire, c'est moi qui les ferrais.

- Tu me prives de sortie, papa ? soupirais-je.

- Rigole pas, tu sais très bien que j'ai raison.

Je haussai les épaules, sans rien ajouter.

- Si on n'a pas trop de problèmes, je suis assez certain qu'on se rendra à la frontière avant le matin. On dormira, et on attendra Bleu pour la passer. On n'a aucune chance sans lui. Ça te va ?

- Oui.

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