chapitre 2

J'avais appelé ma mère pour qu'elle vienne me chercher, arrivant à peine à formuler deux phrases tellement j'étais sous le choc, mais la police était arrivée en premier. Ils avaient déboulé dans la chambre, pointant leur arme sur moi, me criant de ne pas faire de gestes, de garder le silence, que j'aurais droit à un avocat... Ils m'avaient passé les menottes et entrainé jusqu'à leur voiture. Ma mère, avec mon frère sur le siège passager, était arrivée à temps pour me voir embarquer, avec le policier derrière moi qui appuyait sur ma tête pour que j'entre. Ma mère était aussitôt sortie de la voiture et accourue vers les policiers, mon frère là suivant de près. La portière avait déjà claqué derrière moi, mais j'entendis tout de même très clairement :

- Qu'est-ce qui se passe ? rugissait ma mère qui envisageait déjà le pire. Elwin !

- Madame, dit l'un des policiers en s'avançant de quelques pas vers elle. Qui êtes-vous ?

- Je suis sa mère !

Elle m'avait pointé d'un doigt tremblant, et au même moment, ses yeux devenaient plus brillants.

- Madame, répéta le policier, il y a eu un meurtre, et tout porte à croire que c'est votre fils...

Il n'avait pas eu à terminer sa phrase, car ma mère éclata aussitôt en sanglots. Et moi aussi. Le policier entraina ma mère et mon frère vers un autre coin, et un autre policier vint au volant de la voiture et m'entraina jusqu'au poste de police, où je fus interrogée.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Je... je sais pas.

- Tu ne sais pas, c'est tout ?

J'avais secoué la tête.

J'avais toujours les mains attachées par des menottes, les menottes elles-mêmes attaché à la table en métal qui me séparait des policiers. J'étais dans une pièce minuscule au mur de brique, où l'un des murs était barré d'un grand miroir, dont je savais que quelqu'un nous observait, caché de l'autre côté. Les deux policiers devant moi, ils faisaient clairement le bon cop bad cop, j'aurais pu en rire, mais tout ce que j'arrivais à faire, c'était de marmonner des réponses qui ne rimaient à rien et de faire de mon mieux pour arrêter de pleurer.

- Est-ce que tu as tué Suzie Longuy ?

- Non.

J'avais secoué la tête, essayant de leur faire comprendre, mais je répétais la même chose depuis plus d'une demi-heure et ils persistaient à croire que c'était moi, le meurtrier. Et puis, après tout, pourquoi ce ne serait pas moi ? La fenêtre, ainsi que la porte, était fermé, comme n'avait pas manqué de me le faire remarquer les policiers. Autre que moi, peut-être que ça aurait pu être Sasha, la mère de Suzie. Alors, pourquoi diable aurait-elle appelé la police si ç'avait été elle ? Une machination, pour faire croire que c'est moi, alors que pendant tout ce temps, ce serait elle, et alors, aucun soupçon n'irait sur elle. Mais c'était vraiment tiré par les cheveux. Il n'y avait qu'une seule possibilité, et c'était moi. Elwin Bowan, le petit ami de la victime, alors âgé de quatorze ans, aurait éventré Suzie Longuy lors de son dépucelage... ?

Pour au moins la cinquième fois de la soirée, j'avais éclaté en larme. Les policiers, dans leurs moments bad cop, en avait aussitôt déduit que j'essayais d'avouer, mais que l'émotion me nouait trop la gorge pour le dire. Hoche la tête. Hoche seulement la tête, et tu pourras sortie de cette salle.

J'ai hoché la tête.

Et voilà, c'était dit, j'étais officiellement le meurtrier. Officieusement, cette nuit-là restait toujours un mystère, car je sais que je n'avais pas tué Suzie. Je l'aimais. Pourquoi aurais-je voulu lui faire du mal ?

Il était déjà près de trois heures du matin quand je pus enfin voir ma mère, mon père et mon frère, escorté par deux policiers. Ma mère s'était précipitée pour me prendre dans ses bras, mais l'un des policiers l'en avait empêché.

- Pas de contacts physiques.

Ma mère avait reculé d'un pas, mon père l'avait pris dans ses bras. Mais mon frère, lui, avait tout de même avancé. Il était plus grand que moi d'une demie-tête, cheveux blonds comme moi, mais sans les mèches bleues, des lunettes qui lui donnaient un petit look sexy geek. Il s'appelait Simon, et ce nom lui allait très bien.

- Est-ce que c'est vraie ? demanda-t-il.

Il n'avait pas besoin de spécifier, le sujet était déjà assez évident. Je secouais la tête de gauche à droite, toujours incapable de prononcer une phrase sans émettre de petits bruits aigus avec ma gorge.

- Tu me dirais toujours la vérité, pas vrai ?

Cette fois, je hochais la tête. Bien sûr que je lui dirais toujours la vérité, c'est mon frère ! Pourquoi juge-t-il nécessaire de poser cette question ? Ou bien que, lui comme tous les autres, doutes de moi. J'étais passé du garçon honnête sur qui tout le monde peut compter, au meurtrier de quatorze ans, qui a tué sa petite amie. C'est clair, ma vie était finie.

La visite terminée, ma famille retourna à la maison, et moi, je restais là, dans une grande cellule pour moi tout seul. Je n'avais pas dormi de la nuit, je n'avais rien de mieux que de pleurer tout en essayant d'imaginer à quoi ressemblera le futur pour moi, que vont penser mes amis, si je ne pouvais pas un jour retourner à la maison, si je vais être condamné... non, pas de peine de mort au Canada. Peut-être qu'ils vont juste « oublier » de me donner à manger pour quelque semaine...

Le lendemain matin, un policier avait glissé entre les barreaux de ma cellule un déjeuner et un journal. J'avais mangé une moitié de toast, en me forçant un peu, mais rien n'arrivait à passer. J'avais pris le journal et lu le gros titre ; Quelles sont les probabilités d'une troisième guerre mondiale ? Assez intrigué pour lire le premier paragraphe, j'avais eu le temps de voir que, celons l'auteur, l'une des possibilités à une troisième guerre mondiale serrait aux États-Unis et au Canada. Les pays d'Afrique voudraient nos ressources, telles que l'eau potable. Qu'ils prennent la neige, pensais-je en jetant le journal au loin, à l'autre bout de ma cellule. J'en ai ras le cul de la neige. J'en ai ras le cul d'être ici, ras le cul de tout ! Ras le cul de Suzie, de la mort de Suzie, du fais qu'il n'y avait pas de caméra dans sa chambre, que son père travaillait de nuit et que sa mère était partie chez sa sœur, que mon frère m'avait laissé partir alors qu'il faut toujours faire un cadeau d'anniversaire pour maman, que je ne serais même pas là pour son anniversaire, que papa devait certainement savoir quel genre de truc deux ados de quatorze ans peuvent avoir envie de faire et qu'il m'ait laissé partir, alors qu'il ne m'a même pas conseiller de prendre de protection, de mon chien qui ne m'a même pas réclamé de balade et qui m'aurait retardé d'une demie heure et qu'avec un peu de chance, Suzie aurait dit qu'il se faisait trop tard et qu'on se reprendra une autre fois...

Merde ! Comment aurais-je pu faire ça ? Et pourquoi je l'aurais fait ?

Le jour d'après, je fus emmenée ailleurs, dans une vraie prison. Une prison pour mineur, à près d'une heure de route, qui renfermait toutes les petites merdes de mon genre de la province. Je n'échapperais pas à la loi, j'aurais un procès et tout ce qu'il faut, mais pas tout de suite. Tout ce que je pouvais faire, pour le moment, c'était de me comporter en bon petit prisonnier.

Jour un en prison. Je me fais coincer dans une bagarre dans la cafétéria et c'est moi qui prends le blâme. Pour me faire pardonner, on m'envoie en cuisine pour préparer le souper, et je le rate. Ça commence bien...
Mon voisin de cellule s'appelait Jimmy, et il avait tué sa mère. Il avait dix-sept ans. Apparemment, il comprenait parfaitement ce que je ressentais ; je me sentais coupable, mais avec le temps, j'allais finir par comprendre que je sens beaucoup mieux sans Suzie. Je lui avais enfoncé mon poing dans la gueule tellement fort qu'il en avait perdu deux dents. Mais, une semaine plus tard, j'arrivais plus ou moins à l'endurer. Jimmy était le seul qui se rapprochait, de près ou de loin, à un ami.

Deux fois par semaine, un psychologue venait me parler, essayer de comprendre ce qui se passait dans ma tête. Je crois qu'il était plutôt bien décidé sur la schizophrénie, alors qu'il me demandait s'il y avait des antécédents dans la famille, s'il m'était déjà arrivé d'entendre des voix, ou si j'avais parfois des hallucinations... Non, oui et oui. Mais pour ma défense, ça ne m'était plus arrivé depuis que j'avais huit ans, un cas tout à fait normal, selon moi, d'ami imaginaire, qui a foutu le camp quand je lui avais dit qu'il était bizarre. Il était entièrement fait de lumière bleue, il disait tout le temps « bleu ! » au milieu de ses phrases, et son nom était Bleu.

- Est-ce que c'est pour lui que tu t'es fait des mèches bleues ? demanda le psy lors de notre troisième séance, où c'était la première fois que je lui parlais de mon ancien ami imaginaire.

- Non... j'aime cette couleur, c'est tout.

C'était ce que je disais à chaque fois quand on me questionnait sur mes mèches, car généralement, à moins de me connaitre depuis assez longtemps pour remarquer qu'elles ne déteignent jamais, on ne me croyait pas quand je disais qu'elles étaient naturelles. Et l'avantage, c'est que je ne mentais pas en disant simplement « j'aime cette couleur, c'est tout », car ce psy pourrait parfaitement voir ce cas dans mon dossier médical. Une sorte de mutation génétique, tout à fait inoffensive selon les médecins. Le simple fait d'avoir des yeux bleus, de toute façon, était déjà, au départ, une mutation génétique, à l'époque où tous les êtres humains de la planète avaient des yeux bruns, et puis, soudainement, quelqu'un, quelque part, est né avec des yeux bleus. Et puis boum, maintenant, tout un tas de gens avait des yeux bleus. Peut-être que je serais comme cette personne, et que dans des centaines et des centaines d'années, il sera bien possible de croiser mes descendants, toute une bande de gamins avec des cheveux bleus.

- Comment te sens-tu, aujourd'hui, Elwin ?

Je relevais les yeux vers le psy, un peu perdu dans mes pensées, où j'en étais rendu à constater qu'il n'y aura jamais de petits gamins aux cheveux bleus, car je passerais le reste de ma vie coincé dans cette prison.

- Comme d'habitude, marmonnais-je en haussant les épaules. Je crois que je suis en train de tomber dans une dépression...

- C'est moi, le psy, c'est moi qui pose le diagnostic.

Il m'observa encore pendant quelques longues secondes d'un silence tendu, puis dit :

- T'es à fond dans la dépression.

- Je m'en doutais, marmonnais-je encore plus bas.

Ce qui m'achevait, surtout, c'était que mes parents et mon frère ne m'avaient rendu visite que deux fois, depuis que j'étais ici. La première fois, c'était tendu. La deuxième fois, personne d'autre que mon père n'avait osé me lancer deux ou trois petites phrases. Mon frère n'avait même pas voulu croiser mon regard. Ma mère avait une main devant son visage pour s'empêcher de pleurer. Dix minutes plus tard, ils étaient partis. J'avais cette impression que je ne les révérais pas de sitôt.

- Vous allez me prescrire quelque chose ? De la meth, ou du pot ?

- Pas exactement ça, dit le psy avec un petit sourire, mais oui, tu devras prendre des médicaments.

Je hochais la tête, pas déçu ni rien. J'en avais déjà d'autres, des médicaments, notamment pour la schizophrénie. J'en étais rendu avec plus de pilules que de viande dans mon assiette à chaque repas.

- Et vous allez me transférer dans un hôpital psychiatrique, aussi ?

- Non.

- Je suis cinglé, pourtant, c'est bien là vos conclusions sur mon cas.

- Tu es coincé ici, Elwin.

Le psy baissa les yeux vers son bureau, où il y avait, dans un coin, un journal. Malgré qu'il était à l'envers, je parvins à lire le titre : une troisième guerre mondiale imminente ?

-Il va vraiment avoir une troisième guerre, ou quoi ? À chaque fois que je vois un journal, ça parle toujours de ça...

- Et si tu pouvais regarder la télé, tu verrais qu'elle est sur le point de commencer. Ici. Surtout aux États, mais le Canada ne sera pas épargné.

- Mais tout le monde aime le Canada ! Qui voudrait venir nous faire la guerre ? Tu imagines, un peut ? Désolé de vous avoir tué, soldat du camp ennemi. Désolé, vous aussi, mais je me bats pour mon pays ! Désolé ! Et puis on aura les ours et les originales qui vont se battre à nos côtés, on aura des castors en guise d'espions... Et quand viendra l'hiver, les envahisseurs vont déclarer forfait parce qu'ils auront trop froid pour se battre. Et si certains vont rester pour se battre sur la glace, se sera dans une partie de hockey, et là le Canada sera sans pitié et on va gagner. La guerre va durer quatre mois, gros max, et ça n'aura été qu'une énorme blague.

Pendant tout le temps qu'avait duré mon petit discours, mon psy n'avait pas arrêté de noter quelque chose dans son calepin, et il souriait. J'essayai de l'imiter, mais les muscles de mes joues ne semblaient pas vouloir m'obéir. C'était le plus grand discours que j'avais fait depuis cette nuit-là.

- T'es à fond dans les stéréotypes, aujourd'hui ?

- Désolé.

Mon psy éclata de rire pour de bon, cette fois. J'essayais de sourire encore une fois, mais je n'y arrivais pas. Je regardais plutôt l'heure ; il ne restait plus que cinq minutes à cette séance. J'en étais triste ; j'aimais bien parler avec le psy, il était plutôt cool, malgré qu'il dût faire près de quarante ans, qu'il eût une très belle barbe bien taillée et qu'il s'appelât Bernard. Je préférais encore l'appeler Psy. Et si j'avais eu un peu de mon ancienne personnalité, je l'aurais plutôt appelé Psaille (qui s'écrit toujours « psy ») pour faire référence au chanteur coréen. Mais pour aujourd'hui, c'était une blague trop complexe pour me donner la peine de l'expliquer au psy. Je n'en avais pas l'énergie. Mon petit discours sur la guerre au Canada était déjà énorme.

-Tiens, dit le psy en me tendant le journal. Ça te ferra un peu de lecture. Tu aimes lire ?

Non, je déteste ça. Parce que Suzie adorait ça.

Sa question suffit à me faire perdre tout semblant de bonne humeur que j'avais. Mais je pris sur moi, baissant les yeux, et pris le journal.

Deux gardiens m'escortèrent jusqu'à ma cellule, où m'attendait Jimmy. Pas vraiment qu'il m'attendait, disons qu'il n'avait pas vraiment le droit de faire autre chose que ça. Lui non plus, c'était évident, ne m'aimait pas. Mais à défaut d'être coincé l'un avec l'autre, on s'endurait.

- Du nouveau sur le monde extérieur ?

C'était ce qu'il me demandait à chaque fois que je revenais d'ailleurs, comme quand j'étais avec le psy, ou encore l'avocat, ou les enquêteurs qui essayaient tant bien que mal de comprendre quoi que ce soit qui s'était passé cette nuit-là.

En guise de réponse, je lui donnais le journal. Il éclata de rire en lisant le titre.

- Troisième guerre au Canada ?! s'exclama-t-il. Foutaise ! Ton journal, c'est un faux !

- C'est le psy qui me l'a donné.

-Qu'est-ce que ça prouve ? Il peut bien y avoir quelqu'un qui aurait écrit des faux articles et qu'ils les auraient donnés à des gens dans la rue, ou je sais pas...

- D'habitude, les articles bidon, c'est sur Facebook qu'on les trouve, pas dans des vrais journaux...

J'allais m'allonger dans mon lit du haut, ayant déjà envie de dormir. Mais Jimmy continuait de parler :

- Si c'était vrai, ils en parleraient à la télé !

- Ils en parlent à la télé.

- Toujours d'après ton psy ? dit Jimmy en se retournant vers moi avec une grimace. Je le crois pas, ce mec. Je vais demander au gardien.

Il lança le journal qui tomba éparpillé dans le plancher, puis se précipita vers la porte. Contrairement aux vraies prisons d'adulte, ici, il n'y avait pas de barreaux, rien que des murs de brique et une porte bien épaisse, avec une vitre. Jimmy se mit à crier, vite rejoint par d'autres prisonniers pour qu'il se la ferme. J'étais d'accord avec eux.

- Qu'est-ce que tu veux ? demanda un garde en s'approchant de notre cellule.

- Est-ce que c'est la guerre, dehors ?

Le garde eu un rictus, prêt à rire à ce qu'il disait, mais tourna les yeux vers moi, et poussa un grand soupire en secouant la tête.

- Ouep... pas encore, mais comme va les choses, ce le sera.

Le garde continua son chemin et Jimmy se retourna vers moi, les yeux écarquillés.

- Il me reste que deux mois à pourrir ici. Mais soudainement, j'ai moins hâte de partir !

J'approuvais d'un long silence. C'était la première fois qu'il m'avouait partir dans deux mois, et malgré qu'il était plutôt nul pour un ami, je réalisais qu'il allait me manquer. Il était le seul, en dehors de mon psy, à me parler normalement, et non comme un meurtrier ou un détraqué.

- Va falloir que tu m'aides, continua-t-il en se plantant devant mon lit, juste à la bonne hauteur de mon visage. Il est pas question que je participe à une guerre ! J'ai presque dix-huit ans, dans un peu moins de cinq mois, et à coup sûr, ils vont me forcer à combattre. Pas question ! Je veux pas ! Nous deux, on va faire quelque chose de très, très mal, et alors voilà, je serais encore coincé ici, ils me feront pas sortir dans deux mois ! On pourrait tuer quelqu'un, tient. Ou encore mieux, tu le fais toi-même et tu jettes le blâme sur moi, parce que, ouais, j'ai pas du tout envie de tuer quelqu'un, mais toi, il parait que t'es très doué là-dedans, et je suis sûr que tu en meurs d'envie, mais que c'est seulement à cause des tonnes de médocs que t'avales et qui te rende tout mou - comme maintenant ! - qui fait que tu ne le réalises pas. Voilà, je te donne ta chance ! Il faut juste que t'arrêtes de prendre tes médocs, et moi non plus, je sortirais jamais d'ici ! Et quand je sortirai, ce sera pour aller dans une vraie prison, ce qui revient au même, mais tu vas quand même me manquer. Alors ? T'es partant ?

- Non.

- Oh ! S'te plait ! S'te plait, s'te plait, s'te plait, Elwin ! Je veux pas partir à la guerre comme mon grand-père ! Tu sais ce qui est arrivé, à mon grand-père ? Eh bien il est mort ! Je veux pas mourir ! Je veux que tu tues quelqu'un pour moi ! Allez, on est pote, non ?

- Non...

- Non tu veux pas, ou non, on est pas potes ?

-Non.

Il y eut un long silence, alors que Jimmy approchait un peu plus son visage du mien, sourcils froncés, comme s'il venait de remarquer que j'avais quelque chose de bizarre qui pendait de mon nez.

- Ils t'ont donné encore plus de médocs, hein ?

- Non...

- Non, t'es sur ?

- Non... oui.

- Oui, enfin, dit Jimmy en hochant la tête, t'es tous les jours de plus en plus patraque. Je te dis, il faut que t'arrêtes de les prendre, ces médocs ! Je te dis plus de tuer quelqu'un, là, sérieux, le fait pas ! C'est plus des blagues - même si je veux vraiment pas participer à une guerre -, ne prend plus rien de ce qu'ils te donnent, ils sont en train de te transformer en légume.

- C'est une bonne chose.

- Non, ce les pas ! Tu veux passer le reste de tes jours dans un fauteuil roulant à te baver dessus et à faire dans une couche ? T'as vraiment l'air tout près de ce stade. Ça me désole.

- Je préfère être un légume que moi-même, marmonnais-je. Tous les matins, j'ai peur de me réveiller en réalisant que je t'ai tué... comme j'ai tué Suzie.

- Arrête, un peu, soupira Jimmy en levant les yeux au ciel. Je suis deux fois plus grand que toi. À main nue, t'a aucune chance, et tout ce qu'il y a dans cette pièce est sécuritaire. Pas d'arme, rien que tes petits poings, t'arriveras même pas à me faire saigner du nez.

Je tournais le dos à Jimmy et éclatait en sanglot, comme je le faisais assez régulièrement c'est temps-ci. J'aurais voulu l'expliquer à Jimmy, mais c'était trop long pour ce que j'avais envie de dire, et de toute façon, il ne pourra rien n'y comprendre. Parce que si j'avais tué Suzie, c'était forcément à main nue. Les policiers n'avaient retrouvé ni empreinte ni tache de sang sur quoi que ce soit qui aurait pu me servir d'arme du crime, cette nuit-là. Pour lui faire mal à ce point, il fallait une très grande force. En comparaison, il est évident que j'arriverais à faire la même chose à Jimmy.

Jimmy, pour sa part, arrêta de me parler, allant s'allonger dans son lit. Il détestait m'entendre pleurer, et quand il essayait de me consoler, c'était pire.

Comme de fait, le lendemain matin, quand la porte de notre cellule s'ouvrit pour nous permettre d'aller déjeuner à la cafétéria, je retrouvais Jimmy baignant dans une mare de sang, toujours allongé dans son lit.

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